Eclairage. Deux études la prônent et Doris Leuthard pourrait l’intégrer dans la future loi sur les médias électroniques.
Faut-il aider les médias, y compris les privés, par des fonds publics? La question se pose avec une acuité nouvelle à la suite de l’annonce, par Ringier Axel Springer, de la fermeture de L’Hebdo. Le débat s’annonce très idéologique, alors qu’il est temps de trouver des réponses concrètes. «Il est urgent d’agir», estime ainsi Manuel Puppis, professeur au Département des sciences de la communication et des médias à l’Université de Fribourg.
«La disparition de L’Hebdo est une grosse perte pour la diversité de la presse en Suisse romande. Elle révèle une fois de plus la crise actuelle du financement du journalisme.»
En Suisse, le débat politique n’a pas encore commencé. En juin 2013 pourtant, l’Institut de recherche sur les médias de l’Université de Zurich rend un premier rapport à l’Office fédéral de la communication (OFCOM). Après une étude comparative dans le monde occidental, il arrive à la conclusion que la Suisse est un des rares pays à se contenter d’aides indirectes, notamment par un rabais sur les tarifs postaux de distribution des journaux.
Maintenir la diversité
A l’époque déjà, l’étude suggère l’examen de nouvelles pistes pour un soutien direct. L’un de ses auteurs, le professeur à la Haute école de technique et d’économie de Coire Matthias Künzler, le dit aujourd’hui sans ambages. «Il est indispensable d’aider la presse si nous voulons maintenir sa diversité dans un pays soucieux de son fédéralisme.
Mais cette aide doit être indépendante de l’Etat», insiste-t-il. Aujourd’hui, Manuel Puppis, qui avec plusieurs collègues vient de mener une étude financée par la Fondation TA-Swiss, fait le même constat en faveur d’un soutien direct: «Il faut s’orienter sur les modèles du Danemark et de la Suède, qui versent 50 millions d’euros par an à des publications assurant la diversité du paysage médiatique.»
Sur le plan politique, rien de concret n’a émergé à ce jour. Mais le PS, qui vient d’organiser une retraite à Berne le 27 janvier dernier, veut faire bouger les choses. «La révolution numérique entraîne une perte de qualité journalistique et ce phénomène va se poursuivre», s’inquiète Matthias Aebischer (PS/BE). «Il faut soutenir les médias qui assurent la pluralité des opinions, sont fidèles aux faits et séparent l’information des commentaires», ajoute-t-il.
Cela dit, le groupe socialiste n’a pas encore d’unité de doctrine. La conseillère aux Etats Géraldine Savary (VD) propose de solliciter les fonds recherche de la Commission de la technologie et de l’innovation (CTI), bientôt rebaptisée Innosuisse. De son côté, Jacques-André Maire (NE) penche plutôt pour un fonds alimenté par une taxe de 1 à 2% sur les recettes publicitaires en Suisse, qui se chiffrent à environ 2,5 milliards par an.
Future loi
Tout cela, c’est encore de la musique d’avenir. Pour l’instant, la seule proposition concrète est celle d’Edith Graf-Litscher (TG), qui a déposé en décembre 2015 une initiative parlementaire pour autoriser le soutien public des médias – aussi privés – pour leur offre en ligne. Rejetée en commission, celle-ci n’a pas encore été traitée en plénum. On murmure cependant que Doris Leuthard, la ministre de la Communication, pourrait reprendre cette idée dans la future loi sur les médias électroniques, actuellement en préparation.
Si la gauche prend le thème très au sérieux, elle n’a guère de chance de s’imposer au Parlement. La droite n’entre quant à elle pas en matière. «Je crois en un journalisme qui fasse de l’investigation et se montre critique envers tous les pouvoirs, dit Peter Keller (UDC/NW), historien et auteur à la Weltwoche.
Mais c’est aux éditeurs, en tant qu’entrepreneurs, de trouver de nouveaux modèles de financement.» Même son de cloche au PLR, où Fathi Derder rejette toute aide qui ne serait en fait qu’un «découragement à l’innovation». En revanche, il saluerait un projet qui solliciterait le fonds de recherche d’Innosuisse suggéré par Géraldine Savary. Le problème, c’est qu’aucun groupe de presse n’a jamais songé une seconde à y recourir. A la grande surprise de Doris Leuthard d’ailleurs!