Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all 2205 articles
Browse latest View live

Genève: le marché atterrit en douceur, mais il reste cher et compliqué

$
0
0
Jeudi, 24 Septembre, 2015 - 05:58

Genève. On construit, mais le rythme des chantiers ne suffit pas à atténuer la pénurie chronique de logements. Toutefois, les objets qui seront prochainement mis en vente sont destinés d’abord à la classe moyenne, grâce à des prix un peu plus accessibles.

Patricia Meunier

Est-il toujours impossible de trouver un logement abordable à Genève? Etienne Nagy, directeur général du groupe Naef, répond de façon nuancée: «Le marché est plutôt équilibré, il n’y a pas une suroffre comme on l’entend souvent. Les réalisations se font au même rythme que la croissance de la population.» Une légère détente semble se faire jour. Il y a plus d’appartements en vente, même si l’on est loin d’une surabondance de l’offre.

«Le marché atterrit en douceur», complète Philippe Moeschinger, président de la direction générale du Comptoir Immobilier. «On conserve une demande forte qui répond à une offre importante. Les clients ont plus de possibilités de choisir que ces dernières années. Aujourd’hui, avant de conclure une affaire, les discussions sont plus longues que par le passé. En outre, la réforme de la fiscalité des entreprises aura un impact sur les multinationales ainsi que sur le tissu des PME.» L’emploi dans la région s’en trouvera impacté.

Tous types d’objets confondus, le taux de vacance des logements au 1er juin 2015 s’affiche à 0,41% (0,39% en 2014) dans le canton de Genève, qui recense 921 objets disponibles (792 appartements et 129 maisons individuelles). Parmi les appartements, 643 sont à louer et 149 à vendre. Ce chiffre atteste de la persistance de la difficulté de se loger, que ce soit dans un appartement ou dans une maison.

Nouveaux complexes à l’horizon

Parmi les points faibles de Genève, la lenteur du processus de construction empêche de résorber rapidement le manque toujours présent de biens immobiliers neufs. Les déficits du passé affectent donc toujours la région. Même si la construction a repris à un bon rythme, le niveau reste encore insuffisant pour assurer une adéquation entre offre et demande de logements. Côté positif, la volonté de l’Etat reste affirmée. Le plan directeur cantonal prévu à l’horizon 2030 indique les terrains qui pourront être dézonés et mentionne également les zones réservées pour le bâtiment. Il englobe un potentiel de 50 000 futurs logements. «A l’avenir, il y aura plus de logements accessibles à une frange de la population moins aisée, grâce aux nouveaux projets qui se dessinent en zone de dévelop-pement à Genève», explique Philippe Moeschinger.

Du coup, la tendance à la baisse des prix amorcée en 2012 se poursuit. «On voit que les prix se réduisent de 3 à 10% selon les segments, car ils étaient surfaits dans un marché libre très étroit. Une série de nouvelles constructions en zone de développement, à prix contrôlés nettement en dessous des prix du marché, vient gonfler l’offre d’appartements», confie Hervé Froidevaux du cabinet de conseil Wüest & Partner.

Sans surprise, cet apport important de nouvelles habitations à vendre ou à louer pour la classe moyenne modifie le paysage immobilier genevois. Sur la rive droite, il s’agit de l’écoquartier des Vergers, à Meyrin, et ses 1250 unités prévues d’ici à 2018. Sur une superficie de 150 000 m2, une trentaine de bâtiments proposeront quelque 300 appartements en PPE, 200 en loyer libre et le solde sera destiné à des coopératives. Ou encore, le quartier de l’Etang, à Vernier, avec ses quelque 1000 logements construits pour 2018. A Lancy et à Plan-les-Ouates, près du Bachet, La Chapelle-Les Sciers offrira au final 1300 unités, ainsi que de nouveaux commerces, une école, des jardins et espaces de détente. A proximité de Carouge, Les Grands Esserts se dresseront sur des terrains de douze hectares. La construction des 1200 logements planifiés pourrait démarrer entre 2017 et 2018. De son côté, le prolongement du tram sur la route de Chancy incite au développement de Bernex, où un concept prévoit de créer de nouveaux quartiers mixtes en extension de la zone agricole. Cinq mille sept cents habitations pourraient voir le jour d’ici à 2030. Sur la rive gauche, les Communaux d’Ambilly constituent le seul projet d’envergure. En effet, la première étape prévoit 670 appartements d’ici à 2018, la seconde 700 pour 2022 et la dernière 1200 pour 2030. Sur une surface de 36 hectares, six immeubles d’architecture contemporaine sont prévus. Cette arrivée de biens neufs concurrence de plus en plus le secteur des propriétés en revente, jusqu’ici caractérisé par des prix parfois surfaits. Le projet Chêne-Bourg - Chêne-Bougeries se profile autour de la gare du CEVA. Un nouveau pôle sera constitué de 1000 logements, de commerces et d’espaces publics.

Dans ces futurs quartiers, les prix contrôlés par l’Etat sont nettement plus accessibles que sur le marché libre. Ils s’affichent entre 5500 et 7000 francs le mètre carré habitable. «Ce type de segment attire donc de nombreuses personnes qui espèrent depuis plusieurs années devenir propriétaires. Par exemple, nous avons construit des PPE dans quatre immeubles de six étages au chemin de Pinchat, à Carouge. Les prix sont fixés à 7000 francs le mètre carré», explique Etienne Nagy.

En revanche, sur le marché libre, un appartement neuf de 4 pièces, de bonne construction et bien situé, dépasse facilement le million de francs et une villa coûte aisément de 1,5 à 2 millions de francs. L’écart de prix avec les logements destinés à une classe moyenne s’est réduit. «Sur le marché libre, le prix du mètre carré habitable se situe facilement entre 9000 et 10 000 francs», confirme encore Philippe Moeschinger.

Plus précisément, pour les logements situés sur la rive gauche et dans le centre-ville, les prix du mètre carré habitable atteignent 10 000 francs, voire plus. Sur la rive droite, ils sont en dessous de cette barre. C’est le cas notamment des quartiers comme Meyrin, Vernier et Satigny. On retrouve des PPE avec un prix situé entre 8500 et 9000 francs le mètre carré.

Le prestige en berne

Et les objets de prestige? «On se situe dans des tranches de 13 000 à 15 000 francs le mètre carré, voire plus, il n’y a pas de plafond dans cette catégorie de biens», explique le PDG du Comptoir Immobilier. Seuls les objets vraiment exceptionnels avec une situation privilégiée conservent leur prix élevé. Sinon, les prix du marché du haut de gamme affichent une baisse. La demande de biens de standing se réduit, notamment de la part de la clientèle étrangère.

En ce qui concerne la location, ce même marché souffre des conséquences des restructurations d’entreprises. «Cela prend plus de temps pour louer des biens de standing supérieur avec des loyers qui dépassent les 4000 ou 5000 francs par mois», relève Etienne Nagy. Les multinationales abaissent leurs coûts, notamment en réduisant les aides au logement de leur personnel expatrié, ce qui réduit la demande locative d’appartements luxueux. En se normalisant petit à petit, le marché genevois redevient progressivement accessible au grand public.


Sommaire:

Vaud: les années de croissance soutenue des prix sont terminées
Genève: le marché atterrit en douceur, mais il reste cher et compliqué
Fribourg: la détente du marché vaudois menace les promoteurs fribourgeois
Valais: en plaine, les prix progressent. En montagne, ils sont sous pression
Neuchâtel: le haut du canton retrouve son rythme de croisière
Jura & Berne: un marché stable et empli de quiétude

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Régis Colombo www.photographie-aerienne-drone.ch
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Vaud: les années de croissance soutenue des prix sont terminées

$
0
0
Jeudi, 24 Septembre, 2015 - 05:59

Vaud. Contraction ou simple baisse de la croissance: les termes divergent pour décrire l’évolution du marché vaudois. Mais tous les experts s’accordent à dire qu’il y a un fort ralentissement.

Patricia Michaud

Il y a des années qu’on n’avait pas vu ça sur l’arc lémanique: «Les premières ventes à perte ont été conclues ces derniers mois dans la région», rapporte Catherine Michel. Certes, la présidente de l’USPI (Union suisse des professionnels de l’immobilier) Vaud nuance, précisant qu’il s’agissait le plus souvent de biens mis sur le marché par des expatriés, propriétaires depuis peu d’années et pressés de repartir. Reste que le symbole est fort. Même dans une zone où la pénurie de logements fait figure de cas d’école, les acquéreurs ne sont plus prêts à payer n’importe quel prix. Plus largement, il illustre le tassement généralisé qui caractérise actuellement le marché immobilier vaudois.

Amorcée l’an dernier déjà, l’accalmie s’est confirmée dans le canton ces derniers mois. En mesurer l’importance demeure néanmoins délicat: alors que certains observateurs parlent de stabilisation, d’autres évoquent carrément une contraction. Directeur général du Groupe MK, Anthony Collé fait partie de la seconde catégorie: «En 2014, les prix avaient déjà subi une correction de l’ordre de 5 à 10% hors arc lémanique et de 5% sur l’arc lémanique, mais les vendeurs ne l’avaient pas forcément répercutée. Désormais, ils sont obligés d’être à l’écoute du prix juste.»

Un autre spécialiste évoque une chute du prix des PPE de l’ordre de 5 à 15%, contre 10 à 20% pour les maisons individuelles. Moins renversants, les relevés du CIFI mettent le doigt sur une poursuite de la croissance des prix (+ 2,4% pour la PPE et + 2% pour les villas entre 2014 et 2015). Cette dernière n’en demeure pas moins extrêmement faible si on la compare avec celle enregistrée sur dix ans (+ 94,4% pour les PPE et + 83,7% pour les villas).

Du côté des prévisions non plus, tous les acteurs du marché immobilier ne tirent pas à la même corde. Alors que certains anticipent un recul des prix marqué pour ces deux prochaines années, Anthony Collé s’attend à «deux ou trois ans de raison, où le volume des transactions va augmenter mais où les prix n’évolueront ni à la hausse ni à la baisse». A l’inverse, tout le monde s’accorde à dire que dans le segment haut de gamme les choses ne vont clairement pas changer à l’avantage des propriétaires.

Reflux

«Actuellement, on observe des prix en chute de 15 à 20% sur le luxe», selon le directeur du Groupe MK. Catherine Michel constate pour sa part que «dans la région de Nyon, le plus grand fléchissement de la demande concerne les maisons individuelles de plus de 2 millions de francs. Et au-delà de 3 millions, c’est devenu très compliqué.» Les ménages disposant d’un compte en banque bien garni mais qui hésitaient jusqu’à présent à investir dans un logement de standing feraient donc bien d’ouvrir l’œil afin de repérer les meilleures occasions.

