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Un quart des suisses croient en la réincarnation

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Jeudi, 24 Mars, 2016 - 06:00

Enquête. Comme le révèle un sondage réalisé pour «L’Hebdo»,  les Suisses sont toujours plus nombreux à croire en la réincarnation. Et à douter de la résurrection des morts. Qui, pour les Eglises  chrétiennes, s’inscrit dans celle du Christ célébrée le jour de Pâques.

Ce n’est pas une mode éphémère mais bel et bien une tendance qui se confirme au fil des ans: les Suisses sont toujours plus nombreux à croire en la réincarnation et, a contrario, à douter de la résurrection des corps comme l’enseignent les Eglises chrétiennes, notamment catholique romaine et réformée. Comme le révèle notre sondage réalisé en février 2016 (voir les résultats de l'enquête), un quart des personnes interrogées pensent, avec plus ou moins de conviction, qu’à la mort du corps physique une conscience que l’on pourrait appeler «âme» quitte ce dernier pour venir habiter un autre corps après une nouvelle naissance. C’est 10% de plus qu’en 1995, selon un précédent sondage.

Quant à la pensée chrétienne selon laquelle le Père céleste nous accueillera auprès de lui avec tout notre être – corps, âme et esprit – pour une vie éternelle, comme il a réveillé son Fils Jésus-Christ d’entre les morts le jour de Pâques, elle ne séduit plus qu’un dixième des personnes sondées, contre encore un quart il y a vingt ans.

A des degrés divers, ce phénomène s’observe dans la plupart des pays occidentaux. Une enquête sociologique réalisée en 1990 sur les valeurs des Européens révélait déjà qu’en moyenne 21% des habitants du Vieux Continent croyaient en la réincarnation. Hier comme aujourd’hui, les femmes plus que les hommes, les moins de 30 ans plus que les plus de 50 ans adhèrent à ce processus de survivance après la mort.

Plus étonnant encore, sans parler de réincarnation proprement dite, la croyance à une autre forme de vie de l’âme a bondi en vingt ans de près de 9% à 24% de personnes consultées en Suisse. Des films fantastiques comme Ghost, de Jerry Zucker, Contact, de Robert Zemeckis, La cité des anges, de Brad Silberling, ou encore plus récemment Interstellar, de Christopher Nolan, ont familiarisé l’opinion à l’existence de mondes parallèles, invisibles au commun des mortels, et dans lesquels les âmes peuvent consciemment évoluer.

Expériences de mort imminente

Les expériences de mort imminente (EMI), toujours plus médiatisées, font encore plus réfléchir. L’EMI vécue par le neurochirurgien Eben Alexander, alors qu’il était dans un coma profond, a bousculé le monde scientifique toujours d’une extrême prudence quand il s’agit de phénomènes paranormaux. Premier spécialiste du cerveau de haut niveau à avoir vécu une telle expérience, Eben Alexander estime dans son livre L’évidence de l’après-vie (Guy Trédaniel Editeur) que «nous en viendrons à une compréhension plus riche de notre univers quand les gens comprendront que la science et la spiritualité peuvent facilement coexister» (lire l’interview de Stéphane Allix).

Dans cet environnement de «modernité» dont parle le théologien Helmut Zander (lire son interview), le traditionnel discours chrétien sur ces questions de l’après-vie semble souvent trop flou, voire suranné, y compris pour les catholiques et les protestants qui ne sont que 15% à adhérer à la thèse de la résurrection des corps. Parmi les raisons données par l’ensemble des personnes sondées qui croient en la réincarnation, son caractère «crédible, plausible, ayant du sens et plus logique» est le plus souvent avancé (12%), avant le vécu d’expériences personnelles ou l’impression d’avoir traversé d’autres existences (9,6%).

Face à un tel mystère, finalement aussi grand que celui de la résurrection des corps, l’approche rationnelle semble l’emporter, même légèrement, sur toute autre considération plus émotionnelle, voire intuitive.

