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Grâce et disgrâce: de taoua à «sauver lavaux»: qui décide?

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:59

Le site de Beaulieu, en dehors des jours où il accueille le Comptoir suisse, va rester un no man’s land au cœur de Lausanne, comme jadis les quartiers du Flon ou du Rôtillon (réhabilités après des décennies de palabres). Une courte majorité a refusé l’édification de la tour Taoua. Le taux de participation de 37,4% a été jugé extraordinaire par certains commentateurs. Mais qu’est-ce qui est pire pour la capitale vaudoise: l’indifférence de six citoyens sur dix ou l’image d’enfants gâtés, de Peter Pan qui ne veulent pas grandir, que donne ce vote?

Les opposants ont beaucoup fait la leçon aux autorités municipales qui n’auraient pas assez consulté. Les démarches participatives sont à la mode, et nul ne doute qu’elles représentent un bon outil pour forger un consensus. Mais il est curieux que le rôle délibérant du Conseil communal soit ainsi minimisé, nié, voire méprisé. L’antiparlementarisme primaire, courant à l’échelle nationale, contamine malheureusement de plus en plus les débats locaux. Les opposants ont désormais une obligation de proposition. Alors qu’ils prônent la densification, il serait irresponsable de laisser se dévitaliser un tel espace si près du centre de la ville.

Une seule chose est sûre, les Lausannois ont pu décider du sort de la tour. Tout autre est la situation des habitants de Lavaux. Le 18 mai, c’est le canton entier qui décidera pour eux.

Un nouveau texte, «Sauver Lavaux III», entend corseter encore plus toute velléité de construction. Le Conseil d’Etat a conçu un contre-projet pour laisser une petite marge de manœuvre aux autorités communales. «Il ne faut pas dépouiller la démocratie locale de toutes ses compétences, plaide son président, Pierre-Yves Maillard. Nous refusons la défiance a priori.» On ne peut pas présumer que les élus locaux seraient pour l’éternité d’incorrigibles bétonneurs sans états d’âme.

Qui décide? Un aménagement du territoire responsable, durable et esthétique peut-il être imposé à une population par des concitoyens qui ne vivent pas dans les régions concernées? La question était déjà au cœur des votations sur la Lex Weber et la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT). Elle n’a pas fini de déchirer un peuple suisse aussi épris de ses droits populaires que de ses paysages.

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Moudon: la belle endormie

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 06:00

Reportage.Moudon, comme tant de petites villes moyennes du Plateau suisse, peine à se réinventer. Ce laboratoire de l’intégration a manifesté son ras-le-bol lors de la votation anti-étrangers du 9 février dernier. Retour sur une histoire de blessures et d’orgueil.

«Moudon est une ville que l’on saigne.» Ses habitants se sentent si dépossédés qu’une majorité d’entre eux a manifesté son ras-le-bol en acceptant, le 9 février dernier, l’initiative anti-étrangers de l’UDC: 611 «oui» contre 577 «non» (51,4%). Moudon, ce laboratoire d’intégration avec ses 45% d’étrangers, cité en exemple, primé par la Confédération, s’est ainsi rebellée contre le Conseil d’Etat qui l’a «ignoré». La commune blessée a eu peur de perdre encore de ses acquis.

Deux mois après ce oui, L’Hebdo s’est immergé dans la cité de la Broye pour en prendre la température, entre frustrations et espoirs.

Les «gueux». L’enthousiasme, à Moudon, est devenu aujourd’hui une valeur rare. Le pessimisme ambiant s’est nourri, année après année, de petites morts. Dans le désordre, il y a eu le parc médiéval, construit dans la zone industrielle pour attirer les touristes. Une faillite. Après des luttes âpres, il y a eu la fermeture de l’ancienne cartonnerie puis celle des fonderies. Il y a eu aussi le départ du magasin Manor, le transfert de l’école de fromagerie en terre fribourgeoise, de la justice de paix dans le Nord vaudois, la disparition de l’hôpital, du poste de police… Parfois, pour faire avaler la pilule, le canton accorde un sucre, comme l’installation du registre cantonal du commerce. Mais cela ne fait guère illusion. Le pire, symboliquement, a été la perte de statut de chef-lieu de district, en 2007.

En fait, tout a commencé avec l’inauguration de la route de contournement. Moudon a cessé d’être un passage obligé. C’était en 1964, l’année de l’expo nationale. Ici, on explique que «la Broye coule toujours dans le même sens». Voilà que l’on prépare la suppression de l’Office régional de placement, que l’on parle de fermer l’école d’agriculture. Et l’armée quitte Moudon, pour cause d’économie et de restructuration. A la Place d’armes, le Conseil fédéral envisage de loger 540 requérants d’asile. Le projet sera précisé d’ici à la fin de l’année. Le Conseil d’Etat s’oppose à un centre d’une telle taille. Actuellement, la commune accueille déjà près de 130 requérants.

Sous couvert d’anonymat, des habitants confient qu’ils ont l’impression d’être les «gueux», les «oubliés» du canton. Que le bourg est le «dépotoir» de la région. «Sûr que ce centre de requérants, on ne prévoirait pas de l’installer à Lutry!»

Beauté insoupçonnée. Moudon est de plus en plus peuplé, mais paraît désert. La place du Forum, entre la Migros et la Coop, nouveau centre névralgique du bourg, est vide. Un artiste de rue, le visage peint en gris aluminium, mime une statue. Autour de l’église Saint-Etienne, deux enseignes de pompes funèbres. Attenant à l’une d’elles, un institut de massage. Et puis ce curieux magasin de fleurs, qui propose des végétaux «stabilisés». Entendez «morts», mais ayant l’aspect du vivant.

Depuis la route de Berne, on ne voit que des friches industrielles. On passe à côté de Moudon sans soupçonner la beauté de son architecture. La ville, qui rivalisa avec Lausanne au Moyen Age − et la surpassa en influence −, est un peu une sœur ennemie dont on moquerait la disgrâce. En la qualifiant avec mépris de «pot de chambre du canton», peut-être cherche-t-on à se rassurer de sa propre importance? L’expression désuète fait sourire. Elle n’associe pas moins Moudon à un cloaque. Quel contraste avec ce charmant bourg! Car la Ville-Basse et la Ville-Haute ont des trésors qui feraient pâlir la capitale vaudoise. Maisons gothiques, style Renaissance ou baroque. Tout y est magnifiquement préservé. Mais de nombreuses échoppes sont vides. Le tout est comme endormi, dévitalisé.

Des rails et un trident. Sur la place de la Gare, des rails noyés dans le bitume: ceux de la ligne Lausanne-Moudon, ce tram qui parcourait le Jorat jusqu’en 1963. Ils mènent aujourd’hui à une benne verte. Au bout de la place s’étendent les 55 000 mètres carrés des anciennes fonderies, fleuron de l’industrie romande, fermées en juin 2013.

Reste le logo, devant la porte, en bleu roi, ce M stylisé comme un trident, que l’on retrouve sur la plupart des bouches d’égout en fonte de Suisse romande. Ce M, symbole de la ville depuis le Moyen Age, et qui lui a valu, selon les historiens, une association peu flatteuse. Et comme dans les armoiries on parle des lettres au féminin, c’était «la» M de Moudon.

Une Jaguar bleu roi. Devant la porte des fonderies, une Jaguar bleu roi, elle aussi. Jean-Claude Gisling, dernier patron de l’usine, continue de venir une fois par semaine.

Dans son bureau, celui qui fut aussi le patron de Publicitas fume des Philip Morris. Cheveux blancs, yeux clairs, la main qui tient la cigarette tremble légèrement lorsqu’on aborde la faillite. «J’ai mes archives ici, je continue de faire venir ma secrétaire… A mon âge, je n’ai plus envie de déménager.» C’est son grand-père qui a fondé l’entreprise. «J’ai fait ce que j’ai pu pour maintenir une activité. Cela a échoué…» Il écrase sa cigarette.

La faillite a-t-elle contribué à la fermeture des mentalités, à Moudon? Au vote sanction du 9 février? «Dans les trente glorieuses, ce sont les gens issus de l’immigration qui ont fait fonctionner les fonderies. Moudon assimilait bien les étrangers. Les enfants de deuxième génération parlaient avec l’accent vaudois.»

La dernière coulée. L’atelier de fonderie, avec la lumière du petit matin, ressemble à une nef d’église. En 1963, ils étaient 250 à travailler ici. Un dernier ouvrier fait de la manutention. Et une secrétaire, Chantal Bourquin, continue d’assurer une permanence. «Je travaillais au bureau du personnel, c’est moi qui allais poster les lettres de licenciement. Quarante lettres. Ce n’est pas facile pour le moral. Certains employés, je les connaissais depuis quinze ans.» Elle ne sait pas combien de temps elle pourra rester. «Les autorités ne sont pas venues. Pas un mot de la municipalité. Cela m’a terriblement touchée. Pour la dernière coulée, le 28 juin 2013, les employés étaient là, M. Gisling était là, le syndic ne s’est pas déplacé.»

Une jambe cassée. A la gare, le guichet des CFF a été fermé l’an passé. Mesure exceptionnelle en Suisse. La décision a été motivée par plusieurs agressions du personnel.

Notre point de chute sera l’Hôtel de la Gare, justement, pour trois nuits. La chambre sent la cigarette. Elle donne sur la route cantonale. L’accueil est sympathique, mais la nuit mouvementée. Un client a oublié ses clés, il crie, se casse la jambe en tentant d’escalader une fenêtre. Une ambulance s’arrête devant la porte.

La clientèle habituelle est composée de chauffeurs, de mécaniciens, parfois des pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques. Cela ne suffit pas. On s’arrête peu à Moudon. Vieille blessure narcissique toujours ouverte, l’empereur Napoléon lui-même, qui traversa le bourg en son temps, refusa de s’y restaurer. Sans parler du très jeune Mozart, qui n’a fait, lui aussi, que passer (pour aller jouer à Lausanne). Ou de Rousseau, arrivé par erreur. Le philosophe s’était perdu en cherchant à rejoindre… Lausanne. «On a dû trouver des solutions pour rentabiliser les dix-huit chambres, explique Yanmaz-Köse Birsen, la gérante de l’hôtel. Les services sociaux nous louent six ou sept chambres. Mais c’est une clientèle qui peut se révéler difficile. Certains ont parfois des problèmes d’alcool.» La gérante se dit très heureuse à Moudon. Naturalisée Suisse, elle fréquente la mosquée du bourg, lorsque les femmes y ont accès.

Drapeau turc, drapeau suisse. La mosquée, justement, située à côté, passe inaperçue. Elle a été aménagée dans un ancien entrepôt utilisé pour stocker du blé. Un nouvel imam, Ahmet Erdogan, vient d’arriver de Turquie. Il prend des cours intensifs de français.

C’est Pinar Ensar qui nous reçoit. Habitant de Moudon, membre de la communauté turque, il a beaucoup œuvré pour l’installation de la mosquée inaugurée en 2002. Kosovars, Albanais, Turcs: les musulmans viennent de Fribourg, de Lausanne, pour écouter le message de l’imam, tous les vendredis à 13 h 30.

Sur un mur, au rez-de-chaussée, le M de Moudon entoure les drapeaux suisse et turc réunis en symbiose.

Né en 1969, Pinar Ensar vit ici depuis 1980. Mécanicien automobile, il a dû arrêter son travail à cause de problèmes de dos. «Je me sens plus Suisse que Turc», explique-t-il. Il n’est pas choqué par le résultat des votations. «La Suisse ne peut pas supporter davantage d’étrangers. Le chômage et les services sociaux coûtent cher. J’aurais voté pour l’initiative si j’avais eu le droit. C’est une bonne décision.»

Glaces à la crème. A côté de la mosquée, un parfum de vanille. Une des richesses de la place de la Gare, c’est que l’on peut changer de monde en faisant quelques pas. Même si ces mondes ne semblent pas communiquer entre eux.

Giuseppe de Lorenzis a installé ici, en 2011, les laboratoires Intrigo, qui produisent des glaces artisanales. Il vient de Lecce et nous explique la fabrication des glaces en italien. Treize personnes travaillent ici pendant la belle saison, pour produire 32 parfums. Pas de Suisses parmi les employés. «Pour faire de bonnes glaces, il faut être du Sud.»

Giuseppe de Lorenzis a demandé la permission d’agrandir, d’ouvrir un point de vente qui rendra les abords de la gare plus vivants. Car on ne peut pas acquérir ses délicieuses glaces dans la ville broyarde. Pour cela, il faut aller au bord du Léman.

Dans le congélateur: glaces chocolat, café, pistache. Il insiste pour qu’on goûte, c’est délicieux. «Mangi! Mangi!»

Des voisins inconnus. Entre la fabrique de glaces et la mosquée se trouve le Journal de Moudon, 2002 abonnés, 6000 lecteurs. Anthony Demierre, directeur de l’Imprimerie moudonnoise, rédacteur en chef de la publication, est méfiant: «Tiens, un vrai journaliste» lance-t-il avec ironie. Il veut savoir ce qu’on va dire de Moudon. Parce que s’il s’agit, encore une fois, de casser du sucre sur la commune, cela a déjà été fait. On lui demande ce qu’il aime dans sa ville: «Je ne sais pas. Je suis né ici, j’ y ai mes racines. C’est l’habitude… J’y suis attaché parce que le journal pour lequel je travaille se trouve ici. Ma famille l’a racheté en 1968. J’aime rappeler aux gens qu’il existe depuis cent septante-cinq ans et qu’il se porte bien.»

Son collègue Luc Baer, secrétaire de rédaction, est plus critique: «Les agriculteurs, à Moudon, il n’y en a quasiment plus. La commune a perdu toute vocation commerciale, contrairement à Payerne. Et une grande partie de sa vocation industrielle. D’après les plans des nouveaux quartiers, on prévoit que la population atteindra à terme les 7000 habitants.»

Les chiffres sont éloquents: Moudon compte aujourd’hui 5783 habitants. Ils étaient 5000 en 2010. «Cela deviendra une cité-dortoir. Et les pendulaires, je suppose qu’ils ne feront pas leurs courses ici… Je trouve qu’on fait fausse route. C’est une spirale infernale…»

Luc Baer a passé seize ans au Conseil communal, qu’il a présidé en 1993, sous la bannière socialiste. Mais il ne se reconnaît plus dans les prises de position du parti en matière de politique migratoire. «Il faut relativiser les conséquences de la votation du 9 février. Dans quelques mois, on n’en parlera plus. Moi, j’ai voté oui. C’était pour dire: ça suffit. C’est surtout le projet du centre de 500 requérants d’asile qui me choque. Et je suis étonné de voir le nombre de gens de couleur dans la rue, depuis deux ans. C’est incroyable. J’ai un peu l’impression qu’ils n’ont pas de travail. Je ne les connais pas, je n’ai aucun lien avec eux. Je crains qu’ils ne s’intègrent pas à la vie locale.»

Auto-démolition. Mais ceux qui ne se laissent pas accabler par la conjoncture, ce sont justement les étrangers. Chez Triumf, de l’autre côté des voies ferrées, on n’a pas l’habitude de se plaindre. La société vend des voitures d’occasion et démonte les vieux véhicules pour les recycler. Iseni Avni dirige l’entreprise avec ses deux frères. «Lorsqu’on s’est promenés, avec ma femme, au bord de la Broye, on est tombés amoureux de cet endroit. C’est superbe! En 2002, on a racheté le fonds de commerce de cette entreprise, qui avait fait faillite.»

Albanais d’origine, arrivé de Macédoine en 1983, il a entamé récemment une procédure de naturalisation. Conseiller communal, il aimerait s’investir davantage en politique. «Si on avait bien expliqué de quoi il s’agissait, il n’y aurait pas eu d’amalgame le 9 février. La commune se défend bien, avec les moyens qu’elle a. Si le canton reste sourd, on ne pourra pas faire mieux.»
Selon lui, il faudrait plus de lieux pour les jeunes. Il évoque un projet de patinoire, un autre de cinéma: «On a l’impression que cela dort, mais ce n’est pas vrai!»

Malgré le non aux étrangers, les cloches de la belle Saint-Etienne (deuxième monument gothique du canton) continuent de sonner la mélodie d’un aria du Carmen de Bizet. L’histoire d’une belle Gitane.

Autrefois capitale. C’est l’heure d’une visite guidée de la ville, avec le passionnant Olivier Hartmann, qui travaille à l’office du tourisme. Vers 1260, à l’époque savoyarde, Moudon est devenu capitale administrative, plus influente que Lausanne, alors sous la coupe de l’évêque. Les Etats de Vaud s’y réunissaient.

Les stalles en chêne sculptées de Saint-Etienne rappellent que de nombreuses familles aristocratiques ont vécu ici. Les fragments de fresques du XIIIe permettent d’imaginer la richesse des échanges de la cité avec l’Italie. Au moment de la domination bernoise, en 1536, la ville ouvre ses portes et négocie, pour éviter les pillages. On dira qu’elle s’est lâchement offerte à l’ennemi. «On», c’est la nouvelle capitale, plus nationaliste.

Le carnotzet boudé. A l’hôtel de ville, le chef de service de l’administration générale, Claude Vauthey, pilier de la commune, très actif au sein de l’association Groupe Suisses-étrangers qui œuvre pour l’intégration, ne cache pas sa tristesse en faisant visiter la salle du Conseil communal. «Un tribunal siégeait ici. Il y avait un juge de paix. Mais il a été déplacé à Yverdon.» Même le carnotzet est délaissé. «A l’époque, on y allait tellement souvent! Cette tradition se perd…»

Dans son bureau, le syndic Gilbert Gubler, en fonction depuis seize ans, aimerait bien, lui aussi, savoir quel est le but de notre article. «Si c’est pour écrire, comme dans la NZZ, qu’à Moudon, même la neige est sale, cela n’en vaut pas la peine. Regardez les statistiques annuelles: il y a plus de jours d’ensoleillement ici qu’à Montreux!»

Preuve qu’il fait bon y habiter, la ville vit une explosion démographique. Depuis trois ans, 450 permis de construire ont été délivrés. «La rareté et la cherté des terrains sur l’arc lémanique ont fait que les promoteurs s’intéressent à Moudon. Les TL viennent toutes les trente minutes depuis décembre 2013. En 2018, on doublera aussi la cadence des trains.»

Comment accueillir les nouveaux venus, assurer une cohésion sociale? «Il y a plusieurs approches. Intégrer, je n’aime pas tellement ce mot. On reçoit les nouveaux résidents au contrôle des habitants, on leur donne quelques règles à respecter, on leur parle du ramassage des ordures. On leur remet une petite documentation.»

Le principal problème de l’augmentation de la population, c’est le manque d’infrastructures. Déjà, des classes d’école provisoires ont été installées dans des Portakabin. Et certains arrivants seraient mal vus. «Les services sociaux de La Côte et de la Riviera louent indirectement des appartements ici, et envoient des gens. Même s’ils refusent de le confirmer. Les services sociaux sont de bons clients, c’est ce que se disent les propriétaires. Je ne veux pas me lamenter, mais le canton ne favorise pas l’implantation de choses diversifiées à Moudon. Et Aigle nous a piqué notre projet de vélodrome…»

Déplacer Saint-Etienne.«J’adore ma commune. Mais à part les Brandons et le Festival des musiques populaires, il n’y a plus vraiment de vie en commun», glisse Claude Vauthey en nous raccompagnant à la porte. Le résultat des votations écœure cet homme qui a mis tant d’énergie à créer un dialogue entre Suisses et étrangers (en 2012, le Groupe Suisses-étrangers de Moudon et région a reçu un prix de la Commission fédérale pour les questions de migration). «Dans notre association, on essaie de faire le plus beau mélange. Que les gens se découvrent. C’est peu. Mais c’est beaucoup, par rapport à ce que d’autres ne font pas.» Sans se départir de son sourire, il lance: «Saint-Etienne, j’espère qu’elle va rester à Moudon… Ils seraient capables de la mettre sur roulettes et de la déplacer à Lucens!»

Une maison ronde. Dans la commune, un homme dérange, dit ce qu’il pense et fait parler de lui. Même sa maison n’est pas comme les autres. Elle est ronde. Olivier Barraud, socialiste, secrétaire syndical et conseiller communal, 37 ans, ancien cheminot, est venu à Moudon pour construire. «C’est une maison écologique. De l’extérieur, on aime ou on n’aime pas. Moi, c’est l’intérieur qui m’a convaincu.»