Que les personnes au budget plus modeste se rassurent: il existe actuellement d’autres possibilités de s’offrir des logements à prix cassés en terres vaudoises. Ainsi, les régions périphériques du canton, qui avaient vu déferler il y a quelques années un flot de promoteurs tournant le dos à un bord du lac saturé, regorgent d’appartements et de villas de qualité affichant un panneau «à vendre». En effet, le marché se détendant sur l’arc lémanique – notamment grâce à l’aboutissement d’une série de complexes d’habitation d’envergure –, les zones moins populaires présentent les premiers signes d’un phénomène de reflux. «De belles occasions sont également à saisir dans le domaine de la revente, note la présidente de l’USPI Vaud. Avec la mise sur le marché de nombreux appartements flambant neufs, ceux de la génération précédente, moins récents mais encore en très bon état, peuvent être négociés à des prix très intéressants.»

Logements abordables encore rares

Si trouver un toit à se mettre sur la tête relève enfin (un peu) moins du parcours du combattant dans le canton de Vaud, la situation demeure tendue sur plusieurs fronts, dont celui des appartements dits abordables. Considérées comme l’un des meilleurs moyens de pallier la pénurie de logements au loyer modéré, les coopératives d’habitation «ont plus de peine à voir le jour, à une époque où les banques serrent la vis» et où le cautionnement des communes est plus difficile à obtenir, précise Anthony Collé.

Un pas vers une amélioration de la situation pourrait être franchi ces prochaines semaines si le Grand Conseil accepte le contre-projet de l’exécutif cantonal à l’initiative de l’Asloca «Stop à la pénurie de logements». Le texte prévoit la production de 5000 à 6000 nouveaux logements par an, avec un focus net sur les loyers abordables. Pour ce faire, il est prévu de créer une nouvelle catégorie de logement d’utilité publique (LUP), appelée LLA (logement à loyer abordable). Cadrés tant au niveau de leur surface que de leur prix, les LLA ne seraient pas subventionnés mais pourraient faire l’objet d’incitations communales, telles que quotas dans les plans d’affectation ou bonus de surface.

Dans l’argumentaire accompagnant le dépôt de ce contre-projet, le Conseil d’Etat regrette que le dynamisme de la construction de logements dans le canton ces dernières années n’ait amené qu’une bouffée d’air insuffisante. Ce ne sont pas les derniers chiffres de Statistique Vaud qui contrediront cette affirmation: au 1er juin 2015, le taux de vacance cantonal était de 0,7%, identique à celui de 2014. Et désespérément loin du 1,5% déterminant une sortie de pénurie, une barre qui n’a plus été franchie dans le canton depuis 1999.

«Les gros chantiers cantonaux sont majoritairement dévoués à la PPE. Or, une série d’entre eux sont encore en stand-by, faute de préventes suffisantes», analyse Yvan Schmidt, partenaire chez iConsulting. «Ce n’est pas une très bonne nouvelle au niveau des taux de vacance», poursuit-il. Son de cloche similaire chez Anthony Collé: certes, le boom de la construction de logements commencé «à la suite de la prise de conscience des années 2008-2010» n’a pas fini de faire ses effets et «on devrait voir encore pas mal de projets aboutir d’ici à 2017». Le hic? «Au-delà, on risque d’avoir une nouvelle crise du logement, car peu de grandes réalisations sont planifiables avec la nouvelle LAT (loi sur l’aménagement du territoire).» Une nouvelle hausse des prix se dessine donc pour la fin de la décennie.


Sommaire:

Vaud: les années de croissance soutenue des prix sont terminées
Genève: le marché atterrit en douceur, mais il reste cher et compliqué
Fribourg: la détente du marché vaudois menace les promoteurs fribourgeois
Valais: en plaine, les prix progressent. En montagne, ils sont sous pression
Neuchâtel: le haut du canton retrouve son rythme de croisière
Jura & Berne: un marché stable et empli de quiétude

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Régis Colombo www.photographie-aerienne-drone.ch
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Spécial immobilier: l’accalmie se confirme: il est temps d’acheter futé

$
0
0
Jeudi, 24 Septembre, 2015 - 06:00

Immobilier romand. Les prix des logements ont eu tendance cette année à se tasser dans les régions où ils avaient pris l’ascenseur. Ailleurs, là où ils étaient restés plus sages, ils ne progressent plus. La chasse aux bonnes affaires peut commencer.

Patricia Michaud et Patricia Meunier

L’inondation n’a pas eu lieu. Certains experts avaient pourtant promis la mise sur le marché de nombreux logements en 2015 en Suisse romande. Or, «malgré la présence de multiples chantiers, on ne peut pas parler d’un excédent de logements résidentiels», explique Philippe Kaufmann, responsable de la recherche immobilière au Credit Suisse. «On observe ponctuellement une offre trop importante, car il est impossible d’avoir un équilibre en tout temps dans toutes les communes», poursuit-il. Même si l’on constate que le nombre de biens proposés sur le marché a augmenté ces dernières années, le taux de vacance reste inchangé à un niveau peu élevé depuis 2001, ce qui montre que la situation reste stable.

Quelques excès, mais de petite envergure, se dessinent dans certaines régions des cantons de Fribourg et du Valais. «L’offre d’habitations y est plus dense et les prix raisonnables, car il n’y a pas eu de pénurie aiguë», explique Hervé Froidevaux, de Wüest & Partner. Contrairement aux cantons de Genève et de Vaud, où se manifeste un certain manque de biens immobiliers. Du côté de la demande, elle est désormais un peu moins forte qu’il y a quelques années. En cause, le très léger ralentissement de l’immigration. De plus, il faut encore tenir compte de l’incertitude en lien avec la mise en application, dès 2017, des contingents d’étrangers à la suite de l’initiative contre l’immigration de masse.

L’évolution des prix varie selon les régions. Selon le dernier rapport annuel sur la stabilité financière de la Banque nationale (BNS), «les déséquilibres dans de nombreuses régions suisses se sont si fortement creusés que l’accalmie actuelle du marché ne suffit pas encore à les effacer». La BNS constate également que «la surévaluation a pu quelque peu s’estomper grâce à la baisse des prix des propriétés, en particulier autour du lac Léman». Dans cette région, les prix ont ainsi légèrement baissé depuis quelques trimestres. Ce mouvement intervient en réaction à la forte hausse qui s’est produite depuis les années 2000 et que même la crise financière de 2008 n’a pas freinée. D’ailleurs, la progression se poursuit dans le canton de Neuchâtel. Dans le Jura, le marché reste stable.

Des emprunts très avantageux

L’intérêt pour la propriété du logement est, sans surprise, stimulé par l’accalmie des prix. D’autant que les taux d’intérêt pour les emprunts hypothécaires restent historiquement bas. «Cela fait plusieurs années qu’on nous prédit une remontée. Mais elle ne se produit pas», note Catherine Michel, la présidente de l’USPI Vaud.

Au contraire: après l’introduction des taux d’intérêt négatifs par la BNS, certains taux ont brièvement plongé, avant de se stabiliser à un faible niveau. Actuellement, en négociant âprement, «on peut obtenir un taux fixe à 10 ans de 1,6 à 1,8%, voire de 1,3 à 1,4% auprès de certains établissements financiers, constate Stéphane Defferrard, administrateur-directeur de la société DL. A 5 ans, on est dans un ordre de grandeur de 1 à 1,3%, contre 0,9 à 1,1% pour le Libor. Et, à moins d’un gros changement macroéconomique, il ne devrait pas y avoir de forte évolution à la hausse ces prochains temps.» De l’avis d’Yvan Schmidt, partenaire chez iConsulting, «la période est donc toujours propice au blocage des taux».

Le spécialiste observe néanmoins que «certaines banques veulent désormais limiter la durée des prêts à 10 ans, voire moins». De son côté, Stéphane Defferrard rappelle que, «contrairement à la période 2005-2012, durant laquelle on pouvait revendre son bien immobilier dans les deux ans tout en réalisant un bénéfice», il est désormais avantageux d’investir dans un logement «seulement si l’on compte le conserver un certain temps».

L’intérêt accru pour les propriétés par étage (PPE) et les maisons individuelles n’émane pas seulement de personnes désireuses de posséder leurs quatre murs. Dans son rapport, la BNS relève une hausse de l’attrait des investissements immobiliers, notamment pour les ménages. Plusieurs observateurs font le même constat: découragés par les rendements maigrichons offerts par les placements (non risqués) traditionnels, de plus en plus de particuliers s’offrent un ou plusieurs appartement(s) destiné(s) à la location. «Sur la durée, ils peuvent espérer obtenir des rendements nets de l’ordre de 4%», estime Philippe Sormani, président du CIFI. Encore plus optimistes, d’autres experts évoquent une moyenne de 5%.

Cet intérêt pour la pierre «soutient des prix immobiliers qu’on attendait plutôt en baisse», commente le cabinet de conseil Wüest & Partner dans une étude réalisée pour la Banque cantonale de Fribourg. «Encore faut-il pouvoir trouver des objets adéquats à acheter», note Yvan Schmidt. Du côté des immeubles locatifs de plusieurs appartements, le marché est «quasi monopolisé par les caisses de pension, dont les rendements sont mis sous pression par les taux d’intérêt négatifs».

Même si la combinaison entre douceur des taux hypothécaires et tassement des prix pousse de plus en plus d’Helvètes à se poser la question de l’achat d’un logement, bon nombre d’entre eux voient leur accès à la propriété entravé par les conditions strictes d’octroi d’un crédit hypothécaire. La fameuse règle des 10% de fonds propres hors 2e pilier «continue à déployer tous ses effets», note Yvan Schmidt. A tel point qu’un report de la demande se fait sentir sur le marché locatif. Et que le taux de propriétaires parmi les ménages de nationalité suisse, qui n’avait cessé d’augmenter ces dernières années pour atteindre 49% en 2013, a pour la première fois baissé en 2014, à 47,3% (selon l’Office fédéral du logement, qui attribue ce taux parmi les ménages de nationalité étrangère à 17,3%, en léger tassement). Si cette pression accrue a tendance à tirer les loyers vers le haut (+ 5% environ en moyenne, selon le partenaire d’iConsulting), elle est freinée au niveau de l’offre par la mise sur le marché «d’un nombre correct de nouveaux logements».

