Sandra Hildebrandt
Récit. Evelyne Bon et sa chienne Dana se sont spécialisées dans la détection des punaises de lit. Tout en parvenant à calmer les clients les plus paniqués par ce problème grandissant.
Evelyne Bon applique contre sa peau un tube transparent rempli de punaises de lit, pour les pouponner. L’ouverture est recouverte d’un tissu assez fin pour que ces minuscules bêtes puissent se nourrir de son sang, sans pour autant sortir. Il s’agit de les garder en vie pour les montrer à ses clients lors de détections de ces insectes, en nette recrudescence. Un phénomène qui s’observe dans tous les pays industrialisés et touche toutes les classes sociales.
«Je les aime!» dit-elle. Ce qui a des effets positifs. En plus des connaissances qu’elle apporte sur les punaises de lit, Evelyne parvient, grâce à sa passion, à calmer les personnes très angoissées, au bord du désespoir. Parmi ces dernières, Amanda*. Une habitante de Morges chez qui Evelyne s’est rendue à deux reprises. «Mieux vaut deux fois qu’une», insiste Amanda. Désespérée, elle avait appelé D.Tec Punaises, la société d’Evelyne, le 24 décembre 2015. «C’était la panique totale, j’étais en pleurs. Les punaises de lit infestent M. et Mme Tout-le-Monde, indépendamment de la propreté des lieux. J’étais persuadée qu’il y en avait partout et que je ne pourrais plus vivre ici», relate la Morgienne qui, à l’époque, n’arrivait plus à dormir.
Autre cliente à rassurer, Chloé*. Cette jeune femme de 25 ans, qui a fait appel à la société de détection, attend avec impatience la venue d’Evelyne et de sa chienne. Elles lui permettront de savoir si son appartement de Crissier est infesté. «Depuis un moment déjà, mon ami et moi nous demandons si nous avons des punaises de lit», explique Chloé qui a de petites piqûres dans le dos depuis quelques mois. Cela coïncide avec son retour d’un séjour à l’étranger. «Mon ami est plutôt du genre à laisser traîner, mais moi, il faut que je sache.»
Informer pour détendre
La spécialiste s’est alors immédiatement déplacée. Elle sait qu’elle doit réagir rapidement: «Les gens cogitent et tout d’un coup, ils ont besoin d’être sûrs.» Dans près de 60% des cas, pas l’ombre d’une punaise dans l’appartement. Le prix de la certitude? 250 francs.
De la peur donc et, souvent, de la honte aussi. «Certaines personnes me demandent d’enlever de ma voiture les plaques magnétiques avec le nom de mon entreprise lorsque je viens pour une détection», relate Evelyne. Mais le pire est la méfiance de l’entourage: «Les gens ne sont plus invités», de peur qu’ils n’amènent des punaises avec eux.
Alors qu’Evelyne monte au 8e étage de l’immeuble de Chloé, le labrador retriever qui procédera à la détection reste dans la voiture. L’appartement visité n’est pas grand. Quelques endroits poussiéreux, beaucoup d’objets, des affaires traînant çà et là: un terrain propice à la multiplication des punaises.
Munie de son classeur bleu qui contient explications et illustrations, Evelyne commence toujours par offrir des informations théoriques sur la punaise de lit: origine, propagation, durée de vie… Chloé pose de temps en temps une question, ce qui n’est pas le cas de tous les clients. «Certains souhaitent seulement la détection, alors je m’adapte, précise Evelyne. Je rencontre des gens qui présentent un taux de stress phénoménal. Dans ce cas, il est impensable d’uniquement tester le logement et de repartir après quinze minutes.»
Evelyne propose, comme à son habitude, de cacher des punaises dans l’appartement. Immédiatement, Chloé se raidit. «Mettons-les à un endroit où nous pouvons les surveiller», demande la jeune femme qui n’a pas réalisé qu’elles sont enfermées et ne peuvent s’échapper.
La cliente choisit de les cacher dans la cuisine, derrière la machine à laver. Elles resteront là, enfermées dans leur tube, un moment, pour que l’odeur se diffuse. Pendant ce temps, Evelyne commence la détection seule, avant d’aller chercher sa chienne, Dana. Un travail d’équipe. La spécialiste inspecte le matelas, ses coins, ses coutures, ainsi que les pas de vis du lit, munie de sa lampe de poche. Sensibles à la lumière, les punaises sont censées bouger sous le faisceau lumineux. Des déjections trahissent aussi une présence.
Arrive Dana, qui ne retient pas son excitation. Elle trépigne, se secoue, grimpe sur son maître. Son collier bleu autour du cou, elle entre en mode «travail». Sa maîtresse la détache à l’entrée de la chambre et lui ordonne de chercher. Dana renifle fort, pour détecter les odeurs de punaises. Du doigt, la maîtresse indique le tracé à suivre, les endroits où chercher plus intensivement. La chienne enfouit sa truffe dans le canapé, elle a appris à inspecter en profondeur. Les prises électriques, l’espace derrière les plantes, rien n’échappe à Dana.
Le jeu comme récompense
Le verdict est sans appel: «Vous n’en avez pas.» Chloé est rassurée. C’était l’ampleur des mesures à prendre pour s’en débarrasser qui l’effrayait. La détection n’est pourtant pas terminée. Pour écarter définitivement tout doute, il reste à faire trouver par Dana le tube de punaises d’Evelyne.
Cette fois-ci, il est hors de question de la guider. La chienne renifle partout et, rapidement, se rapproche de la machine à laver, puis regarde son maître. Evelyne doit rester attentive aux signaux. Trois éléments lui permettent de valider une alerte de la bête: une activité olfactive plus intense et des muscles qui se tendent. Finalement, lorsque Dana sent quelque chose, elle s’assied près de la source. Voilà, elle les a trouvées. Sa maîtresse lui lance sa balle orange en caoutchouc en guise de récompense.
* Les prénoms et les lieux ont été changés.
Le génome de la punaise enfin décrypté
Elles affectionnent la compagnie de l’homme depuis des milliers d’années. Elles n’en restaient pas moins un mystère pour la communauté scientifique. Jusqu’à cette étude parue récemment dans Nature Communications. Fruit d’une collaboration de longue haleine (quatre ans) entre une centaine de chercheurs américains, cette recherche a permis de décrypter le génome de la punaise de lit. De quoi explorer la biologie fondamentale du nuisible parasite – capable de survivre sans nourriture pendant des mois et de se reproduire à la vitesse de l’éclair –, mais aussi comprendre son adaptation aux insecticides.
Les chercheurs se sont aperçus que l’insecte développe des mécanismes de résistance à ce genre de produit à partir du moment où il se nourrit de sang. Cette découverte pourrait conduire au développement de nouveaux insecticides plus efficaces.
SL