Portrait. Le Ministère public de la Confédération a classé la dernière plainte déposée contre elle. La libérale-radicale bernoise Christa Markwalder devrait devenir la première citoyenne de Suisse le 30 novembre prochain.
Elle est de retour, Christa Markwalder. Elle a survécu au «tsunami médiatique» de l’affaire kazakhe et a été réélue sans histoire au Conseil national en récoltant 63 000 suffrages sur la liste du PLR bernois. Elle devrait logiquement succéder à Stéphane Rossini à sa présidence.
La renaissance est spectaculaire. Le 23 octobre dernier, Christa Markwalder affiche un aplomb retrouvé lors de l’émission de la TV alémanique Arena où elle doit défendre la voie bilatérale avec l’UE face notamment au nouveau leader de l’UDC, Roger Köppel. L’éditeur de la Weltwoche est d’ordinaire un bulldozer qui écrase tout sur son passage, même le très chevronné Tim Guldimann (PS/ZH) en a fait la cruelle expérience. Ce soir-là, le disciple de Christoph Blocher déroule ses arguments et s’apprête à raconter qu’un soir un ancien chancelier allemand lui a confié que, à la place des Suisses, il n’adhérerait pas à l’UE. Mais avant qu’il puisse terminer l’anecdote, son opposante europhile le coupe et lui lance: «M. Köppel, vous n’allez pas laisser dire aux Allemands ce que les Suisses doivent faire.» Le public applaudit, le site d’information Watson aussi: «Christa Markwalder vainqueur aux points», résume-t-il.
La Bernoise revient de loin. A l’âge de 40 ans, elle a failli voir sa carrière brisée lorsque la NZZ révèle en mai dernier qu’elle est impliquée dans une obscure affaire. Une lobbyiste l’a instrumentalisée en la poussant à déposer plusieurs interventions en faveur d’un client proche du pouvoir au Kazakhstan. Fort naïvement, Christa Markwalder lui fait confiance et lui remet des documents «confidentiels», dont le contenu, certes totalement insignifiant, finit à Astana. L’UDC, qui ne lui pardonne pas son engagement pro-européen, en profite pour réclamer sa démission. Plusieurs journaux dominicaux la suspectent «d’espionnage», un animateur de télévision allant même jusqu’à évoquer Mata Hari!
Durant des mois, Christa Markwalder fait profil bas, frôle les murs du Palais et fuit les regards, le nez plongé dans ses dossiers. Elle souffre en silence et se réfugie dans le travail, ne manquant aucune des séances prévues à son agenda.
Aujourd’hui, la tempête est passée et le Ministère public de la Confédération (MPC) a classé la dernière plainte déposée contre elle par un citoyen qui a même tenté de la faire chanter. «Nous avons prononcé une ordonnance de non-entrée en matière le 23 septembre 2015», confirme le MPC à L’Hebdo. Christa Markwalder est soulagée. «Cette affaire a été un théâtre médiatique totalement disproportionné. En abandonnant la partie, j’aurais donné raison à mes détracteurs.»
Inclassable
Si Christa Markwalder a été si chahutée ces derniers mois, c’est qu’elle ne laisse personne indifférent. Ni «poids lourd» ni «second couteau» sous la Coupole, ni vraiment de droite ni de gauche, radicale mais aussi écolo: elle échappe aux nombreux clichés dont on a toujours voulu l’affubler. Cette passionnée de politique étrangère s’est peu profilée sur les autres sujets. «Elle a pourtant des valeurs et une ligne claires. C’est une femme libérale et progressiste», la définit Claudine Esseiva, secrétaire générale des femmes PLR.
Des convictions, elle en a et elle s’y tient. L’Europe d’abord. Elle est tombée dedans à l’âge de 16 ans. En 1991, alors que le mur de Berlin est tombé deux ans plus tôt, elle participe à un camp de jeunesse réunissant dans les Grisons 350 jeunes de tout le continent dans le cadre du 700e anniversaire de la Confédération. «Certains d’entre eux sortaient de leur pays pour la première fois. Nous étions portés par cet idéal de vivre en paix, sans guerre, même froide.» Chantre d’une Suisse ouverte et solidaire, Christa Markwalder a toujours milité en faveur de l’adhésion à l’UE et a présidé le Nouveau mouvement européen (NOMES) durant huit ans. Même à l’UDC, on lui reconnaît cette franchise: «C’est une euro-turbo. Même si je ne partage pas du tout ses idées, j’apprécie son honnêteté», dit d’elle Luzi Stamm (UDC/AG).