Le franc fort freine les affaires

Contrairement à l’industrie exportatrice, le marché de la propriété n’est pas directement impacté par la force de la monnaie suisse. Seuls certains de ses segments souffrent sérieusement. Comme les biens en vente dans les régions touristiques du pays, notamment les stations valaisannes. «Le franc fort influence à la baisse la demande de logements de la part d’une clientèle européenne qui doit désormais payer plus cher avec ses euros pour acheter en Suisse», confie Philippe Kaufmann.

Le niveau élevé de la devise helvétique incite les investisseurs étrangers à privilégier des achats immobiliers en zone euro. On observe aussi ce phénomène dans l’analyse des quotas pour les achats de résidences par des non-résidents. Jusqu’à présent, ils étaient toujours remplis à leur maximum. Désormais, ils ne sont pas pleinement utilisés. Le plus gros impact sur l’immobilier de l’évolution de la devise helvétique se situe sans surprise ailleurs: en provoquant un ralentissement de la conjoncture à l’échelle nationale, le franc fort incite tous les acteurs du marché (privés et commerciaux) à la prudence. Une prudence bienvenue après des années de folie? Tout dépendra de son ampleur…


Les gains des propriétaires

Posséder son logement permet de diminuer ses charges mensuelles de parfois plus de moitié. Exemple.

La motivation première des futurs propriétaires est le potentiel d’économies sur les charges de logement. Administrateur et directeur de la société de conseil DL, Stéphane Defferrard donne un exemple concret: «Pour un appartement de 5,5 pièces d’environ 150 m2 comportant deux places de parc à Fribourg, vos dépenses en tant que locataire se situeraient autour de 2800 francs par mois. En tant que propriétaire, et en admettant que le prix d’achat soit de 850 000 francs, votre charge mensuelle serait d’environ 2000 francs avec un taux fixe à 10 ans de 1,5%.» La charge en question se composerait des éléments suivants: les intérêts du prêt à 80% (850 francs par mois), les frais d’entretien effectifs (450 francs par mois) et l’amortissement (700 francs par mois). Ce dernier poste de dépense n’étant rien d’autre que de «l’épargne forcée», le coût réel de ce logement avoisinerait 1300 francs par mois.


Sommaire:

Vaud: les années de croissance soutenue des prix sont terminées
Genève: le marché atterrit en douceur, mais il reste cher et compliqué
Fribourg: la détente du marché vaudois menace les promoteurs fribourgeois
Valais: en plaine, les prix progressent. En montagne, ils sont sous pression
Neuchâtel: le haut du canton retrouve son rythme de croisière
Jura & Berne: nn marché stable et empli de quiétude

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
atelier zéro2 sa FINM, 2015
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Profession: tueuse en série

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:46

Rencontre. Kathrin Hirsbrunner compte plus de 80 000 exécutions à son actif. Ses victimes? Des campagnols et des taupes, nuisibles pour les agriculteurs. Reportage dans les champs.

Sabine Pirolt

«Crac!» Le bruit est bref et glace le sang. C’est celui que Kathrin Hirsbrunner produit en étirant la colonne vertébrale du campagnol qu’elle tient entre ses mains. Il vient de passer de vie à trépas en une seconde. Ni une ni deux, elle pose le minuscule cadavre sur l’herbe verte à côté d’un autre qui gît au pied d’un des 200 pièges dont elle a parsemé le champ. Il s’agit d’un tube métallique, qui se termine par un tunnel. Elle l’installe dans une des galeries creusées par les campagnols. Le piège se déclenche à partir d’une poussée de huit grammes. «J’ai attrapé le mâle et la femelle. Il doit y avoir encore des petits, car la mère a des tétines.» Bienvenue dans le royaume de la seule «taupière» de Suisse.

La Bernoise parcourt le champ de deux hectares, l’oreille aux aguets. Lorsqu’un campagnol est capturé sous terre, en surface, un clapet métallique se rabat et donne l’alerte. «Clac!» Le bruit provient d’un piège à quelques mètres de là. «Dès que j’entends ce bruit, j’y vais le plus vite possible, je ne veux pas laisser l’animal souffrir trente minutes ou une heure.» Kathrin Hirsbrunner s’approche et sort délicatement l’engin du sol. Il est rempli de terre. Visiblement, certains rongeurs font de la résistance. Certains jours, ses seules prises ne sont que des monceaux de terre. «C’est frustrant. C’est comme si les campagnols avaient congé: ils ne parcourent pas les couloirs de leur maison mais se contentent de recouvrir de terre les objets intrus qu’ils y découvrent. Ils ont raison de faire ça: ils ne veulent pas d’imposteurs chez eux.» La quinquagénaire nettoie le tube et le remet en place. Il lui faudra encore un peu de patience, comme au chat roux, qui, dans un champ voisin, attend de capturer une proie depuis plus d’une heure.

Pitié pour les victimes

En moyenne, une journée se solde par la destruction de 150 rongeurs. Dans les plantations d’arbres fruitiers, elle n’en capture que 50 à 70, car les déplacements d’un piège à l’autre prennent plus de temps. Au fait, pourquoi s’en prendre à ces pauvres bêtes? «En creusant leurs galeries, elles forment des tas de terre, truffés de cailloux, sur la surface d’un champ. Lorsque le paysan fauche l’herbe, la terre qu’il embarque avec sa récolte forme des gaz dans le silo, sans parler des cadavres de rongeurs qui pourrissent dans le foin et risquent d’empoisonner une vache.» Autre problème d’importance: au fil des années, les amas de terre prennent le dessus sur les surfaces d’herbe. Adieu les récoltes. Quant aux plantations d’arbres fruitiers qui abritent des souris, elles finissent mal: en hiver, les racines servent de festin aux rongeurs. «J’ai eu un mandat dans une plantation au Luxembourg. J’y ai travaillé une semaine. Ils avaient perdu 30 000 arbres. Je leur ai proposé de former quelqu’un. C’est une activité qui demande de la discipline: il faut attraper jusqu’à la dernière souris, sinon, ça recommence à zéro.»

Tendresse pour les taupes

C’est l’heure de la pause café. Verena, collaboratrice et amie de Kathrin, une ancienne libraire, a mis une casserole d’eau sur le petit réchaud à gaz installé dans la voiture. Au fait, n’ont-elles jamais pitié de leurs victimes? Elles répondent, comme un seul homme: «Bien sûr que oui!» Et de décrire les petits qu’elles attrapent parfois par deux, dans un même piège, «comme s’ils jouaient à se poursuivre dans les galeries». Kathrin Hirsbrunner, elle, a une tendresse particulière pour les taupes. «Elles sont mignonnes et si belles avec leur fourrure soyeuse. Mais je comprends le problème, d’autant plus qu’une taupe a besoin de 150 mètres de corridors pour vivre. Ça en fait, de la terre sur les champs…» Lors de ses premiers mandats, la Bernoise est même rentrée chez elle, sans avoir eu le cœur à en attraper et donc sans salaire. «J’ai fini par me dire que cela n’avait pas de sens.» Depuis, elle s’est bien rattrapée. A ce jour, elle comptabilise quelque 80 000 prises, dont 24 000 uniquement à l’aérodrome militaire d’Emmen. «J’y ai travaillé deux mois par année, durant trois ans, et je fais des contrôles deux fois par année. Les campagnols attirent les oiseaux, dont la présence peut être dangereuse pour les avions.»

Chaque automne, en octobre, elle part travailler dans les Grisons, où elle donne des cours aux paysans. «J’en ai déjà formé vingt-deux. Dans certains champs, il ne reste plus que 30 à 40% d’herbe. Je facture une journée 900 francs. A long terme, ne pas agir coûte bien plus cher.» Il faudra au moins trois ou quatre ans aux agriculteurs grisons qui la mandatent pour attraper tous les campagnols. Là-bas, en altitude, l’herbe est tellement riche et les vers de terre si dodus que les rongeurs sont plus fertiles. Alors qu’en plaine, le poids moyen d’un adulte est de 100 à 130 grammes, là-haut, il est de 200 grammes. «Il m’est même arrivé d’attraper un campagnol de 19 centimètres de long. J’ai écrit à l’Université de Zurich, ils étaient fascinés par ma prise.»

Alors que les deux femmes sont occupées, le chat roux, bredouille, s’est approché d’un des pièges qui ont bien fonctionné. Il se sert et repart bien vite avec deux dépouilles dans la gueule. Pas grave, de toute façon, à la fin de la journée, les autres dépouilles seront déposées au bord de la forêt pour les renards, notamment.

Si les agriculteurs sont soulagés par l’action des deux «taupières», il arrive que leur présence dans un champ provoque des réactions violentes de la part de promeneurs. «Certains sont très agressifs. Ils nous traitent d’assassins et de trous… Plus nous travaillons près des villes, plus c’est le cas. Une personne a même pris mon numéro de plaque minéralogique pour me dénoncer à la police. Les gens pensent que le lait vient de la Migros… Alors j’ai fait des panneaux pour expliquer notre activité.»

Reconversion

Kathrin Hirsbrunner n’a pas toujours parcouru les champs, aux trousses des souris. D’abord sculptrice, elle a ensuite travaillé avec des personnes handicapées ou souffrant de troubles psychosociaux. «Au bout de douze ans, j’avais envie de me mettre à mon compte, d’avoir une activité en plein air qui me permettrait de bouger.» Alors qu’elle cherchait une bonne idée, un reportage sur le dernier taupier professionnel de Suisse lui est revenu à l’esprit. On est alors en octobre 2004. «L’hiver durant, j’ai lu, sur internet et dans les bibliothèques, tout ce que je trouvais sur les campagnols. Mais, avec l’expérience, je peux dire que la moitié ne joue pas.» Les premières semaines, elle s’est fait la main, bénévolement, chez les agriculteurs. Aujourd’hui, elle croule sous les demandes. Son emploi du temps dépend de nombreux facteurs: la météo, la géographie d’un champ, la date de fauche – elle intervient deux ou trois jours après pour une meilleure visibilité –, la saison. «Je fais deux mois de pause par année: janvier et février. Le premier mois, je m’occupe de la paperasse, le deuxième, je m’envole dans une autre partie du monde pour faire du parapente. Et je ne pense plus aux souris…»

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Dominic Büttner
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Dis-moi comment tu cours, je te dirai qui tu es

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:47

Eclairage. Alors que des milliers de «populaires» s’apprêtent à prendre, dimanche 4 octobre, le départ de Morat-Fribourg, le psychologue et psychothérapeute Nicolas Duruz publie un petit ouvrage dans lequel il dresse une typologie des différentes manières de courir.

