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Nuit debout: un mouvement nécessairement intolérant

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Jeudi, 21 Avril, 2016 - 05:56

Analyse. Les contradictions d’un mouvement révolutionnaire porteur de violence.

D’extrême gauche? Non, non, non! Altermondialiste? Non plus, l’altermondialisme a sa propre histoire, elle commence au Mexique, se poursuit aux Etats-Unis. OK, mais c’est quoi, alors, Nuit debout? Stéphane, un jeune homme, ne nous le dira pas. Peut-être ne le sait-il pas lui-même et ne veut pas le savoir. Voilà un mouvement, établi place de la République à Paris depuis le 31 mars, qui revendique une singularité mais est bien incapable de se définir, sinon par opposition à l’existant.

Justement: si Nuit debout n’existait pas, ou pas encore? Si, pour l’heure, il n’était qu’un «en soi» en quête d’un hypothétique «pour soi», un être sartrien sans but? A moins que, et ce serait too much: si l’objectif recherché ici était le point de départ, un élan sans cesse répété comme dans un gif, cette brève animation qui cartonne sur les réseaux sociaux et reproduit à l’infini une même scène? Un «pour soi» qui ne dépasserait pas le stade de l’«en soi»? Un principe sans vécu?

Jus de crâne? Mais oui, il faut bien, pour essayer de comprendre. Stéphane, lundi 18 avril, dégaine une formule cliché qui l’amuse, digne du bon vieux La haine de Mathieu Kassovitz, quoique signifiant l’inverse de la réplique culte du film (l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage): «Ce qui compte, ce n’est pas la destination, c’est le chemin parcouru», balance-t-il. Comme d’autres mouvements d’«occupation» anticapitalistes – dont Occupy Wall Street en 2011 –, Nuit debout a tendance à faire durer le plaisir. Littéralement exhibitionniste, se donnant au regard des passants dans un lieu hautement symbolique, il remet chaque soir l’ouvrage délibératif sur le métier de l’assemblée générale, pied de nez à la démocratie représentative jugée à l’agonie.

Pour l’instant, Nuit debout donne l’impression de ne produire que du «process». Un esprit procédurier qui se veut à la fois bienveillant et strictement égalitaire avec ses membres délibérants. On annonce certes une «constitution», mais quand pourra-t-on la lire? «Laissez-nous du temps, répond Stéphane, nous avons commencé il y a quinze jours, la Commune de Paris n’a duré qu’un mois (un peu plus de deux et fut écrasée en mai 1871, ndlr).»

Est-ce donc là une nouvelle Commune? En quelque sorte. Il est question d’autogestion, de choses plus ou moins nouvelles ayant acquis un intérêt, voire un caractère d’urgence, avec la crise économique, le chômage de masse et les prévisions sur le réchauffement climatique: circuits courts, décroissance, nouvelles monnaies, véganisme, anti-spécisme, économie coopérative… tout l’arsenal d’une société différente, entre progrès et régression volontaire. Le film Merci patron! de François Ruffin – une charge contre le «néolibéralisme» incarné par Bernard Arnault, le «patron» de LVMH – a donné le signal de départ à l’insurrection Nuit debout, mise en partition par l’économiste Frédéric Lordon.

Contradiction dans les termes

Si Nuit debout délibère tant et donne à ce point l’impression de jouir de lui-même, c’est qu’il craint la violence des actes. Instruit des «horreurs du XXe siècle», viscéralement «antiraciste», il a les mains liées. Pourtant, comme tout mouvement radical, il porte en lui la violence. Alors, quand il dérape, il se questionne aussitôt. L’éviction d’Alain Finkielkraut, samedi 16 avril, de la place de la République, traité de «fasciste» par une partie de la foule, a ébranlé certains nuitdeboutistes. Telle Léa, qui, le surlendemain, à la suite de cet incident, animait sur cette même place un groupe de discussion dans le cadre de la «commission réflexion».

Thème du jour: la liberté d’expression. Une contradiction dans les termes, une notion somme toute bourgeoise, étant donné l’orientation objectivement à gauche du mouvement. Si la plupart, dans le groupe, disent leur attachement à la libre parole, d’autres s’érigent en «tiers état» et déclarent Finkielkraut «ennemi du peuple», «raciste» et «islamophobe», alors que pendant ce temps sur les réseaux sociaux se déverse contre lui un flot de haine – d’anciennes déclarations sur les Noirs en équipe de France de football et la violence en islam ont fait de lui le «punching-ball» de la banlieue.

On touche ici à la contradiction ou, si l’on préfère, à la vérité de Nuit debout: intrinsèquement révolutionnaire, nécessairement intolérant.

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Boris Allin
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