Critique. Un livre relate la descente aux enfers du Parti libéral-radical, mais sa thèse est démentie par la plus récente actualité.
C’est ce qui s’appelle tomber au mauvais moment. Ce printemps, les deux journalistes alémaniques Alan Cassidy et Philipp Loser sortent un essai* très critique sur les errances qui ont conduit le PLR à concéder huit défaites d’affilée lors d’élections fédérales depuis 1983.
Si son titre, Der Fall FDP, reste encore équivoque (le mot allemand Fall signifie aussi bien «cas» que «chute»), son sous-titre annonce franchement la couleur: «Un parti a perdu son pays». Pas de chance pour les deux auteurs: au moment où paraît leur livre, le PLR vient de gagner trois élections cantonales à Bâle, à Zurich et à Lucerne, et il est d’ores et déjà considéré comme l’un des potentiels vainqueurs des élections fédérales du 18 octobre prochain!
C’est davantage un procès que les deux correspondants au Palais fédéral intentent au PLR plutôt qu’une enquête instruite à charge et à décharge. Leur thème n’en reste pas moins passionnant. Comment un parti qui cartonne aux élections de 1979 (24% des suffrages) et domine de la tête et des épaules la politique helvétique peut-il ensuite entamer une telle descente aux enfers?
Pour raconter ces quarante dernières années qui ont bouleversé le PLR – qui s’appelait encore Parti radical démocratique à l’époque d’avant sa fusion avec les libéraux –, les auteurs appellent à la barre une bonne cinquantaine de témoins privilégiés.
Il y a bien sûr les anciens présidents Franz Steinegger et Fulvio Pelli, des ex-conseillers fédéraux, des managers, des parlementaires et enfin le bourreau, le tribun de l’UDC, Christoph Blocher.
Genèse d’un slogan
Le réquisitoire est sévère: «Le PLR a perdu son propre Etat, ses électeurs et le monde de l’économie.» D’abord, ce parti qui a créé la Suisse moderne en 1848 a inventé un slogan controversé («Plus de liberté, moins d’Etat»), laissant entendre qu’il n’assumait plus la paternité d’un bébé dont il avait pourtant toutes les raisons d’être fier.
Ensuite, il a lâché ses électeurs en multipliant les volte-face dans la question européenne. Enfin, il s’est brouillé avec les milieux économiques en s’en distanciant après l’affaire Swissair, au point que son actuel président, Philipp Müller, est même allé jusqu’à insulter grossièrement un manager au salaire exorbitant: un vrai «trouduc»!
C’est lorsque les deux journalistes se bornent à décrire les événements plutôt que de construire une thèse que leur livre est le plus intéressant. Pour reconstituer la genèse du fameux slogan réclamant «moins d’Etat», ils sont allés retrouver l’ancien conseiller d’Etat zurichois et président de Swissair Eric Honegger, aujourd’hui reconverti dans l’hôtellerie au fin fond du Burgenland autrichien.
Alors jeune secrétaire du PLR zurichois, celui-ci travaille sur le thème de l’Etat de plus en plus envahissant dans la vie des gens. Et il impose son légendaire slogan avant l’UDC qui, sous la férule d’un certain Christoph Blocher, travaille paraît-il exactement sur la même idée. Mais voilà: au moment de le traduire dans les faits, ce slogan se révèle creux.
Il brouille l’image du parti et irrite ses magistrats (notamment cantonaux) qui incarnent l’Etat tout comme sa clientèle paysanne qui en profite.
Postures de procureur
Alan Cassidy et Philipp Loser signent là un essai totalement inachevé. Jamais ils ne mentionnent que, malgré sa chute, le PLR est resté le mieux représenté dans les exécutifs cantonaux et dans les autorités des villes de plus de 10 000 habitants.
Aveuglés dans leur posture de procureur, jamais ils ne s’interrogent sur les raisons qui font aujourd’hui revenir les électeurs au PLR. Plus que la décision de la BNS qui remet ce parti en exergue dans un rôle de dérégulateur, ce sont bien davantage les initiatives excessives de l’UDC qui commencent à énerver le citoyen raisonnable.
Autre erreur impardonnable des auteurs: ils analysent l’histoire du parti à travers un prisme uniquement alémanique, pour ne pas dire zurichois. En Suisse romande, ils ne donnent la parole qu’à l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin.
Ils semblent ainsi ignorer que, dans trois cantons romands sur six, le PLR est resté le premier parti. Et qu’il y a révélé des politiciens de très bon niveau comme François Longchamp et Pierre Maudet (GE), Pascal Broulis (VD) ou encore l’actuel conseiller fédéral Didier Burkhalter (NE). Autant de magistrats qui personnifient un Etat fort et qui marquent au quotidien la politique cantonale et fédérale.