Visions orientale et occidentale

La réincarnation vue par les Suisses (et les Européens) d’aujourd’hui est différente de celle des Orientaux, laquelle prend par ailleurs des aspects fort divers selon les différentes branches de l’hindouisme et du bouddhisme. De manière générale, le bouddhiste ne croit pas à l’existence d’une individualité propre. Selon lui, le niveau le plus subtil de notre conscience qui va d’une vie à l’autre après avoir absorbé nos consciences sensorielles et mentales les plus grossières est un phénomène en perpétuel changement. Il ne peut dès lors être considéré comme une personnalité réelle. C’est la doctrine de l’insubstantialité enseignée par le Bouddha. Par une suite de multiples réincarnations qui doivent libérer son «soi» du karma – ce cycle des causes et des conséquences qui additionne tout ce qu’un individu a fait, fait ou fera sur Terre – l’homme vise à se fondre un jour dans la grande âme de l’univers. Tous ses désirs se seront éteints, ce sera le nirvana. A ce jeu-là, revenir sur Terre n’est pas vraiment une partie de plaisir. Jusqu’à sa libération, l’homme se débat inlassablement, enchaîné dans la roue fatale des réincarnations.

La vision occidentale contemporaine de la réincarnation est tout autre. Celle-ci n’est plus perçue comme un passage obligé de souffrance mais comme une chance, un parcours initiatique destiné à faire progresser l’être humain dans la voie de la connaissance. Ce n’est plus une roue qui semble ne jamais s’arrêter de tourner mais un escalier en colimaçon que l’on monte avec plus ou moins de bonheur selon son niveau de conscience. A l’image (quelque peu caricaturale) d’un acteur qui tantôt joue Le Cid, Don Juan, Jeanne d’Arc ou La mégère apprivoisée: il revêt des habits corporels variés au cours de ses différentes réincarnations mais demeure fondamentalement lui-même sans pourtant jamais être la même personne. Un étonnant paradoxe!

La théosophie moderne, dont est notamment issu l’anthroposophe Rudolf Steiner (1861-1925), bien connu en Suisse par son enseignement spécifique, son agriculture biodynamique et ses produits cosmétiques Weleda, s’inscrit dans ce courant de pensée. Lequel rassemble bien d’autres mouvements comme celui des Rose-Croix ou de la Fraternité blanche universelle (FBU).

Quatre catégories d’êtres humains

Feu Omraam Mikhaël Aïvanhov, spiritualiste et pédagogue bulgare inspirateur de la FBU et dont les nombreuses conférences sont publiées par les Editions Prosveta, aux Monts-de-Corsier (VD), est intarissable au sujet de la réincarnation. Il classe les êtres en quatre catégories: ceux qui ont accumulé de lourdes dettes dans le passé et qui doivent se réincarner pour les payer et réparer leurs méfaits. Leur vie n’est vraiment pas gaie. Ceux (la majorité d’entre nous!) dont l’ardoise est plus légère mais qui doivent cependant régler leurs factures. Leurs conditions de vie, qui ne sont nullement le fait du hasard, le leur permet. Ceux qui reviennent pour achever certaines tâches mais qui arrivent au bout de leur mission. Et enfin ceux qui, n’y étant pas obligés, s’incarnent cependant une nouvelle fois par compassion et par sacrifice, pour aider leurs prochains. Certains saint(e)s appartiendraient à cette catégorie.

Cette croyance est en totale opposition avec la doctrine des Eglises chrétiennes. «L’écart est considérable entre réincarnation et résurrection. Il y va au fond de deux visions du monde, de l’histoire et de l’existence qui se révèlent en réalité assez radicalement incompatibles», souligne Mgr Joseph Doré, ancien archevêque de Strasbourg. Dès lors, les 67,5% de catholiques et les 53,9% de protestants qui, dans notre sondage, estiment qu’il est possible de se dire chrétiens tout en croyant à la réincarnation sont en total porte-à-faux avec leurs Eglises. En connaissance de cause ou par ignorance? Les deux hypothèses sont plausibles.

Deux doctrines incompatibles

En Suisse romande, François-Xavier Amherdt, prêtre du diocèse de Sion et professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, considère lui aussi que réincarnation et résurrection ne sont pas compatibles. «Pour le christianisme, affirme-t-il lors d’une conférence donnée fin janvier 2012 à l’Université populaire d’Hérens, l’homme est pécheur mais un pécheur racheté: ma libération est l’œuvre du Christ, que je suis invité à accueillir, et non le fruit de mon ascèse ou de ma connaissance.» La loi du karma? «Je suis sauvé par amour, je ne dois pas me sauver moi-même par mes propres forces et performances. Ce serait terriblement épuisant et angoissant (…) Dieu pardonne, tout son être est tendresse et miséricorde.» Dès lors, «ne vivre qu’une fois correspond au fait que le Christ nous a sauvés une fois pour toutes».