Lui non plus ne se lamente pas. «Peu importe la couleur politique. Il faut des gens qui aient du dynamisme. Comme à Payerne ou à Avenches. Nous devons prendre les devants, aller voir les autres communes pour discuter.» Il y croit dur comme fer, même si, actuellement, la ville n’a aucun élu au Grand Conseil. «Je suis optimiste. On sera le Wawrinka des petites villes.»

D’autres pensent comme lui. Des initiatives voient le jour. Les membres de l’office du tourisme font un travail remarquable. La salle de concert des Prisons, animée par de jeunes bénévoles, attire des spectateurs lausannois, une fois n’est pas coutume, par un programme alléchant. Certains commerçants essaient d’animer la ville. C’est le cas de Carlos Costa, patron du bar à tapas Sueño Latino, qui propose concerts et expositions, rêve d’un petit festival, l’été, dans l’ancien marché à grain de la Grenette.

Potentiellement, la Ville-Haute pourrait ressembler à celle de Gruyères, le château en moins. Moudon attend d’autres ré-enchanteurs. Les plus belles fleurs poussent parfois dans des pots de chambre.

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Thierry Porchet
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L’impératrice remonte à bord

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 06:00

Une cabine Sissi sera inaugurée le 28 avril sur l’emblématique «Genève». Un moyen de conjuguer mémoire et solidarité.

Rade. Depuis quarante ans, quai Gustave-Ador, l’Association pour le bateau Genève aide les personnes en situation de précarité. Sur ce même quai, en septembre 1898, Elisabeth d’Autriche était assassinée par l’anarchiste Luigi Luccheni. Le souvenir d’une impératrice pour aider les blessés de la vie, c’est l’idée de cette attraction touristique.

Au terme d’un parcours urbain commémorant la dernière journée d’Elisabeth von Wittelsbach, les visiteurs sont invités à embarquer à bord du  Genève pour découvrir articles de presse, documents, objets et mannequins à l’image de Sissi, de sa dame de compagnie et du capitaine dans une cabine de style Belle Epoque. Franchir la passerelle pour découvrir ce musée flottant et rester pour croquer un morceau, c’est aussi ça l’objectif. Savourer des tapas à la buvette tenue par les bénéficiaires de l’association, c’est en même temps soutenir les projets de réinsertion. Né sous l’impulsion de deux amis, Pierre Gerry et Mario Borella, soutenus par un troisième copain, Alain Morisod, cet espace-musée se veut aussi espace de rencontre entre «passagers» et visiteurs. Un rendez-vous qui vient étoffer le programme des manifestations festives et culturelles du navire. Chouchouté par ses occupants et fraîchement rénové, le Genève fait encore voyager. Jessica Richard

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Roger Viollet
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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:53

Blogs» Politique»
Une Suisse en mouvement

Le 9 février, une fenêtre d’opportunités pour l’Europe?

L’Union européenne pourrait tester un nouveau modèle d’intégration avec la Suisse, bien que celle-ci ait porté un coup à la libre circulation.
Johan Rochel

Alors que la Suisse bricole à plein régime des solutions aux défis posés par l’après 9 février, les Européens se préparent à aller aux urnes pour renouveler leur Parlement. Peu d’électeurs auront une pensée pour la petite Suisse, alors que leur choix sera décisif pour l’avenir des relations bilatérales, notamment sous l’angle de la composition de la nouvelle Commission européenne. Pour les nouvelles autorités, le vote suisse pourrait représenter une chance sur le plan institutionnel. En raison de son timing particulier, les défis soulevés ne sont pas sans évoquer les questions que posent à l’UE des pays comme la Turquie, l’Ukraine ou même le Royaume-Uni. Sur le plan institutionnel, la votation sur le retour des contingents tombe à un moment crucial pour l’avenir des relations bilatérales. En effet, depuis près de deux ans, des pourparlers préparatoires ont lieu sur l’opportunité et la forme d’un accord institutionnel cadre entre la Suisse et l’UE. Le but de cet accord serait d’offrir un cadre général au réseau très dense d’accords tissés entre les deux partenaires. Dans ce cadre, la constellation qui résulte du vote suisse est explosive à plus d’un titre. L’un des Etats tiers les plus intégrés institutionnellement à l’UE décide en votation populaire de porter un coup à l’une des valeurs cardinales de l’Union et, par là même, de remettre en question l’un des accords clefs de la relation bilatérale. Vue sous cet angle, la question de la poursuite des relations bilatérales entre l’UE et la Suisse est indissociable de la question des différents cercles – ou «vitesses» – d’intégration qui pourraient caractériser l’UE de demain. (…) Pour les autorités de l’UE, le timing croisé entre le vote du 9 février et les négociations sur un accord institutionnel pourrait offrir une fenêtre d’opportunités pour tenter une expérience grandeur nature sur les différents cercles institutionnels d’intégration. Sans prendre de risques politiques majeurs, l’UE pourrait tester un nouveau modèle d’intégration, explicitant comment elle voit le lien entre l’Union économique et l’Union politique pour un Etat tiers comme la Suisse. Sans exagérer la formule, on peut affirmer que la Suisse du 9 février remet en cause le cœur de l’Union politique, tout en souhaitant négocier un accès privilégié à l’Union économique. Ne manque que la laitière persiflent les mauvaises langues. (…) La Suisse peut-elle proactivement tirer parti de cette fenêtre d’opportunités? Une telle stratégie reposerait sur deux étapes. La première concerne tout d’abord nos diplomates et leur capacité à tirer le meilleur de la négociation avec l’UE. La seconde, bien plus imprévisible, touche au débat de politique intérieure. Les citoyens sont invités à dire quel prix ils sont prêts à payer pour continuer à s’assurer un accès privilégié auprès de leur grand voisin, partenaire et parfois ami.


Blogs» Politique»
Matières premières

Les impératifs catégoriques de la Jeunesse socialiste

Après la campagne 1:12, les jeunes du PS viennent de déposer 117 000 signatures pour leur initiative contre la spéculation sur les biens alimentaires.
Jean Tschopp

A l’heure où l’abstention massive des moins de 30 ans apparaît comme l’une des causes de la défaite du scrutin du 9 février (lire L’Hebdo du 10 avril), une jeunesse de parti apparaît de plus en plus comme une force de proposition incontournable dans le paysage politique suisse. Tout juste sortie de la campagne 1:12, la Jeunesse socialiste suisse vient de déposer 117 000 signatures pour son initiative contre la spéculation sur les biens alimentaires. En près de 170 ans de fédéralisme, aucune Jeunesse de parti n’était parvenue à faire aboutir une initiative populaire fédérale. (…) En 2016, nous voterons sur l’initiative contre la spéculation alimentaire. Au cœur de l’initiative, l’interdiction de la spéculation sur les matières agricoles et les denrées alimentaires. Négociants, banques, assureurs, fonds de placement et gestionnaires de fortune auraient l’interdiction d’investir pour eux-mêmes ou leur clientèle dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles et à des denrées alimentaires. Ceux qui passeraient outre à cette interdiction s’exposeraient à des poursuites pénales. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), depuis 2005 les indices des prix sur les matières premières fluctuent deux fois plus qu’entre 1995 et 2005. En 2008, cette fluctuation a été l’une des causes majeures d’une crise alimentaire sans précédent. A tel point qu’Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, a fait de la régulation des marchés agricoles la première de ses priorités pour assurer la sécurité alimentaire. «Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.» La Jeunesse socialiste a placé cette maxime kantienne – l’impératif catégorique – au cœur de sa politique. Les spécialistes auto- proclamés du domaine ne manqueront pas d’affirmer que la régulation de la finance, internationale par définition, ne peut se faire à l’échelle d’un seul pays. Il n’empêche qu’il faudra bien débuter quelque part. Avec ses 500 entreprises actives dans le négoce des matières premières, la Suisse n’est pas l’Etat le plus mal choisi pour enfin encadrer cette spéculation funeste sur le dos de celles et ceux qui ne mangent pas à leur faim.


Blogs» Economie & Finance»
Touche pas à ma comm’!

Le spleen du Community Manager

A défendre la réputation d’une entreprise sur les réseaux sociaux, on risque d’être pris en sandwich entre de vives pressions externes et internes.
Daniel Herrera

Tous les matins à 7 h 15, sur La Première, la talentueuse Magali Philip distille une petite chronique vive et pertinente tirée de l’actualité du web. (…) Ce matin, Sonar – cette pétillante capsule matinale – mettait l’accent sur le métier de Community Manager, qui prend une importance croissante au sein des entreprises. «Gérer l’image d’une marque sur les réseaux sociaux est un métier compliqué et exposé», nous dit Magali Philip. C’est d’autant plus vrai lorsque l’entreprise dudit Community Manager traverse une phase délicate, voire une crise intense. L’exemple de ce matin concernait la compagnie US Airways, qui a récemment tweeté par mégarde une photo que l’on qualifiera d’osée, provoquant des haut-le-cœur dans les prudes chaumières étasuniennes. Et les réseaux sociaux de s’emparer de cette histoire aux relents grivois, notamment pour fustiger l’erreur du chargé de la communication en ligne. Injures, attaques virulentes, moqueries, tout y passe. Du côté de la compagnie aérienne, on se confond en excuses publiques, on tente de minimiser l’affaire en évoquant une bête mégarde sans intention coupable. Oui, communiquer et défendre la réputation d’une marque ou d’une institution sur les réseaux sociaux est une activité sérieuse qui nécessite une attitude exemplaire et un professionnalisme sans faille. (…) Certes, le Community Manager est exposé mais il n’est pas seul. En réalité, les plateformes en ligne ne sont rien d’autre qu’un outil de communication supplémentaire. Elles répondent à leurs propres règles – notamment en termes de ton et de rythme – mais leurs acteurs internes doivent impérativement être subordonnés à la communication de l’entreprise ou de l’institution qu’ils représentent. (…) En clair, la prise de parole du Community Manager sur les plateformes qu’il maîtrise doit être rigoureusement alignée aux messages véhiculés par les voies dites traditionnelles. (…)


Blogs» Culture»
Notes sur l’inspiration et le talent

Lausanne-Séville: I have a nightmare

Le futur Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne ressemblera-t-il à un espace pour muséologues ou à une galerie compacte où il est impossible de contempler les œuvres?
François Schaller

Quelque part sur le site délabré de l’Exposition universelle de Séville (1992), un ancien monastère chartreux. (…) Cette monumentale composition transséculaire a été retapée à la dispersion pour y loger un Centre andalou d’art contemporain. La ville plie sous les hordes de touristes venus pour les innombrables processions de la semaine sainte. La fréquentation de ce vaste musée ne dépasse pourtant pas les six ou sept visiteurs en milieu d’après-midi. (…) On en ressort déçu, bien qu’impressionné: il doit quand même s’agir du plus grand musée d’art contemporain du monde (en mètres carrés). (…) Retour à pied par les terrains vagues, sous un soleil d’avril tapant, l’esprit divaguant, avec une soudaine vision, de cauchemar cette fois: le futur nouveau Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne-Gare (MCB-A). Il n’a pas grand-chose à voir avec l’Andalousie (aussi peuplée que la Suisse), il n’y aura pas que du contemporain dans ce hangar, mais qui vous dit que ce ne sera pas finalement un musée pour muséologues et muséographes? (…) L’autre extrême, c’est la Galerie des Offices à Florence. Les chefs-d’œuvre y sont tellement serrés les uns contre les autres que ça crée parfois des attroupements compacts peu propices à la pure contemplation. (…) Et venant de l’Etat de Vaud, on peut raisonnablement s’attendre à un judicieux entre-deux. Dans l’hypothèse d’un miraculeux moment d’absence ouvrant sur l’extrémisme (assez inoffensif dans ce domaine), le mieux serait bien entendu que le futur musée fasse l’audacieux pari du maximum d’œuvres exposées. Objectif: battre le record de Uffizi… Ça donnerait du profil.

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Coupe suisse de football: une finale baston

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:54

▼Les faits
La finale de la Coupe de Suisse a vu la victoire du FC Zurich contre le FC Bâle, sur le score de 2-0. Outre une énorme erreur d’arbitrage (un pénalty en faveur de Bâle non sifflé, et l’expulsion de la victime de la faute pour… simulation!), ce sont surtout les déprédations des supporters en ville de Berne, avant et après le match, qui ont marqué: bris de vitrines et casses diverses, entre 150 et 200 hooligans ont affronté la police (45 interpellations), qui a répondu par des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc.

▼Les commentaires
Après avoir évoqué la «fête» que devrait être une finale, La Liberté poursuit: «Au Stade de Suisse, cette image d’Epinal est malheureusement apparue écornée, voire sacrifiée par l’imbécillité de soi-disant supporters du FC Zurich.» Si la confrontation entre supporters des deux camps a pu être évitée, le directeur bernois de la sécurité, Reto Nause, cité par plusieurs médias dont 20 minutes s’est montré remonté: «C’est simplement inacceptable.» A la RTS, il a aussi déclaré: «Nous avons demandé un dédommagement de 250 000 francs à l’ASF.» Et même si c’est à la ville de décider de la suite, le conseiller d’Etat Hans-Jürg Käser, responsable du Département de la police, a estimé que Berne ne devait plus accepter de finale.

▼à suivre
Le concordat contre le hooliganisme, qui prévoit l’autocontrôle des supporters, n’a pas fonctionné, les cortèges de fans ne respectant pas les parcours prévus entre la gare et le stade. Quid si l’ensemble des grandes villes suisses refusent à l’avenir la finale de la Coupe? Le public était en tout cas clairsemé pour pareil événement: ils étaient 23 000, dans une enceinte qui peut en accueillir presque 9000 de plus.

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Achat du Gripen: Calimero Maurer

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:55

▼Les faits
L’émission de la TV alémanique Rundschau consacre un reportage critique à l’égard de l’achat de 22 avions de combat Gripen pour 3,1 milliards de francs, un objet soumis en votation le 18 mai prochain. Elle donne la parole à l’expert allemand Lutz Unterseher, qui estime le danger infondé. Invité à répondre, le ministre de la Défense Ueli Maurer perd ses nerfs et qualifie le reportage de «lamentable et tendancieux». Plus de 90 plaintes ont déjà été déposées auprès du médiateur de la SSR.

▼Les commentaires
Le dérapage verbal d’Ueli Maurer intervient dans une campagne très tendue qui annonce le crash du Gripen, lequel ne jouirait plus que de 39% d’avis favorables, selon un sondage du gratuit 20 Minuten. La SonntagsZeitung relève les contradictions du ministre de la Défense, qui prétendait encore en 2010 que l’actuel F/A-18 volerait jusqu’en 2035, mais qui estime aujourd’hui que la Suisse manquera d’avions en 2025 déjà pour assurer la police du ciel. Ueli Maurer se défend dans le SonntagsBlick: «Qu’on m’humilie, j’ai l’habitude. Mais qu’on discrédite l’armée me fâche. L’armée est mon enfant, j’ai réagi aux critiques par un réflexe de protection paternel.»

▼à suivre
Ueli Maurer est plus nerveux que jamais. Au lieu de répondre aux questions pointues, le ministre de la Défense attaque les auteurs d’une émission de télévision, alors qu’un an plus tôt il a lui-même tancé les éditeurs coupables de ne pas suffisamment remettre l’Etat en question. Protagoniste d’une campagne ratée des partisans du Gripen, Ueli Maurer joue désormais les Calimeros: cette méchante télévision est trop injuste envers lui.

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Ces recalés de la médecine qui se réfugient à l’est

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:56

Enquête.Après avoir essuyé un échec académique en Suisse, certains étudiants se tournent vers des pays comme la Hongrie et la Roumanie pour réaliser leur rêve: devenir praticien. Un exode de la dernière chance.

Une semaine avant la rentrée, grosse crise de panique. «Je ne peux pas aller vivre six ans en Roumanie!», se répète Sophie*. C’était en septembre 2013. Sept mois plus tard, cette Valaisanne de 25 ans semble encore incrédule à l’idée d’avoir commencé des études de médecine à l’Université Iuliu Hatieganu de Cluj, petite ville de 300 000 âmes située en Transylvanie. Mais, après un double échec aux examens de première année à l’Université de Neuchâtel (lire «Etudes de médecine, le grand gâchis humain», dans «L’Hebdo» du 10 avril), s’expatrier était pour Sophie la seule solution pour continuer à étudier la médecine et réaliser son rêve de petite fille: «réparer les gens». «J’ai entendu parler de Cluj sur des forums internet d’étudiants français», explique-t-elle, via Skype.

Sophie n’est pas la seule à avoir mis le cap à l’Est. A Cluj, dix Suisses sont inscrits à la filière francophone ou anglophone de médecine humaine ou dentaire. Autre exemple, cette fois-ci en Hongrie, où six Suisses suivent la filière germanophone ou anglophone de médecine humaine ou dentaire à l’Université de Semmelweis, la plus ancienne école de médecine de Budapest. A la clé de ces cursus? Le précieux sésame qui leur permettra d’exercer partout en Europe, y compris en Suisse, grâce à une directive européenne de 2005 instaurant la reconnaissance mutuelle des diplômes au sein de l’Union européenne (UE). Longtemps ignoré en matière de formation, l’ancien bloc soviétique se profile désormais comme un eldorado pour les recalés de médecine en Suisse.

Contourner les quotas. Il y a encore dix ans, les étudiants suisses s’exilant après un échec en médecine optaient quasi exclusivement pour l’Europe de l’Ouest, Allemagne, France et Italie en tête. Mais de nombreux pays européens ont fini par se défendre des effets négatifs de la libre circulation au sein de l’UE: face à des facultés inondées d’étudiants étrangers prêts à tout pour devenir médecins, plusieurs gouvernements ont instauré des quotas pour sauvegarder la qualité de l’enseignement académique.

Par exemple, depuis 2012, la Belgique n’admet que 30% de non-résidents en première année de médecine. Les heureux élus sont choisis par un tirage au sort, aussi appelé la «roulette belge». Une méthode qui a découragé Alain*: après un double échec en première année de médecine à l’Université de Lausanne, ce Valaisan de 23 ans a préféré miser sur Cluj.

Il faut dire qu’à l’Université de médecine et de pharmacie Iuliu Hatieganu de Cluj, les étudiants étrangers sont recrutés sur dossier. «A partir d’un système de points, chaque faculté sélectionne les candidats avec les meilleurs résultats personnels et professionnels», explique le professeur Andrei Achimas, directeur du Centre intégré de l’éducation et de l’information de l’université roumaine. Et si l’Université de Semmelweis fait passer un concours d’entrée, «les Suisses franchissent facilement cette étape grâce la qualité de l’enseignement qu’ils reçoivent dans les gymnases helvétiques», admet Catherine*, une Tessinoise entrée dans l’établissement hongrois après un échec au premier semestre de médecine à Lausanne.

Autre facteur décisif lors du choix d’une université: la langue. Depuis l’ouverture d’une filière francophone en médecine, dentisterie et pharmacie à Cluj, en 2000, des centaines de Français débarquent chaque année dans les amphithéâtres roumains. Internet aidant, les Romands commencent timidement à leur emboîter le pas.

Du côté de Semmelweis, les filières germanophone et anglophone en médecine humaine, dentaire et en pharmacie accueillent des étrangers depuis le milieu des années  80. La première vague d’étrangers a commencé à arriver après la chute de l’URSS, en 1990. Mais la véritable explosion a eu lieu lors de l’entrée de la Hongrie et de la Roumanie dans l’Union européenne – en 2004 et 2007, respectivement.

Sur 12 985 élèves, Semmelweis accueille actuellement 2910 étrangers. A l’Université de Cluj, la proportion est bien plus élevée, avec 2224 étrangers sur un total de 8344 étudiants. Rien que pour l’année 2013-2014, elle en a intégré 500.

Atout financier. Pour les étrangers en question, cette émigration a bien sûr un prix. A Cluj, il est de 6000 francs par an. A Semmelweis, en fonction de la faculté et de la langue choisies, il leur faudra débourser entre 5000 et 8000 francs. Des tarifs exorbitants au regard de la quasi-gratuité de la formation helvétique (500 francs par semestre), bien que compensés par quelques bourses et le coût très bas de la vie quotidienne.

«C’est la seule chose qui me dérange avec ces universités privées: elles créent une discrimination sociale, regrette Laurent Bernheim, vice-doyen de la faculté de médecine de l’Université de Genève. Ce sont des start-up qui ne cherchent pas à nous aider, mais à remplir leurs caisses.»

