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La start-up genevoise qui a conquis l’Amérique

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Jeudi, 17 Juillet, 2014 - 05:55

Zoom. Cofondée par le Suisse Mark Kornfilt, la société Livestream permet de retransmettre en vidéo n’importe quel événement en direct sur le web.

Fin novembre 2006, New York. Tard dans la nuit. Mark Kornfilt arrive dans le petit appartement de son ami belge Max Haot, à Soho. Cela fait quelques mois que le Genevois de 24 ans est arrivé dans la mégapole américaine. Le grand brun aux yeux de faucon vient d’obtenir son diplôme en informatique de l’EPFL. Son ami l’a fait venir pour lui montrer un nouveau projet sur lequel il travaille. Il pose son ordinateur sur la table de la cuisine. Et se rend dans le salon. Mark Kornfilt le voit alors s’agiter devant l’écran. Il est bouche bée. «C’était vraiment cool, se souvient-il aujourd’hui. Max venait d’inventer la première plateforme de streaming vidéo d’événements en live.» Max Haot demande alors à Mark de le rejoindre pour lancer une compagnie qui exploiterait cette innovation. Livestream, une des start-up les plus dynamiques des Etats-Unis, était née.

A l’époque, Skype permettait de se connecter en live avec quelques autres utilisateurs; YouTube diffusait des vidéos préalablement enregistrées à des millions de personnes; Twitter et Facebook permettaient de publier du texte et des photos en direct. Ce que Max Haot venait de montrer à son ami allait encore plus loin: sa plateforme pouvait streamer n’importe quel événement sur la planète à des milliers, voire des millions de personnes. «A ce moment, la télévision était le seul moyen de retransmettre un événement en direct avec de l’image, raconte Mark Kornfilt. Et cela coûtait des millions de dollars. Nous, nous voulions permettre à tout un chacun de le faire, à un coût minime. Cet outil allait démocratiser la vidéo en direct. On allait créer un nouvel outil d’expression pour le grand public.»

Mark Kornfilt est né à Istanbul en 1982. Ses parents, d’origine turque, sont arrivés à Genève lorsque leur fils était âgé de 5 ans. Son père possédait une petite entreprise de commerce de papier et de cellulose. «Ma famille a toujours eu l’esprit d’entreprise», glisse-t-il. Très jeune, il attrape le virus informatique: «A 8 ans, je codais des programmes. A 14 ans, je donnais des cours d’informatique à des personnes plus âgées.» Après l’obtention de sa maturité au collège Calvin, il s’inscrit tout naturellement en informatique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.

L’arrivée à Limewire

A la fin de sa licence, il obtient un stage au sein de Limewire, la start-up new-yorkaise connue pour son logiciel de partage peer-to-peer. Mark Kornfilt arrive à 23 ans dans la Grande Pomme, des étoiles plein les yeux. En l’espace de quelques mois, sa vie se transforme. Il rencontre Max Haot, et tout se précipite. «Je voulais travailler avec Mark, explique Max Haot. Je savais qu’il sortait de l’EPFL, une excellente école, et qu’il travaillait pour Limewire, dont les exigences de recrutement sont très élevées.» Quelques mois après, ils créent leur start-up, alors nommée Mogulus, en compagnie d’autres amis, l’Indien Dayananda Nanjundappa et l’Anglais Phil Worthington. Mark Kornfilt devient l’ingénieur en chef de la petite société.

Les premiers mois sont rudes. «Je travaillais toutes les nuits jusqu’à 4 heures du matin, une fois mon job à Limewire terminé. On codait dans l’appartement de Max. Nous étions euphoriques, dopés à l’excitation.» L’équipe de quatre partenaires part ensuite en Inde pour y monter un bureau et former une équipe d’ingénieurs. La première version du site est lancée en mai 2007.

