Portrait. La présidente de la Fondation de la haute horlogerie, qui organise le prochain SIHH à Genève, cherche à insuffler un maximum de culture dans l’une des branches les plus florissantes de l’industrie suisse.
«Je voulais être une artiste.» Fabienne Lupo (47 ans) sourit d’elle-même en citant une célèbre chanson de Daniel Balavoine. Ce 9 janvier dernier au matin, à quelques encablures de Palexpo où se tiendra le 25e Salon international de la haute horlogerie (SIHH) du 19 au 23 janvier, son organisatrice que nous rencontrons incarne, avec humilité, humour et intelligence. Ces vertus, soupire-t-elle, ont été attaquées par les auteurs des tueries contre Charlie Hebdo, lesquels seront enfin neutralisés en fin de journée. L’entretien se déroule dans une atmosphère générale qui restera plombée jusqu’à dimanche, ce jour où la France tout entière s’est redressée. «Un magnifique élan dont nous pouvons être fiers», confiera plus tard la Française Fabienne Lupo.
Cette Toulousaine d’origine qui rêvait d’être danseuse ou comédienne (quinze ans de danse classique!), qui enfant passait son temps à écouter ses voisins chanteurs d’opéra au Théâtre du Capitole et à essayer leurs costumes bien trop grands, n’aura pas fait carrière dans les arts. Mais elle est assurément devenue une artiste de la communication. «Fabienne Lupo fait preuve d’un très grand doigté. Gérer les besoins et les désirs des seize marques présentes au SIHH, ce n’est vraiment pas évident», constate Jasmine Audemars, présidente du conseil d’administration de la marque horlogère Audemars Piguet.
L’expérience de la Foire de Marseille
Quand en 1998 un cabinet parisien contacte Fabienne Lupo, celle-ci jouit de quatre ans d’expérience comme commissaire générale de la Foire internationale de Marseille. Le chasseur de têtes est mandaté par Vendôme, l’ex-antenne horlogère du groupe Richemont qui chapeaute notamment Cartier. Il s’agit de recruter l’oiseau rare qui organisera le SIHH. Quitter Marseille n’est pas si facile. La numéro deux de la deuxième foire de France, avec 1500 exposants et 450 000 visiteurs par an, s’est follement «amusée» à mettre sur pied des événements très populaires: notamment des émissions radio comme le Schmilblick avec Evelyne Leclercq ou Lovin’Fun avec Le Doc et Difool, ou encore la sélection de Miss France. Un univers bien éloigné des salons feutrés de la haute horlogerie genevoise!
Le 12 juin 1998, le jour même où tout le monde afflue à Marseille pour assister au match d’ouverture de la Coupe du monde de football entre la France et l’Afrique du sud, Fabienne Lupo quitte la cité phocéenne les larmes aux yeux. Alors pourquoi avoir choisi de partir? «J’ai toujours aimé l’univers du luxe, les beaux objets qui rendent la vie plus belle», sourit-elle dans un parler vif et rapide où l’accent du sud-ouest de la France se devine à peine. Juste avant son expérience marseillaise, elle s’est initiée au luxe des parfums et cosmétiques, lors de stages de longue durée chez L’Oréal et Givenchy.
Mariage de la raison et de la passion
Fille unique d’une mère infirmière et d’un père chef de chantier, mère d’une fille et d’un garçon, Fabienne Lupo n’est pas seulement une amoureuse des beaux-arts. Ses qualités de gestionnaire, elle les a acquises et développées à l’Ecole supérieure de commerce de Toulouse puis à l’Université de Paris-Dauphine où elle a obtenu un diplôme d’études supérieures spécialisées en marketing et modélisation mathématique. «J’ai la mémoire des chiffres et je les aime!»
L’Italien Franco Cologni, l’homme de Richemont à l’origine de son engagement et qui deviendra son mentor, loue chez elle le «mariage de la raison et de la passion». Il lui reproche seulement, avec un brin d’humour, d’être parfois «trop gentille». En 1999, il apprécie aussi qu’elle soit totalement étrangère au monde de Cartier. La nouvelle secrétaire générale du Comité international de la haute horlogerie met cette année-là sur pied le premier SIHH qui accueille aussi Audemars Piguet, Girard Perregaux et Breguet. A cette époque, toutes ces maisons sont encore indépendantes.
Au fil des ans, happées par de grands ensembles, les marques Breguet (qui rejoint Swatch Group) et Girard Perregaux (membre de Sowind Group) quittent notamment le SIHH. Ce n’est pas sans déplaire aux dirigeants de Baselworld qui ont toujours considéré le salon horloger privé genevois comme un faire-valoir de Richemont. En 2015, douze des seize marques présentes au SIHH appartiennent à ce dernier.
Fabienne Lupo ne cache pas son souhait d’accueillir davantage d’exposants. Mais elle n’en fait pas une obsession. Devenue pragmatique comme une Suissesse qu’elle envisage de devenir, habile à se fondre dans un moule pour le transformer de l’intérieur, elle a maintenant à cœur de développer les activités culturelles et institutionnelles de la Fondation de la haute horlogerie (FHH) qu’elle dirige depuis 2005 et préside depuis 2010.
Information et formation
La FHH qui associe 27 maisons partenaires a en effet deux missions: l’organisation de salons pour le compte des exposants, comme le SIHH et le tout nouveau Watches and Wonders à Hong Kong, et le rayonnement de la haute horlogerie par le biais de l’information et de la formation. L’information se décline par des outils numériques, publications, forums annuels, et des expositions thématiques. Il y a eu celle marquant les 150 ans des relations entre la Suisse et le Japon à Tokyo en février dernier; il y aura, dès mai prochain, celle organisée à la bibliothèque Ambrosiana de Milan à l’occasion de l’Exposition universelle.
Quant à la formation, elle s’adresse aux collaborateurs de l’industrie horlogère comme aux clients et collectionneurs, toujours plus connaisseurs et exigeants. La «HH certification» qui vient d’être lancée à New York avant de l’être en Europe en juin prochain est un outil d’évaluation des connaissances horlogères, une sorte de «TOEFL de l’horlogerie» avec une base de données de 2600 questions sur la technique, les matériaux, les marques, les marchés et l’histoire de l’horlogerie.
Fabienne Lupo insiste sur la nécessité de bien distinguer ces deux volets, l’activité événementielle d’une part, l’activité culturelle d’autre part, une démarche «ministérielle» de la fondation dans laquelle elle est très impliquée. Le représentant d’une marque pourrait-il un jour prendre la responsabilité de l’organisation des salons, comme le fait Jacques Duchêne, l’homme de Rolex qui préside aussi le comité des exposants de Baselworld? Ne serait-ce pas une évolution naturelle? «Etre créatif avec des moyens limités, j’adore cela», se contente de répondre Fabienne Lupo. Tout en espérant que les marques seront toujours plus nombreuses à soutenir l’initiative culturelle de la FHH, profitable à l’ensemble de l’horlogerie suisse.
Profil
Fabienne Lupo
1967 Naissance le 9 juin à Toulouse.
De 1994 à 1998 Commissaire générale de la Foire internationale de Marseille.
Juin 1998 Secrétaire générale du Comité international de la haute horlogerie.
2005 Directrice générale de la Fondation de la haute horlogerie (FHH).
2010 PDG de la FHH.