Analyse. La visite à Berne du ministre français des Finances, Michel Sapin, inaugure une phase apaisée des relations bilatérales. Mais elle ne met pas fin aux escarmouches.
Yves Genier et Michel Guillaume
Le ministre portait des chaussettes roses. Dans l’univers austère de la diplomatie financière, où l’uniforme masculin est inévitablement noir, gris ou bleu marine, comment ne pas prendre cet écart vestimentaire comme un signe de détente? Après des années de tumulte, les relations bilatérales s’apaisent sans être totalement normalisées.
Lors de la visite, le 25 juin, du ministre français des Finances, Michel Sapin, auprès d’Eveline Widmer-Schlumpf, son homologue helvétique, les sourires étaient la règle, l’apaisement la marque dominante du discours des deux délégations. Rien à voir avec l’ambiance crispée de la visite de la conseillère fédérale à Paris en décembre 2012. Entre ces deux événements, la Suisse a renoncé à conclure des accords Rubik, qu’a toujours rejetés la France, et s’est engagée en mai dernier à appliquer l’échange automatique de renseignements fiscaux, le but recherché par Paris depuis des années. «Il ne sert à rien d’avoir des sujets d’irritation entre nous. Depuis un an, nous travaillons avec sérieux et nous voulons obtenir des résultats», a déclaré Michel Sapin à L’Hebdo.
Aussi les deux délégations avaient-elles fait le grand jeu pour ce qui n’était officiellement qu’une visite de travail. Les Français, qui avaient mobilisé un avion gouvernemental, étaient accompagnés de plusieurs journalistes hexagonaux. Le convoi diplomatique qui les a amenés de l’aéroport de Belp au Bernerhof, siège du Département fédéral des finances (DFF), était précédé d’une voiture de police chargée d’ouvrir la voie. Un drapeau français ornait l’avant de la Mercedes aux plaques diplomatiques bernoises transportant le ministre. A l’issue de leur rencontre, les deux responsables gouvernementaux ont signé deux documents devant les journalistes et les caméras de télévision, une déclaration commune sur la poursuite de leur dialogue fiscal et une adaptation de la convention de double imposition (CDI).
Les lignes de fracture subsistent. Rien ne sera entrepris à court terme pour remplacer la CDI sur les successions après que l’existante a été dénoncée par Paris. Pendant la conférence de presse qui a suivi les signatures, des signes d’agacement sont apparus de part et d’autre: le ministre français n’a guère apprécié qu’Eveline Widmer-Schlumpf réaffirme que la Suisse s’en tient à 2017 ou 2018 pour appliquer l’échange automatique d’informations.
900 demandes
Aussi a-t-il lâché devant tous les médias un nombre que Berne aurait souhaité garder dans l’ombre: celui des demandes d’informations sur des comptes bancaires potentiellement non déclarés adressées par Paris à la Suisse. Depuis le début de l’année, il y en a 900, dont 450 en attente de traitement. Le ministre prévoit que ces dossiers seront refermés à la fin de cette année. Les réponses pourraient bien ne pas être toutes positives, insinue-t-on dans l’entourage de la délégation suisse.
La France a obtenu de la Suisse l’échange automatique, qu’elle exigeait depuis longtemps. Elle veut bien, en contrepartie, aider Berne à sortir de la liste grise de l’OCDE en matière de transparence fiscale. Mais elle ne voit pas de raison de lui faire de cadeau. La Confédération voulait lier l’échange automatique d’informations à la question de l’ouverture des marchés financiers. Hors de question pour Michel Sapin: «Il n’y a pas de lien entre les deux questions, qui sont de nature totalement différente.»
Aussi la méfiance réciproque persiste-t-elle. Pourquoi les banques françaises engagées dans la gestion de fortune ne sont-elles pas inquiétées par la justice pour le moment alors que deux établissements basés en Suisse, UBS et HSBC Private Bank, le sont? Le ministre botte poliment en touche: «S’il apparaissait que les mêmes faits étaient reprochés à des institutions françaises, les procédures se passeraient de la même manière et la rigueur serait la même.» On veut bien le croire. Mais il en ressort aussi que les deux pays n’ont pas fini de se tendre des croche-pattes.