Peu à peu, des internautes se prennent au jeu. «Nous ciblions principalement les blogueurs, explique Mark Kornfilt. Notre plateforme de streaming en live leur permettait d’augmenter leur audience sans trop d’efforts.» Puis des institutions, comme la Ligue portugaise de basketball et une grande radio italienne, rejoignent le réseau. «Il s’agissait de tous les événements qui n’étaient juste pas assez importants pour être retransmis à la télévision», explique-t-il. Et des gros clients commencent à arriver. En mai 2007, des fans d’Apple retransmettent en direct sur leur plateforme la conférence de presse annonçant la sortie du premier iPhone. Un désastre. «Nos serveurs n’étaient pas assez puissants à l’époque, se rappelle Mark Kornfilt. Le site internet n’a pas tenu le choc, la masse d’utilisateurs étant trop élevée.» Malgré l’échec, l’événement souligne le potentiel de leur produit: «Il fallait urgemment régler ces failles techniques.»
La consécration arrive quelques mois plus tard, lors des élections primaires de la campagne présidentielle américaine de 2008. En mai, un journal local du Dakota du Sud, The Argus Leader, transmet en live une interview de Hillary Clinton grâce à leur système. La candidate à la présidentielle commet alors une gaffe en comparant la mort du sénateur Bobby Kennedy à la campagne de Barack Obama. «La scène s’est directement retrouvée sur CNN et d’autres chaînes télévisées, se rappelle Mark Kornfilt. Les images enregistrées par notre système ont fait le tour du monde!»

Convaincu par le potentiel de la start-up, le géant médiatique Gannett décide d’investir 10 millions de dollars dans le projet. «L’aventure était lancée pour de bon», raconte Mark Kornfilt, en agitant ses mains. En mai 2009, la société décide de changer de nom, et s’appelle alors Livestream. Une brillante décision marketing.

La séduction du New York Times

Un nombre croissant de géants s’adressent à eux, comme le New York Times, Facebook, le World Economic Forum ou la Columbia University. Et des événements poignants marquent la compagnie. Lors de la révolution arabe en Libye, un blogueur et journaliste-citoyen, Mohammed Nabbous, retransmet en direct les manifestations du pays. «On le suivait assidûment, il faisait un travail fantastique sur la violence du régime Kadhafi, se rappelle Mark Korn­filt. Il s’est fait tuer par un sniper alors qu’il était en plein reportage.»

Dans un autre registre, un alpiniste britannique, Daniel Hughes, a escaladé en mai 2013 l’Everest et a retransmis son ascension. «On assiste aussi à des naissances et à des mariages retransmis en direct», dit Mark Kornfilt.

Aujourd’hui, Livestream vient de déplacer ses bureaux au cœur de Bush­wick, une ancienne zone industrielle de Brooklyn devenue ultrabranchée, où hipsters et artistes côtoient maintenant leurs informaticiens. «On vient de quitter nos bureaux de Manhattan», explique Mark Kornfilt, qui porte habituellement des jeans et des Converse bleues. «Nous y avons nettement plus d’espace, nous avons même une table de ping-pong. Avant, nous commencions à manquer de place.» Plus de 140 personnes travaillent pour Livestream dans le monde, dont quelques anciens étudiants de l’EPFL. «Le recrutement de personnes qualifiées reste l’un de nos principaux défis, raconte Mark Kornfilt, qui est domicilié aujourd’hui à Londres, où il développe le marché européen. Les élèves de l’EPFL font toujours de bonnes recrues.»

Plus de 75 000 événements par mois sont regardés par 38 millions de visiteurs uniques sur Livestream. Certains programmeurs le font gratuitement, d’autres choisissent la formule payante de la start-up, qui leur permet d’obtenir des statistiques précises sur les spectateurs ou de retransmettre des événements de façon illimitée. Leur chiffre d’affaires en 2012 s’élevait à 25 millions de dollars, à quelques centaines de milliers de l’équilibre budgétaire.

Le magazine économique Forbes classe Livestream comme étant la 86e entreprise la plus prometteuse des Etats-Unis. Leur potentiel de croissance est énorme. «Dans dix ans, nous voulons que tous les petits et moyens événements soient diffusés en ligne, que ce soit la messe des églises ou des matchs de football, explique Max Haot. Aujourd’hui, moins de 0,1% de ces événements sont mis en ligne, nous pouvons encore progresser.» Une success story à suivre de près.

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Clément Bürge
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