Pilote (1914-1966). Le plus célèbre des aviateurs de montagne a mis au point une technique d’atterrissage en altitude sur les pentes enneigées.
«C’était un gars sympa, mon papa. Il n’avait pas la grosse tête, malgré tous ses exploits. Il travaillait 365 jours par année, du lundi au dimanche. Ses missions terminées, ce qu’il préférait, c’était ficher le camp à la maison.» Assis à la table du vaste salon-salle à manger de sa maison sur les hauts de Brigue, Pierre Geiger, 69 ans, ancien mécanicien sur hélicoptères, évoque le souvenir de son père mort trop tôt, dans un accident d’avion, à 52 ans.
Son fils est alors âgé de 19 ans. Il raconte ce pionnier du sauvetage en montagne qui a comptabilisé quelque 35 000 atterrissages en altitude. «Son but était de porter secours aux gens, mais aussi aux animaux qui souffraient d’un hiver trop long en leur larguant du foin, de former des pilotes du monde entier à sa technique et de faire des vols de plaisance pour montrer la beauté des paysages valaisans.»
Né à La Sionne, hameau de la commune de Savièse, le petit Hermann est le septième d’une fratrie de seize enfants dont treize ont survécu. Menuisier le jour, le père travaille à la campagne avec ses enfants, le soir venu, pour que toute la famille mange à sa faim. Le petit Hermann, lui, n’a alors qu’une envie: «Faire comme un oiseau.» Des années durant, il se contentera de construire des maquettes et des modèles réduits d’avions.
Il a 14 ans lorsqu’il commence un apprentissage de mécanicien dans un garage. Il fera ensuite la connaissance d’un étudiant qui fonde un club de vol à voile à Sion. Plusieurs copains partagent la passion des airs; ils se cotisent pour acheter un planeur. Hermann, lui, met de côté tous les pourboires reçus lors de la vente d’essence. Tous les samedis et dimanches, un moniteur donne des leçons à la troupe de jeunes passionnés. Son tour venu, Hermann volera une première fois à 1 m 50 du sol: son vœu le plus cher est accompli. De fil en aiguille, grâce aux rencontres qu’il fait à l’aérodrome, il accompagne des pilotes amateurs.
Et, à force d’économiser, il se paiera une première demi-heure de leçon de pilotage à moteur, puis, six mois plus tard, une deuxième. Dès lors, il ne cessera de voler. Après son école de recrues, il est engagé à l’aérodrome de Berne, où il passe son brevet de vol à voile et à moteur, puis suit une formation de policier à Winterthour où il rencontre sa femme, Hilda, une Appenzelloise employée comme télégraphiste, qui travaillera durant quinze ans à ses côtés, à l’aéroport de Sion. En 1946, c’est le retour dans son Valais bien-aimé où il est engagé comme policier à la commune de Sion. Et lorsque la place de chef de place à l’aérodrome se libère, il postule et l’obtient. Il est déjà instructeur et continue de voler.
De L’idée du premier atterrissage en altitude…
Dès lors, il ne cessera de progresser. Le pilote valaisan ne compte pas ses heures et ses innombrables missions qui l’amènent à parcourir le ciel valaisan pour larguer du matériel de construction pour les cabanes, du bois ou des vivres pour le ravitaillement des refuges et même la paie hebdomadaire des ouvriers travaillant sur les chantiers de la Grande Dixence, soit une enveloppe de 26 000 francs.
Dans son autobiographie intitulée Geiger, pilote des glaciers, celui que l’on surnomme l’aigle de Sion raconte: «On ne survole pas impunément les plus grands sommets des Alpes. L’idée de poser son avion sur les plus hauts pâturages et sur les glaciers naît fatalement dans l’esprit du pilote familiarisé lentement avec les altitudes élevées.» Plus loin encore: «Combien de fois je l’ai tâté du regard, mon premier aérodrome alpin!» C’est la nécessité de transporter des vitres, de la vaisselle et des objets fragiles – impossible à larguer – pour la construction de la cabane du Mutthorn qui le pousse à équiper un avion de skis et de roues amovibles.
… à la concrétisation
De l’espace, peu de crevasses, une pente modérée, le 10 mai 1952, Hermann Geiger se pose pour la première fois en haute altitude, à quelque 2300 mètres, sur le glacier de la Kander, après l’avoir remonté à plusieurs reprises à pied pour connaître les détails de son relief. Dans son carnet de vol No 1, consultable à la Médiathèque Valais - Sion, ne figure aucune mention spéciale de cet exploit accompli avec un Piper S. C., sinon l’inscription d’un vol de quarante-huit minutes au départ de Sion. Presque la routine…
Un passager l’accompagne ce jour-là: un ancien pilote militaire qui avait posé des avions munis de skis sur la neige d’un aérodrome, par temps calme. Hermann décrit les moments qui suivent son premier atterrissage sur le glacier: «Mon passager éprouvant encore une certaine inquiétude, je le laisse au sol et je fais quatre atterrissages, tout près de lui, avec une facilité extraordinaire. Déjà je regrette les dix ans perdus! Déjà j’ai oublié le temps de la crainte, de l’inquiétude, des hésitations. Je suis heureux.»
Les semaines passent, les pages de son carnet de vol se noircissent: sauvetages au péril de sa vie et transports divers rythment son quotidien. Il lui arrive de se poser vingt-cinq ou trente fois par jour. Plus tard, cet homme à la force morale tranquille apprendra aussi à piloter un hélicoptère, donnera des conférences dans toute l’Europe.
Médecin sauveteur et fin connaisseur de la carrière du pilote, le Valaisan Pierre Feraud, qui collectionne tout ce qui concerne Geiger, explique: «L’inventeur de notre métier de sauveteur, c’est lui. C’est notre père à tous et le plus grand héros valaisan de tous les temps. Nous sommes les héritiers de sa technique utilisée dans le monde entier.» Une technique innovante qui consistait à utiliser la pente dans le sens de la montée pour l’atterrissage et dans le sens de la descente pour le décollage. Hermann Geiger, le pilote des glaciers, est mort le 26 août 1966, sur l’herbe, dans une collision avec un planeur, qui a atterri sur son avion alors qu’il décollait. Fichu destin.
En savoir plus
➤ Martigny: la Médiathèque Valais - Martigny rassemble une série de photos et de films sur le héros valaisan. Documents consultables online: http://archives.memovs.ch
➤ Sion: carnets de vol, licences de pilote et multiples distinctions sont consultables à la Médiathèque Valais - Sion.