Stéphane Gobbo

Impossible de faire deux pas en ville ou à la campagne sans croiser de joggeurs. Chaque année, la course à pied attire de nouveaux adeptes, en témoigne le succès exponentiel des compétitions populaires. Psychologue et psychothérapeute, Nicolas Duruz s’y est mis lui aussi, mais sur le tard. Il avait 60 ans, c’était en 2003, lorsque son fils l’a défié de prendre avec lui le départ des 10 kilomètres de Lausanne. Le plaisir de courir fut si grand que celui qui est aujourd’hui professeur honoraire de psychologie clinique à l’Université de Lausanne n’a depuis jamais arrêté. «Mais sans que cela devienne une addiction», précise-t-il.

Nicolas Duruz publie aujourd’hui un petit ouvrage* dans lequel il fait part de son expérience, centrée sur l’impression que l’acte de courir lui permet de pleinement vivre l’instant présent et de se ressourcer intérieurement grâce à un effort soutenu mais non forcé. Dans la seconde partie de son essai, il dresse une typologie du courir basée sur une grille anthropologique établie par le psychanalyste belge Jacques Schotte. Celle-ci permet de classer tous les types de production humaine, il l’a adaptée à la course à pied pour postuler qu’il existe quatre façons de courir, sans que l’une élimine l’autre.

Courir contactuel

«Habiter le monde de manière contactuelle, c’est vivre ce monde en faisant l’expérience de lui être rattaché par un lien primordial», écrit Nicolas Duruz. Le coureur contactuel se vide la tête, voit des idées surgir et repartir aussi vite. Il appréhende le monde en le respirant, il est dans l’immédiateté du geste, à l’écoute de son corps et du monde qui l’entoure. «C’est une manière de vivre le temps et l’espace autrement, sans se préoccuper du chronomètre, explique le psychologue. C’est le premier état du coureur, on se sent bien, quelque chose résonne en nous sans que l’on ait besoin de se poser la question du «Qui suis-je?».

Courir performant

«Lorsqu’on court performant, notre corps est comme un objet devant nous, le temps et l’espace sont objectivés. On devient alors un technicien, on se spécialise, mais on perd le lien avec la sensation du monde environnant. S’inscrire à une course, c’est faire vibrer cette dimension performance, puisqu’il y a un coup de feu au départ et un classement à l’arrivée. La route n’est plus sentie, mais mesurée. On se concentre sur l’effort forcé, sans laisser sa pensée vagabonder.»

Courir collectif

Il est ici question du vivre ensemble. Du plaisir et du surplus de motivation ressentis lorsqu’on court au sein d’un groupe. «C’est une sensation qu’il fait bon expérimenter, mais il faut respecter une éthique sportive, parce que le vivre ensemble implique des règles. Et si l’on est reconnu quand on les respecte, avec la satisfaction qui en découle, on est éjecté dans le cas contraire.» Lorsqu’on court collectif, anonyme au sein d’une foule, on se situe également par rapport à la communauté des non-coureurs, dont le regard peut être «bienfaisant en tant que source de reconnaissance», mais aussi «aliénant lorsqu’il véhicule exagérément des normes de conduite qu’il faut satisfaire à tout prix».

Courir motivé

«Après quel idéal court-on quand on court? Qu’est-ce qui nous anime, qu’est-ce qu’on veut se prouver? Le coureur motivé se construit dans ses idéaux et ses fantasmes.» Courir motivé, c’est aller au-delà de la performance, être porté par une passion qui nous pousse à aller au-delà de nos limites. En ce qui le concerne, Nicolas Duruz avoue privilégier le courir contactuel, pour le plaisir simple de se sentir en syntonie avec le monde environnant. Il est néanmoins parvenu en 2009 à courir le semi-marathon de Lausanne en moins de deux heures!

* «Dis-moi pourquoi tu cours – Comment la course à pied nous révèle à nous-mêmes». De Nicolas Duruz. Ed. Médecine & Hygiène, 120 p.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
LUKAS LEHMANN KEYSTONE
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Alana, la jeune fille aux trois parents qui inspire un chercheur suisse

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:48

Décodage. Un scientifique zurichois se trouve au cœur d’un projet pour produire des embryons à partir de l’ADN de trois personnes. Cela permettrait d’éviter de leur transmettre certaines maladies mitochondriales.

Julie Zaugg

Avec ses cheveux châtains rabattus derrière les oreilles, ses bagues et son sourire timide, Alana Saarinen a tout de l’adolescente typique. La jeune fille originaire du Michigan diffère toutefois de ses congénères sur un point crucial: elle possède l’ADN de trois personnes. Ne parvenant pas à tomber enceinte, sa mère s’est tournée, à la fin des années 90, vers une technique expérimentale testée par l’hôpital Saint Barnabas, dans le New Jersey.

Celle-ci consistait à injecter les mitochondries d’une donatrice dans son ovule avant que celui-ci soit fécondé par le père d’Alana. Les chercheurs de Saint Barnabas pensaient qu’un apport de mitochondries fraîches, des structures ovoïdes qui aident la cellule à transformer l’oxygène en énergie, un peu comme des piles, permettrait de revitaliser les ovules de femmes mûres.

Le candidat idéal

Une trentaine d’enfants sont nés ainsi entre 1997 et 2001. Ils ont l’ADN de leurs deux parents, mais aussi celui des mitochondries de la donatrice. Ils passeront ce triple héritage génétique à leur descendance. La procédure a toutefois été interdite en 2001 par l’autorité sanitaire américaine (FDA), faute de connaissances sur les effets de ce mélange.

En 2010, Michio Hirano, chercheur à Columbia, a décidé de lui redonner vie, inspiré par les travaux de l’Université d’Oregon et de Newcastle. Il a fait appel pour cela au Suisse Dieter Egli, de la New York Stem Cell Foundation. Le Zurichois, arrivé à Harvard en 2005 pour travailler sur la production de cellules capables de générer de l’insuline, était l’un des rares spécialistes mondiaux du transfert nucléaire de cellules somatiques, une méthode qui consiste à remplacer le noyau d’un ovule par celui d’une autre cellule. Il était le candidat idéal pour tester la production d’embryons à partir de l’ADN de trois personnes.

Questions éthiques

«Nous avons extrait le noyau d’un ovule, puis l’avons implanté dans l’enveloppe d’un autre ovule», relate Michio Hirano. Cela a permis de créer une cellule reproductrice contenant l’ADN nucléaire d’une femme et l’ADN mitochondrial d’une autre. Cette fois, l’objectif n’était pas de guérir l’infertilité, mais d’éviter la transmission d’anomalies contenues dans l’ADN mitochondrial de la mère en le remplaçant par du matériel génétique «sain» fourni par une donatrice.

Environ 1 enfant sur 200 naît avec une anomalie mitochondriale. «Ces défauts génétiques peuvent provoquer des maladies graves chez l’enfant, comme le syndrome de Leigh (qui affecte la neuromotricité, ndlr), des myopathies, des problèmes cardiaques, la cécité ou la surdité», indique Philip Yeske, le responsable scientifique de l’United Mitochondrial Disease Foundation.

Michio Hirano et Dieter Egli cherchent désormais à obtenir une autorisation pour fertiliser cet ovule transformé et voir s’il se développe normalement. La FDA a mandaté l’Institut de médecine, un organisme non gouvernemental, pour examiner les dangers liés à cette technique. Il livrera ses conclusions d’ici à avril 2016. Les premiers essais cliniques auront lieu en 2017 au plus tôt. Les Etats-Unis deviendraient alors le deuxième pays au monde à les autoriser, après la Grande-Bretagne qui a donné son feu vert en février.

Les craintes sont liées aux effets d’une telle manipulation génétique sur l’enfant à naître. «Des tests menés sur des souris et des mouches ont montré l’apparition de problèmes cardiovasculaires, un vieillissement prématuré, des défauts neurologiques et un risque d’infertilité», détaille Sheldon Krimsky, spécialiste de la génétique de l’uni-versité Tufts. Deux des embryons produits à l’hôpital Saint Barnabas à la fin des années 90 ont développé le syndrome de Turner, une maladie chromosomique rare.

Dieter Egli pense que ces peurs sont infondées. Pour le démontrer, il a créé deux lignées de cellules souches à partir des échantillons de peau de deux femmes et une avec leur ADN combiné. Toutes trois «se sont comportées exactement de la même façon et sont parvenues à se différencier sans accroc en différents types de cellules», relève le chercheur suisse.

Combiner l’ADN de trois personnes soulève aussi des questions éthiques. Si on peut manipuler les gènes d’un enfant pour lui éviter une maladie héréditaire, pourquoi ne pas aussi améliorer son apparence physique? Et qu’en est-il de la donatrice: aura-t-elle un lien de parenté avec l’enfant qui porte son ADN mitochondrial?

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Alec Soth MAGNUM PHOTOS / KEYSTONE
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Un nouveau prix pour le 7e art

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:49

Zoom. L’Association pour la promotion du cinéma en Suisse a remis son premier Filmmaker Award, un prix d’encouragement doté de 100 000 francs.

Stéphane Gobbo

Dans un pays comme la Suisse, où le cinéma est en grande partie subventionné par l’Etat et le service public, chaque initiative privée qui apporte un soutien aux producteurs et réalisateurs est à saluer. Comme celle de l’Association pour la promotion du cinéma en Suisse, fondée en décembre dernier, qui s’est donné pour noble mission de décerner chaque année un Filmmaker Award doté de 100 000 francs à un long métrage – fiction ou documentaire – ayant besoin d’un financement supplémentaire pour pouvoir démarrer son tournage ou achever sa postproduction.

Cette association d’utilité publique, née sous l’impulsion de Georges Kern, CEO de la marque horlogère IWC Schaffhausen, et réunissant le réalisateur Marc Forster, les directeurs du Zurich Film Festival (ZFF), Nadja Schildknecht et Karl Spoerri, ainsi que le CEO de Ringier (éditeur de L’Hebdo), Marc Walder, a reçu quarante-trois dossiers. Quatre finalistes ont d’abord été retenus par un jury, avant que, dans le cadre du ZFF, le lauréat ne soit dévoilé. Ou plutôt les lauréats, puisque le chèque a finalement été divisé.