Il est vrai qu’à Semmelweis, les revenus engrangés par les étudiants étrangers représentent 50% du budget de l’université. A Cluj, on n’articule pas de chiffres mais, selon Andrei Achimas, «ça compte beaucoup, et nous permet de moderniser nos infrastructures».

Pas étonnant que ces universités tentent d’attirer un maximum d’étrangers. En ce qui concerne la Hongrie, des représentants payés par quatre grandes universités recrutent à travers le monde entier de nouveaux élèves. A Genève, Emese Szalai assure ce rôle depuis deux ans. Et, pour l’instant, ce sont les vaches maigres. «Seules deux ou trois personnes m’ont contactée», regrette-t-elle. C’est que le nombre d’étudiants qui s’intéressent à la Hongrie est encore faible, et les informations se transmettent plutôt par le bouche à oreille. Ainsi, les étudiants contents de leur passage restent pour l’instant les meilleurs ambassadeurs d’universités comme Cluj ou Semmelweis.

Une nouvelle vie. Des travaux pratiques pour chaque branche, des classes plus petites, des professeurs plus attentifs, un contact plus précoce avec des patients plus nombreux et des cas plus variés, une meilleure ambiance de classe et un taux d’échec plus faible: les avantages par rapport à la Suisse ne manquent pas aux yeux de nos exilés, même si certains se
passeraient bien des cours obligatoires de roumain ou de hongrois.

Sans oublier les différences culturelles, ces petits zestes d’exotisme qui donnent son sel au quotidien. «Certains professeurs hongrois veulent qu’on se lève au début des cours et qu’on applaudisse à la fin», s’amuse Catherine. Mais le plus grand avantage, à en croire Alain, «c’est le droit de pouvoir poursuivre nos études en médecine».

Comme Sophie, Alain a échoué deux fois son examen de chimie et physique, des branches qu’ils jugent tous deux «non médicales». «C’est injuste qu’on nous élimine pour cette raison alors que la Suisse manque de médecins», s’emporte le jeune homme.

Le genre de propos qui irrite Pierre-André Michaud, vice-doyen de la faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. «D’une part, nous avons nettement diminué la part des branches scientifiques en première et deuxième années. D’autre part, nous ne limitons pas les places de formation pour le plaisir, mais parce que, pour former des médecins, il faut des malades. Or, nous n’en avons pas assez dans les hôpitaux. Nous allons bientôt former 220 au lieu de 160 étudiants par an, c’est déjà énorme.»

De son côté, Laurent Bernheim insiste: le problème de la Suisse n’est pas le manque de médecin, mais leur choix d’orientation. Il y a trop de spécialistes et pas assez de généralistes. «Il est normal que ces élèves ressentent une injustice. Mais le système de formation n’est pas à remettre en cause, car nous sommes obligés de trier. Ce qui ne signifie pas que ceux qui échouent ne feraient pas de bons médecins.»

Droit de retour. Malgré leur mauvaise expérience dans les universités helvétiques, les étudiants émigrés veulent coûte que coûte faire leur internat en Suisse. L’argument principal? Le salaire. En Roumanie, un interne touche entre 400 et 500 francs par mois, alors qu’en Suisse c’est 5000 francs au minimum. Un fossé qui s’élargit à mesure que les années et l’expérience s’accumulent. «On ne peut pas rivaliser avec les salaires à l’Ouest. Pour l’instant, nous n’arrivons pas à persuader nos étudiants étrangers de rester en Hongrie», déplore Jozsef Tímár, vice-doyen des affaires pédagogiques de l’Université de Semmelweis.

Une mauvaise rémunération qui engendre aussi de la cor-ruption. «En Roumanie, les patients donnent facilement de l’argent aux médecins pour recevoir de l’attention, c’est une tradition que nous avons héritée du communisme», explique un médecin roumain travaillant au CHUV depuis une dizaine d’années.

Une question turlupine toutefois les étudiants que nous avons interrogés: une fois rentrés au bercail, seront-ils considérés comme des praticiens comme les autres ou comme des «sous-médecins»? Seront-ils accusés d’avoir «acheté leur diplôme» dans un pays ex-communiste?

A en croire les professionnels du secteur, il n’y a aucune inquiétude à se faire. Une fois leur diplôme reconnu par la MEBEKO, la Commission fédérale des professions médicales, ces jeunes gens pourront être engagés comme n’importe qui d’autre. «Nous considérons que les diplômes européens ont la même valeur qu’un diplôme suisse», précise Darcy Christen, porte-parole du CHUV Et quid des conséquences du vote du 9 février sur l’immigration de masse? Pour l’hôpital universitaire vaudois  comme pour l’administration fédérale, elles sont pour l’instant impossibles à estimer.

Bon accueil. L’exemple de Sarah* le prouve: le retour des étudiants made in Eastern Europe peut se faire sans problème. Après un échec en médecine à l’Université de Genève, Sarah est partie faire ses études en Lituanie pendant six ans. Revenue il y a quelques mois, cette jeune femme a tout de suite trouvé un internat dans un hôpital genevois.

«J’ai longtemps eu honte de mon parcours. Mais je me rends compte que ça m’a rendue polyvalente et que ça m’a ouvert l’esprit. Je comprends mieux les étrangers qui travaillent avec moi, les patients aussi. Quand les gens voient mon CV, ils sont surpris en bien, ça les intrigue. Je n’ai jamais été confrontée à de l’animosité.»

Laurent Bernheim abonde: «Ces étudiants font preuve de beaucoup de courage en allant à plusieurs centaines de kilomètres de chez eux parce qu’ils ne veulent pas renoncer à la médecine.»

Une vision résolument différente de la France, qui a voulu édicter, en 2011, un décret visant à interdire aux étudiants partis ailleurs en Europe après avoir été recalés de revenir faire leur internat dans l’Hexagone. Attaqué devant le Conseil d’Etat par la Corporation Médecine Cluj, l’association des étudiants francophones de l’université roumaine, le décret n’a finalement pas passé.

«Interdire n’est pas la solution, réagit Jürg Schlup, président de la Fédération des médecins suisses. Il n’y a aucune raison de rendre ces expatriations illégales, c’est la liberté de chacun de partir. Ce qu’il faut, c’est une démarche positive et une augmentation du nombre de places de formation de médecins en Suisse.» Voilà qui éviterait à certains un long déménagement. Et des crises de panique.

*Noms d’emprunt


Reconnaissance des diplômes
Hors de l’Union européenne, attention aux mauvaises surprises!

Si l’on s’en tient aux classements internationaux des écoles de médecine, les établissements les plus prestigieux se trouvent pour la plupart en dehors de l’Union européenne (UE). En Australie ou au Canada et, surtout, aux Etats-Unis: Harvard, Stanford et Columbia en tête. Pas étonnant que, après avoir essuyé un échec en médecine ou avant d’en risquer un, certains étudiants suisses décident de traverser l’Atlantique pour découvrir les secrets du corps humain. Seul problème: la Confédération ne reconnaît pas les diplômes en médecine humaine, dentaire ou en pharmacie décernés hors de l’UE ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont font partie l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.

Il est toutefois possible d’obtenir un diplôme fédéral, indépendamment de sa nationalité. C’est la Commission fédérale des professions médicales, la MEBEKO, qui décide au cas par cas si un requérant remplit les conditions d’admission à cet examen et s’il doit passer l’ensemble des épreuves ou seulement une partie. Elle se base sur le parcours et l’expérience professionnelle du candidat, en particulier dans le système de santé suisse.

 

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«Hurricane» Carter, mort d’une chanson

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:57

Destin.L’itinéraire de Rubin Carter, mort cette semaine et qui passa presque vingt ans en prison, restera une chanson de Dylan emblématique d’un genre militant.

Rubin «Hurricane» Carter est mort cette semaine à Toronto, libre, d’un cancer de la prostate, à 76 ans. Mais il demeurera de lui une immense chanson. D’abord parce qu’elle dépasse les huit minutes, ce qui est plutôt rare pour un single qui parvint à être assez bien classé (31e) au Billboard, le hit-parade américain. C’est une immense chanson parce qu’elle ouvre et demeure le titre le plus fameux de Desire (1975): un des grands albums de Bob Dylan.

Tous les albums de Dylan ou presque sont «controversés», mais celui-là tient bien les années: Bob souriant – c’est rare – sur la pochette, genre cow-boy-pâtre hippie à chapeau, violonades folk, un rien de bouzouki, Emmylou Harris en invitée de luxe pour les chœurs.

Hurricane avait été un enjeu compliqué dès sa conception. Dylan avait lu la biographie du boxeur Rubin Carter, condamné quelques années plus tôt pour un triple meurtre au Lafayette Bar de Paterson, dans le New Jersey. Le livre s’appelait Le 16e round. Carter l’avait envoyé lui-même à Dylan, au vu des engagements du chanteur pour les droits civiques. L’affaire était polémique: un jury exclusivement composé de Blancs avait condamné en 1967 Rubin Carter et son ami John Artis à la perpétuité. Mais les témoins étaient tout sauf fiables (un cambrioleur miteux parmi eux, des versions qui changeaient tout le temps, pressions policières, etc.) et Carter comme Artis n’avaient jamais cessé de clamer leur innocence.

Bon boxeur. Surtout, «Hurricane» (son surnom en raison de son style sur le ring) était à l’époque un bon boxeur poids moyen, classé dans le top 10 de sa catégorie. Il avait encore une chance d’aller un jour au titre mondial. On ne voit pas très bien pourquoi il se serait mis en tête d’entrer dans un bar pourri aux fins d’y dézinguer tout le monde.

Dylan alla donc voir Carter en prison, et décida d’écrire une chanson sur lui avec Jacques Levy, metteur en scène de théâtre et compositeur avec lequel il collaborait sur Desire. Il fallut réenregistrer la chanson peu avant la sortie de l’album: Dylan, selon les avocats de sa maison de disques, ne pourrait pas éviter un procès en raison de sa mise en cause de certains intervenants de l’affaire. Il ratura, édulcora, recommença. Il y eut quand même un procès.

Mais cette chanson écrite comme un fait divers résonnait particulièrement. Dylan avait lui-même déjà donné dans le protest song. Et il considérait ce splendide Hurricane comme tel, une chanson contre l’establishment. Prendre des faits divers comme matériau de base, en héroïsant les personnages, même ou surtout sulfureux, est une vieille histoire de la chanson américaine, et au-delà: blues et country, pop et même variété sont bourrés d’exemples du genre.

Mais souvent, il s’agit d’affaires passées, aux limites de la mythologie: la Ballade de Sacco et Vanzetti, que chantait Joan Baez en 1971, raconte une histoire d’anarchistes des années 20, on ne prend pas de risques. Gainsbourg et son Bonnie and Clyde (1968) renvoient aussi à du gangstérisme alors vieux de 40 ans. Se saisir en revanche, comme dans Hurricane, d’une affaire encore chaude, sur laquelle il est possible d’influer encore, demeure très rare. Sapho tenta par exemple, en 1986, un refrain sur la mort de l’étudiant franco-algérien Malik Oussekine, tué lors d’une bavure policière. Coup de poing, prise de conscience. Cela ne pouvait cependant pas ramener le jeune homme à la vie. Autre exemple, en 1975, Maxime Le Forestier chante La vie d’un homme, prenant la défense de Pierre Goldman, intellectuel d’extrême gauche ayant glissé dans le banditisme.

C’est sans doute l’affaire Rodney King, tabassé par des policiers en 1991 à Los Angeles, qui est la plus proche de la genèse de Hurricane. Encore un Noir, face à des policiers blancs, un dérapage limpide, mais un procès où les flics sont d’abord acquittés, des émeutes: une dizaine de chansons sont écrites dès 1993 sur King, dont des titres signés Billy Idol ou Ben Harper.

Depuis, la culture hip-hop a fait son œuvre, et les griots du beat n’ont cessé de multiplier les exemples de faits divers devenus tubes de rap (l’assassinat de Tupac Shakur en a produit une flopée), racontant la société américaine comme un genre de western urbain où la casquette à l’envers a remplacé le bon vieux stetson.

Militant actif. Hurricane demeure cependant un cas à part, à la magie presque inégalée. D’autres personnalités, de Joni Mitchell à Muhammad Ali, prirent à l’époque fait et cause pour le boxeur condamné. Des concerts de soutien pour Rubin Carter furent organisés, à New York en 1975, puis à Houston l’année suivante: les présences de Stevie Wonder, de Ringo Starr ou de Santana n’empêchèrent d’ailleurs pas un relatif flop de l’événement. Mais l’argent recueilli permit tout de même à Carter d’engager un nouvel appel devant les tribunaux. De rebondissements judiciaires en rétractations de témoins, il fut libéré finalement en 1985.

Depuis, après dix-neuf ans de détention, Rubin Carter avait vécu une existence de militant actif contre les condamnés à tort. Il avait reçu des doctorats honoris causa de diverses universités, et surtout l’hommage d’un bon film en 1999, Hurricane Carter, signé Norman Jewison, pour lequel Denzel Washington fut nommé aux oscars.

Petit doute. Il est mort maintenant, lui qui déclarait: «Pendant mes années sur cette planète, j’ai vécu en enfer pendant les quarante-neuf premières années, puis au paradis pendant les vingt-huit dernières.» Reste cette colère échevelée et lyrique de huit minutes et trente-trois secondes, ce «Here comes the story of the Hurricane…» qui met des frissons sur les bras. Et puis, pour être honnête, un minuscule, infinitésimal doute, quand même. Car on n’a jamais retrouvé les vrais meurtriers du Lafayette Bar.

Oui, le procès était inique, les preuves pas convaincantes, l’instruction contre Carter et son pote scandaleusement biaisée à charge, le racisme du verdict évident. Mais alors, qui a tué? Les exégèses de Dylan – elles sont innombrables, il y en a à chaque coin de rue – continuent de confronter les paroles de la chanson et ce que l’on sait des faits et témoignages. Dylan était-il trop bienveillant? A-t-il trop laissé dans l’ombre le passé délictueux de la jeunesse du boxeur? S’est-il lui-même lassé de cette histoire, dont il ne parlait plus? Il n’a chanté Hurricane sur scène que 33 fois dans toute sa carrière.

La dernière, c’était à l’Astrodome de Houston, au Texas, le 25 janvier 1976.

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Marty Lederhandler / Keystone
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Vartan Sirmakes: Les horlogers ont toujours su se débrouiller

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:58

Horlogerie.Jamais à court de nouveaux projets, Vartan Sirmakes, patron du groupe Franck Muller Watchland, vient de lancer un fonds d’investissement centré sur l’industrie du luxe. Rencontre.

Les marques d’horlogerie de luxe ont eu tendance ces dernières années à construire des bâtiments futuristes pour abriter leur siège et leurs usines. Pas le groupe Franck Muller Watchland qui poursuit son développement à Genthod, près de Genève, dans un parc spectaculaire avec vue sur le lac et le Mont-Blanc.

Le maître des lieux a en effet opté pour une architecture plus classique. Il devrait d’ailleurs poser la première pierre de deux usines supplémentaires, d’ici à fin 2014 ou début 2015. Une nouvelle étape pour une entreprise qui a défrayé la chronique il y a quelques années. Alors en conflit ouvert et public, les deux fondateurs, l’horloger Franck Muller, qui a donné son nom à la marque, et Vartan Sirmakes se sont depuis réconciliés et continuent de collaborer. Désormais seul à la direction opérationnelle du groupe, ce dernier nous explique ses projets. Et revient sur la crise des années 2008-2010.

Vous venez de lancer le V Global Luxury Fund. Avec quel objectif?

Il s’agit avant tout d’investir dans des sociétés cotées, actives dans le luxe. Mais il se peut aussi que, au cas par cas, nous nous engagions dans des entreprises non cotées qui cherchent un repreneur. Nous avons créé ce fonds basé auprès de la BNP au Luxembourg, en collaboration avec la société londonienne Omada Capital.

Votre rôle dans ce partenariat?

Omada Capital apporte son expertise financière. Et nous notre connaissance de l’industrie du luxe. Je vous donne un exemple: on voit depuis des années les grands groupes français racheter des marques horlogères helvétiques. Pourquoi n’investirions-nous pas depuis la Suisse dans des entreprises de maroquinerie, en France? Je vois de belles
possibilités dans le secteur du cuir, d’ailleurs curieusement négligé par les Français eux-
mêmes.

Vous lancez de nouveaux projets, vous vous diversifiez. Mais, à terme, une marque comme Franck Muller peut-elle rester indépendante?

Bien sûr. A trois conditions: il faut travailler dur. Cultiver sa créativité. Et développer son réseau de clientèle. J’en ajouterai une quatrième: la prudence. Franck comme moi-même venons de familles qui nous ont inculqué l’esprit de prudence: les belles années sont forcément suivies de temps plus difficiles. Il faut donc savoir faire le gros dos. Eviter d’être trop endetté.

Vous avez surmonté plusieurs crises depuis le lancement de la marque Franck Muller, en 1992. Où en êtes-vous aujourd’hui?

Nous allons ajouter deux bâtiments d’une surface supérieure aux usines déjà existantes, ici, à Genthod. On devrait en lancer la construction à la fin de l’année ou au début de 2015. L’idée, c’est de regrouper nos collaborateurs et de diminuer nos lieux de production, quatorze actuellement. Même si nous sommes, dans le même temps, en train d’agrandir notre usine de cadrans dans le Jura, par exemple.

Avec le recul, quel regard jetez-vous sur la crise des années 2008-2010?

Nous avons dû nous séparer de 239 collaborateurs, ce qui a été douloureux. A l’époque, ce redimensionnement a fait pas mal de bruit. C’est que, contrairement à d’autres entreprises horlogères, nos employés, eux, étaient au bénéfice de contrats à durée indéterminée (CDI). Nous n’avions donc pas cette soupape constituée de travailleurs temporaires. Depuis, nous avons engagé de nouveau, une septantaine de personnes. Actuellement, l’entreprise compte 550 employés.

Combien de montres produisez-vous? Et quel est votre chiffre d’affaires?

Nous fabriquons entre 40 000 et 43 000 pièces par année. Si vous prenez un prix moyen de 6500 francs à la sortie de l’usine, nous atteignons un chiffre d’affaires de 280 millions. Mais attention, si nous contrôlions notre distribution et les réseaux de vente dans les mêmes proportions que Richemont ou Swatch Group, nous serions plutôt à 500 millions de francs.

Vous aviez, à l’époque, élargi votre offre en lançant ou en rachetant plusieurs autres marques. En redimensionnant l’entreprise, vous avez aussi choisi de vous recentrer sur les montres Franck Muller. Vous étiez-vous dispersé?

Comme d’autres, nous avons été un peu victimes de l’euphorie du début des années 2000. Même si notre priorité a toujours été la marque Franck Muller. Nous avons tiré des leçons de cette période et, aujourd’hui, même si l’industrie horlogère se porte bien, même si je suis plutôt optimiste pour son avenir, il faut bien reconnaître que l’actualité peut nous réserver des surprises. Plusieurs régions du monde sont en ébullition. A commencer par l’Ukraine et la Russie.

Observez-vous un changement d’habitudes chez les amateurs de belles montres?

Vous savez, il existe une subtile alchimie entre les créateurs et les clients. En période de turbulences, les consommateurs veulent des modèles plutôt discrets. Et quand les beaux jours reviennent, ils ont tendance à se lâcher. Il faut alors pouvoir les suivre. Parce que, de toute éternité, les êtres humains ont désiré avoir de beaux objets au poignet.

Va-t-on renouer avec l’exubérance passée?

Avant la crise, nous avons assisté à l’apparition d’une ribambelle de marques indépendantes, certaines lancées par de riches collectionneurs. Beaucoup d’entre elles rencontrent aujourd’hui de gros problèmes, d’autres ont été comme nivelées. Le marché est devenu plus concurrentiel, avec des baisses de prix de 40 ou 50% pratiquées notamment par certaines grandes marques. Voilà pourquoi il faut rester très vigilant.

Avec votre partenaire Franck Muller, vous avez été parmi les premiers en 1992 à oser lancer une nouvelle maison de haute horlogerie. Quelles sont les conditions d’un développement à long terme?

Dans l’horlogerie, on parle beaucoup de verticalisation, mais en se focalisant trop souvent sur la vente. Notre premier souci, avec Franck, ça a donc été l’approvisionnement en fournitures et en composants. Les premières années, nous passions plus d’un tiers de notre temps entre la vallée de Joux, Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds, chez nos sous-traitants. Voilà pourquoi nous avons d’emblée investi dans l’achat de machines à commande numérique, dans l’outil de production. Au final, c’est une question de survie. Nous n’avons pas trop ressenti la crise de la fin des années 90. En revanche, nous avons beaucoup pâti un peu plus tard du conflit d’actionnaires qui nous a opposés, Franck et moi.

