Reportage. Accords de Minsk en rade, démission de l’ambassadrice suisse Heidi Tagliavini qui assurait un rôle de facilitatrice entre Russes et Ukrainiens, la tâche de l’OSCE est de plus en plus compliquée dans l’est du pays. Alexander Hug, directeur adjoint de la Mission spéciale d’observation, déplore la violation du cessez-le-feu par les deux camps. Va-t-on vers un état de guerre?
Textes Frédéric Koller Kiev
Photos Evgeniy Maloletka
Drôle d’armistice. A l’est de l’Ukraine, entre les «républiques» séparatistes soutenues par Moscou et Kiev, on échange quotidiennement des tirs de kalachnikovs, de mortiers, de lance-roquettes et de chars d’assaut. Entre ces deux camps, les agents de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) font le décompte des coups. «Depuis le 12 février, le cessez-le-feu n’a en fait jamais été appliqué», explique dans son bureau à Kiev Alexander Hug, un militaire suisse qui codirige la Mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine.
Depuis un mois, les violences sont même en nette augmentation, avec des points chauds autour de Donetsk et Marioupol. Chaque jour, l’organisation, présidée cette année par la Serbie, produit un rapport qui détaille les violations des Accords de Minsk, sorte de bulletin de santé d’un patient dont l’état se dégrade lentement mais sûrement. Les 375 observateurs de l’organisation sur le terrain doivent surveiller un territoire plus grand que la Suisse, dont 500 kilomètres d’une nouvelle frontière qui s’est instaurée entre Kiev et les «républiques» autoproclamées de Donetsk (DNR) et de Lougansk (DNL).
Une mission de moins en moins bien comprise par les acteurs du conflit. Témoins gênants ou arbitres accusés de fermer les yeux, les observateurs sont l’objet de tirs indiscriminés venus des deux côtés. «Bien sûr qu’il y a une fausse perception de notre mission, explique Alexander Hug. Mais il faut bien voir que c’est l’unique institution en ce moment qui fait des rapports réguliers, directement et objectivement, depuis les zones de conflit où nous avons accès.»
Signés sous l’égide de l’Ukraine, de la Russie, de l’Allemagne et de la France en septembre 2014, puis complétés en février, les Accords de Minsk sont eux-mêmes en sursis. Les trois premiers points de cet armistice, le cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes et leur vérification par l’OSCE n’ont jamais été entièrement respectés.
Avec la démission, il y a deux semaines, de Heidi Tagliavini, représentante de l’OSCE et facilitatrice au sein d’un groupe trilatéral de contact associant l’Ukraine et la Russie pour la mise en application de ces accords, on peut même se demander s’ils ne sont tout simplement pas déjà caducs. Pour donner une chance au cessez-le-feu, nous expliquait en substance la diplomate suisse à la veille de son départ, il faut faire avancer les négociations sur le plan politique. Or, la dernière réunion a tourné au vinaigre, le représentant russe claquant la porte, selon la version donnée par l’entourage du président ukrainien Petro Porochenko, mais non confirmée par l’OSCE.
A Kiev, on fait le décompte: depuis septembre dernier, les pro-Russes, avec l’aide directe de Moscou, ont mis la main sur 500 km2 supplémentaires de territoire et, depuis février, conquis 28 villes et cités. Alors à quoi bon maintenir un statu quo qui bénéficierait d’abord aux rebelles et à Poutine? Devant son Parlement, début juin, le président ukrainien s’est pourtant refusé à lâcher les Accords de Minsk pour déclarer l’état de guerre. Car c’est bien l’alternative.
Du coup, «la bible», comme les négociateurs appellent les Accords de Minsk, résiste. Et l’OSCE, la dernière instance de sécurité où coopèrent les Européens, les Russes et les Américains, continue tant bien que mal de jouer les intermédiaires. Moscou s’étant assuré de maintenir l’ONU à l’écart du conflit ukrainien, l’OSCE s’est ainsi trouvé une nouvelle raison d’être, en partie grâce à l’impulsion de sa présidence suisse l’an dernier.
«Il n’y a rien de plus solide et reconnu que les Accords de Minsk, qui représentent un cadre de référence et donnent une direction politique pour toute solution du conflit», nous expliquait encore Heidi Tagliavini avant de jeter l’éponge sans donner d’explication. Les Européens et les Russes s’y raccrochent. Mais pour combien de temps encore? Le long de la ligne d’armistice, qui ressemble de plus en plus à une ligne de front, l’instabilité menace à tout moment de dégénérer en nouveau conflit généralisé.