Exporter le cinéma suisse

Composé de Marc Forster, Georges Kern et Karl Spoerri, le jury a en effet décidé de récompenser non pas un, mais deux des finalistes. Les producteurs Bernhard Burgener et Norbert Preuss, ainsi que le réalisateur Michael Steiner, ont ainsi reçu 75 000 francs pour Und morgen seid ihr tot, une fiction basée sur l’histoire vraie de deux ressortissants suisses kidnappés par les talibans au Pakistan en 2011, et dont le tournage doit démarrer en février prochain en Inde. De leur côté, la productrice Lisa Blatter et le réalisateur Jan Gassmann se sont vu remettre 25 000 francs pour le documentaire Europe, She Loves, déjà tourné, et qui brosse le portrait de cinq couples luttant pour survivre dans une Europe en crise. Les prix ont été remis par l’acteur autrichien Christoph Waltz, homme de théâtre révélé au cinéma par Quentin Tarantino.

Ces deux projets, espère l’Association pour la promotion du cinéma en Suisse, ont tout pour bénéficier d’une large distribution. Car c’est là son ambition: permettre au cinéma helvétique, souvent confiné sur son territoire, de partir à l’assaut des marchés internationaux, avec l’espoir louable que le succès appelle le succès, ou du moins attire l’attention sur une cinématographie qui reste, il faut bien l’avouer, fort discrète sur la scène européenne.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Getty Images
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Mon cher Alexis, tu es un artiste. Chère Angela, je rigole. Mais après?

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:50

Fiction. Echange de mails entre la chancelière allemande et le premier ministre grec.

De: Angela Merkel   À: Alexis Tsipras

Objet: Ach du lieber Gott!

Bonn, le 21 septembre, 17 h 35

Mon cher Alexis,

Quel artiste tu es… En janvier, c’était à bas la rigueur. En juillet, c’était d’accord pour la rigueur. Et en septembre, c’est vive la rigueur! Il est arrivé que des politiciens connaissent deux succès consécutifs en quelques mois. Mais qu’une même personne d’un même parti triomphe avec deux programmes en contradiction complète l’un avec l’autre, c’est une première dont parleront les livres d’histoire. Tu as, au passage, réduit en cendres tes dissidents et passé alliance avec un parti souverainiste, toi, homme d’extrême gauche, tout ça avec le sourire et ta chemise blanche bien proprette… Ach du lieber Gott, Alexis, tu as toute mon admiration. Tu me proposais, dans un précédent courrier, de venir trouver l’inspiration au bord d’une de vos magnifiques criques. A l’évidence tu as dû user de la recette… Car en plus du reste tu as réussi à chambouler l’ordre des choses dans les gauches européennes. Elles observent ton succès et rient jaune… Elles doivent s’interroger. Faudrat-il dorénavant, pour gagner dans les urnes, faire passer les règles de base de l’économie avant la rhétorique? Difficile exercice… Mon ami Hollande en sait quelque chose… Tu devrais lui donner un coup de main.

Machiavel dit que le vrai Prince saisit les difficultés de l’histoire à son avantage et les transforme en marches de son ascension. De Gaulle est revenu au pouvoir en 1958 grâce aux troubles en Algérie, et l’a saisi en jouant sur l’ambiguïté de son «Je vous ai compris.» Tu as construit ton succès en étant aussi opportuniste – et habile – que lui. Ce n’est pas une mince réussite.

Je t’embrasse,

Angela

P.-S. Devant un tel savoir-faire, je m’interroge: n’est-ce pas toi et tes acolytes qui avez décidé d’assouvir une petite vengeance avec l’Allemagne? En mettant K.‑O. notre chère Volkswagen? Entre nous?
 


De: Alexis Tsipras   À: Angela Merkel

Athènes, le 21 septembre, 22 h 30

Chère Angela,

Très touché par ton mot. C’est vrai, j’ai une majorité, ceux de la gauche caviar ont été balayés (Pasok: 5%, je rigole…) et le Parlement va voter comme on lui dira. Mais après? Comment mettre les réformes en place? Nous n’avons pas de culture économique. Tu veux un exemple? La privatisation des aéroports. Nous l’avons confiée à Fraport, qui gère Francfort et une demi-douzaine d’aéroports étrangers. A Varna et Burgas, sur la mer Noire, sous leur gestion, le nombre de passagers a passé de 500 000 en 2007 à près de 4 millions l’an passé. Chez nous, à Corfou, où l’aéroport fonctionne dans des conditions honteuses, le maire de la ville s’oppose à leur venue, estimant que «ce qu’ils n’ont pas réussi à faire de nous pendant la Deuxième Guerre, ils le feront maintenant». Tu vois où nous en sommes…

Je t’embrasse,

Alexis

P.-S. Il y a quinze jours, ma femme et moi allons déjeuner chez les Varoufákis. «Yánis arrive», nous dit sa femme. Finalement il apparaît, les mains pleines de cambouis: «Je vérifiais quelque chose sur la VW de ma femme…» Il s’approche de moi, le sourire sardonique, et me glisse: «Ce coup-ci, je le tiens par les couilles, Schäuble.»

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

L’infernale saga du diesel, le moteur à la sale réputation

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:51

Récit. Rudolf Diesel voyait dans son propulseur une machine symbolique apte à combattre la malice des puissances de l’argent. Son éthique trahie aujourd’hui par la tricherie de Volkswagen, reste son moteur, dont il a eu l’intuition lors d’un stage chez Sulzer à Winterthour. Une machine ingénieuse, mais crasseuse dans l’âme. 

Luc Debraine

Le diesel est un moteur à explosion. Il en connaît une majeure par siècle. L’une aujourd’hui, l’autre en septembre 1913. Rudolf Diesel disparaissait alors en mer du Nord. Il se rendait en Grande-Bretagne pour vendre son invention aux autorités du royaume, désireux d’équiper sa flotte d’une technologie fiable et endurante. C’est ici que l’histoire commence à distiller sa malice: le moteur de Diesel dégageait moins de fumées noires que les chaudières à charbon, si repérables de loin par les ennemis de la couronne. La guerre avec l’Allemagne menaçait. Voilà que Rudolf Diesel, 55 ans, passait par-dessus bord en pleine nuit et tension internationale. Son corps fut retrouvé dix jours plus tard par des pêcheurs hollandais.

Le scandale a été énorme. Peu importe que l’ingénieur se soit certainement suicidé: il était dépressif, critiqué pour son idéalisme, quasi en faillite. En Europe et aux Etats-Unis, les gazettes ont ruminé les causes possibles de la disparition. Comme un assassinat commandité par les services secrets du Kaiser ou par les pontes de l’industrie du charbon. Un siècle plus tard, une nouvelle infamie touche le diesel: le groupe Volkswagen a truqué les calculateurs de ses voitures au moteur turbo diesel (TDI) pour que celles-ci avancent masquées, blanches dehors, noires dedans.

Les dirigeants de VW le concèdent eux-mêmes: il s’agit d’un désastre moral. Une trahison, en somme, de l’éthique de Rudolf Diesel. Non que celui-ci ait eu pour ambition de concevoir un moteur propre. L’enjeu sanitaire et environnemental était absent des réflexions de son époque sur les moyens de surpasser le symbole de la révolution industrielle: la machine à vapeur. Mais Rudolf Diesel avait un solide système de valeurs. Né à Paris en 1858 dans une famille bavaroise aisée, il parlait couramment français, allemand et anglais. Ce surdoué en mécanique s’intéressait à la linguistique aussi bien qu’à la lutte des classes. S’il décide, dans les années 1880, de concevoir un moteur thermique à haut rendement, c’est pour que celui-ci fonctionne avec toutes les huiles possibles, dont les végétales. Diesel gagnera la plus haute distinction de l’Exposition universelle de Paris en 1900 avec un propulseur qui tournait à l’huile d’arachide. Il voulait que les producteurs et agriculteurs les plus défavorisés dans le monde puissent fabriquer des biocarburants, engrangeant davantage de revenus pour s’affranchir des puissances qui les gouvernaient. A l’origine, le diesel était un moteur social, une machine symbolique conçue pour lutter contre l’injustice et la tromperie. Que reste-t-il aujourd’hui de cette éthique? Un champ de suie et d’oxydes azotés, merci VW.

Une idée à Winterthour

Rudolf Diesel a eu les premières intuitions d’un nouveau moteur à combustion interne à Winterthour, en 1879. Jusqu’alors, il s’intéressait aux méthodes de réfrigération enseignées par son professeur à l’école polytechnique de Munich, Carl von Linde, l’inventeur du frigo. Au moment où le jeune homme devait passer ses examens finaux, il a attrapé la typhoïde. Dans l’attente d’une prochaine session d’examen, Carl von Linde a envoyé son meilleur élève en stage chez des amis industriels, les frères Sulzer. Ces derniers travaillaient aussi sur les machines frigorifiques. Pendant les six mois qu’il a passés chez Sulzer, et à l’école technique de la ville zurichoise, Rudolf Diesel s’est familiarisé avec les lois de la thermodynamique. Ainsi qu’avec les méthodes de travail de cette grosse entreprise, qui employait 1300 personnes, dont beaucoup étaient de brillants ingénieurs mécaniciens.

Un acquis décisif dont Rudolf Diesel se souviendra plus tard. A peine son brevet de moteur enregistré en février 1893 à Berlin, une licence de fabrication industrielle était passée avec les frères Sulzer. Ces derniers, en compagnie de Krupp et du constructeur de machines MAN, avaient auparavant financé les recherches entêtées de Rudolf Diesel. Cette confiance réciproque aboutira en 1898 au premier diesel fabriqué par Sulzer. Puis aux gros moteurs pour bateaux ou locomotives qui assureront la fortune de l’entreprise alémanique pendant des décennies.

L’ingénieur allemand a beaucoup appris chez Sulzer, comme celle-ci s’est beaucoup inspirée par la suite de ses méthodes empiriques. Rudolf Diesel savait que, pour un ingénieur, l’obsession du résultat à tout prix était contre-productive. Pour lui, son moteur n’était pas un objet, mais presque un sujet rationnel. Dont les erreurs et ratés devaient être consignés avec méticulosité et constamment réinterprétés selon les avancées rapides du savoir mécanique à l’époque. Diesel n’aimait pas les attitudes dogmatiques, les estimant contraires au bon développement d’une technique sur plusieurs générations, pour le bien du plus grand nombre.

