Mehdi Atmani
Enquête. Les milieux geek, tech et web restent des bastions d’hommes. Mais la donne change sous l’impulsion de mouvements internationaux pour la parité dans les nouvelles technologies.
Souvenez-vous. Le 23 février 2015, Ellen Pao devenait le symbole du sexisme de la Silicon Valley. L’ex-PDG du forum Reddit accusait alors son ancien employeur – le célèbre fonds d’investissement Kleiner Perkins Caufield & Buyers derrière le succès de Google, Facebook, Snapchat et Amazon – de l’avoir écartée et lésée professionnellement parce qu’elle était une femme. A l’issue d’un procès pour discrimination sexuelle qui aura duré un mois, le tribunal du comté de San Francisco a débouté Ellen Pao. La diplômée de Princeton et de Harvard a, depuis, démissionné de Reddit.
La Mecque de l’innovation mondiale aurait-elle une dent contre les femmes? Un bref regard sur le genre des têtes dirigeantes de la Silicon Valley suffirait à le laisser penser. Dans le paysage, la PDG de Yahoo!, Marissa Mayer, fait figure d’exception. S’ils tendent peu à peu à se féminiser avec l’essor des réseaux sociaux et de la communication virale, les milieux geek, tech et web sont des bastions historiquement mâles. Plus pour longtemps. C’est du moins l’objectif des nombreux réseaux internationaux qui œuvrent à la parité dans la technologie. A l’instar du mouvement américain Girls in Tech qui, depuis sa fondation, en 2007, essaime en France, en Inde ou encore en Chine.
En Suisse, seuls 10% des titres délivrés en 2014 dans les filières des technologies de l’information et de la communication (TIC) étaient obtenus par des femmes, estime l’OFS. Mais, ici aussi, la donne change doucement sous l’impulsion de diverses initiatives. Responsable des médias sociaux au sein de l’agence de communication numérique Details, Taïssa Charlier a inauguré, en 2014, le mouvement Women in Digital Switzerland. Ce groupe de 600 membres s’articulait à l’origine sur le réseau social professionnel LinkedIn. «Notre but était de recenser les Suissesses actives dans le numérique pour, notamment, les fédérer.»
Et ça marche, puisque Taïssa Charlier est sur le point de monter une association avec deux autres professionnelles du numérique, Kelly Hungerford et Natacha Gajdoczki. Des meet-up sont désormais organisés dans plusieurs villes de Suisse (Genève, Zurich, Lausanne et Saint-Gall). Ouvertes aux femmes comme aux hommes, ces rencontres numériques informelles permettent l’échange de bonnes pratiques et d’expertises.
Les femmes à la com, les hommes à la tech
Certaines forteresses sont plus difficiles à prendre. En effet, à l’ère de la production de contenus et des médias sociaux, les femmes ont davantage tendance à faire leur nid dans la communication et le marketing numérique, alors que leur nombre reste marginal dans la programmation ou le codage informatique. Même constat dans les conférences consacrées à la technologie et à l’innovation, «où en moyenne seuls 6% des intervenants sont des intervenantes», regrette Taïssa Charlier.
La cheffe d’entreprise Aurélie Duplais fait partie de celles qui balaient les stéréotypes. A 36 ans, la codirectrice de l’agence de communication numérique Virtua, à Morges, a toujours «évolué naturellement» dans les métiers du web. D’abord à Boston, au sein du groupe Redcats, ex-filiale de Kering, spécialisé dans la distribution de confection à l’international. Puis en Suisse, où elle assiste à la féminisation des métiers du numérique. «Je ne me suis jamais dit que c’était un monde d’hommes, explique-t-elle. Tout au long de ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir des mentors qui m’ont donné cet élan pour me dépasser.» Virtua compte aujourd’hui 30% de femmes, dont des ingénieures et des développeuses IT. Pour beaucoup d’entrepreneuses, cette motivation s’acquiert dès la scolarité postobligatoire, voire plus tôt.
Hélène Fueger est déléguée au Bureau de l’égalité de l’EPFL. Auprès des 3000 étudiantes, doctorantes et post-doctorantes, soit 30% des effectifs du campus, elle a pour objectif de leur insuffler le goût d’entreprendre. «Le lancement d’une start-up est risqué. L’investissement n’est pas mesurable. Aujourd’hui, il peut paraître moins facile pour les femmes de sauter le pas. Il faut donc renforcer leur confiance et leur montrer des rôles modèles d’entrepreneuses dans les filières techniques.» L’EPFL vient de mettre au concours le 2e prix Isabelle Musy, qui récompense une idée de start-up développée par une entrepreneuse.
Du côté d’Yverdon, la Haute Ecole de gestion (HEIG-VD) lutte contre la discrimination des genres dans la technique. Dès leur sortie de la scolarité obligatoire, elle propose notamment une année préparatoire aux jeunes femmes. Soit six mois de stage en entreprise et six mois de cours. La vingtaine d’étudiantes inscrites cette année s’immergent dans tous les domaines de l’ingénierie. «Ce tour d’horizon est pour elles un premier pas, qui leur permet de tâter le terrain», relève Céline Ehrwein Nihan, responsable du Bureau de l’égalité des chances de la HEIG-VD. Et peut-être de créer des vocations.