L’avez-vous surmonté?

Le conflit est réglé. Franck a choisi une autre vie. Ce que je comprends. Il habite à Monaco, il ne travaille plus à l’établi. Il ne veut plus être pris par les aléas de la production. En revanche, il nous représente volontiers et avec beaucoup de sérieux aux quatre coins du monde. Notamment en Asie. Avec le recul, je relativise ce que je considère comme une erreur de jeunesse. Ce conflit nous a beaucoup appris à tous les deux. D’ailleurs, regardez les grands groupes horlogers… Qui n’a pas eu, à un moment ou à un autre, un conflit d’actionnaires? Nous appartenons à une industrie par essence très émotionnelle.

Et quid de l’accord entre la Commission de la concurrence (COMCO) et le Swatch Group sur la baisse annoncée des livraisons de mouvements, d’ébauches et de composants à la fois aux marques horlogères et aux fabricants de mouvements?

Je suis très philosophe par rapport à cette question. Au XVIIIe siècle déjà, à l’époque d’un certain Frédéric Japy qui fournissait toute l’Europe en ébauches, la question de l’approvisionnement s’est posée. Les horlogers se sont toujours débrouillés. Ce serait faire insulte à leur immense savoir-faire en matière de machines-outils que de penser qu’ils ne pourraient pas trouver de solutions. Au final, la COMCO a régulé le marché avec sagesse. En nous laissant, à mes collègues et à moi-même, le temps de nous réorganiser.

Vous concentrez vos capacités de production à Genthod. Mais, dans le même temps, vous conservez des ateliers à l’étranger. Pour quelle raison?

Remettons les choses en perspective: j’emploie six personnes dans un atelier de production à Monaco. Et une douzaine dans un atelier de polissage en Arménie. Par rapport aux 550 collaborateurs suisses de l’ensemble du groupe, c’est peu, vous en conviendrez. Toujours en Arménie, dont je détiens le passeport, j’ai aussi fondé une banque, l’Armswissbank. Parce que le cadre juridique en vigueur dans ce pays est à la fois rigoureux et incroyablement favorable et que, tout simplement, c’est un projet qui m’a motivé. J’aime les nouvelles aventures. Cet établissement d’une centaine d’employés ne me rapporte certes pas des fortunes, mais c’est un joli succès.

Les groupes horlogers se lancent presque tous dans la joaillerie. Vous qui, à la base, êtes du métier, avez-vous des projets dans ce secteur?

Je suis sertisseur de formation, c’est vrai. Et même si je viens d’une famille de joailliers, je vais à l’avenir rester centré sur les montres. La haute joaillerie, comme l’horlogerie, s’ancre dans une tradition. Et celle-ci est avant tout parisienne et italienne. Eventuellement londonienne. Difficile de se lancer de manière crédible dans ce domaine si vous n’en maîtrisez pas les codes et les savoir-faire. Même chose avec la haute couture: qui veut créer une nouvelle maison ne l’installe pas à Lyon ou à Marseille.

Le groupe Franck Muller Watch­land, dites-vous, réunit tous les atouts pour rester indépendant des géants du luxe. Votre fils Sassoun est-il appelé à prendre un jour des responsabilités à vos côtés?

Une fois par semaine, mon fils aîné passe à la manufacture. J’ai toujours pensé que les enfants doivent commencer par faire leurs preuves. Dans cette optique, avec un associé, il a lancé sa propre marque, les montres Cvstos. Il est indépendant. J’en suis très heureux.


Vartan Sirmakes

Né à Constantinople en 1956, il s’installe à Genève à l’âge de 18 ans et suit un apprentissage de joaillier-sertisseur. Il ouvre ensuite son atelier qui se transforme en une entreprise qu’il développe toujours dans le domaine de l’horlogerie. La manufacture de montres finies devient alors un objectif, qu’il concrétise en 1991 en s’unissant avec Franck Muller. Il vient de créer le V Global Luxury Fund, qui investit principalement dans des sociétés cotées du secteur du luxe.

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Grâce et disgrâce: Salaire minimum, réparer le 9 février?

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:59

Faut-il introduire un salaire minimum de 4000 francs? L’initiative des syndicats a été lancée en 2011, comme celle «Contre l’immigration de masse», qui a connu le succès que l’on sait. Les milieux économiques et les partis de droite sont inquiets: après le 9 février, le pays ne peut tout simplement pas se permettre une nouvelle tocade réglementaire. La Suisse doit sa bonne santé économique actuelle à des conditions-cadres souples et libérales. Fixer une rémunération plancher rigidifierait le marché du travail au plus mauvais moment.

La gauche fait l’analyse inverse et voit dans le vote du 18 mai l’occasion de réparer celui du 9 février. La fixation d’un salaire plancher serait un instrument pour lutter contre le dumping salarial. La conjoncture risquant de souffrir des incertitudes liées à l’introduction des contingents, des fiches de paie rehaussées généreraient un bonus de pouvoir d’achat, opportun soutien à la croissance.

Enfin, si les syndicats ont choisi l’arme de l’initiative populaire, c’est parce qu’ils avaient le sentiment de ne plus avoir d’interlocuteurs. Depuis vingt ans, depuis la parution du Livre blanc appelant à la déréglementation, le mythique partenariat social a été peu à peu vidé de son sens. L’indexation automatique des salaires à l’inflation, qui ne se discutait pas naguère, est devenue une rareté. L’extension des conventions collectives de travail n’a pas du tout été encouragée, laissant trop d’employés livrés aux lois de la jungle. L’économie y a peut-être gagné en compétitivité, mais la cohésion sociale s’en est trouvée dangereusement minée. La facture s’appelle Minder et quotas, autant de signes d’exaspération d’une majorité de votants devant cette «formidable croissance» qui ne profite pas à tous.

Les adversaires des 4000 francs ont de bons arguments, mais leur attachement aux «conditions qui ont fait le succès de la Suisse» serait plus crédible s’ils n’avaient pas attaqué ces dernières années les dispositifs d’aide sociale et les régimes AI avec virulence.

S’opposer au salaire minimum oblige à ne pas honnir les budgets de l’aide sociale, sauf à assumer cyniquement que les pauvres n’ont qu’à le rester. Un tiers des bénéficiaires de l’aide sociale sont des enfants ou des adolescents dont les parents ne gagnent pas assez pour subvenir à leurs besoins. Faut-il s’y résigner? La moitié des 300 000 bénéficiaires potentiels de l’initiative sont des détenteurs de CFC. Peut-on encenser la voie de l’apprentissage et fermer les yeux sur le fait qu’elle n’assure pas, après plusieurs années d’expérience, des salaires corrects? Un non le 18 mai ne clora pas le débat sur la distribution des fruits de la croissance.

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Ces intellectuels russes qui soutiennent Poutine

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 05:59

Analyse.La crise en Ukraine a suscité un nouveau nationalisme russe. Intellectuels et opposants s’unissent pour faire l’éloge de leur président.

Christian Neef et Matthias Schepp

Les prétentions russes en Ukraine ont suscité un nationalisme dont l’agressivité réduit au silence presque toute voix critique. Seul subsiste le point de vue officiel: à Kiev, une clique pro-occidentale entend détruire l’Ukraine avec l’aide des Américains et, à l’est du pays, ils sont des millions à s’y opposer héroïquement, des gens qu’il importe de soutenir.

Il n’y a plus de nuances, la propagande d’Etat est efficace. Et les médias suivent. «L’Ukraine mène une guerre contre son propre peuple», titrait la semaine dernière le journal Rossiskaïa Gazeta, quand le gouvernement transitoire de Kiev envoyait des troupes dans l’est du pays. «La junte de Kiev entend bombarder le Donbass», assurait pour sa part le quotidien à grand tirage Komsomolskaïa Pravda. «Les nôtres déplorent des morts et des blessés.»

Dans les rédactions de Moscou, il n’y a aucune enquête sur les informations fausses diffusées. Mais pas non plus sur l’origine des armes dont disposent les protestataires prétendument menacés de l’est de l’Ukraine.

Vladimir Poutine est un héros parce qu’il fait payer l’Occident pour les humiliations supposées de ces dernières décennies. L’ivresse nationaliste est telle que même les opposants à Poutine ne lui tiennent plus tête. Il y a deux ans, le ténor de la gauche Sergueï Oudaltsov et le blogueur Alexeï Navalny étaient, dans les manifs anti-Poutine, les plus féroces orateurs. Ils sont d’ailleurs aujourd’hui tous deux aux arrêts domiciliaires. Mais Oudaltsov a donné son soutien à l’action russe et à l’annexion de la Crimée: «Je suis partisan de la démocratie directe et je salue le référendum de Crimée, expression de la souveraineté du peuple.»

Alexeï Navalny n’a pas le droit de téléphoner ni de se servir de l’internet. Ce qui ne l’a pas empêché de faire savoir que, à son avis, «le geste arbitraire illégal» de Nikita Khrouch­tchev en 1954 rattachant la Crimée à l’Ukraine avait humilié tout Russe normalement constitué. Et il consolait ainsi les Ukrainiens: «Au diable, la Crimée. A quoi vous sert-elle?»

Une intelligentsia divisée. Il est difficile d’être à la fois patriote et adversaire du Kremlin quand 80% de vos compatriotes applaudissent leur président. Ces temps-ci, toute voix critique fait l’objet d’une surveillance particulière. L’annexion de la Crimée et les affrontements dans l’est de l’Ukraine divisent profondément l’intelligentsia russe. Quelque 500 acteurs de la culture ont signé une lettre de soutien à Vladimir Poutine, parmi lesquels le chef d’orchestre Valeri Guerguiev. En revanche, les écrivains Victor Erofeïev et Ludmila Oulitskaïa ainsi que 900 autres artistes ont publié un manifeste qui condamne l’annexion et met en garde contre une guerre en Ukraine.

Présidente du parti d’opposition Plateforme citoyenne, Irina Prokhorova remarque qu’«on est presque revenu au temps des Soviets, quand toute discussion des décisions du gouvernement était interdite». Irina est la sœur de Mikhaïl, multimilliardaire et candidat à la présidentielle de 2012 où, avec son programme pour la démocratie et l’économie de marché, il a recueilli 8% des suffrages. Un succès d’estime. Irina Prokhorova voit dans l’annexion de la Crimée un «retour nostalgique au passé impérial. Hier, les gens d’opinions différentes se respectaient; aujourd’hui, même les amitiés éclatent. Une chasse aux sorcières a commencé. On s’achemine vers une guerre civile froide.»

L’historien Andreï Soubov, jusqu’alors professeur à la célèbre université MGIMO spécialisée dans les affaires étrangères, en a fait les frais: pour avoir comparé l’annexion de la Crimée à l’Anschluss de l’Autriche en 1938, il a perdu sa chaire.

D’autres, comme l’ancien patron de la TV Nicolaï Svanidze, sont plus prudents. Ils ne se voient pas comme des opposants mais comme les «tenants libéraux et démocratiques de l’élite politique». Svanidze juge que la Crimée est un territoire russe mais condamne la mode d’annexion, de même que les menées des forces pilotées par la Russie en Ukraine orientale. Il redoute un rideau de fer version light, la soviétisation de la politique intérieure et, à moyen terme, de graves problèmes économiques.

Pour savoir ce qu’en pensent les Moscovites, majoritairement libéraux mais silencieux, reste à se tourner vers quelques rares journaux que le Kremlin laisse s’exprimer parce que leurs tirages sont confidentiels et qu’ils ne touchent qu’une infime partie de la population. La Nezavissimaïa Gazeta écrit sans fard que même à Donetsk, dans l’est de l’Ukraine, la majorité est opposée à une annexion et que les protestataires y sont commandés par des Russes. Comme par miracle, ils ont pu ouvrir tous les dépôts d’armes, ils ont ainsi désarmé la 25e Brigade aéroportée de Dnipropetrovsk et disposent désormais de blindés et d’artillerie.

Le refuge des intellectuels. Le quotidien économique Vedomosti se montre encore plus critique. Fondé en 1999 en partenariat avec le Financial Times et le Wall Street Journal, il est devenu ces derniers mois la place forte de multiples intellectuels contestataires. Vedomosti n’obéit à aucune idéologie et n’est financé par aucun parti ni aucun oligarque. Il traite avant tout de thèmes financiers et il a des lecteurs dans tous les milieux en raison de ses informations boursières. Le journal dispose de sa propre équipe de chroniqueurs, historiens, théologiens, philologues installés au cœur même de la rédaction dans une enceinte de verre, entourés de bibliothèques où s’alignent pêle-mêle la Bible, des encyclopédies en anglais et les œuvres d’anarchistes russes oubliés. Cet «aquarium» est un des rares lieux de Russie où la politique du Kremlin est quotidiennement commentée avec finesse et à l’abri de toute censure.

Un pouvoir fou.«Nous nous sommes toujours politiquement situés au centre, explique le commentateur Nicolaï Epple, 37 ans. Mais maintenant que les hommes au pouvoir en Russie sont devenus fous, nous glissons automatiquement à gauche.» A l’époque soviétique, tout le monde savait que les annonces officielles étaient pure propagande et on en riait. «Mais aujourd’hui, ils sont nombreux à tenir pour vraies les informations sur l’Ukraine. Il se passe en ce moment quelque chose de terrible en Russie.»

Nicolaï Epple évoque «la voie particulière» que la Russie a déjà recherchée par le passé. «Depuis les années 90, la Russie s’éloigne de l’Europe, ce qui fait à nouveau de nous une civilisation insulaire.» Du coup, le Kremlin ne communique plus guère avec le reste du monde, il préserve son empire contre les prétendues attaques d’ennemis extérieurs. «Il tente de reconstruire un cordon sanitaire et, pour y parvenir, il se ceint de territoires économiquement en faillite ou déchirés par des conflits ethniques.»

«L’atmosphère devient toujours plus pesante, confesse Nicolaï Epple. Désormais, il faut du courage pour écrire que les nouveaux gouvernants de Kiev ne sont pas des fascistes. Tous les jours, je me demande qui saura stopper cette hystérie dans notre pays.»

© Der Spiegel
Traduction et adaptation
Gian Pozzy

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Zurab Dzhavakhadze
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Bienne: capitale de l’aide sociale

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 06:00

Pauvreté.Pourquoi Bienne détient-elle le record de personnes à l’aide sociale? Enquête auprès de ceux que l’Etat entretient.

Grand et bien bâti, la chemise repassée et la voix posée, Philipp Lüthi raconte son histoire. A 33 ans, il touche l’aide sociale depuis trois ans. Ce n’est pas la première fois. De 2001 à 2005, il a déjà connu une période sombre. Philipp fait partie des 11,4% de la population biennoise (5910 personnes) qui dépendent de l’Action sociale pour vivre. La capitale seelandaise détient un record peu envié: celui du nombre le plus élevé d’assistés en Suisse. La Chaux-de-Fonds la rejoint pour la première fois en 2012 (derniers chiffres à disposition). Qui sont ces gens et quel parcours les a amenés à une telle situation? Pour comprendre, L’Hebdo a rencontré douze Biennois qui ont accepté de parler de leur vie.

Longue période de chômage avec cette angoisse lancinante d’arriver en fin de droits, suivie par une dépression, des problèmes d’alcool et des ennuis de santé pour Alain*. Manque de formation professionnelle pour Nicole* l’Africaine et Agit* le Kurde. Ce père de trois enfants qui était paysan – avant de fuir son pays et d’arriver en Suisse il y a huit ans – parle encore mal l’allemand et ne trouve pas de travail. Mystérieuse maladie qui l’empêche de finir son apprentissage d’ébéniste pour Pascal, 26 ans. Problèmes de drogue résolus durant huit ans et revenus à l’occasion de tensions familiales pour Didier qui se dit «jaloux de ceux qui travaillent». Sortie de prison pour Nassir qui a fait dans le trafic de drogue et les bagarres. Triste fin de parcours après une longue activité en tant qu’indépendant pour Jean-Pierre*, âgé de 62 ans. Burn-out suivi d’une rencontre avec l’héroïne pour Franz, qui avait une petite entreprise florissante.

Jean-Pierre résume un sentiment partagé: «C’est la HONTE d’être au social. Les gens ne comprennent pas. Ils pensent que nous sommes tous des profiteurs, des flemmards. Parfois je raconte des mensonges à d’anciennes connaissances. Je dis que je vis des loyers de la maison dans laquelle j’avais mon commerce ou que j’ai gagné au loto.»

«A défaut d’autre chose.» Philipp, lui, explique ne rien avoir à cacher. Il est né dans un petit village aux portes de Bienne. Une enfance insouciante jusqu’au divorce de ses parents. Il a alors 6 ans. Sa mère change souvent de compagnon. Adolescent un peu rebelle, il se lance dans un apprentissage de cuisinier «à défaut d’autre chose». Il part à Gstaad, dans un restaurant classé au Gault&Millau. Au fil des mois, il est frustré d’être réduit à couper les légumes et à s’occuper des garnitures. «En plus, mon chef était agressif et méchant.»

A l’école professionnelle, ça ne va pas fort non plus. Et lorsque, le week-end, il rentre chez son père, l’adolescent ne s’entend pas avec sa nouvelle compagne. «Après deux ans d’apprentissage, j’ai arrêté du jour au lendemain. Je n’en pouvais plus de mes problèmes. Depuis ce jour, je n’ai plus revu mon père.» Il trouve alors un travail à durée limitée dans une grande surface, fait 12 000 à 13 000 francs d’économies et, à 18 ans, reçoit 30 000 francs, l’argent versé durant toute son enfance par ses proches. En six mois, il dépense tout. «Je me suis alors demandé comment garder le même train de vie.»

Mauvaises fréquentations. Commencent les beuveries, les vols et les cambriolages avec une bande de copains. Et la prison avec sursis. «Ma mère n’a jamais su. J’avais tellement honte que, durant dix ans, j’ai coupé les contacts.» A 18 puis à 28 ans, Philipp Lüthi essaie de reprendre un apprentissage de cuisinier. Sans succès. De 2005 à 2010, il enchaîne les petits boulots. Son dernier poste: aide-cuisinier et casserolier. «J’avais les responsabilités d’un cuisinier. Lorsque j’ai demandé une augmentation, ils m’ont dit non. Je suis parti et j’ai chômé. En Suisse, trouver un travail comme aide-cuisinier, c’est difficile. Beaucoup d’Allemands et d’Espagnols acceptent un salaire de 2400 francs. Un Suisse, lui, veut 3800 francs.»

Aujourd’hui, le Biennois avoue avoir un problème d’alcool. Si les quelque 900 francs qu’il reçoit par mois – son appartement et son assurance maladie sont payés par l’assistance sociale – ne lui permettent pas de mener grand train, son luxe, c’est de se payer parfois un verre dans un bar.

«Lorsque l’on est à l’aide sociale, les copines que l’ont trouve ne sont pas des femmes “normales”, avec un travail, un appartement, un chat ou un chien. Elles sont du même milieu.» Si le courant passe, Philipp parle très vite de sa situation. Leurs réactions? «Certaines me répondent qu’elles ne sont pas intéressées. L’une d’elles m’a dit: “Si tu fais des efforts et que l’on s’entend bien, il n’y a pas de problèmes”.»

Question retour à la vie normale, Philipp se veut résolument positif. Il est persuadé de trouver un travail dans l’année. «Je suis motivé. Je fais une dizaine d’offres d’emploi par mois. Il faut dire que le psy que je vois toutes les deux semaines depuis quatre ans m’aide beaucoup.»

Combien et pourquoi. Les projets de Philipp se concrétiseront-ils? Responsable de l’aide sociale à Bienne, Béatrice Reusser constate: «Un des facteurs de risque est le manque de formation professionnelle: c’est le cas de 45% des bénéficiaires. Après chaque crise économique, nous assistons à une hausse du nombre d’habitants qui n’arrivent plus à intégrer le marché du travail. Et comme, à Bienne, les gens n’ont pas d’économies, ils tombent rapidement.» Pourquoi la capitale seelandaise détient-elle ce record? «Il y a un lien direct entre le nombre d’appartements vétustes et bon marché à disposition et le taux élevé d’assistance.»

