Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Un rôle crucial pour la diplomatie suisse

$
0
0
Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:52

Médiation.A la tête de l’OSCE, Didier Burkhalter tente de convaincre la Russie de s’engager au sein d’un groupe de contact international pour apaiser les tensions en Ukraine. Récit de plusieurs semaines d’efforts pour conjurer la crise.

Comment calmer le jeu en Crimée? Après la surenchère verbale, il reste un acteur auquel la communauté internationale se raccroche, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et son représentant spécial, l’ambassadeur suisse Tim Guldimann.

Rarement la diplomatie helvétique aura été aussi sollicitée que ces derniers mois. Après l’Iran et la Syrie, la voilà face à une nouvelle mission presque impossible: obtenir une désescalade de la tension en Ukraine. Mais si un pays peut encore y parvenir, c’est assurément la Suisse, le pays qui assume actuellement la présidence de l’OSCE.

Multiples rencontres… Coiffé de sa double casquette de président et de ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter doit batailler sur tous les fronts depuis le début de l’année.

Par un extraordinaire con­cours de circonstances, le discret Neuchâtelois doit faire ses preuves en tant que maître des gestions de crise. Il doit à la fois sauver la voie bilatérale avec l’Union européenne et officier à la barre de l’OSCE pour stabiliser la situation en Ukraine au seuil des élections anticipées du 25 mai prochain.

… A Davos. Sa botte secrète? Depuis le début de l’année, il a multiplié les rencontres avec tous les acteurs du conflit, dont il connaît désormais bien tous les enjeux.

Le 24 janvier déjà, redoutant une explosion de violence sur la place Maïdan à Kiev, il présente un document non officiel – un non paper dans le jargon des diplomates – à celui qui est encore premier ministre ukrainien pour quelques jours, Mykola Azarov. Cela se passe à Davos, en marge du World Economic Forum (WEF). Son interlocuteur n’entre pas en matière au prétexte que les prochaines élections se dérouleront en 2015, et que la campagne commencera cet été déjà.

… A Munich. Le 1er février, Didier Burkhalter se retrouve face à trois leaders de l’opposition dans les coulisses de la Conférence sur la sécurité à Munich, dont l’actuel premier ministre Arseni Iatseniouk. Egalement présent, l’ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko jette sur la table une brochure contenant des photos témoignant de la violence des heurts entre les forces du régime et les manifestants.

Actuel ambassadeur de Suisse à Berlin, Tim Guldimann fait alors une discrète entrée en scène. Il propose de nommer un note taker, soit une personne chargée de protocoler correctement les positions des deux parties pour réduire leur méfiance mutuelle.

… Sur la terrasse de Sotchi. Un épisode décisif se joue à Sotchi, au lendemain de l’ouverture des Jeux olympiques. Le chef du Département des affaires étrangères profite de rencontrer son homologue russe Sergueï Lavrov, sur la terrasse de la Maison suisse. Le chef de la diplomatie russe ne ferme pas la porte à un rôle de médiation de l’OSCE, à condition que les parties prenantes du conflit le lui demandent.

… A New York. C’est une première brèche. Lorsqu’il se déplace à New York pour y parler devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Didier Burkhalter sent que le moment est venu de passer à une stratégie plus offensive. C’est là, ce 24 février, qu’il annonce la nomination d’un représentant spécial pour l’OSCE en la personne de Tim Guldimann et qu’il envisage la création d’un «groupe de contact international» incluant tous les protagonistes du conflit. «La mission de l’OSCE est de construire des ponts entre l’Est et l’Ouest», souligne-t-il.

L’OSCE est ainsi devenue le dernier espoir d’une désescalade des tensions. D’une part, le Conseil de sécurité de l’ONU est bloqué par le droit de veto dont y dispose la Russie. Quant à l’Union européenne, elle a perdu toute crédibilité dans ce dossier, du moins aux yeux du Kremlin. Elle a été incapable de faire respecter les termes de l’accord qu’elle a imposé au président Viktor Ianoukovitch le 21 février. Et puis Bruxelles est impliquée directement dans le conflit, elle qui tente d’attirer l’Ukraine dans son giron géopolitique et économique.

Deux missions de terrain. Que pourra vraiment faire l’OSCE? Outre le groupe de contact international, l’organisation prévoit d’envoyer deux délégations en Ukraine: quasiment certaine, la première, composée de 20 à 30 hommes, serait chargée d’établir les faits sur toutes les violations des droits de l’homme commises dès le début des manifestations à la mi-novembre 2013. Encore hypothétique, la seconde, composée d’une centaine de personnes, devrait assumer une tâche de surveillance du respect des minorités en Ukraine, de manière à ramener un climat plus serein avant les élections anticipées du 25 mai prochain.

L’entraide suisso-russe. Mais comment convaincre le Kremlin si belliqueux de redonner une place aux tractations diplomatiques? La Suisse ne manque pas d’arguments pour attirer la Russie à la table des négociations. Les deux pays entretiennent dorénavant de bons rapports.

Qu’il paraît loin, le temps où Vladimir Poutine – en 2003 et sous l’œil des caméras – passait un savon au président Pascal Couchepin après le crash d’Überlingen. Les deux capitales s’entraident volontiers. La Suisse a favorisé l’entrée de la Russie au sein de l’OMC, tandis que Moscou a invité les Helvètes au G20 de Saint-Pétersbourg. Et même lorsqu’une diplomate suisse, Heidi Tagliavini, hérite de la fort délicate mission d’enquêter sur les raisons du conflit entre la Russie et la Géorgie en 2008, elle s’en sort avec les honneurs, respectée autant à Moscou qu’à Tbilissi.

C’est désormais tout l’enjeu des prochaines semaines. Persuader la Russie de faire partie du groupe de contact international. Fût-ce, dans un premier temps, au détriment de l’Ukraine, avec laquelle Moscou refuse de se mettre à table, estimant son gouvernement provisoire illégitime. C’est le plan B de la diplomatie helvétique, le prix à payer pour un apaisement des tensions dans la région. La Russie ne pourra guère faire parler sa puissance militaire tout en négociant.

Dans son jeu, l’OSCE et sa présidence suisse disposent d’un atout décisif: le diplomate Tim Guldimann, ce flamboyant rebelle de la diplomatie qui l’a même quittée plusieurs années, habile négociateur et polyglotte surdoué maîtrisant une bonne demi-douzaine de langues, dont le russe.

Lorsque la Suisse avait présidé l’OSCE en 1996 en pleine première guerre entre la Russie et la Tchétchénie, il s’était distingué en étant l’un des artisans de l’apaisement entre les deux belligérants, débouchant plus tard sur la paix de Khassaviourt.

Reste à savoir s’il a laissé de bons souvenirs à la Russie de Vladimir Poutine, qui a précisément affirmé son pouvoir en réglant ce conflit par la force en 2000 au terme d’une sanglante deuxième guerre. C’est une question que Didier Burkhalter a forcément dû se poser. Apparemment, l’actuelle génération des dirigeants russes n’a rien à redire contre le rôle de pacificateur de Tim Guldimann.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Herbert Pfarrhofer / Keystone | David Mdzinarishvili / Reuters
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles