Livre. Dans «The Death of Money», le financier-espion James Rickards évoque le danger d’une attaque monétaire orchestrée par les ennemis de l’Amérique.
Si le Trésor des Etats-Unis avait touché un billet vertà chaque prédiction de la fin du dollar, la dette de l’Oncle Sam serait remboursée depuis longtemps. Reste que la thèse, même récurrente, est toujours digne d’intérêt. Car il en va de la fin du dollar comme de l’existence des extraterrestres: le plus intéressant dans la discussion est ce qu’elle révèle sur les ressorts profonds de ceux qui choisissent d’y croire, ou pas.
L’ouvrage The Death of Money, paru en avril chez Penguin et aussitôt inclus dans la liste des best-sellers du New York Times, est de ce genre-là: pour percevoir son intérêt, indéniable par moments, mieux vaut ne pas prendre le propos trop au pied de la lettre. A commencer par son titre.
Entendons-nous: si l’auteur James Rickards a bien écrit The Death of Money, soit «la fin de l’argent», il veut évidemment parler de la chute du dollar américain. La fin du dollar entraînant automatiquement la chute de toutes les monnaies, la déflation, l’hyperinflation, le collapse des marchés et le chaos dans toutes les civilisations, le raccourci entre «fin de l’argent» et «fin du dollar» est donc tout à fait justifié.
A noter aussi que si James
Rickards avait choisi comme titre The Death of Dollar, ce qui aurait tout de même été un peu plus fidèle à son contenu, il aurait dû se faire une place parmi plus de 6 millions de résultats sur Google. Le titre The Death of Money, a contrario, a l’avantage de ne faire apparaître «que» 1,5 million de résultats concurrents, ce qui lui donne presque un côté original.
L’intérêt du livre de James Rickards tient dans la thèse selon laquelle la chute du dollar ne sera pas provoquée par un lent pourrissement intérieur – comme le défendent généralement les inconsolables de la convertibilité or – mais parce que le billet vert sera attaqué. Oui, attaqué. Par des ennemis de l’Amérique, lors d’une véritable guerre des devises. Cet assaut, prévient James Rickards, prendra la forme d’un «Pearl Harbor financier».
Et qui sont ces ennemis? Pas besoin de tourner autour du pot: la Chine, bien sûr. «La Chine détient pour plus de 3000 milliards de titres en dollars, explique James Rickards. Chaque dévaluation de 10% provoquée par la Réserve fédérale représente un transfert de richesse de la Chine aux Etats-Unis de 300 milliards de dollars. On ne sait pas combien de temps la Chine tolérera cela. Or, si la Chine ne peut pas vaincre les Etats-Unis sur la mer ou dans le ciel, elle le peut à travers les marchés financiers.»
Mais ce n’est pas tout. La liste des ennemis de l’Amérique est longue. Il y a aussi la Russie. Et n’oublions pas les terroristes. Ou encore mieux, additionnons le tout: la Chine et la Russie, avec des techniques de terroristes. Ce paysage ne serait pas complet sans la CIA et le Pentagone, qui sont au courant de cette menace. Mais ces fonctionnaires bornés ont décidé de ne rien faire. Je vois ce sourire narquois se dessiner sur vos lèvres, mais attendez avant de tourner la page.
Car curieusement, c’est sur cet aspect le plus scabreux de la thèse que le livre The Death of Money est aussi le plus intéressant. D’abord parce que James Rickards raconte à ce propos une histoire méconnue: les tentatives des services secrets américains de cerner la menace que pourrait faire courir le terrorisme sur la finance mondiale.
James Rickards raconte comment, à l’occasion d’une conférence qu’il donnait sur la finance islamique, peu après les attentats du 11 Septembre, un banquier de Wall Street lui glissa à l’oreille: «J’aide la CIA sur un projet lié à la finance terroriste. Ils ont besoin de gens comme vous.» Une visite plus tard à Langley, siège de l’Agence, James Rickards travaillait pour la CIA sur un projet appelé Prophesy.
Les agents secrets tentaient d’élucider la rumeur selon laquelle des personnes informées des attaques contre le World Trade Center avaient engrangé des millions de profits en pariant sur la baisse des actions des compagnies aériennes. La thèse a finalement été démentie, mais l’idée est restée plantée dans l’esprit des espions. Pendant trois ans, James Rickards a aidé la CIA à développer des algorithmes capables de détecter des agissements terroristes via la Bourse.
Le projet Prophesy a été abandonné en 2004, mais a été poursuivi dans le secteur privé avec le soutien de In-Q-Tel, le fonds d’investissement de la CIA. Rebaptisé MARKINT, pour «Market Intelligence», le programme s’est transformé en un outil de surveillance des marchés adapté à toutes les «menaces», économiques ou géopolitiques. James Rickards dit par exemple que son logiciel aurait été capable de détecter à l’avance les gigantesques transactions en or physique ordonnées par le président vénézuélien Hugo Chávez en 2011. La boucle est bouclée: le logiciel MARKINT pourrait-il dire si la Chine se met à accumuler de l’or en prévision d’une attaque contre le dollar?
James Rickards ne le dit pas dans son livre, mais outre son statut de commentateur et d’auteur de best-sellers économiques, il dirige aussi la société Omnis Inc., fondée par un ancien de la CIA. Basée à Langley, en Virginie, elle vend au plus offrant ses solutions de «surveillance de menaces financières».