D’autres facteurs expliquent ce record, comme l’a révélé une étude de l’institut de recherche Ecoplan, mandaté par le canton de Berne. Le rapport constate qu’en raison de sa proximité avec l’espace francophone, Bienne compte une forte proportion de population étrangère, dont un nombre important d’Africains, qui ont plus de difficultés à accéder au marché du travail. Ce facteur, combiné à une économie axée sur l’industrie et donc exposée aux fluctuations conjoncturelles, explique que le taux de chômage à Bienne soit plus élevé que la moyenne.

En 2012, le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale en Suisse a augmenté de 6% pour atteindre 3,1% de la population. Depuis trois ans, c’est la première fois que les chiffres ont crû. A Bienne, les étrangers représentent plus de la moitié des clients de l’aide sociale. Les familles monoparentales, quant à elles, constituent 20% des dossiers traités.

D’échec en échec. C’est le cas de Nadia, divorcée et mère de deux enfants. Cette jolie Biennoise de 39 ans au caractère bien trempé a grandi à Londres et à La Chaux-de-Fonds. A sa majorité, elle se dépêche de quitter ses parents pour venir s’installer dans la capitale seelandaise. Stage dans une crèche, travail en usine et agence temporaire jalonnent le début de sa carrière. A 20 ans déjà, l’aide sociale complète le salaire qu’elle reçoit durant son stage. Un complément qu’elle continue de recevoir lorsqu’elle trouve enfin un travail qui lui plaît: vendeuse à temps partiel.

«Au bout de deux ans, j’ai trouvé un deuxième job, deux soirs par semaine dans un bar.  Je me suis également lancée dans une formation de secrétariat en cours d’emploi durant trois ans.» Son diplôme en poche, elle fait un remplacement à la Confédération, puis elle est engagée au secrétariat du Parti radical. Le poste lui déplaît. Malheureuse, elle s’offre des vacances en Thaïlande et en revient enceinte. Elle sera licenciée un jour après la fin de son congé maternité.

Sans travail, ni contact avec sa famille, elle tente le tout pour le tout. «J’avais une famille à réunir. J’ai pris mon 2e pilier et mon fils et suis partie m’installer en Thaïlande, où je me suis mariée avec le père de mon bébé, un Thaïlandais.»

Les choses tournent mal. Son mari la bat. Au bout de deux ans, c’est le retour en Suisse. «Les services sociaux m’ont aidée. Mais comme je ne trouvais pas de crèche ni de maman de jour, trois places de travail me sont passées sous le nez. De plus, je ne voulais pas travailler à plus de 50 ou 60%. Mon enfant était prioritaire.»

Après un stage de six mois à l’Armée du salut, elle cherche à suivre une formation dans le social. «J’ai abandonné mes projets, car je suis tombée enceinte de mon deuxième enfant, d’un autre homme. Nous ne vivons pas ensemble.»

Jugements et incompréhension. Aujourd’hui, Nadia souhaiterait reprendre un emploi à mi-temps. «Je vais vers le mieux. Il y a une année, je sortais de dépression.» Elle regrette le manque de compréhension de son entourage. «J’ai l’impression de devoir rendre des comptes. Un jour, alors que je payais la tournée, une personne m’a dit: “Tu nous invites avec nos impôts!” D’autres m’ont dit que j’étais payée à ne rien faire. Je me suis beaucoup désocialisée pour me protéger de ces remarques.»

Bien sûr, la jeune femme comprend certaines réactions. «Mais les gens sont mal informés. Ce n’est pas facile de vivre ainsi. Je dois tout calculer. Tous les jours, j’épluche les publicités pour les actions. Chaque mois, les gens comme moi doivent amener le détail de leur compte en banque. Je comprends que l’on doive montrer les entrées, mais devoir exposer les sorties, c’est très intrusif.»
La Biennoise déplore d’autres règles. «Si je pars plus de deux jours, je dois faire une demande pour expliquer où je vais, avec qui, le coût du voyage et les raisons.» Pourquoi tout dire? «L’assistante sociale m’a expliqué que des inspecteurs ont été engagés pour surveiller les gens.»

«Je me sentais épiée.» C’est justement pour ne plus subir tous ces contrôles que Nicole*, une Africaine de 42 ans, a décidé de ne plus toucher l’aide sociale, quitte à se serrer la ceinture. Cette mère de quatre enfants – bientôt hors du nid – préfère se débrouiller avec un poste à 40% dans les nettoyages, complété par des heures supplémentaires.

«Auparavant, j’ai travaillé trois ans dans la restauration. Mon employeur a fait faillite et je me suis retrouvée au chômage.» C’est une modeste rente de veuve – elle a épousé un Suisse dont elle s’est séparée – qui lui a permis de faire le pas.

«Les assistants sociaux sont sympas, mais je me sentais épiée. Ils me poussaient à trouver un travail à temps complet, ce qui n’est pas facile. De plus, ne pas être libre de voyager et avoir de fréquents entretiens me gênait. J’ai même reçu une lettre qui m’annonçait le contrôle de mon domicile.»

Certaines questions posées à une autre Africaine à l’aide sociale la laissent songeuse. «La responsable de son dossier lui a demandé avec quel argent elle s’était payé une paire de souliers qu’elle estimait coûter 80 francs, et si elle se prostituait.» Nicole le reconnaît: certains compatriotes préfèrent ne pas travailler et toucher l’aide sociale. «S’ils avaient un emploi, ils n’auraient pas plus à la fin du mois, alors ils ne sont pas motivés.»

Traque aux tricheurs. Débusquer les abus, c’est une des innombrables tâches des collaborateurs de l’aide sociale de Bienne. Les assistants sociaux sont plus ou moins motivés. Il faut dire qu’ils croulent sous les dossiers et les tâches administratives.  Outre la police, les services des impôts et de l’AVS, un autre moyen de renseignements est efficace: Facebook.

Béatrice Reusser explique que certains bénéficiaires leur facilitent la tâche: «Récemment, une de nos clientes y a posté des photos de son mariage au Restaurant du Lac. Nous allons lui demander comment elle a pu se payer une fête dans un tel endroit. Si son mari peut la soutenir, nous n’allons plus le faire.» La Biennoise s’étonne de la naïveté de certaines personnes. «Les gens sont idiots, ils mettent tout sur Facebook. Cela dit, nous travaillons sur une base de confiance avec nos clients. La plupart se comportent bien.»

D’autres renseignements parviennent à l’aide sociale par le biais de dénonciations (par exemple des voisins perspicaces ou un ex-conjoint qui a soif de vengeance). Certains font l’objet d’une enquête. Lesquels? «Ceux pour qui nous avons tout essayé, ou ceux qui ont toujours de bonnes excuses pour ne pas travailler et que nous soupçonnons d’avoir une activité au noir.»
Dans le canton de Berne, une nouvelle association assure des inspections sociales sur tout le territoire cantonal. Cinq collaborateurs ont été engagés, dont une inspectrice qui travaille de 60 à 80% à Bienne. «Une de ses tâches consiste à vérifier le nombre de personnes qui vivent dans un appartement. Des couples, qui disent s’être séparés, n’occupent qu’un logement et sous-louent le deuxième.» Les sanctions? Une soustraction de 15% du forfait alloué pour l’entretien du ménage (voir tableau), cela pour une durée maximale de douze mois.

Travail au noir. A écouter certains bénéficiaires de l’aide sociale, les tricheurs ont encore de beaux jours devant eux. Ceux qui veulent rester discrets sur l’état de leurs finances ont la tâche facile:  il leur suffit de posséder un deuxième compte, dans un autre canton, voire dans une autre ville que Bienne et en évitant les grandes banques.  L’argent déposé à l’étranger? Une chimère pour en retrouver la trace.

Assis sur un banc du parc Heuer – lieu de rendez-vous au centre de la ville de beaucoup de toxicodépendants et d’alcooliques – Charles* rigole bien lorsqu’il entend parler de l’inspectrice engagée par Bienne. Bouteille de vodka à la main, il commente: «Il en faudrait vraiment beaucoup, des inspecteurs, pour que cela devienne un problème. J’ai plein de potes qui travaillent au black dans la restauration ou dans certains magasins, pour les femmes. D’autres font dans la prostitution ou le trafic de drogue.»

A 44 ans, il prétend avoir toujours travaillé comme maçon, au noir, tout en touchant l’aide sociale. «Avant mes problèmes de santé, je maçonnais et coffrais au mètre. Je ne me suis jamais fait coincer. Il n’y a pas de 13e salaire ni de gratification, mais on ne paie pas d’impôts.» Et il n’a jamais eu mauvaise conscience? Regard sidéré par une question aussi idiote. «Je m’en tape complètement, de la société et de ceux qui paient! Ils ne valent d’ailleurs pas grand-chose.»

Charles raconte que beaucoup de couples prétendent ne pas être ensemble, car deux personnes seules touchent plus d’argent qu’un couple. Le «gain» est de 230 francs mensuels par individu. Une aberration du système qui fait que la ville paie souvent des appartements en trop.

Un autre bénéficiaire raconte le business parallèle pour s’en sortir quand l’argent ne suffit pas pour les besoins d’une famille. «On peut acheter toutes sortes de marchandises à ceux qui volent dans les magasins. Téléphones, parfums, nourriture. On peut trouver le kilo de filet mignon à 10 francs, par exemple. Certains donnent leur liste de courses à faire...»

Honnêteté sanctionnée. Travail au noir, trafic, achat de marchandises volées, Alain, 49 ans, refuse d’entrer dans ce genre de combines. Cela fait dix-huit mois qu’il est à l’aide sociale. Le résumé de son histoire? Une formation de maçon et des années à travailler dans le bâtiment, toujours comme temporaire. Le nombre de missions qui diminue avec l’âge et une reconversion comme représentant. Un emploi dans une petite entreprise, un retrait de permis pour alcool au volant, une bagarre avec un supérieur et c’est le chômage durant deux ans.

Alain le reconnaît: «J’ai fait de mauvais choix et j’ai un fichu caractère.» Les jours de chômage passent très vite. «J’ai envoyé 120 ou 130 postulations et passé deux entretiens. Sans résultats.» L’angoisse de finir «au social» augmente et avec elle s’installe la dépression, des problèmes d’alcool et de santé. «J’ai du diabète et de la difficulté à respirer.»

Sanctionné pour avoir pris trois semaines de vacances en Afrique avec sa mère – c’est elle qui a tout payé – Alain en a gros sur le cœur. «J’ai été honnête, j’ai dit que je partais. J’en avais besoin, j’étais au fond du trou. Maintenant, ils m’enlèvent 246 francs par mois, jusqu’au remboursement du prix du voyage. Ils estiment que j’aurais dû utiliser cet argent pour mon entretien.»
Cette sanction ne le décourage pas de prendre part à un programme d’occupation. «Cela donnera un rythme à mes journées. D’habitude, je ne me lève pas avant 14 ou 15 heures. Je ne fais pas grand-chose de mes journées. La volonté me manque depuis que je suis au social. Et ce genre de petit boulot, c’est bon pour l’estime de soi. Je dois m’aider moi-même, c’est la seule façon de m’en sortir.»

Sa nouvelle occupation de quelques heures par jour lui servira-t-elle de tremplin? A voir. Didier, attachant père de famille qui a intégré un programme de distribution de méthadone, avait lui-même demandé à participer à un programme de réinsertion. Car cela fait deux ans qu’il rêve de trouver un emploi. N’importe lequel. Il aimerait de nouveau se sentir valorisé, ne plus entendre ses enfants, des adolescents qui réussissent bien dans la vie, lui dire qu’il n’a pas envie de travailler.

Efficace, le programme de réinsertion? «Pas vraiment. Au début, j’étais motivé. Mais, au fil du temps, je l’étais de moins en moins. Des jours, il n’y avait rien à faire, il y avait de quoi devenir fou. Alors je lisais le journal pendant huit heures.»

Didier se dit jaloux des gens qui travaillent.«A 42 ans, avec mon CV qui tient sur une page et mon étiquette “au social”, pour les agences temporaires, je suis déjà un problème. Alors, quand j’entends un jeune qui dit que ça le fait ch... de travailler, je lui dis qu’il a beaucoup de chance. Moi, je m’ennuie à ne rien faire. Et qu’est-ce que je fais lorsque je m’ennuie? Je sors. Et qu’est-ce que je vois? Plein de gens qui sniffent et consomment de la drogue. J’essaie de résister. Et puis je me dit zut! et je craque.»

Des limites. Cela peut arriver à tout le monde. Voilà une phrase souvent prononcée. Difficile de juger de sa pertinence. Seule certitude: il suffit parfois de peu pour qu’une personne dévale la pente, ne rebondisse pas et tombe dans l’engrenage de la dépression, de la maladie, voire de l’alcool, ou des trois en même temps. Lutter devient alors difficile.

D’autant que les assistants sociaux sont débordés et n’ont pas le temps de s’intéresser aux états d’âme de leurs clients qu’ils voient à peine deux fois par année, comme le raconte une ancienne collaboratrice. «Les gens sont dans des situations de vie tellement compliquées. Il faudrait avoir beaucoup plus de temps à leur consacrer.»

Au lieu de cela, seule la paperasse compte et tout est minuté. «Lorsque les gens pleuraient, je m’énervais, car je savais que d’autres attendaient leur tour dehors. C’est terrible d’en arriver là. Ou l’assistante sociale souffre avec les gens ou elle dit que le système a raison et c’est quand même leur faute s’ils en sont arrivés là. Moi, j’ai démissionné.»

* Prénoms connus de la rédaction


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Transnistrie: république du père Ubu

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:48

Texte: Alexander Smoltczyk
Photos: Nicolas Righetti, rezo

Comme nul n’a entendu parler de sa patrie qui n’est reconnue par personne, hormis l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, Evgueni Ouchinine s’est mis à apprendre les langues: le japonais, le portugais, le flamand et l’italien, sans parler du grec de Chypre, du turc et de l’arabe. Le roumain, le russe et l’allemand, il s’en souvenait du temps de l’école. Parfois, il entonne des chansons à boire japonaises et bulgares à la bibliothèque municipale en s’accompagnant à la guitare, parfois il traduit des mangas en russe. Mais sa patrie demeure désespérément inconnue: «Mes amis japonais confondent la Moldavie avec les Maldives.»

La Transnistrie ne mesure que quelques kilomètres de large. Coincée entre l’Ukraine et la Moldavie, elle ressemble à un lombric sur la carte. Etre Transnistrien est un défi quotidien. Avec sa compagne, la poétesse Viktoria Piletskaïa, le linguiste Evgueni Ouchinine constitue l’essentiel de l’intelligentsia de Tiraspol, la capitale la moins connue d’Europe. Avec ses 4163 kilomètres carrés (moins que le canton du Valais) et son demi-million d’habitants composé de Moldaves, d’Ukrainiens et de Russes qui se sentent surtout Soviétiques, le pays de la rive gauche du Dniestr a sa propre armée, sa Constitution, son hymne national et… un orchestre symphonique à la réputation enviable.

Le brandy est son premier produit d’exportation, en plus des câbles, des armes et surtout de sa main-d’œuvre. A la forteresse de Bender, au-dessus du Dniestr, se trouve le monument le plus visité du pays, dédié au baron de Münchhausen: c’est ici, paraît-il, que le mercenaire allemand se serait envolé à califourchon sur un boulet de canon. Qui sait? Dans ce pays délirant, tout est possible.

La capitale, Tiraspol, n’est pas misérable, les bus y circulent à l’heure, les caniveaux de la rue Gagarine sont proprets. Non loin du Club 19 se trouve le «quartier diplomatique» de Tiraspol, un étage peint en vert avec deux drapeaux à la fenêtre, ceux des républiques d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, elles aussi devenues indépendantes au terme de combats héroïques et tout aussi tentées que la Transnistrie de rejoindre le giron russe.

La Transnistrie existe – si l’on peut dire – depuis 1989, quand la république soviétique de Moldavie a supprimé le russe comme langue administrative pour le remplacer par le moldave. Un an plus tard, la Moldavie s’est déclarée indépendante, mais la partie orientale du pays, essentiellement russophone, voulait retourner au sein de l’URSS. Alors la 14e armée russe est intervenue. Depuis que la Crimée a retrouvé le giron de la Russie, l’espoir se fait jour qu’il pourrait en aller de même pour la Transnistrie. «Peut-être la Russie nous reconnaîtra-t-elle bientôt. Nous deviendrions une exclave russe comme Kaliningrad», imagine Oleg Chorschan, 37 ans, président du Comité central du Parti communiste local.

Dévotion à Poutine
La Transnistrie est le seul pays d’Europe à avoir conservé la faucille et le marteau en haut à gauche de son drapeau. Les services secrets s’appellent toujours KGB et le Parlement est le Soviet suprême, annoncé par une puissante statue de Lénine en granit. Mais pour Oleg Chorschan, assis sous un portrait de Staline et dont la sonnerie du téléphone reproduit l’hymne national soviétique, il est faux de parler d’une survivance de l’URSS: «Ce pays honore certes son histoire, mais il a autorisé des éléments capitalistes. C’est une forme mixte, comme on en voit aussi en Chine et en Biélorussie», les deux Etats qu’il érige en idéal.

Le Parti communiste est petit mais, avec son unique siège au Parlement, il appuie à 100% le gouvernement, tout comme deux autres partis du pays, Renouveau et Percée, qui rivalisent de dévotion pour Poutine. Aucun parti n’est opposé au divorce d’avec la Moldavie. En février, le président du Parlement a écrit une lettre à la Douma à Moscou, rappelant que le petit pays entendait toujours être accueilli au sein de la Fédération de Russie. Car si la Russie livre depuis des années son gaz à la Transnistrie, complète les pensions des retraités et n’a jamais retiré sa garnison de 2000 soldats, elle préfère laisser la situation dans le flou.

La ministre des Affaires étrangères de Transnistrie, Nina Chtanski, 37 ans, est un hybride de Monica Bellucci et de Sarah Palin. Vu que le pays est dépourvu d’à peu près toute relation diplomatique, difficile d’imaginer que son agenda déborde. Pourtant, malgré nos efforts répétés, son secrétariat invente jour après jour des excuses pour refuser tout entretien. Un soir, en revanche, un jeune homme musculeux attend avec sa limousine devant le monument aux morts en forme de char d’assaut russe T-40 de Tiraspol. Il dit s’appeler Alexander et vouloir parler. «Non, pas au café, plutôt dans la voiture.» Il travaillerait aux douanes et en connaîtrait un rayon. «Demandez toujours, certaines informations sont gratuites, d’autres non.»

Deux heures durant, Alexander tourne en rond dans le centre-ville désert de la capitale, entre le théâtre national et l’université et jusqu’à la distillerie de brandy Kvint. Il tresse des louanges à l’Etat pour ses accomplissements mais, jusqu’au bout, reste dans le vague quant à ses intentions. Au fond, qu’est-ce que c’était que ce bouton qu’il portait au revers de sa veste de cuir?

Le KGB passe pour l’institution qui fonctionne le mieux dans le pays, aussi nul n’a jugé utile d’en changer le nom. La presse est sous contrôle étroit, on espionne par-ci, on écoute par-là, on intimide et on menace. Le populaire Forum PMR sur l’internet a été bouclé, le seul bureau de journalistes indépendant aussi. L’autre institution qui fonctionne à merveille dans le pays se nomme Sheriff. C’est un groupe diversifié fondé par deux anciens policiers qui marche à fond de train. Un réseau de stations d’essence, une fabrique de caviar, une boulangerie industrielle et une chaîne de grands magasins s’appellent Sheriff. L’hôtel Rossija en fait partie, de même que la distillerie Kvint, le concessionnaire Mercedes, la radio Inter FM, le seul fournisseur d’accès Internet et le club de football Tiraspol.

Galipette toujours de saison
Nul ne semble voir un inconvénient à ce qu’une bonne partie des moyens de production nationaux soient passés de l’Etat aux mains d’oligarques. Le parti Renouveau est le bras politique de l’empire et, en la personne d’Igor Smirnov, il occupait la présidence du pays jusqu’en 2011.

Une rutilante Mercedes 500 bloque le trottoir de la rue Sverdlov. Elle appartient à Oleg Pankov, un ancien colonel en Afghanistan qui, après l’implosion de l’Union soviétique, a fait de l’argent avec des sex-toys. Son magasin «Intim» ressemble à une boutique de ferme sauf qu’en lieu et place de carottes et de maïs ce sont des vulves artificielles et des phallus grands comme des missiles qui trônent en vitrine.