Le péché d’arrogance

Là aussi, on mesure l’abîme entre cette éthique d’ingénieur et les tricheries méphistophéliques de VW. Ce qui a en définitive perdu les responsables du groupe de Wolfsburg, c’est la certitude de leur supériorité technique. Personne n’était censé repérer le subterfuge informatique des moteurs TDI. Trop habile! Il a fallu que d’autres ingénieurs, en particulier ceux du laboratoire californien des transports, remettent en question leurs propres données enregistrées lors des tests de pollution de VW et Audi pour que l’affaire éclate enfin au grand jour.

Pendant des mois, racontait l’autre jour le New York Times, les responsables de VW Etats-Unis ont traité avec mépris les résultats du laboratoire officiel de Californie. Si les données étaient étonnantes, concluant à l’émission massive d’oxydes d’azote des moteurs TDI en conditions réelles de circulation, c’était la faute des méthodes erronées du laboratoire américain, a martelé VW à plusieurs reprises. Or, l’approche du travail des spécialistes américains était la bonne: essayer, consigner, interpréter, réinterpréter, prendre du temps, mettre en doute ses propres observations et arriver à une conclusion qui n’avait pas du tout été anticipée au début de la recherche, en l’occurrence la duperie volontaire. Exactement le pragmatisme expérimental prôné par Rudolf Diesel, il y a un bon siècle. Pour rappeler un philosophe allemand, l’histoire nous apprend que l’homme n’apprend jamais rien de l’histoire.

Celle-ci est également rude envers le moteur diesel. Il a été conçu pour le couple et le rendement, c’est-à-dire le ratio de puissance mécanique restituée par rapport à la puissance thermique fournie par le carburant. Ce ne sont pas des bougies, comme dans un moteur à essence, qui provoquent l’explosion dans les chambres de combustion, mais un fort taux de compression. Cette haute pression exige la conception de moteurs très solides, lourds, onéreux, encombrants, complexes. Sans aucune prothèse protectrice, un moteur diesel crache une invraisemblable glaire nocive. L’adjonction de systèmes d’injection directe ou de filtres à particules a fortement réduit cette nocivité. Mais le propulseur reste polluant en raison de son principe même, l’auto-inflammation du mélange air-carburant. Il comporte toujours dans ses cylindres des zones à excès d’air qui favorisent la formation d’oxydes d’azote, ainsi que des zones à excès de gasoil qui produisent des particules de suie.

Il existe bien des filtres à urée, comme ceux utilisés dans le système BlueTEC de Mercedes-Benz, qui absorbent l’essentiel des NOx. VW avait décidé de se passer de réservoir d’urée, un système jugé trop onéreux pour ses modèles les plus populaires. Le colosse allemand a longtemps assuré que sa technologie TDI (à injection directe de carburant) fonctionnait très bien ainsi, avec toutes les garanties de propreté exigées par des normes européennes ou américaines de plus en plus sévères. Il s’agissait en fait d’une impasse technologique, dont VW est sorti pendant quelques années grâce à de discrètes lignes de codes informatiques. Qu’on le veuille ou non, le moteur diesel est crasseux dans l’âme.

Il reste poussé par de puissants intérêts politiques et financiers, comme au temps de Rudolf Diesel. Si son carburant a été défiscalisé dans des pays comme la France, c’était à l’origine pour protéger les transporteurs et agriculteurs des aléas de la conjoncture.

Faibles émanations de Co2

Les constructeurs automobiles, comme PSA (premier constructeur mondial de moteurs diesels), ont pu tirer avantage du bas prix du fioul léger. Outre son couple et sa basse consommation, une autre qualité du diesel est sa faible production de CO2, par rapport à son équivalent à essence raffinée. Une aubaine pour les marques d’autos et les autorités publiques, désireuses de se montrer bonnes élèves dans le dossier du réchauffement climatique. En oubliant au passage que le fameux diesel émet beaucoup d’oxydes cancérigènes.

Nous voilà ainsi avec la France et l’Allemagne – les deux principaux pays producteurs de moteurs diesels – qui tentent de protéger une industrie en fort péril. Avec toujours l’argument de la dernière réglementation en date, en l’occurrence Euro 6, qui garantit enfin, pas trop tôt, l’innocuité du propulseur. Sous-entendant au passage que la réglementation précédente n’était en vérité pas terrible, malgré toutes les assurances d’immaculée conception à l’époque.

Le sort du diesel automobile est réglé aux Etats-Unis, qui ne se feront pas prendre deux fois. En Europe, la donne est plus délicate avec des intérêts industriels gigantesques. Et un parc qui carbure à plus de 50% (jusqu’à 73% en Irlande) grâce au fioul graisseux. En Suisse, où 129 000 voitures sont équipées du TDI du type tricheur EA 189, la circonspection a toujours été de mise envers cette motorisation. Même si, grâce à de puissants efforts de marketing, la part de diésélisation des véhicules neufs a grimpé l’an dernier à 37%. Entre interdictions de commercialisation des véhicules touchés par le scandale VW et les dégâts considérables à l’image du diesel, la longue histoire de ce moteur est sur une courbe décroissante, amorcée avant même la révélation de la fraude. Contrairement à ce qu’espérait Rudolf Diesel, le temps ne travaille plus pour lui. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Getty Images
DR
DR
DR
DR
DR
DR
DR
DR
DR
REUTERS Wolfgang Rattay
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Patrick Maxime Michel: "La Suisse aurait un rôle capital à jouer pour sauver ce qui reste du patrimoine syrien"

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:52

Interview. Patrick Maxime Michel a réalisé ses premières fouilles en Syrie en 1998. Il parle de sa colère après la destruction du site antique de Palmyre par Daech. Il met aussi en lumière le lien qui unit la Suisse à ce patrimoine culturel mondial. Et explore les options qui permettraient de sauver les trésors archéologiques.

Propos recueillis par Sou’al Hemma

Quel est l’intérêt pour Daech de détruire ces monuments?

Il existe deux raisons. La première est celle que l’on entend le plus souvent: Daech souhaite éliminer toute trace de culture antérieure à l’islam. Non seulement parce qu’il considère les autres religions comme païennes, mais aussi, et surtout, parce qu’il veut anéantir la mémoire collective. Ce patrimoine commun permettrait à la population de se reconstruire, de se rappeler qu’elle a eu une histoire plurielle, un savoir-vivre qui fonctionnait. Or, cette idée est in-concevable pour Daech. Et l’autre pan, c’est le marché de l’art.

C’est-à-dire?

En détruisant des sites antiques, les membres de Daech créent une demande et augmentent la valeur des objets qui obtiennent le statut de reliques du jour au lendemain. C’est une stratégie pour financer leurs actions. On estime aujourd’hui que le trafic illégal d’antiquités leur a déjà permis de générer plusieurs dizaines de millions de dollars.

Et comme ils maîtrisent désormais plus de 50% du territoire syrien, ils vendent aussi de nombreux permis de «fouille»: si le détenteur pille par ses propres moyens, il versera quelque 20% de son bénéfice à Daech. S’il emploie le matériel mis à sa disposition, Daech percevra entre 40 et 50% du montant des ventes. Ce système est extrêmement grave. D’autant plus qu’il devient difficile pour certains de résister à la tentation du gain facile, sachant qu’ils n’ont plus de travail et une famille à nourrir.

Le but ne serait donc pas de provoquer la communauté internationale?

Souffler des temples à la dynamite, décapiter des hommes, c’est provocant, bien sûr. Mais ce qu’ils cherchent, c’est d’abord à démontrer qu’ils n’ont aucune limite et que les valeurs que nous portons ne signifient rien pour eux. C’est leur manière d’instaurer un nouvel ordre.

Sait-on au moins de manière certaine qui est à l’origine de ces destructions?

Une grande partie de nos informations vient du responsable de la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie, le Dr Maamoun Abdulkarim. Un homme responsable et intègre qui vérifie ses sources. Pour le reste, il est vrai que nous avons eu parfois des doutes. Certaines photos montrent des soldats en treillis militaire portant des bustes. Comment savoir s’il s’agit ou non d’un soldat de l’armée régulière?

Et comment s’assurer que ces destructions ne sont pas feintes?

On aimerait avoir un doute, et le seul moyen de vérifier serait de se rendre sur place, ce qui est impossible tant que Daech contrôle ces lieux. Mais les images satellites ont chaque fois confirmé les annonces faites par les spécialistes syriens. En ce qui concerne le temple de Baalshamîn, à Palmyre, une photo prise le 26 juin a par exemple été publiée par l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche le 28 août. Ces images satellites laissent finalement peu de place à l’incertitude, même si la qualité n’est pas toujours satisfaisante: on ne voit pas clairement les tas de gravats.

Connaît-on l’ampleur des pertes archéologiques?

A ce jour, les seules preuves restent les photos satellites. Il est impossible de savoir exactement ce qu’ils ont pris, revendu ou détruit.

Pourrait-on canaliser, voire arrêter, ces destructions?

Si une coalition internationale se mettait sur pied aujourd’hui, ce serait dans le but de sauver les gens et non le patrimoine. Un objectif plus que louable même si, aussi terrible que cela puisse paraître, je ne peux m’empêcher de penser au fait que tout homme est voué à mourir. Tandis que les monuments, eux, peuvent traverser des siècles. Le temple de Baalshamîn, par exemple, aurait eu 2000 ans cette année…

Vous dites que la protection du patrimoine culturel serait encore plus importante que celle de vies humaines?

Ce n’est pas comparable. Mais il n’en reste pas moins que ce patrimoine matériel représente une mémoire immatérielle. A l’image du Parthénon à Athènes, qui matérialise l’idée de démocratie, ces sites portent et véhiculent des valeurs. Les détruire, c’est effacer notre mémoire et empêcher les générations futures de se souvenir d’où elles viennent. C’est pour cela qu’on va jusqu’à parler de «génocide de monuments».

Orpheline de son patrimoine, la Syrie pourrait-elle ne pas réussir à se reconstruire?

Ce sera difficile, mais on ne peut qu’espérer qu’elle y parvienne.

Certaines pièces ont pu toutefois être sauvées?

Tout ce qui pouvait être sauvé a vraisemblablement été sauvé. Dans les mois qui ont précédé la prise de Palmyre par Daech, une grande partie des objets a été transportée et mise en lieu sûr. L’idéal, aujourd’hui, serait de récupérer les pièces qui n’ont pu être emmenées à temps et que Daech aurait vendues sur le marché noir.

Comment?