Grande est la tentation de scruter la Bible pour y déceler l’esquisse d’une réponse. «Celle-ci ne connaît pas la réincarnation. Tout l’Evangile renvoie au fait historique de la résurrection du Christ», constate François-Xavier Amherdt. Cependant, au-delà des convictions divergentes, rien dans la Bible n’apporte la preuve formelle que la réincarnation existe ou non. Dès lors, toutes les interprétations sont possibles. Comme, par exemple, à propos de cette étonnante question posée par Jésus à ses disciples: «Qui dit-on que je suis?» Lesquels répondent: «Les uns disent que tu es Jean-Baptiste, les autres Elie, les autres Jérémie ou l’un des prophètes.» Et Omraam Mikhaël Aïvanhov de se demander comment on peut dire que quelqu’un est tel ou tel, qui est déjà mort depuis longtemps, si l’on ne sous-entend pas l’idée de réincarnation, une croyance qui selon lui était à l’époque de Jésus largement répandue en Palestine.

Le spiritualiste bulgare souligne que Jésus dit encore: «Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.» Une telle phrase sous-entendrait également la réincarnation, le Christ ne pensant pas que l’homme soit capable de devenir parfait en une seule existence. A moins de manquer totalement de psychologie ou de sous-estimer le Père céleste, ce qui dans les deux cas semble bien improbable de la part du Nazaréen. Comme toute interprétation des textes sacrés peut être contestée, ce n’est sans doute pas demain la veille que l’on pourra démontrer par la raison laquelle de ces deux doctrines, réincarnation ou résurrection des morts (ou aucune des deux), correspond à la réalité.

Tous les témoignages, hypothétiques, de personnes prétendant se souvenir de leurs vies passées n’engageraient qu’elles-mêmes et seraient scientifiquement invérifiables. Dans ce domaine, l’oubli reste une porte infranchissable. Les «réincarnationnistes» justifient cette absence totale de mémoire par une nécessité vitale dans l’évolution de l’humanité. Imaginez, disent-ils, que votre pire ennemi dans une existence antérieure se soit réincarné dans la peau de votre fils avec lequel vous devrez régler un profond différend. Mieux vaut ne pas le savoir, cela pourrait contrarier notre tâche de règlement pacifique de nos comptes!

Vivre l’instant présent

Pour les adversaires de l’idée de réincarnation, en revanche, qu’ils soient ou non athées, ce trou noir est bien la preuve qu’avant notre naissance et sans doute après notre mort nous n’existons tout simplement pas.

Partisans de la réincarnation et ceux de la résurrection irréconciliables à jamais? Il y a au moins un point sur lequel les deux peuvent s’entendre: c’est la conviction de vivre pleinement l’instant présent, comme s’il n’y avait ni d’hier ni de demain. «C’est déjà maintenant que nous sommes ressuscités, depuis notre baptême», dit François-Xavier Amherdt. «Ressusciter, c’est ouvrir à la vie divine des passages dans toutes les régions de notre être, car le propre de la vie, c’est de ne pas rester en place, mais de couler et de s’introduire partout pour tout renouveler», soutient de son côté Omraam Mikhaël Aïvanhov.

C’est aussi ce que suggèrent six des huit personnalités dont L’Hebdo a recueilli les témoignages et qui n’adhèrent pas formellement à l’une ou à l’autre thèse. Avec cette perspective, la fête de Pâques qui célèbre la Résurrection prend une nouvelle dimension. La résurrection, avec un petit r, devient une affaire permanente, un renouvellement vital de l’homme dans ses dimensions physique, psychique et spirituelle, à l’image de l’éclosion des bourgeons à chaque printemps.

Finalement, si nous parvenions à nous échapper, ne serait-ce qu’un court instant, de l’espace-temps qui est le nôtre, «cette bouillie d’où nous émergeons», comme le qualifiait le physicien et philosophe Albert Einstein, nous pourrions peut-être découvrir que, si le passé est mort et le futur non encore vivant, c’est bien parce que c’est ici et maintenant que se joue notre vie. Carpe diem!

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Fred Merz / Lundi13
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