«La Transnistrie n’est pas un pays riche, mais la galipette est toujours de saison», philosophe Pankov qui, en signe de bonne volonté, nous tend une pilule de «Seks President» tirée d’une boîte à l’effigie de Bill Clinton. Puis il ouvre une porte basse derrière le comptoir. «Entrez, je vous montre quelque chose.» L’arrière-boutique est tapissée jusqu’au plafond de drapeaux soviétiques, de toiles brodées «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!» et de bustes de Lénine: un reliquaire à la gloire de l’empire soviétique, à quelques centimètres des philtres d’amour «Hot Lady». «Mes affaires sont là-bas, mon âme est ici», dit-il en se frappant la poitrine.

En sortant de Tiraspol, on roule de vergers de pommiers en vignes fraîchement taillées. La frontière avec la Moldavie est invisible: pas de mur, pas de grillage, seulement le Dniestr et, de-ci de-là, un poste de contrôle décati. Des deux côtés du fleuve, on parle moldave, c’est-à-dire roumain, mais en Transnistrie on l’écrit en cyrillique. Le Dniestr décrit ici des méandres et des villages moldaves sont exclavés du côté transnistrien. On arrive au Poste N° 6, un des postes de douane les plus absurdes du continent. Deux Moldaves, deux Transnistriens et trois Russes y vivent dans la même baraque, soldats dans trois armées différentes. La structure fait partie de la Mission de l’OSCE pour la Moldavie.

En vingt ans de cohabitation, il n’y a eu qu’un seul incident mortel à la frontière: la nuit de Nouvel An 2012, une jeune Moldave avait franchi une barrière pour se réapprovisionner en gnôle. L’affaire avait mobilisé pour de longs mois la Commission de contrôle commune où siègent l’OSCE, la Russie, l’Ukraine, l’UE et les Etats-Unis.

© DER SPIEGEL traduction et adaptation gian pozzy


Nicolas righetti

Le photographe, né à Genève, est membre de l’agence Rezo.ch depuis 2001. Ses voyages à travers le monde, notamment en Asie, éveillent en lui un intérêt croissant pour les figures politiques mégalomanes et totalitaires. Son travail lui vaut de toucher plusieurs prix, dont un Swiss Press Photo et un World Press Photo.

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Comment le simili a tanné le cuir

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:49

Zoom. Matière bon marché et futuriste, le similicuir sort des étalages de la grande distribution pour arriver dans les vestiaires des grandes maisons de prêt-à-porter.

– Wouah, il est beau votre sac, c’est quoi? Givenchy? Prada?
– Non, Madame, c’est Zara.
– Aaah…
Si vous êtes Zaraphile, cette scène vous est familière. C’est un de ces moments de gloire où vous, la modeuse fauchée, déclenchez la convoitise d’une nantie grâce à votre sac à main en similicuir. Il faut dire que le faux leather n’a plus rien du caoutchouc collant et puant des années 90.

Aujourd’hui, le plus beau, c’est le faux. La saison dernière, Zara créait l’hystérie de milliers de clientes en commercialisant un Perfecto en simili subtilement grainé. Rupture de stock dans le monde entier: la veste en question coûtait moins de 150 francs. En vrai cuir, elle aurait démarré à 400. Surprise: le luxe s’y met aussi. On croyait pourtant les grandes marques allergiques aux imitations, synonymes de vulgarité. Vieille histoire.

Plusieurs gammes
Sur les podiums, le similicuir profite de la tendance sportive et high-tech qui envahit la mode féminine depuis quelques saisons. On le retrouve sur les Perfecto Junya Watanabe, les trenchs Burberry, les pulls Saint Laurent, les T-shirts Givenchy ou encore les accessoires Prada. Exit la période heritage, le luxe aux accents d’artisanat. Place au similichic, à la modernité et aux matières contemporaines.

Petite précision sémantique: sachez que parler de similicuir dans le milieu du luxe est très mal vu. Sricto sensu, ce terme désigne les enductions de PVC créées dans les années 50 par l’industrie de l’ameublement pour répondre au boom économique de l’après-guerre. Pas très glamour. «La mode s’est approprié cette technologie dans les années 70, Courrèges en tête, pour en faire de la toile cirée, c’est-à-dire enduite d’un aspect vernis», détaille Celestino Panzeri, de la division tissu et revêtement de Limonta, grande entreprise italienne de textiles.

Version bon marché, cette toile cirée permet de dupliquer l’aspect du cuir en grande quantité et à bas prix. C’est elle que l’on retrouve chez les Zara ou H & M, non plus made in Europe, mais made in China. Il y a aussi la version luxe, celle que produit Limonta. Plus sophistiquée, elle peut s’inspirer de l’aspect du cuir, mais aussi de celui d’autres matières comme la gomme. Et, là, on ne parle plus de toile cirée mais de toile enduite. Vous suivez? Cette toile-là a fait la fortune des grandes maisons de mode dans les quarante dernières années, notamment parce qu’elle permet d’imprimer des logos sur des sacs. «Mais la demande de ces maisons pour la toile enduite a fortement augmenté ces dix dernières années», précise Celestino Panzeri.

L’argument massue de la toile enduite? Le prix, bien sûr. Tanner une vraie peau puis la travailler, c’est long et cher. La toile enduite permet d’obtenir un produit innovant et abordable. Enfin, façon de parler. Chez Marni, un sac à main en faux cuir dépasse tout de même les 1000 francs. Un peu cher, non? «Il y a une façon de dessiner et de monter le produit dont seules les grandes marques ont le secret. Et le prix reste inférieur à celui d’un produit en vrai cuir: le simili permet de faire le lien entre le luxe et le luxe accessible», répond Jérôme Bloch, responsable du studio hommes du bureau de style Nelly Rodi, à Paris.

High-tech
L’avantage décisif du cuir synthétique, c’est sa valeur ajoutée technique. Contrairement au cuir, le simili haut de gamme est un véritable caméléon. Léger et confortable, il peut être coloré, vieilli, découpé au laser ou orné de motifs sans risquer de s’abîmer. Il peut même être parfumé d’une odeur de véritable cuir. Des possibilités infinies qui attirent les grandes marques en quête constante d’innovation.

Ces développements dans le domaine de la toile enduite sont en partie liés à la raréfaction du cuir. Les peaux sont chères, produites de façon polluante. Et une peau de bête entière est nécessaire pour produire deux ou trois sacs. La matière première, c’est le nerf de la guerre. Au point que Louis Vuitton et Hermès ont acheté des cheptels entiers où tailler leurs propres peaux.

Tout le contraire de la créatrice britannique Stella McCartney, issue d’une famille végétarienne, qui bannit, pour des raisons éthiques, fourrure et cuir de sa mode «écologiquement correcte». Avec son «alter cuir» végan et ultrasophistiqué, elle reste toutefois un épiphénomène dans l’univers du prêt-à-porter de luxe. «Le jour où l’on aura un simili communicant où l’on intégrera par exemple de la fibre optique, il pourrait remplacer la vraie peau. La valeur ajoutée technique est la seule façon de différencier cette matière sur le long terme», conclut Jérôme Bloch. Et, ce jour-là, le simili aura définitivement tanné le cuir.

severine.saas@hebdo.ch
Twitter: @sevsaas

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Lausanne-Amsterdam en voiture électrique

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:50

Testé pour vous. Parcourir de longues distances en roulant à l’électron est désormais possible, sans (trop) d’encombre. Expérience en Tesla Model S, au gré des superchargeurs installés par la marque californienne en Europe.

Il paraît que la première automobile qui est entrée en Suisse, à la fin du XIXe siècle, était une Peugeot venant de Franche-Comté. Comme elle s’est trouvée à court de carburant vers La Chaux-de-Fonds, son conducteur a été contraint d’aller acheter un grand flacon de gazoline chez un pharmacien de la région. A l’époque, les relais routiers étaient plus portés sur le foin que l’hydrocarbure. Le concept des stations-service était encore dans l’éther.

Cette histoire me revient en tête alors que je me parque devant la rédaction de L’Hebdo en ce mardi 15 avril. La voiture que je conduis, et dans laquelle a embarqué toute ma petite famille (deux adultes, deux enfants), est une Tesla Model S 85 kWh, une berline 100% électrique. La jeune marque américaine est en train d’installer des bornes de recharge ultrarapide en Europe (voir L’Hebdo No 5). Ces stations ouvrent sur des aires d’autoroute pour encourager les possesseurs de Tesla à parcourir de longues distances, au contraire des autres véhicules électriques à l’autonomie limitée, surtout cantonnées à l’environnement urbain.

Il n’existe pour l’heure qu’une quinzaine de stations de superchargeurs Tesla en Europe, dont une en Suisse, à Lully, dans la Broye fribourgeoise. Comme quatre de ces stations ont ouvert en Allemagne, et deux aux Pays-Bas, la marque de la Silicon Valley assure que le trajet Genève-Amsterdam peut désormais être parcouru facilement en Model S. Une affirmation encore théorique que L’Hebdo a voulu mettre en pratique, même si le conducteur se sent, à l’instant présent, un peu dans la peau du conducteur de la Peugeot il y a plus d’un siècle.

Imprévu
Départ de la rédaction à 9 h 30 du matin en cette splendide journée. Tesla assure que le rayon d’action de son unique modèle est de 500 km. C’est une évaluation elle aussi théorique, correspondant à des conditions de roulage idéales à une vitesse moyenne de 88 km/h. Dans le monde réel, cette autonomie est plutôt de 400 km. Pas de quoi se plaindre: c’est le double de la portée des autres voitures électriques. Expérience faite, sur autoroute, à une vitesse moyenne de 120 km/h, avec la climatisation, la radio, l’internet, le GPS ou un téléphone anémique sous perfusion d’électrons, bref presque comme dans la vie de tous les jours, le vrai rayon d’action descend à un peu plus de 300 km.

Je vais un peu vite en besogne, surtout que je roule à 100 km/h sur l’A1 vers la station de Lully. Prise en charge à Genève, où ouvrira bientôt un centre Tesla, la lourde berline a quitté Lausanne avec 300 km d’autonomie. Bien heureusement, les superchargeurs de la Broye ne sont qu’à 60 km. La fameuse «range anxiety» (trouille de l’autonomie) propre aux conducteurs de voitures électriques n’est que relative. Sur place, six bornes de recharge m’attendent. Elles ont une puissance de 120 kW en courant continu, dix fois plus que les autres types de stations électriques. De quoi remplir à 50% la batterie en 20 minutes, et à 80% en moins d’une heure. Effectivement, 50 minutes plus tard, la voiture affiche 400 km d’autonomie. Le temps de brancher en un tour de main le câble de la borne à la prise de la Tesla, cachée derrière une trappe sur le flanc gauche, vers la poupe.

Zéro franc
Comme le service est gratuit dans toutes les stations de Tesla, et qu’il n’y a pas de péages autoroutiers en Allemagne ou aux Pays-Bas, le trajet lui-même reviendra à 0 franc.

Au départ de Lully, après pourtant un petit-déjeuner paisible, la «range anxiety» me saisit d’un coup. Sur l’autoroute la plus directe vers Amsterdam, la prochaine borne est en Allemagne, à Bad Rappenau. A 415 km! Il y en a bien une à 360 km à Aichstetten, du côté de Munich, mais cela occasionne un long détour. La belle assertion de Tesla, Genève-Amsterdam les doigts dans le nez, commence à se fragiliser. Or la voiture est équipée d’un écran tactile de 17 pouces, branché en permanence sur internet. Un tour sur le site Chargemap pour repérer une borne de Type 2 à Bâle, dans un garage Renault. Un coup de téléphone au garage pour s’assurer que la prise est disponible: elle l’est. La borne est beaucoup moins puissante qu’un superchargeur, mais suffit à ajouter 100 bons kilomètres à la voiture en une heure à peine. Une heure consacrée au repas de midi: il en va ainsi du rythme de la conduite au long cours dans ce nouveau monde rechargeable. Le trajet est marqué de pauses obligatoires, plus longues qu’à l’accoutumée, mises à profit pour se reposer ou travailler. C’est du «slow travel» économe en énergie et en stress, et enrichi en qualité de vie.

Coup de sang
L’habitacle sans nuisance sonore facilite le sommeil des enfants, on parle sans élever la voix, la musique s’écoute à faible volume. Rouler à 110 km/h sur autoroute n’est certes pas véloce, mais l’allure est plus rapide que celles des innombrables poids lourds et on s’y habitue vite. Si la Tesla Model S est capable de rouler à 200 km/h, le conducteur est peu tenté de chatouiller cet extrême sur une autoroute allemande, tant l’autonomie de la voiture en prendrait un coup. La vitesse idéale pour économiser les batteries sur autoroute oscille autour des 115 km/h. A 120 km/h et plus, l’électrolyte commence à s’épuiser bien plus rapidement. Alors même que la différence en temps de trajet n’est pas si importante.

J’ai été klaxonné une fois du côté de Baden-Baden, par un conducteur d’Opel Astra ganz énervé par mon train placide. Quelques kilomètres plus loin, un grand panneau autoroutier conseillait «Runter vom Gas!» (doucement les gaz). Effectivement. Dans la voiture, personne ne prête attention au coup de sang du type à l’Opel. Chacun est absorbé par l’écran d’un appareil lui aussi rechargeable. Sauf le conducteur bien sûr, qui, lui, ne recharge que sa cigarette électronique sur le système de bord. L’ère du plug-in, tout de même…

Cinquante minutes d’arrêt à Bad Rappenau, dans l’après-midi. Puis 250 km plus loin, une bonne heure à Wilnsdorf, où une autre Tesla rouge, celle d’un habitant de la région, s’abreuve en courant continu à la station de recharge. Repas du soir et départ pour la frontière néerlandaise. A minuit pile, une petite halte de 15 minutes aux bornes Tesla de Zevenaar, à 100 km du but, pour être sûr d’atteindre Amsterdam. L’hôtel est en vue à 1 heure du matin, après 1066 kilomètres jalonnés de cinq arrêts pour redoper les batteries au lithium-ion.

Quinze heures et demie de route au total, certes pas un record de vitesse, mais dans des conditions de conduite sécurisantes, peu fatigantes. Energie totale consommée: 225 kWh. Voyager sur longue distance en voiture électrique est désormais possible, même s’il faut parfois encore improviser pour trouver un branchement. Ce ne sera plus longtemps le cas: après les Etats-Unis, Tesla installe à bon rythme ses superchargeurs un peu partout en Europe. Une station devrait ouvrir au Tessin, et une autre sur la route en direction de l’Engadine depuis Zurich.

Le lendemain matin, je suis allé remettre la Tesla au magasin de la marque dans le centre d’Amsterdam, non loin du Rijksmuseum. Je l’ai laissée là, sur une place pourvue d’une borne de recharge, comme la ville néerlandaise en compte désormais tant. Le retour s’est déroulé avec un avion low cost, en sifflant des hectolitres de kérosène. Mais en une heure dix.

lucdebraine@hebdo.ch
Twitter: @LucDebraine

 

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Luc Debraine
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Au secours! Les sexes-symboles aussi tombent enceintes

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:51

Décodage.La grossesse de Scarlett Johansson jette un froid dans son fan-club d’admirateurs mâles. Réussira-t-elle comme Angelina Jolie, Sophia Loren ou Marlène Dietrich à ce que la mère n’efface pas la bombe hollywoodienne?

Caramba, la fille la plus sexy du monde est enceinte! Scarlett Johansson, 29 ans, cette blonde aux courbes affriolantes, aux seins enjôleurs et aux fesses dignes des calendriers Pirelli des meilleures années, cette habituée du haut de tous les classements des lecteurs de FHM et des sites people du monde entier, attend un enfant pour le mois d’août. Son petit bidon se fait encore discret, mais c’est un fait: lors de la conférence de presse de promotion de Captain America, dans lequel elle joue Black Widow version agent secret russe, sexy et coriace, le réalisateur Chris Evans a dévoilé la nouvelle qui tenait le monde en haleine depuis la cérémonie des césars le 28 février dernier: la Parisienne d’adoption, la révélation de Sofia Coppola, la muse de Woody Allen, la chérie du publicitaire français Romain Dauriac, attend un heureux événement avant même d’être passée par la case mariage.

La nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre dans la population mâle de son immense fan-club universel. Notre pin-up adorée, notre star glamour, notre sexe-symbole préféré, le chouchou de nos fantasmes diurnes et nocturnes en train de changer des langes? Les seins de Scarlett en tire-lait pour nourrisson? Scarlett au parc avec le papa le dimanche matin? De pin-up à MILF en neuf mois? Difficile à avaler. Clairement, de quoi casser l’image glamour et mystérieuse qu’elle a mis des années à construire. Car on a beau dire, et toutes les leçons de morale féministe n’y pourront rien changer: il y a un monde qui sépare l’imagerie de la femme libre, disponible, sexy, apprêtée, faite pour l’amour et le plaisir des yeux, et plus si entente, de celle de la mère de famille clairement indisponible, maternante et non plus offerte, rappelant que la sexualité mène à la maternité et pas seulement au plaisir.

On a beau dire, les discours actuels sur les femmes mères-et-pourtant-sexy ne sont que le reflet du politiquement correct en cours dans le monde occidental. Ne croyez pas les hommes qui disent qu’ils trouvent sexy les femmes enceintes. Imaginez-vous seulement Dita von Teese ou Marilyn en cloque? Les auriez-vous mises en poster dans votre chambre d’adolescent avec leur ventre proéminent? Les mettriez-vous en fond d’écran sur votre ordinateur? Que nenni. Hypocrite lecteur – mon semblable –, mon frère, ne prétends pas que ce contre-emploi grossier te plairait sincèrement.

L’aura glamour
La déchéance a commencé au moment où les stars, pour se faire aimer du public friand de familiarités, se sont mises à poser avec leur progéniture. Fini la star inaccessible, bonjour les actrices dans leur cuisine ou en pleine séance de yoga. Bye le mystère de la beauté fatale. Le comble a été atteint lorsque les actrices (et autres people du look) se sont mises à poser enceintes et nues. Il faudrait intenter un procès à Demi Moore qui, en août 1991, à la une de Vanity Fair, a lancé une mode que toutes les semi-stars enceintes ont cru bon de suivre, effrayant durablement les hommes à la libido normalement constituée. Que Britney Spears (Harper’s Bazaar, août 2006) ou Estelle Lefébure (ELLE France, novembre 2010) s’y prêtent, normal: elles ont toujours joué sur l’aspect girl next door de leur personnalité. Mais Monica Bellucci (Vanity Fair Italy, mai 2010)? Où Doutzen Kroes, mannequin star de Victoria’s Secret, la lingerie la plus allumeuse qui soit, qui vient de nous dévoiler sa deuxième grossesse sur Instagram?

Des sexes-symboles enceintes, il y en a eu. Peu ont réussi le pari de redevenir des stars à l’aura glamour intacte. Marlène Dietrich a donné naissance en 1924 à sa fille unique, Maria Riva. Des photos de Marlène, même dans les années 20 ou 30, il y en a des milliers. Des photos de Marlène et de sa fille, il y en a quelques dizaines, des photos de Marlène enceinte, ça n’existe pas. Idem pour Brigitte Bardot, qui a fait fantasmer des millions de mâles. Outre Marlène Dietrich, il existe deux exemples de stars qui, post-bébé, ont gardé absolument leur statut de machine à fantasmes glamour: je veux parler de Sophia Loren et, évidemment, d’Angelina Jolie. Angelina «Lara Croft» Jolie, à la tête d’une véritable tribu à la Joséphine Baker, mère de trois enfants biologiques. Une recette: garder la ligne, ne pas sourire devant les photographes et, surtout, interpréter au cinéma des superhéroïnes flirtant avec le pouvoir, l’indépendance, la révolte – Maléfique, Salt 2 ou Cleopatra pour ne prendre que trois des films annoncés pour Angelina.

Au panthéon
«Malgré» deux fils, Carlo né en 1968, et Eduardo, né en 1973, l’Italienne Sophia Loren n’a jamais quitté le panthéon des femmes les plus désirables du monde, restant même une septuagénaire absolument compétitive. En juillet 2006, elle pose même pour la 33e édition du calendrier Pirelli et devient ainsi, à 71 ans, le modèle le plus âgé ayant posé pour le label italien. Une recette? Ne jamais poser pour les photographes sans un décolleté plongeant, affolant pour n’importe quel regard masculin. Bref, en faire des tonnes pour que le message passe bien: une paire de seins, lorsqu’on est actrice, c’est avant tout fait pour le bon plaisir des yeux des spectateurs. Si parfois un bébé s’y est accroché, c’est purement accidentel.