En créant ou en alimentant des bases de données de sites et de monuments, tel que le Sites and Monuments Record for Syria, ainsi que d’objets, à l’instar du General Inventory of Artefacts in the Museums of Syria. Cette démarche est d’ailleurs en cours: on regroupe les inventaires des musées et des missions archéologiques avec l’aide des chefs de mission. On pense aussi utiliser les photos de touristes de passage sur les sites ou dans les musées. Tout cela afin d’empêcher qu’un objet ne soit vendu sur le marché noir. Lorsqu’une pièce arrive dans une salle de vente, on peut ainsi procéder à une vérification via la plate-forme de données. Cette action de court-circuitage internationale se poursuit notamment avec l’aide d’associations comme Shirin.

Cela, c’est sur le plan scientifique. Et au niveau politique?

De nombreux objets sont encore en sécurité à Damas. Mais si Daech arrive aux portes de la capitale? La Suisse aurait alors un vrai rôle à jouer, en tant que pays neutre sans passé colonial. Les Etats étrangers sont sans doute moins frileux à déposer des objets chez nous, nos musées n’ont pas les mêmes problématiques que ceux de Berlin ou de Londres avec l’Egypte ou la Grèce. Un exemple reste celui du Musée de l’Afghanistan en exil, ce musée éphémère installé dans la campagne bâloise a donné refuge à de nombreux biens culturels afghans entre octobre 2000 et 2006. La Confédération pourrait réitérer l’expérience et mettre des safe heavensà la disposition de la Syrie. Le problème, c’est que ce système ne pourrait être mis en place que sur requête du gouvernement syrien. Or, demander une telle chose reviendrait à reconnaître qu’il a failli. Un aveu de faiblesse peu imaginable de la part d’un tel régime.

La Suisse devrait d’ailleurs se sentir particulièrement touchée par ces récentes pertes archéologiques…

Effectivement. C’est l’archéologue genevois Paul Collart qui a, entre 1954 et 1956, exploré et remis sur pied le temple de Baalshamîn. Financée par le Fonds national de la recherche scientifique, cette fouille représente la toute première grande mission archéologique suisse à l’étranger, un pan très important de l’histoire suisse. Les résultats de ces fouilles sont d’ailleurs conservés à l’Université de Lausanne. Leur valeur documentaire est inestimable, d’autant plus s’il fallait réfléchir à une reconstruction.

Ce serait donc réalisable? Grâce à l’impression 3D?

Des chercheurs des Universités Harvard et d’Oxford l’ont proposé. En collaboration avec l’Unesco et des partenaires locaux, ils souhaitent survoler les lieux dotés d’objets d’importance historique avec des milliers de caméras 3D. Je ne suis personnellement pas pour si l’idée est de reconstruire sur le même site.

Pourquoi?

Historiquement, un site a une mémoire. Y reconstruire un monument de manière artificielle, c’est perdre cette valeur historique. Sans parler du fait qu’il faudrait en l’occurrence monter une dalle de béton. Ce serait absurde archéologiquement et écologiquement. Une autre idée, aussi lancée par les chercheurs britanniques, est de récolter le maximum d’images d’ici à la fin de l’année 2017. S’il venait à être entièrement détruit, le patrimoine pourrait ainsi continuer à vivre de manière numérique. On pourrait même imaginer organiser des visites virtuelles.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Nicolas Righetti Rezo
Archives Collart - UNIL
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Bloqueurs de pubs: un dilemme à 22 milliards

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:53

Analyse. Les zappeurs de publicités font leur apparition sur les iPhone. C’est une libération pour les internautes, et un drame pour les éditeurs.

François Pilet

Jusqu’ici, tout va bien. Jusqu’ici, tout va bien. Alors qu’un nouveau tsunami menace leur fragile modèle d’affaires, les éditeurs de presse contemplent l’horizon en se tâtant les os. Jusqu’ici, tout va bien. Cela ne va pas durer.

La vague qui gonfle inexorablement est celle des systèmes qui bloquent la pub. Chaque jour, des dizaines de milliers d’internautes installent ces petites extensions sur leurs navigateurs ou sur leurs smartphones. Grâce à elles, les utilisateurs se libèrent de ce qu’ils perçoivent désormais comme une plaie insupportable: les publicités qui recouvrent la quasi-totalité des sites d’information.

C’est si facile. En quelques clics, le web retrouve sa pureté d’antan. Les pages d’accueil des grands sites d’information redeviennent lisibles. Les articles se parcourent sans accrocs. Pas de doute: une fois qu’on a goûté au web sans pubs, il est impossible de revenir en arrière.

Selon une étude de la société irlandaise PageFair, parue en août dernier, près de 200 millions d’internautes auraient déjà activé cette fonction sur leurs ordinateurs. D’autres sources évoquent le chiffre de 300 millions. Et le pire est à venir. Au niveau mondial, l’adoption des bloqueurs de pubs aurait augmenté de 43% ces douze derniers mois. Sur certains marchés, comme la Grande-Bretagne, cette hausse atteint 80% sur un an.

Au départ, les bloqueurs de pubs n’étaient utilisés que par les internautes jeunes et technophiles. Surtout, leur usage était principalement limité aux ordinateurs. Plus maintenant.

Le 20 septembre, Apple leur a donné un immense élan, en introduisant cette fonctionnalité sur le nouveau système iOS 9 des iPhone et iPad. La firme ne bloque pas elle-même les publicités, mais elle autorise les programmeurs à proposer leurs propres bloqueurs. Dès la sortie du nouveau système, des centaines d’extensions de ce type sont apparues sur l’App Store.

Pour les médias en ligne, c’est une catastrophe. Une publicité bloquée n’est pas payée par l’annonceur. Selon PageFair, ces logiciels coûteraient 22 milliards de dollars par an de revenus aux médias en ligne. Et c’est compter sans l’arrivée toute récente des bloqueurs sur les iPhone et iPad. Certains sites reçoivent 40 à 70% de leur trafic sur les supports mobiles.

Ravagés par la baisse de la diffusion de la presse papier et face à la difficulté de convaincre les internautes de payer pour leurs contenus, la plupart des éditeurs ont développé des sites majoritairement financés par la publicité. Les annonces sur le web rapportent certes beaucoup moins que celles des journaux, mais elles donnaient jusqu’ici la perspective d’une croissance suffisamment durable pour leur assurer un avenir.

Problème: à force de courtiser les annonceurs, les éditeurs ont fini par transformer leurs sites en arbres de Noël. Ils ont répondu à la demande en submergeant leurs visiteurs de publicités toujours plus envahissantes et intrusives. Et encore: l’espace pris sur l’écran n’est pas le seul désagrément provoqué par la pub sur l’internet.

Sale coup pour les mouchards

La plupart des régies publicitaires cherchent à pister les internautes pour leur afficher des messages adaptés à leurs goûts, sur la base des adresses qu’ils ont l’habitude de consulter ou des recherches qu’ils effectuent. Par exemple, selon la société spécialisée Ghostery, l’internaute qui consulte le site du quotidien Le Temps (propriété du groupe Ringier, éditeur de L’Hebdo) est détecté par une bonne dizaine de «mouchards» qui pistent son adresse IP – sa plaque minéralogique sur l’internet. Le site 20minutes.ch, du groupe Tamedia, un des plus fréquentés en Suisse romande, en compte une vingtaine, tout comme le site de L’Hebdo. Les sites romands les plus surchargés sont ceux du magazine Bilan (26), Le Matin (29) et 24 heures, qui bat tous les records avec plus de 40 mouchards.

Comme souvent dans les disruptions technologiques, le coup a été porté par une poignée d’étudiants peu concentrés sur leur cursus. Au lieu de préparer ses examens, en 2002, le Danois Henrik Aasted Sørensen avait eu l’idée de créer un petit programme inséré au navigateur et bloquant le chargement des images provenant des serveurs des régies publicitaires. Son invention est devenue AdBlock, le plus connu des bloqueurs de pub, disponible sur Firefox, Internet Explorer, Chrome, Safari et consorts. AdBlock est aujourd’hui l’extension la plus populaire sur ces navigateurs (lire ci-contre). Un des principaux arguments de ces logiciels, avant même de faire disparaître les publicités, est de permettre d’échapper au pistage permanent des régies publicitaires.

Un «énorme risque»

Pour l’entrepreneur Pierre Chappaz, fondateur du groupe Teads, spécialisé dans la publicité vidéo, les éditeurs ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Dans une chronique parue dans Le Temps en juin dernier, il les accuse d’avoir fait passer les profits avant la satisfaction de leurs lecteurs. «De nombreux sites de presse ne trouvent pas mieux à faire que de coller un gros pop-up pour vous empêcher de lire un article quand vous venez de Facebook ou Twitter», regrette-t-il.

Curieuse critique, venant de la part d’un publicitaire dont le métier consiste justement à insérer des clips vidéo dans les articles des grands sites de presse. Reste que les chiffres semblent donner raison à Pierre Chappaz. Si elle est en forte hausse partout, l’adoption des bloqueurs de pubs varie selon la vigueur du marché de la pub en ligne. Elle augmente là où elle est la plus forte: entre 15 et 20% des internautes y ont recours aux Etats-Unis, plus de 20% en Grande-Bretagne, 25% en Allemagne et en Suède et 10% en France.

La Suisse romande paraît encore relativement protégée. Le site du journal Le Temps voit environ 10% de son chiffre d’affaires publicitaire s’envoler du fait des bloqueurs de pubs, explique Marianna Di Rocco, responsable du marché publicitaire francophone chez Ringier. Ce chiffre relativement bas s’expliquerait par une audience peu adepte de gadgets anti-pubs. Cette proportion serait beaucoup plus élevée sur d’autres sites, même s’il est difficile de le vérifier.

Le groupe Tamedia (concurrent de Ringier) ne donne aucun chiffre sur l’ampleur des bloqueurs de pubs sur ses sites. «La situation est stable, et n’a pas changé de manière significative ces dernières années», explique Patrick Matthey. Le porte-parole de l’éditeur alémanique tient à faire passer un message aux visiteurs de ses sites: «Nous aimerions rappeler aux utilisateurs que pour pouvoir continuer de fournir une offre gratuite, nous devons la financer par la publicité. C’est un message important», martèle le représentant de Tamedia, tout en reconnaissant que «chacun est libre de penser que la pub est trop envahissante».

L’essor des bloqueurs de pubs, encore renforcé par le soutien d’Apple, semble pourtant inexorable. Dans une étude consacrée au secteur des médias en Suisse, le cabinet de consultants PwC décrit les bloqueurs comme un «énorme risque» pour la branche. Leur utilisation ne fera qu’augmenter, et les pertes seront lourdes. Les experts de PwC ne voient qu’une seule issue: intégrer la publicité de manière plus respectueuse pour l’utilisateur, tout en lui proposant des contenus «plus intéressants». En espérant que les visiteurs ne cliquent plus sur l’option «zapper la pub».

