Portrait. Avec son projet d’initiative visant tout bonnement à abroger le vote du 9 février sur l’immigration de masse, Thomas Geiser, professeur à l’Université de Saint-Gall, ne s’est pas fait que des amis. Mais il a des ressources.
Joel Bedetti
Thomas Geiser va devoir s’habituer à l’adversité. Le 2 décembre, il présentait l’initiative «Sortons de l’impasse», abrégée «Rasa» en allemand, dont l’objectif tient en une phrase: abroger l’article 121a de la Constitution, introduit par l’acceptation, le 9 février dernier, de l’initiative UDC sur l’immigration de masse. Dans le monde politique, les réactions ont été sèches. «Inutile», tranche le président du PDC Christophe Darbellay. «Bonne chance», ironise lapidairement le président du PLR Philipp Müller. «Initiative méprisante», vitupère le vice-président UDC Adrian Amstutz.
Des propos qui n’émeuvent guère Thomas Geiser, 62 ans, professeur de droit du travail à l’Université de Saint-Gall. «Il n’y a rien de méprisant dans cette démarche, assure-t-il sereinement. Au contraire, le peuple doit pouvoir s’exprimer sur la mise en œuvre de l’initiative.» Vendredi dernier, il était invité à l’émission de débats Arena mais, au moment où il nous parlait, il ne connaissait pas encore les protagonistes. «Sauf l’ancien conseiller fédéral Christoph B.», dit-il en rigolant. Les deux hommes s’étaient déjà affrontés sur les ondes de TeleZüri.
Thomas Geiser est un homme qui ne passe pas inaperçu. Il porte toujours un nœud papillon – il en possède 300 et n’arbore jamais le même deux jours de suite. Il parle un dialecte bâlois aristocratique que ses étudiants aiment à contrefaire. Il a grandi dans la vieille ville de Bâle, dans une famille libérale: un père médecin et une mère comédienne. Il a étudié le droit, travaillé dans l’administration fédérale et au Tribunal fédéral. A 43 ans, il devenait professeur de droit du travail à Saint-Gall. Il est membre du Parti socialiste alors que sa famille est fortunée. Il pendule entre ses domiciles de Berne, de Saint-Gall et du lac Majeur. Et il est homosexuel.
Jusqu’ici, on n’a jamais entendu dire quoi que ce soit de négatif à son endroit. «C’est la seule personne que tout le monde semble aimer», constate Vito Robert, professeur à Saint-Gall. «L’homme le plus fédérateur que je connaisse, complète son ancien assistant Kai-Peter Uhlig. A tous égards, c’est un modèle.» A l’université, il est connu pour sa capacité à résoudre les conflits. «Quand une solution A et une solution B s’affrontent, il amène une solution C dont tout le monde s’accommode», raconte Benedikt Häfliger, ancien assistant lui aussi.
Cette aptitude, Thomas Geiser a su la mettre à profit dans un milieu où les ego sont surdimensionnés, où la précarité des ressources entraîne des bisbilles chroniques. Il est membre de la Commission fédérale du cinéma, siège à la présidence des Journées de Soleure et au Festival de Locarno. Si le monde du cinéma était une mafia, Thomas Geiser en serait il consigliere. Fort de son savoir juridique, il lance des idées sorties de nulle part et apaise les disputes.
Le comité de l’initiative Rasa entend récolter 100 000 signatures d’ici à fin 2015. Thomas Geiser se dit optimiste. Le syndicat VPOD et l’association économique Cleantech apporteront leur concours, les initiants s’attendent à bénéficier des libéralités du milliardaire Hansjörg Wyss. Ensuite, le texte aurait un peu plus d’un an pour être soumis au peuple, avant que l’initiative sur l’immigration de masse n’entre en vigueur. «C’est un peu juste, convient-il. L’idéal serait évidemment que le Parlement trouve une issue d’ici là. Après tout, je ne suis que l’homme du plan B.» Ne s’est-il pas surestimé avec son astuce pour résoudre une crise nationale? «Si l’on pesait toujours le pour et le contre, on ne tenterait pas grand-chose. Moi, j’ai pensé que c’était important, qu’il fallait y aller maintenant. Et on verra bien comment cela se termine.»
© NZZ am Sonntag
Traduction et adaptation Gian Pozzy