Pour Scarlett, hélas, il semble qu’elle ait trop lu Balzac. La femme de 30 ans qu’elle se prépare à devenir souhaite qu’on la regarde différemment désormais. Dans une interview au Wall Street Journal, miss Johansson explique qu’elle ne veut plus être un sexe-symbole, mais qu’au contraire, elle réfléchit désormais à «l’organisation de sa vie de future maman». J’en connais déjà trois qui ont enlevé Scarlett de leur fond d’écran. Que le premier qui n’a pas imaginé faire pareil leur jette la pierre.

isabelle.falconnier@hebdo.ch 
Twitter: @IsaFalconnier

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Joschka Fischer: "... Je ne comprends pas que la Suisse se laisse prendre en otage par l'égomanie d'un vieux monsieur..."

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:52

Interview.L’ancien ministre allemand attend de l’Europe qu’elle poursuive au plus vite son intégration politique, qu’elle se montre dure envers Poutine dans le cadre de la crise ukrainienne. Et il revient sur le vote du 9 février.

Alain Jeannet et Michel Guillaume

Il reçoit L’Hebdo dans un bureau cossu, en plein centre de Berlin, qui sert aussi d’antenne allemande d’Albright Stonebridge Group, l’entreprise de conseil de l’ancienne cheffe des Affaires étrangères des Etats-Unis, Madeleine Albright. Joschka Fischer ne regrette pas un instant d’avoir quitté définitivement la scène politique après avoir officié durant huit ans (1998-2005) comme vice-chancelier au sein des deux cabinets du social-démocrate Gerhard Schröder. Il y a marqué de son empreinte la politique étrangère allemande en soutenant une intervention militaro-humanitaire dans les Balkans et en Afghanistan.

Plus que l’écologie, c’est désormais le destin de l’Europe qui passionne Joschka Fischer. Dans le cadre d’un prochain livre consacré à l’Etat fédéral que pourrait devenir l’UE, il a beaucoup étudié l’histoire helvétique, notamment la période de la création de la Suisse moderne de 1848. Et il sera l’un des orateurs vedettes du Forum des 100 que L’Hebdo organise le 15 mai.

Joschka Fischer, quels rapports entretenez-vous encore avec Gerhard Schröder?
Je l’ai vu récemment à l’occasion de son 70e anniversaire. Mais nous ne sommes pas mariés.

Vos avis divergent totalement à propos de la Russie. Gerhard Schröder s’étonne que les Européens soient incapables de comprendre ce pays. Ne le pouvez-vous vraiment pas, Joschka Fischer?
J’essaie de comprendre la Russie, mais comprendre ne signifie pas approuver. Vladimir Poutine a commis une énorme erreur sur la Crimée et l’Ukraine. Il surestime la Russie. Ce pays n’a plus la capacité de redevenir une puissance mondiale, à moins qu’il n’entreprenne une vraie modernisation. Et celle-ci, je ne la vois pas du tout venir.

C’est ce que vous espériez lorsqu’il est devenu président en 2000?
Je ne me suis jamais fait d’illusion sur ses intentions. Vladimir Poutine avait trois buts en arrivant au pouvoir. Premièrement, redresser un pays qui était à genoux. Deuxièmement, refaire de la Russie une puissance mondiale. Et, troisièmement, tirer profit de ce statut. Pour y parvenir, Poutine devrait entreprendre de grandes réformes économiques et sociales. Or, il est en train d’isoler la Russie. Il devrait ouvrir son pays vers l’Europe et l’Occident, mais il ne le fait pas.

Que pourrait faire l’Europe dans ce contexte?
Plus l’Europe se montrera dure envers la Russie, plus elle contribuera à une désescalade de la situation dans la région. Plus elle se montrera compréhensive, plus elle incitera la Russie à poursuivre sa politique actuelle, car Moscou interprétera cette attitude comme un signe de faiblesse, voire de décadence.

La situation est de plus en plus tendue en Ukraine. Vladimir Poutine est-il un danger pour la sécurité en Europe?
Il est surtout un danger pour l’avenir de la Russie. Je ne crois pas que Vladimir Poutine souhaite en arriver à un conflit militaire. En revanche, il a bel et bien l’intention de déstabiliser l’est de l’Ukraine. Poutine tient à rétablir son pouvoir sur l’Europe de l’Est comme à l’époque de l’Union soviétique.

Quelles erreurs l’UE a-t-elle commises en tentant de signer un contrat d’association avec l’Ukraine?
L’UE n’a pas agi de manière optimale, déjà bien avant ce contrat. Pas seulement l’UE d’ailleurs: de nombreux Etats comme l’Allemagne – à l’exception de la Pologne et des pays baltes – ont sous-estimé le rôle que joue l’Ukraine en Europe de l’Est, alors qu’elle est la pierre angulaire dans cette région.

Jusqu’où Poutine ira-t-il?
Poutine est tout sauf un fou. Il pense de manière très rationnelle. Comme il veut rétablir le statut de puissance mondiale de la Russie, il ne s’écartera pas de cette ligne. Il veut accroître son influence en Europe non pas militairement, mais par le biais de sa politique énergétique. Les Européens doivent s’y préparer. Cela dit, je ne suis pas un grand partisan des sanctions. Je pense que la Russie se punit elle-même déjà beaucoup lorsqu’une de ses Chambres envisage d’exproprier les biens d’investisseurs étrangers, ce qui a provoqué des fuites de capitaux pour 70 milliards de dollars. On voit bien que Poutine ne réfléchit pas à long terme.

Une partie des membres de l’UE a peur du rôle de plus en plus dominant de l’Allemagne sur le continent.
C’est un fait que les Suisses occultent. Historiquement, l’UE a été créée pour éviter un Etat hégémonique, en l’occurrence l’Allemagne. L’Etat national allemand est jeune. Depuis sa création, en 1871, il a presque toujours eu de la peine à gérer son problème de taille critique, trop grande pour l’Europe, mais trop petite pour devenir une puissance mondiale. Le grand problème, c’est que l’Allemagne n’a pas de mythe incarnant un idéal de liberté comme ferment d’une identité nationale, contrairement à la France ou à la Suisse par exemple. Elle a dès lors développé une identité fondée sur un romantisme politique irrationnel qui a conduit à cette volonté d’hégémonie et à deux guerres mondiales. Aujourd’hui encore, les Allemands ne sont pas à l’aise dans ce rôle de dominateur en Europe. C’est la raison pour laquelle il faut poursuivre au plus vite l’intégration européenne sur le plan politique. Ceux qui souhaitent que l’UE n’existe pas ou qu’elle échoue – il y en a beaucoup en Suisse – n’en mesurent pas les conséquences.

L’Allemagne et la France ont toujours été le moteur de la construction européenne. Ce couple fonctionne-t-il encore de manière harmonieuse?
Les rapports sont bons mais difficiles, cela a toujours été le cas. Historiquement, ces deux pays ont presque les mêmes parents, mais vous savez bien à quel point un frère et une sœur peuvent être différents. Cela peut en faire deux partenaires très complémentaires s’ils travaillent ensemble. Le problème, c’est que tous deux ne supportent pas qu’on puisse prendre des décisions sans leur assentiment. Une bonne relation franco-allemande est indispensable pour l’Europe, car le dépassement de la haine de ce couple moteur dans certains pays est une condition essentielle du succès de l’UE.

Mais leur vision de l’Europe de demain diverge beaucoup.
Les Allemands ont le problème de l’argent et de la monnaie. Vous ne pouvez pas avoir d’union monétaire sans une structure politique adéquate. Il faudra réaliser l’union fiscale. Pour leur part, les Français ont le problème de la souveraineté. Ils refusent tout transfert de souveraineté à Bruxelles. Mais, si vous mutualisez la dette, vous devez accepter un contrôle commun de l’endettement. C’est cela, l’union fiscale. Les Européens n’ont qu’à s’inspirer de tout ce que vous avez fait en créant la Suisse moderne (1848) – avec une monnaie commune – après la guerre du Sonderbund.

Avec un pouvoir central fort ou faible?
Il faut choisir le modèle suisse.

C’est-à-dire que les Etats membres de l’UE auraient le pouvoir d’un canton suisse?
Bien sûr, l’UE ne peut pas reprendre votre modèle à l’échelle 1:1. Il y a deux modèles de fédéralisme à l’intérieur d’une nation. Le modèle américain avec un président à la tête d’un pays unilingue. Cela ne peut pas fonctionner en Europe, qui connaît de nombreuses langues. Et puis il y a le modèle suisse, taillé sur mesure pour son pluriculturalisme. D’ailleurs, c’est en étudiant votre histoire que l’une de mes intuitions à votre endroit s’est confirmée. Les Suisses ne veulent pas de l’UE, car ils craignent d’entrer dans une entité semblable mais beaucoup plus grande que celle qu’ils ont déjà. Ils sentent que les Européens s’engagent dans leur voie et cela leur crée un problème.

En quoi est-ce un problème? Vous plaisantez, là!
Non, je suis très sérieux. Les Suisses perdraient ainsi leur statut de Sonderfall, cette différence qui leur est si chère.

Comment comprenez-vous le système suisse?
Lorsque la Suisse est devenue un Etat fédéral, elle a réparti les tâches clairement entre la Confédération et les cantons. Si nous avions des Etats-Unis d’Europe, avec un pouvoir central encore moins fort qu’en Suisse, le rapport entre Bruxelles et les Etats membres serait fort différent, probablement plus équilibré. Actuellement, beaucoup de dossiers passent par la Commission européenne, qui affirme un pouvoir centralisé sans le dire.

Un pouvoir centralisé qui est très loin des citoyens!
Oui, beaucoup plus éloigné qu’en Suisse, car l’UE est beaucoup plus peuplée. C’est logique. Lorsque je suis le débat européen en Suisse alémanique, je ne peux m’empêcher de penser que vous voulez être différents, et même positivement, c’est vrai. Mais si j’étais Christoph Blocher, je devrais me réjouir et me dire: «Super, les Européens ont appris quelque chose de nous.»

Venons-en aux élections européennes du 25 mai prochain. Craignez-vous un triomphe des eurosceptiques?
Je ne m’attends pas à un tremblement de terre. Les problèmes de nombreux pays – aux Pays-Bas comme en France – sont de nature intérieure, ils ne sont pas dus à l’UE. La plupart des électeurs voteront pour des partis proeuropéens, dont je regrette cependant l’opportunisme. La cheffe du Front national, Marine Le Pen, affirme que la France quitterait l’eurozone si elle était élue présidente, et personne ne la contredit chez les socialistes comme chez les gaullistes. Personne n’ose dire que cela ruinerait la France. Oui, cet opportunisme-là me fait plus peur que les eurosceptiques.

Le 9 février dernier, le peuple a approuvé l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse». Comprenez-vous ce vote, sachant que la Suisse compte 23% d’étrangers?
Et pourquoi a-t-elle 23% d’étrangers? Parce qu’elle a une loi très dure sur la naturalisation. Si elle accordait la citoyenneté comme d’autres pays européens, elle n’en compterait que 9 ou 10%. C’est un problème en grande partie intérieur à la Suisse.

Il n’empêche que l’UDC de Christoph Blocher a remporté une nouvelle victoire en dénonçant l’immigration, mais aussi une croissance démesurée et le mitage du territoire.
Christoph Blocher est un milliardaire, un industriel établi. A ce titre, il n’a aucun intérêt à freiner la croissance et à ralentir la construction dans l’immobilier, car il en profite, ce qui est légitime et que je ne critique pas. Ce que je dénonce, c’est son double langage, sa propension à s’ériger en nouveau Guillaume Tell face à un bailli Gessler imaginaire. Qu’a dit Christoph Blocher après la votation? Qu’il appartient à la Suisse de régler seule l’immigration. Le problème, pour lui, ce n’est pas le nombre d’étrangers, car il permet la croissance, mais bien l’UE qu’il rejette. Il propage là un immense mensonge. Je ne comprends pas que la Suisse se laisse prendre en otage par l’égomanie d’un vieux monsieur.

Vous avez l’impression que les Suisses se plaignent la bouche pleine?
Oui, les Suisses souffrent à un très haut niveau. S’ils veulent réduire la croissance, libre à eux. C’est légitime, mais ils doivent aussi en payer le prix. Les investisseurs potentiels s’en iront ailleurs.

Pensez-vous que cette votation soit un accident dont les Suisses n’ont pas mesuré toutes les conséquences?
C’est une grande faiblesse du système suisse: n’importe qui peut s’emparer d’un thème populiste pour le faire triompher en votation populaire. Ensuite, il peut même refuser d’en assumer les conséquences. Les cantons qui ont voté oui à l’initiative seront les moins touchés par ses conséquences. Que M. Blocher puisse désormais se retirer dans sa villa, pour ensuite s’insurger contre ces pauvres négociateurs qui n’auront pas su défendre les intérêts suisses à Bruxelles, cela me dépasse.

Tout de même! A travers cette votation, la Suisse n’est-elle pas le sismographe de l’Europe?
Non, non et non!

La libre circulation des personnes n’est-elle pas un sujet tabou au sein de l’UE?
Mais non, nous en discutons aussi. En Allemagne, nous ne maintenons notre démographie que grâce à l’immigration. Cette votation n’est un sismographe que pour la Suisse. Au Tessin, les gens ont soutenu l’initiative en espérant lutter contre une immigration due à la crise italienne, tandis qu’en Suisse alémanique, les gens ont voté contre l’immigration allemande. Même si vous ne voulez pas le reconnaître, c’est ainsi que je l’interprète. Vous oubliez là votre histoire économique et tous ces immigrés souvent allemands qui l’ont marquée. C’est un Libanais d’origine, Nicolas Hayek, qui a sauvé l’horlogerie helvétique.

La voie bilatérale est-elle morte?
Je n’en sais rien. L’UE ne voudra et ne pourra pas déroger aux principes de ses trois grandes libertés des capitaux, des biens et des personnes. La voie bilatérale était déjà à l’agonie bien avant le 9 février dernier, mais le résultat de ce vote l’a encore fragilisée. Pourquoi les Suisses ne se rapprocheraient-ils pas de l’Espace économique européen (EEE)? Ce serait la solution la plus simple, la plus pragmatique: l’EEE comme but final, et non plus comme étape sur la voie de l’adhésion. La Suisse du Sonderfall resterait à l’écart de l’UE sans se couper des réseaux européens. Tout le reste est trop compliqué.

La Suisse est pourtant un partenaire important de l’UE, non?
Mais oui, la Suisse est importante pour l’UE. Arrêtez donc de vous sous-estimer! Vous, les Suisses, vous avez toujours le même problème: soit vous faites dans l’exaltation de votre modèle, soit dans l’autoflagellation. Soit vous planez à la hauteur d’un sommet alpin, soit vous vous repliez dans le tunnel du Gothard. S’il n’y avait pas ces votations idiotes purement idéologiques, la Suisse pourrait mieux faire valoir à Bruxelles tout ce qu’elle fait de remarquable pour l’UE, comme la construction des tunnels ferroviaires alpins!

Quelles limites voyez-vous à la démocratie directe?
La Suisse a une longue tradition de la démocratie directe, qui date des débuts de son histoire. Mais vous ne pouvez pas comparer sa situation avec celle de la France ou de l’Allemagne, qui sont des pays que vous ne pouvez pas gouverner de cette manière. La démocratie directe aurait empêché tous les acquis de l’après-guerre qui ont contribué à la renaissance d’une Allemagne démocratique intégrée au sein de l’Europe. La remilitarisation? Elle aurait été impossible! La participation à l’OTAN? Impossible! L’adhésion à la Communauté européenne? Impossible! Quant à la réunification, elle aurait passé en votation, mais certainement pas son financement si un parti populiste semblable à l’UDC avait décidé de s’y opposer.

Vous voulez dire qu’il est absurde d’opposer la démocratie directe et la démocratie représentative?
Oui, cela m’énerve qu’on les oppose. En Allemagne aussi, tous les politiciens au pouvoir sont élus, souvent plusieurs fois. La grandeur du pays joue aussi un rôle. Quand les Suisses votent, ils se prononcent avant tout sur leur propre avenir. Ce que décide l’Allemagne peut avoir de lourdes conséquences pour toute l’Europe. Et je dis cela sans la moindre arrogance.

Comment voyez-vous l’UE dans dix ans?
Tout dépendra de la réalisation ou non de l’union politique. Si elle se fait, les Européens ne devront plus se faire de souci. Sinon, l’UE ressemblera à Venise le soir. A 19 heures, la ville se vide et ressemble à une coquille vide dès 20 heures. Mais, en fin de compte, notre avenir nous appartient et je reste un grand optimiste.


Joschka Fischer

Né en 1948, il interrompt très vite ses études et s’installe à Francfort, où il effectue de petits boulots tout en devenant un activiste de rue dans une Allemagne secouée par plusieurs affaires, dont l’enlèvement du patron Hanns Martin Schleyer. Il s’engage chez les Verts en 1982, est nommé ministre du Land de Hesse (1985-87). Il couronne sa carrière politique par le poste de vice-chancelier et chef des Affaires étrangères de 1998 à 2005.

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La forge fribourgeoise affiche ses people

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:53

Zoom.Pour son 125e anni-versaire l’Université de Fribourg met en avant ses célébrités. Un bel atout dans la concurrence ambiante. L’EPFL le joue déjà. L’Uni de Lausanne peaufine aussi son marketing.

Fribourg ose. Le poids des mots, le choc des images. Dans une revue sur papier glacé qui sort à l’occasion de sa 125e année d’existence, sa vénérable université la joue glamour: sous une cover qui brille comme l’or, elle titre «People» et déroule, au fil des pages, les visages grandeur nature de «ses» stars qui vous plantent leur regard dans les yeux et vous rappellent à quel point cette université a livré de têtes bien faites au pays. On connaissait le creuset fribourgeois, cette Fribourg connection qui a placé presque coup sur coup Joseph Deiss puis Alain Berset au Conseil fédéral, cette terre fertile en matière grise qui a nourri l’omniprésent président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Patrick Aebischer, mais aussi l’actuelle directrice de l’Office fédéral de la culture Isabelle Chassot, les intellectuels journalistes, feu Roger de Diesbach ou Roger de Weck, l’actuel directeur de la Radio télévision suisse, ou encore une brochette de parlementaires incontournables, à l’image du président du Parti socialiste suisse Christian Levrat, du conseiller aux Etats Urs Schwaller, longtemps chef du groupe parlementaire PDC.

On savait moins en revanche que l’Université de Fribourg fut et reste une forge académique pour des étudiants qui viennent d’ailleurs: la CEO de la Poste Susanne Ruoff en sort, comme le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet et Thierry Jobin, directeur du Festival international de films de Fribourg. Pensifs, les anciens évoquent cet «esprit de Fribourg» gorgé d’humanisme, de bilinguisme et d’ouverture au monde.

Miser sur des têtes

Personnaliser, l’EPFL pratique ce marketing-là depuis 2004 déjà en remettant chaque année, lors de la magistrale qui précède la cérémonie des diplômes, ses Alumni Awards à des anciens qui brillent dans le monde, Léonard Gianadda, le fondateur de Logitech Daniel Borel ou des stars de la Silicon Valley figurent parmi les élus. Pour diffuser ses lumières elle aussi, l’Université de Lausanne, plus précisément la Société académique vaudoise, vient de décerner pour la première fois son Prix du rayonnement académique lors d’un raout au Lausanne-Palace. Le lauréat? Jean-Pierre Danthine, vice-président de la direction de la Banque nationale. Pour l’initiateur du prix et président de la société, Cyrille Piguet, «au-delà d’une réussite professionnelle, la personne distinguée doit avoir valeur d’exemple pour les étudiants». Parce qu’il s’agit de les inspirer, de les motiver. Et surtout de les attirer.

Une manière de se profiler vitale dans la concurrence que se livrent les universités aujourd’hui et dans le drôle de climat qui règne après la votation du 9 février. Même la plus petite académie du pays s’y est mise. Modestement, finances obligent, Neuchâtel vante ses programme nationaux de recherche, dont son pôle d’excellence sur les migrations et la mobilité qui vient de décrocher 17,2 millions pour quatre ans. L’alma mater, désormais, doit susciter le désir.

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Lobbys, comment ils font la loi sur les médicaments

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:54

Enquête.Après un an et demi de préparation dans le secret et l’audition d’une trentaine de lobbyistes, la loi sur les produits thérapeutiques
arrive enfin au Conseil national. Genèse d’une loi qui pèse 6 milliards de francs par an sur le marché suisse.

