Analyse. Le projet de quartier des musées à Lausanne incarne sa dynamique future avec un beau parcours éphémère. Mais sa gestion très vaudoise contraste avec son ambition suprarégionale.
Dans quelques années, il sera intéressant de se retourner sur le passé et de comparer les dynamiques de Genève et de Vaud à l’œuvre dans leurs grands projets de musées. Elles en diront long sur les politiques culturelles de part et d’autre de la Versoix.
Ces jours, le futur Pôle muséal à la gare CFF accomplit ce que n’a jamais su entreprendre le Musée d’art et d’histoire de Genève, dont le projet d’agrandissement et de rénovation est paralysé depuis des lustres: sortir de ses murs, aller vers la population, montrer des contenus, suggérer des pistes, donner envie, partager l’idée généreuse d’une culture commune à tous.
En proposant jusqu’au 14 juin Objectif gare, un parcours artistique en ville de Lausanne, les responsables du Pôle muséal font davantage que donner un avant-goût de la réalisation future: ils montrent une méthode, ainsi qu’un état d’esprit.
Tout n’est pas parfait, loin de là. Le canton de Vaud reste prisonnier de ses archaïsmes ruraux, de ces «habitudes de tribus» remarquées par Jacques Chessex dans son Portrait des Vaudois. La gouvernance du Pôle muséal en fournit un bon exemple.
Par la volonté du conseiller d’Etat Pascal Broulis et du syndic de Lausanne Daniel Brélaz, un conseil de direction du projet a été mis sur pied en début d’année. Ses responsabilités sont importantes.
Il s’agit de penser la programmation commune du Musée des beaux-arts, du Musée de l’Elysée et du Mudac, qui ouvriront entre 2018 et 2022 dans le quartier des arts de la gare. Mais aussi d’imaginer une promotion, communication, billetterie, gestion, utilisation et représentation communes aux trois entités.
Juge et partie
Dans n’importe quelle grande ville européenne, par exemple celles qui accueillent déjà des «îles aux musées», ou en Suisse alémanique, la pratique est invariable: on choisit une personnalité indépendante pour conduire un tel conseil de direction, non l’un des responsables des musées concernés.
Dans le but évident de contrecarrer d’éventuels conflits d’intérêts, d’éviter d’être juge et partie, d’assurer un devoir de réserve, de bien circonscrire les responsabilités respectives.
Or dans le canton de Vaud, ce principe de base de la déontologie politique est joyeusement foulé aux pieds. Chantal Prod’Hom, directrice depuis quinze ans du Mudac, a été nommée présidente de ce conseil directorial, sans qu’aucune voix ne vienne protester contre ce choix étonnant.
Personne ne songerait à contester les compétences professionnelles de Chantal Prod’Hom, déjà créatrice de deux musées (la Fabrica de Benetton en Italie et la Fondation Edelman de Pully), excellente historienne de l’art et du design, personnalité chaleureuse.
Mais sa nomination reste une erreur politique, symptomatique du décalage entre l’ambition d’un projet d’échelle européenne et sa gestion régionale.
«Sur le principe, vous avez raison, concède Pascal Broulis, le véritable moteur du projet lausannois. Il faudra bien un jour nommer un superintendant du Pôle muséal. Mais c’est trop tôt. Choisir aujourd’hui un patron extérieur aux trois musées, c’est garantir la cacophonie.
Or nous avons dans ce comité trois personnalités qui s’entendent bien et travaillent avec un respect mutuel, en toute transparence. Chantal Prod’Hom était le choix le plus évident. Tatyana Franck, la nouvelle et jeune directrice du Musée de l’Elysée, manque encore d’expérience.
Bernard Fibicher, au Musée des beaux-arts, sera bientôt accaparé par la construction de son nouveau musée. De plus, d’entente avec la Ville de Lausanne, dont dépend le Mudac, nous avons fait en sorte que Chantal Prod’Hom puisse mener sa tâche sans prétériter la gestion de son musée.»
«Un choix rationnel»
Celle-ci détaille la solution trouvée: «Pour me libérer en partie de ma responsabilité au Mudac, un poste de directeur adjoint a été créé. C’est une occupation à 80% qui en est à son processus final de sélection des candidats. Ce renforcement permettra de me consacrer à 40% au Pôle muséal et à 60% à la direction du Mudac.»
Et le possible conflit d’intérêts dans un processus qui devra pondérer et mutualiser les compétences des trois musées? «Au contraire, ce choix est très rationnel. Je ne suis ni partisane, ni idéaliste et j’ai de l’expérience. Mon rôle est de rassembler les énergies et de définir une vision d’avenir, jusqu’à l’ouverture des musées.
Ce conseil, c’est trois voix équitables, certainement pas moi toute seule. Cela dit, si cette gestion commune devait poser problème, au Pôle muséal comme au Mudac, je n’hésiterais pas à renoncer à l’une ou l’autre de ces directions.»
Pour l’heure, parcourons les 21 étapes du chemin artistique proposé à Lausanne par les musées des beaux-arts, de la photo et du design, aux destins bientôt partagés. Entre Rumine et la gare, une belle liberté a été accordée à des artistes invités, comme l’hypnotique fresque murale du Tessinois Felice Varini à la rue de la Louve.
Elle exige de trouver le bon point de vue pour que ses cercles excentriques s’accordent. La métaphore, en somme, de ce qui attend les trois musées dans le meilleur des mondes vaudois.