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Affaire Abacha: l’étrange gymnastique de Christian Lüscher

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Jeudi, 19 Mars, 2015 - 05:58

Par Marie Maurisse et François Pilet

Politique. Comme avocat, il défend les intérêts de son client, le fils du général Abacha. A Berne, il débat de la meilleure manière de rendre les millions volés aux populations lésées. Pour certains élus, la double vie du conseiller national libéral-radical genevois Christian Lüscher s’apparente à un conflit d’intérêts.

Un pied à Abuja, l’autre à Berne. Depuis fin 2011, Christian Lüscher est l’avocat d’Abba Abacha, poursuivi par le Ministère public genevois pour participation à une organisation criminelle. En tant qu’homme de droit, il se bat pour défendre son client, accusé d’avoir récupéré «des sommes considérables pouvant provenir de crimes commis au Nigeria» et dissimulé ces sommes notamment sur des comptes en Suisse.

Mais entre deux voyages au Nigeria, l’avocat change de casquette: Christian Lüscher, conseiller national libéral-radical, vice-président de son parti, se transforme en politicien. Parmi ses activités à Berne, il siège à la Commission des affaires juridiques et à la Commission de politique extérieure. Toutes deux sont notamment impliquées dans la révision de la «Lex Duvalier», qui s’intéresse à la restitution des avoirs des potentats.

Les 19 et 20 février dernier, la Commission des affaires juridiques se penchait justement sur une révision de cette loi. A quelles conditions faut-il bloquer les millions des dictateurs? A partir de quand la Confédération doit-elle rendre ces millions à l’Etat en question? De quelles garanties a-t-elle besoin pour être sûre qu’ils ne seront pas récupérés par d’autres tyrans?

Christian Lüscher a participé aux auditions. Mais il n’a pas précisé, en préambule à la séance, qu’il défendait Abba Abacha. Encore moins qu’il avait signé un accord avec l’Etat du Nigeria et que son étude allait recevoir plus de 1 million de francs d’honoraires dans ce dossier. Selon nos informations, il n’a pas souligné non plus que la justice genevoise avait avalisé cet accord et mis fin aux procédures contre son client en émettant une ordonnance de classement en décembre 2014, soit quelques semaines à peine avant la séance.

Quant à l’autre commission, celle de politique extérieure, elle aurait pu être intéressée par la signature de cet accord, dans la mesure où elle se charge notamment des «relations avec d’autres Etats». Christian Lüscher, en tant que membre de cette commission, pourrait être appelé à se prononcer sur des collaborations avec le gouvernement d’Abuja... tout en ayant, en toute confidentialité, négocié avec le ministre nigérian de la Justice pour passer l’éponge sur les actes reprochés à son client.

La situation semble cornélienne. En vérité, ce n’est pas le métier de Christian Lüscher qui pose problème: dans un parlement de milice, les élus, dont de nombreux avocats, jouissent des revenus de leur propre profession. Mais le système, basé sur la confiance, fait qu’il revient à ces élus d’être très clairs sur leurs activités annexes, afin qu’elles n’interfèrent pas avec leur fonction à Berne. «La moindre des choses, ce serait que Christian Lüscher mette sur la table son mandat devant la Commission des affaires juridiques et fasse preuve de retenue sur le sujet de la restitution des avoirs, estime le conseiller national socialiste Jean Christophe Schwaab, qui siège aussi dans cette commission. Il y a un risque de conflit d’intérêts assez évident!»

«Non, contredit son collègue UDC Yves Nidegger. La loi sur laquelle nous travaillons au sein de la Commission des affaires juridiques prendra effet dans le futur, donc elle ne s’applique pas à l’accord dont il est question.» Malgré tout, le socialiste Carlo Sommaruga se dit «profondément choqué»: «On peut donc, en Suisse, avoir des comportements amoraux qui sont tout à fait conformes aux lois. Ce qu’on aurait pu attendre au minimum de Christian Lüscher, c’est qu’il se fasse remplacer en commission et n’assiste pas du tout aux débats en plénière.»

Christian Lüscher se défend de tout conflit d’intérêts, et assure avoir informé ses collègues de son mandat. «C’est la première chose que j’ai dite, assure-t-il. J’ai spontanément annoncé ce mandat lorsque nous avons commencé de discuter l’entrée en matière sur la révision, à laquelle j’étais favorable.»

Nos recherches montrent que Christian Lüscher avait effectivement évoqué un mandat lors de la séance de la Commission de politique extérieure, le 1er juillet 2014, lors de laquelle il s’exprimait d’ailleurs au nom du groupe libéral-radical dans son ensemble. Il n’avait toutefois pas explicitement mentionné le Nigeria, indiquant seulement qu’«en tant qu’avocat», il défendait «des affaires impliquant des pays et des noms qui ont été cités». Il n’a en revanche plus évoqué ces relations – et encore moins sa rémunération – lors de la séance de la Commission juridique sur la révision de la loi, en février dernier.

 


Dans le même dossier:

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Ruben Wyttenbach, Ex-Press
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