Sur la petite pancarte barrée de rouge, suspendue à un clou planté dans la porte en chêne, on lit: «Séance, ne pas déranger svp». Alors, pourquoi une trentaine de lobbyistes de la santé passent allégrement le pas de cette porte comme s’ils entraient dans un moulin?

Parce qu’ils sont invités. Parce que, de l’autre côté, les 25 membres de la Commission de la santé du Conseil national planchent sur une grande révision de la loi sur les produits thérapeutiques. Une loi qui nous concerne tous parce qu’elle règle l’arrivée sur le marché de tous les médicaments mais aussi des produits médicaux: pansements ou tomographes, pacemakers ou implants mammaires. Une loi qui nous concerne tous, car elle nous permettra d’accéder au plus vite aux produits les plus efficaces et les plus sûrs, qu’il s’agisse de médecine classique ou complémentaire, d’originaux ou de génériques. Une loi, enfin, qui vise une amélioration de l’offre, aujourd’hui très lacunaire en médicaments pour enfants, et qui permettra de lutter contre le faux et la résistance aux antibiotiques.

Pourquoi tant de lobbyistes?
«C’est tout simple», sourit Toni Bortoluzzi, l’UDC zurichois, vieux routier de la Commission de la santé, au Parlement depuis vingt-trois ans: «La vente des médicaments représente un chiffre d’affaires de 6 milliards de francs par an! C’est 10% des coûts de la santé, plus de 20% des coûts remboursés par la LAMal. Vous imaginez les intérêts en jeu et toutes les professions touchées!»

Sa collègue PDC Ruth Humbel, très versée dans ces questions puisqu’elle a travaillé plusieurs années chez Santésuisse, défend l’exercice: «Un Parlement de milice doit pouvoir parler aux acteurs touchés par nos décisions, nous devons mesurer la portée de nos actes.» D’autant plus que, comme le souligne le socialiste fribourgeois et défenseur des patients Jean-François Steiert: «Normalement, on saisit les effets d’une loi, mais celle-ci s’avérait trop technique.»

Avant d’entrer dans le vif du sujet, la commission a donc organisé des auditions. Une petite foire d’empoigne a suivi, entre les associations invitées d’emblée et celles qui voulaient absolument en être, les unes dénigrant les autres et vice versa.

Finalement, on a vu défiler aussi bien le très élégant et influent Thomas Cueni d’Interpharma – la grande industrie bâloise – que le défenseur des médecines complémentaires Walter Stüdeli, un «petit» qui sait s’imposer, mais également des représentants des cantons, de l’industrie chimique ou des défenseurs des patients. Même scénario pour chacun: cinq minutes de présentation – beaucoup y sont allés de leur PowerPoint – puis réponses aux questions des commissaires. A la sortie, chaque organisation a distribué quelques pages A4 avec ses propositions, parfois précises, de modifications de loi.

Ces hearings passés, les parlementaires ont traité la loi lors d’une dizaine de séances, peaufinant leurs propositions avec leurs collègues de parti et les associations qui leur sont proches entre deux réunions. Puis tenté des alliances au-delà des frontières partisanes. Thomas Cueni, par exemple, n’hésite jamais à travailler avec la gauche quand il s’agit de promouvoir la recherche et de défendre des emplois en Suisse. D’ailleurs, le secrétaire général d’Interpharma dit beaucoup de bien du ministre de la Santé Alain Berset qui travaille à un masterplan pour renforcer la place de l’industrie pharmaceutique suisse.

Bref, c’était l’heure du thé pris dans un salon feutré de l’hôtel Bellevue, des coups de téléphone et des échanges de mails. Et l’alerte maximum quand siégeait la commission. Comme nous l’explique Walter Stüdeli, défenseur de la médecine complémentaire: «Nous étions alors de piquet. Car les parlementaires ont souvent besoin de nous quand ils ont déposé des amendements et que leurs collègues réclament des explications qui, parfois, exigent un savoir pointu.»

Qui sont les gagnants?
En ce joli mois de mai, la loi sur les médicaments arrive enfin devant le Conseil national à l’occasion de la session extraordinaire. Au bout du compte, quels groupes d’intérêts s’avèrent gagnants? Lesquels ont exercé au mieux leur influence? Et y a-t-il des perdants? Quelques exemples.

Pharma victorieuse
Personne ne s’en étonnera: la commission a soigné ce secteur économique, allant plus loin que le Conseil fédéral. Il s’agit d’inciter l’industrie à la recherche, même pour des marchés jugés trop exigus pour être rentables. Non seulement on prolongera la durée des brevets pour les médicaments pour enfants, un progrès incontesté, mais on assurera aussi une exclusivité commerciale aux traitements destinés aux maladies rares (celles qui touchent moins d’une personne sur 2000, ndlr), cela durant dix ans.

Les représentants des génériques affichent le sourire eux aussi. Ils pourront entamer les démarches d’autorisation de leurs produits deux ans avant que le brevet de l’original n’arrive à échéance. Histoire d’être sur le marché au lendemain de la fin du brevet. Autant dire qu’ils piaffent.

Médecine complémentaire gagnante
Victorieux, ses défenseurs avaient commencé par faire du forcing dans l’administration. Longtemps en mains libérales-radicales avec un ministre de la Santé, Pascal Couchepin, qui n’avait pas la fibre alternative, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) restait sceptique. Malgré le vote populaire de 2009, quand deux tiers des Suisses plébiscitaient la médecine complémentaire et son remboursement. Avec de légers coups de pouce venus d’en haut, comprenez de l’actuel conseiller fédéral Alain Berset, la médecine complémentaire a fini par s’imposer et remporter, en commission, un succès retentissant: ses médicaments et ceux qui dérivent de plantes utilisées depuis longtemps ne doivent plus passer des tests cliniques pour prouver leur efficacité. Un élément essentiel qui leur permet d’arriver plus vite sur le marché.

Pharmaciens le beau rôle
Avec la pénurie annoncée de médecins en toile de fond, le Conseil fédéral prévoyait déjà de mieux utiliser les compétences des pharmaciens en les autorisant à remettre, sans ordonnance, des médicaments pourtant classés sous ordonnance. Cette nouvelle catégorie, encore à déterminer, pourrait englober des produits du type Ponstan contre les maux de dents ou vaccin contre la grippe. L’idée: cesser d’encombrer les urgences des hôpitaux avec des cas bagatelles.

La commission a encore renforcé leur rôle en obligeant les médecins à délivrer une ordonnance à chaque fois qu’ils prescrivent un médicament. Le patient gagne en indépendance et peut donc préférer acheter en pharmacie si bon lui semble. Ce qui paraît être une évidence en Suisse romande et au Tessin où les médecins n’ont pas le droit de vendre eux-mêmes des médicaments, équivaut à un petit tremblement de terre outre-Sarine. En Suisse alémanique, la vente directe par le médecin se pratique au quotidien dans tous les cantons, hormis Argovie et Bâle-Ville.

Patients plutôt satisfaits
Les organisations de patients auraient préféré que la vente directe soit abolie. Histoire d’effacer ce doute, abyssal, qu’exprime Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs, qui a aussi participé aux auditions: «Mon médecin se soucie-t-il de ma santé ou de ses finances?» A l’origine, le Conseil fédéral prévoyait d’interdire ces ventes qui poussent à la consommation et au gaspillage. Mais face aux résistances des cantons alémaniques et des médecins, le gouvernement a laissé tomber. «Réaliste, commente Toni Bortoluzzi. Les médecins auraient lancé un référendum. Et contre eux, les politiciens n’ont pas la moindre chance, on l’a vu avec la votation sur les réseaux de soins. Les médecins restent les personnes qui jouissent du plus grand capital de confiance au sein de la population.» On se contentera donc de l’obtention systématique d’une ordonnance.

Pour le reste, la loi donnera aux patients un accès plus rapide aux nouveaux produits. Et si l’industrie fait usage des nouvelles incitations à la recherche, les victimes de maladies rares et les enfants devraient bénéficier de nouveaux traitements.

Grande ombre au tableau toutefois: la commission a supprimé presque toutes les obligations de signaler les intérêts que voulait le Conseil fédéral. Les patients ne sauront donc pas si leur médecin, réseau ou pharmacien détient des actions dans une entreprise pharmaceutique par exemple.

Médecins alémaniques fâchés
Si vous voulez vous fâcher avec la conseillère nationale verte Yvonne Gilli, elle-même médecin à Wil (SG), dites-lui que vous êtes en faveur de l’ordonnance obligatoire. Là où son collègue de commission, le socialiste Stéphane Rossini, voit une mesure qui vise à freiner la tentation des praticiens de «faire du chiffre», Yvonne Gilli, elle, voit rouge: «C’est une chicane! Les médecins de famille sont les boucs émissaires de cette loi. D’un côté Alain Berset veut nous aider. Et de l’autre cette ordonnance qui va me prendre deux à cinq minutes!» Est-ce si grave docteur? «Et comment! Vingt patients à cinq minutes, je vous laisse faire le calcul.» Un courroux qui a inspiré le Tages-Anzeiger qui titrait, durant le week-end pascal: «Médecins indignés par les plans d’ordonnance obligatoire», citant le président de la FMH Jürg Schlup qui regrette cette mesure et estime qu’elle engendrera des coûts. Outrée par les avancées obtenues par les pharmaciens, la FMH augmente la pression médiatique et donne conférence de presse avant la session parlementaire. Le mot référendum a même été prononcé.

Réseaux de soins fâchés aussi
Mais il est autre chose qui fâche Yvonne Gilli, décidément très en colère et très incontournable dans la genèse de cette loi. Quelque chose qui touche tout particulièrement les réseaux de soins. On l’appellera la bataille des rabais.

Plusieurs études mandatées par la commission avaient montré en janvier que les hôpitaux obtenaient des remises jusqu’à 90% sur certains génériques et les réseaux jusqu’à 50%. Lors de la dernière séance de la commission, début avril, une «union contre nature» entre les socialistes et l’UDC s’est attaquée à ces rabais. Elle a refusé le compromis lancé par les réseaux de soins, soutenu aussi bien par Santésuisse que par les partis du centre: permettre aux assureurs et aux médecins de partager les bénéfices réalisés grâce aux rabais. Argument des réseaux: si les rabais sont entièrement répercutés, plus personne n’a intérêt à négocier les prix à la baisse. Pour la gauche en revanche, les rabais servent avant tout à booster les ventes et à influencer le choix du médicament.

Finalement, c’est une solution largement inspirée par l’UDC Sebastian Frehner, qu’on dit proche d’Interpharma, qui a été retenue. L’industrie sourit une nouvelle fois: moins de négociation sur les rabais? De plus grosses marges de bénéfice! Et, cerise sur le gâteau: des formules d’un ravissant flou artistique ont fait leur apparition. Seront autorisées, par exemple, «les conditions usuelles accordées pour les commandes».

Quant aux hôpitaux, qui bénéficient des rabais les plus spectaculaires, l’industrie trouvera toujours un moyen d’y placer ses médicaments. Tout le monde vous le dira: il n’existe aucun meilleur instrument marketing que l’hôpital pour établir un médicament sur le marché. Rien de tel pour gagner la confiance des patients qui continueront le traitement une fois sortis de l’hôpital, au prix fort cette fois. Rien de tel non plus pour habituer les jeunes médecins en formation à certains produits.

Flou et corruption
Dans le même élan, la commission n’a pas retenu d’autres passages censés lutter contre la corruption: à la «prohibition d’avantages matériels», proposée par Alain Berset, on a préféré le terme vague d’«avantages illicites». Enfin, on permet les «dons destinés à la recherche, à la formation postgrade ou à la formation continue» sans exiger les conditions de transparence que voulait le Conseil fédéral. Bref, l’industrie devrait pouvoir continuer ses tentatives d’influencer les médecins avec de chouettes séminaires. La loi, telle qu’arrêtée par la commission, lui laisse une grande marge de manœuvre. Et du travail d’interprétation en vue pour les juristes.

Aux sénateurs de faire la loi
Rabais petits ou grands, partagés ou non, ordonnance obligatoire, lutte contre la corruption et autres, le Conseil national va trancher ces questions le 7 mai. Dans la foulée, les jeux d’influence se déplacent vers la Commission de la santé du Conseil des Etats. Les auditions sont prévues pour début juillet. Aux sénateurs, désormais, de faire la loi et aux groupes d’intérêts d’ignorer une nouvelle fois la petite pancarte stipulant «Ne pas déranger». 

catherine.bellini@hebdo.ch

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Jack Ma, le Steve Jobs chinois

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:55

Portrait.Populaire, extraverti, controversé, le patron d’Alibaba, l’eBay chinois, a fait de son entreprise le numéro un du commerce en ligne dans le pays. Itinéraire d’un homme parti de rien.

Elena Bonanni

Sous la pluie, dans le stade de Hangzhou, la mégapole chinoise qui s’étend dans le delta du fleuve Bleu (Yangzi Jiang, autrefois Yangtse-kiang, ndlr), ils sont 40 000 à exulter à l’écoute de la chansonnette populaire I Love You, China. Sur la scène s’agite un petit homme excentrique, maigre comme un clou, doudoune argentée, fard à lèvres noir et chapeau melon: Jack Ma. Il est le numéro un du commerce en ligne chinois, fondateur du colosse Alibaba, un conglomérat internet plus fréquenté que les sites archiconnus Amazon et eBay pris ensemble.

Presque tout ce qui est produit en Chine peut être échangé sous l’égide du «tycoon»* Jack Ma: les petites entreprises mènent des affaires entre elles ou vendent en gros dans tous les pays du monde par le biais d’une plateforme en anglais, les Chinois font leurs emplettes de grandes marques, traquent les rabais et les occasions, dénichent des produits ainsi que des infos. En 2012, Alibaba a ainsi servi de support à des transactions pour un montant dépassant les 160 milliards de dollars, mais ses revenus proviennent avant tout de la publicité des entreprises qui s’en servent et des membres. Les recettes publicitaires ont atteint 4,8 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de 2013, en hausse de 59% par rapport à la même période de l’année précédente. Les marges sont époustouflantes.

De Matteo Renzi à Bill Clinton

En mars dernier, Jack Ma a atterri à Rome pour faire la connaissance du nouveau président du Conseil italien Matteo Renzi. Un mois au cours duquel, partout dans le monde, les banques se sont mises au bord de l’apoplexie dans l’attente de l’introduction en Bourse de son empire, à New York, qui pourrait éclipser d’un coup le titan Facebook.

En Chine, Ma Yun (c’est son vrai nom) est un homme d’affaires entouré comme une rock-star. Dans les conventions de la branche, il fait toujours son show, bavardant avec des invités comme Bill Clinton, Arnold Schwarzenegger ou le champion de basket Kobe Bryant.

Son empire, il l’a créé en 1999 dans un petit appartement de sa ville natale de Hangzhou grâce à l’aide financière de 17 amis. A ses débuts, il haranguait ses collaborateurs: «Nos principaux concurrents sont Californiens, pas Chinois, et nos cervelles valent bien les leurs.» Et il filmait minutieusement tout, permettant à son pote Porter Erisman de réaliser dix ans plus tard le film de son épopée sous le titre Crocodile dans le Yangtse.

A la différence de tant de Chinois qui ont réussi, Jack Ma n’a pas étudié aux Etats-Unis, il s’est contenté de l’Ecole normale de Hangzhou, où il a rencontré sa femme, première complice dans l’aventure d’Alibaba. Né pauvre durant la Révolution culturelle de Mao, il est désormais, à 49 ans, la sixième fortune de Chine et constitue aux yeux de ses compatriotes le parangon de l’ambition et de la persévérance. Un type qui ne lâche jamais. Deux fois, il s’est vu refuser l’entrée au lycée, comme enseignant il était nul, un emploi médiocre au Kentucky Fried Chicken local lui a juste permis de vivoter, et il s’est planté en voulant lancer les pages jaunes chinoises en ligne.

C’est sa passion pour l’anglais, appris en autodidacte en servant de guide aux touristes, qui lui a ouvert la porte du succès: il s’est mis à voyager, a découvert l’internet et, en travaillant au Ministère du commerce extérieur, il est tombé sur Jerry Yang, le cofondateur de Yahoo!, qui a investi un milliard de dollars dans Alibaba en 2005, lui confiant les activités en Chine du groupe américain en échange de 40% du capital. Grâce à cet argent, Jack Ma a éjecté eBay du marché et déclaré la guerre à Baidu, le Google chinois, défié les banques avec son système de paiement Alipay, un clone de Paypal, et bouleversé tout l’organigramme de direction de sa société quand, en 2011, une fraude risqua d’enterrer ses ambitions: il n’y est alors pas allé par quatre chemins, faisant son enquête et remboursant 2200 clients roulés dans la farine pour un montant de 1,7 million de dollars. Après avoir décapité sa direction, il a pu se présenter au public comme le paladin de l’honnêteté entrepreneuriale.

Nouvelle cible: les épargnants

Aujourd’hui, Jack Ma s’attaque aux services financiers: les Chinois se précipitent pour déposer leurs avoirs en ligne sur Yu’E Bao, qui les rémunère mieux que les caisses d’épargne. La Banque centrale chinoise veille. «Jack Ma est-il le nouveau Steve Jobs?» se sont demandé des publications comme Forbes et le Wall Street Journal, en quête d’un héritier du charismatique fondateur d’Apple. En tout cas, il se sent à la Silicon Valley comme chez lui. Il va y pêcher des talents, il y a lancé un fonds pour les jeunes pousses. Pourtant, la comparaison avec le génie de Cupertino ne lui convient nullement, car il est loin d’être un maniaque de l’informatique. Il admet être nul en technologies et préfère la pratique du poker et du kung-fu.

Après avoir créé 24 000 postes de travail, Jack Ma ambitionne désormais de sauver la Chine de la catastrophe environnementale qui se prépare. Il y a un an, il a lâché son poste d’administrateur délégué – mais il reste président exécutif – pour prendre la direction opérationnelle en Chine de l’association américaine The Nature Conservancy. Et il a fait d’Alibaba la plateforme privilégiée pour l’échange de produits durables. Son groupe va aussi entrer au capital de Youku Tudou, le  YouTube chinois, en acquérant des parts pour 1,22 milliard de dollars.
Selon Forbes, Jack Ma serait la 122e fortune du monde. Et pour le Financial Times, il a été la «personnalité de l’année» en 2013, même s’il a de la philanthropie une notion fort différente de celle des Anglo-Saxons: «L’idée de donner ainsi son propre argent n’est pas née dans la tête de Bill Gates ou de Warren Buffett, disait-il au Wall Street Journal, mais au sein du Parti communiste dans les années 50.»

L’entretien du culte de la personnalité suscite quelques mouvements d’humeur au sein de la société Alibaba qui, d’ailleurs, se distingue par une gestion autoritaire. Les contempteurs de Jack Ma réduisent sa success story au coup de bol qu’a constitué sa rencontre avec le patron de Yahoo! Reste qu’entre les deux sociétés le rapport de force s’est inversé. La banque d’investissement Goldman Sachs valorise Alibaba à 150 milliards de dollars, bien plus que les 39 milliards de Yahoo!. Et la frénésie planétaire pour l’e-commerce chinois pourrait faire bouillir les chiffres: selon iResearch, la valeur de ce marché atteindra les 588 milliards de dollars en 2016, au gré d’un taux de croissance annuel de 30%.

Jack Ma n’a donc plus besoin de l’oncle d’Amérique, si bien qu’en 2012 il a racheté la moitié des parts d’Alibaba détenues par Yahoo!. D’ailleurs, il n’a pas eu le feeling avec les successeurs de Jerry Yang à la tête du groupe américain, Carol Bartz puis Marissa Mayer. Surtout depuis qu’il a transféré, sans en souffler mot au conseil d’administration d’Alibaba, la filiale Alipay à une société lui appartenant en propre. L’affaire a fait grincer les dents des actionnaires étrangers mais s’est conclue par un accord.

Reste qu’avec d’autres dirigeants d’Alibaba Jack Ma ne possède qu’à peine plus de 10% de son groupe. Mais il n’entend pas en lâcher la barre. Il veut faire comme Facebook et Google où, grâce à des actions privilégiées, un actionnaire minoritaire peut conserver le contrôle.

© L’Espresso, Traduction et adaptation Gian Pozzy

* Le mot anglais «tycoon», qui signifie magnat ou nabab, est dérivé du mot japonais «taikun» signifiant grand seigneur, le terme étant lui-même d’origine chinoise.

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