Ses parents étant déjà très engagés, c’est tout naturellement qu’elle plonge dans l’arène politique. Hyperactive et plutôt rebelle de nature, elle descend dans la rue et récolte 2000 signatures pour le maintien d’un cortège pour enfants à la fête de la jeunesse locale. Pari gagné. Son ascension politique est fulgurante après un tour de chauffe au Parlement de Berthoud. En 2002, placée sur la même liste que son père, Hans-Rudolf, elle lui brûle la politesse et est élue à sa place au Grand Conseil bernois. «Je suis la seule personne à avoir financé ma non-élection», réagit celui-ci, qui retrouve son mandat un an plus tard lorsque les électeurs propulsent sa fille au Conseil national.
Une Pop star isolée
D’emblée, les médias adorent cette nouvelle «pop star du Palais». Non seulement parce que cette femme urbaine et écolo – elle n’a jamais voulu passer son permis de conduire – rajeunit l’image d’un parti en déclin depuis trente ans. Mais aussi parce qu’elle croque la vie à pleines dents. Elle joue du violoncelle au sein de la société d’orchestre de Berthoud, même si elle n’a plus guère le temps de répéter. Et de temps à autre, elle organise des réceptions arrosées autour de sa piscine.
Avec sa personnalité que tout le monde s’accorde à trouver «généreuse, idéaliste et loyale», elle devient vite une locomotive électorale, allant jusqu’à devancer le futur conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann. Ses positions décalées par rapport à la ligne du PLR – sur l’Europe comme sur la stratégie énergétique – en font une championne des listes panachées. Revers de la médaille: elles l’isolent aussi au sein de son parti. «Elle aurait eu le potentiel d’avoir plus d’influence au PLR, mais elle a été clairement ostracisée en raison de son engagement pro-européen», relève François Cherix, coprésident du NOMES.
Sans tabou
Sur l’échiquier politique de la NZZ, qui travaille sur une échelle gauche-droite (de -10 à +10), Christa Markwalder apparaît légèrement à droite (+1,6), mais elle est la plus «centriste» de son parti. Travaillant à mi-temps pour l’assurance Zurich, elle arbore un profil très «bourgeois» dans les questions économiques et financières, réclamant des baisses d’impôt à tous les échelons et s’opposant à la suppression du secret bancaire sur le plan suisse par exemple.
Et dans le débat sur la prévoyance vieillesse 2020, elle s’apprête à combattre certains éléments de la réforme approuvée par le Conseil des Etats, notamment la hausse des rentes de l’AVS saluée par la gauche pour compenser la baisse des rentes du 2e pilier. «Cela va pénaliser les jeunes et creuser le fossé intergénérationnel», affirme-t-elle. Par ailleurs, elle souhaite ouvrir la discussion d’une hausse de l’âge de la retraite à plus de 65 ans. «Cette question doit être abordée sans tabou.»
Sauf énorme surprise, le 30 novembre prochain, la Bernoise sera élue présidente du Conseil national. Elle compte profiter de cette fonction pour faire de la diplomatie parlementaire à Bruxelles afin de sauver la voie bilatérale avec l’UE. Mais après le triomphe de l’UDC, elle entend aussi rappeler quelques fondamentaux à la base du «succès suisse»: le respect des institutions, des minorités et de l’autre en général. «Je ne fais pas de la politique pour recueillir des voix, mais pour montrer le chemin. Il faut convaincre les gens sans céder aux sirènes du populisme.»
Profil
Christa Markwalder
1975 Naissance à Berthoud (BE).
2001 Licence en droit à Berne et Nijmegen (NL).
2002 Election au Grand Conseil bernois.
2003 Election au Conseil national.
2008 Juriste chez Zurich Insurance Group.
2014 Election à la vice-présidence du Conseil national.