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

UDC: satire, symbole néonazi et vidéo

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:54

Zoom. Une satiriste de la radio alémanique épingle une vidéo de l’UDC, une danseuse y arborant un top avec le chiffre 88, allusion à Hitler pour les néonazis.

Il fulmine, Toni Brunner, le président de l’UDC. «Avant les élections, on se permet tout contre notre parti. Intolérable, cette propagande de la part d’un média public!» Une fois de plus, le torchon brûle entre la SSR et son parti. En cause, une danseuse et une satiriste. La danseuse apparaît dans la vidéo Welcome to SVP, que le parti a réalisée pour séduire les jeunes citoyens. Derrière elle se tiennent le conseiller fédéral Ueli Maurer, Christoph Blocher et des conseillers nationaux en chemise blanche et lunettes noires façon Men in Black. Le problème? La jeune femme porte un top où on lit Bronx 88. Et alors? Alors au sein de la scène néonazie, 88 est un code pour contourner la législation contre le racisme et l’antisémitisme et signifie HH, Heil Hitler, le H étant la 8e lettre de l’alphabet. Lors des championnats du monde de foot l’an dernier, Ariel a dû retirer des paquets de lessive du marché allemand parce que leur emballage montrait un maillot avec le chiffre 88.

Ignorance?

Après que plusieurs médias en ligne se sont demandé s’il s’agissait d’une provocation ou d’une méconnaissance, la satiriste Stefanie Grob a épinglé le parti dans l’émission Zytlupe de la radio alémanique. Saisissant l’actualité autour du nouvel hymne national, elle propose à l’UDC de remplacer le début, soit «Weisses Kreuz auf rotem Grund» (Croix blanche sur fond rouge), par «Schwarzes Hakenkreuz auf weissrotem Grund» (Croix gammée noire sur fond blanc-rouge). Stefanie Grob n’y va pas avec le dos de la cuillère dans ses rapprochements entre l’UDC et le nazisme: «… un peu de haine raciale, un peu de procès de Nuremberg, de Nuit de cristal… d’euthanasie et de chambres à gaz», dit-elle. Quatre particuliers s’estimant injuriés ont déposé plainte auprès du médiateur de la SSR Achille Casanova. Côté radio, Anina Barandun, cheffe de la satire à la radio SRF, s’explique: «La vocation de l’émission satirique est précisément d’analyser la semaine politique de manière incorrecte et sans gêne.» Côté UDC, le banquier Thomas Matter, qui a piloté le projet de vidéo, et Albert Rösti, chef de la campagne électorale, affirment qu’ils ignoraient l’existence de ce code 88. Le conseiller national Matter précise: «Personne n’était au courant chez nous, pas même Christoph Mörgeli, pourtant historien.» L’UDC plaide l’innocence. Normal pour des moutons blancs.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Payer pour que le Liban garde «ses» réfugiés? Oui, mais...

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:55

Zoom. Quelles nouvelles du contingent de Syriens que la Suisse doit accueillir? Les places disponibles se raréfient à Beyrouth.

Anna Lietti

Les Syriens qui ont trouvé refuge dans les pays de la région doivent y rester. Ceux qui sont arrivés jusqu’en Italie ou en Grèce peuvent espérer une «relocalisation» dans un pays de l’Union européenne ou en Suisse. C’est, en substance, le message délivré par le sommet extraordinaire de Bruxelles de la semaine dernière. Pour les Syriens les plus précarisés au Liban, cela sonne presque comme une invitation à prendre la mer.

L’accord auquel sont parvenus les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Huit prévoit une aide financière accrue (1,7 milliard d’euros en six mois) aux pays voisins de la Syrie, dans le but explicite de décourager les départs. L’effort supplémentaire d’accueil – 120 000 réfugiés en plus des 40 000 déjà décidés –, lui, vise à soulager en priorité la Grèce et l’Italie, où des milliers de personnes arrivent chaque jour au péril de leur vie.

Sur le principe, la stratégie est sensée et personne n’y trouve à redire. «Il faut que les Syriens ayant trouvé refuge au Liban puissent y rester en dignité, dit Mireille Girard, responsable du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) au pays du cèdre. La communauté internationale a fait un effort particulier pour soutenir ce pays, qui a besoin d’une aide encore plus grande, et surtout plus structurelle, pour supporter la charge de cette population.»

Cependant, ajoute Mireille Girard, l’aide logistique ne suffira pas: «Il faut aussi augmenter le nombre des réinstallations en Europe: si on veut encourager des pays comme le Liban ou la Jordanie, nous devons les soulager de davantage de réfugiés particulièrement vulnérables.»

Les récentes décisions du Conseil fédéral ne vont pas dans ce sens, pas plus que celles des Vingt-Huit. Pour faire court: en matière de réinstallation, ce qu’on donne à l’Italie et à la Grèce, on l’enlève au Liban et aux pays de la région.

En mars 2015, la Suisse annonçait sa décision d’accueillir un contingent de 3000 réfugiés en trois ans en provenance des pays proches de la Syrie. La grande majorité, en fait, devait venir du Liban. La procédure de réinstallation prévoit que le HCR y identifie les cas de personnes particulièrement vulnérables et propose leur dossier au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM).

Désagréable surprise

A la mi-septembre, changement de stratégie: pour participer au plan européen de relocalisation (le premier, celui des 40 000), le Conseil fédéral décide de réorganiser le contingent: sur les 3000 personnes prévues, 1500 seront redirigées non plus à partir du Liban, mais de la Grèce ou de l’Italie. Le HCR, depuis son bureau pour la Suisse et le Liechtenstein à Genève, n’a pas caché qu’il prenait cette annonce comme une désagréable surprise: «10% des 4 millions de réfugiés présents dans la région nécessitent une réinstallation en raison de leur vulnérabilité», a-t-il rappelé, et l’offre internationale ne couvre que le quart des besoins. Il est «impératif» de poursuivre et d’accroître «urgemment» le programme de réinstallation.

Depuis le début de la crise syrienne, la Suisse a lancé deux projets de réinstallation: le premier en 2013, qui prévoyait d’accueillir 500 Syriens, principalement venus du Liban: 462 d’entre eux sont arrivés à ce jour. Le second contingent (3000), décidé en mars 2015, ne prévoit en fait que 2000 réinstallations proprement dites (avec, au bout, un permis B). De ces 2000, 68 personnes sont arrivées à ce jour et au total, 300 le seront d’ici à la fin de l’année. Le rythme de traitement des dossiers par la Suisse n’a rien d’anormalement lent, relèvent les responsables de la réinstallation au HCR à Beyrouth. Ils saluent par ailleurs la souplesse de la Confédération face aux cas nécessitant une prise en charge médicale, que d’autres pays tendent à refuser. Le problème, c’est que les places disponibles se réduisent comme peau de chagrin. On prend la calculette: 2000 moins les 1500 affectés à la Grèce et à l’Italie. Restent 500, dont 300 déjà dans le «pipeline»… 

Et sur les 1000 visas humanitaires prévus au contingent des 3000? Nonante et un seulement ont été délivrés à ce jour, les conditions requises étant particulièrement restrictives. Pourquoi ne pas réaffecter les quelque 900 places restantes à la réinstallation? En réponse à une question posée dans ce sens au Parlement lundi dernier, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’est dite prête à l’envisager.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
ANWAR AMRO AFP
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Liban. Un million et demi de Syriens et la vie continue

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:56

Reportage. Au Liban, un habitant sur quatre est un réfugié syrien et seuls 16% d’entre eux vivent dans des camps. Comment le pays a-t-il fait pour absorber toute une population? Tableaux d’un miracle qui menace de virer au cauchemar. 

Anna Lietti, Beyrouth et Khyam

Imaginez qu’ils ne soient pas 9000 en Suisse, mais 2 millions: un quart de la population. Que voyez-vous ? Des SDF plein la rue, la criminalité en hausse, des ratonnades d’étrangers perpétrées par une population excédée?

Le Liban, 4 millions et demi d’habitants, a accueilli 1,1 million de réfugiés syriens: un quart de sa population, record mondial. En fait, tous statuts confondus, les Syriens au Liban sont encore plus nombreux: 1,5 million. Aujourd’hui, on peut l’affirmer: la barque est pleine et soulager le pays du cèdre devient un enjeu géostratégique crucial pour éviter une nouvelle poudrière.

Mais, avant de parler des problèmes, il faut prendre acte de ce qu’on ne voit pas au Liban. Pas de SDF dans la rue, pas de hausse de la criminalité, pas de rixes entre voisins haineux. Quelques incidents, oui, mais avant tout une extra-ordinaire capacité d’absorption sur le mode capillaire, pragmatique et solidaire. «Il y a de l’agressivité dans les propos, mais pas dans les actes, résume Sammy Ketz, responsable du Liban et de la Syrie pour l’Agence France-Presse à Beyrouth. Pas de xénophobie, rien de comparable à ce que j’ai vu en Europe.» Pas non plus d’instrumentalisation politique de l’anxiété. «Certains s’y sont essayés mais, très vite, tout le monde a compris que jouer cette carte reviendrait à mettre le feu aux poudres», dit Abdulaziz Hallaj, chercheur syrien et consultant pour les ONG.

Dans les rues de Beyrouth, à l’automne naissant, on zigzague entre les poubelles et le train-train du chaos ordinaire. Où sont les Syriens? Partout: vous prenez un taxi, vous commandez un café, vous achetez des pommes et vous avez affaire à l’un d’eux. Ils sont partout et nulle part: fondus dans la population. Métabolisés avec les moyens du bord.

Les camps? C’est là que se concentrent photographes et politiciens en visite. Il y a des camps, oui, une myriade de camps dits «informels», car on n’a pas voulu répéter la traumatique expérience des camps palestiniens, devenus des foyers de lutte armée dans la guerre civile du siècle dernier. C’est à Ersal, dans la zone de la Bekaa où la concentration de camps est maximale, qu’est survenu l’an dernier l’incident qui a déclenché l’alarme: un groupe djihadiste venu de Syrie a kidnappé une vingtaine de soldats libanais. Mais 16% seulement des réfugiés syriens vivent dans des camps: la réalité de leur présence au pays du cèdre est ailleurs.

Solidarité spontanée

La réalité est d’abord celle du «miracle libanais», comme le dit Mireille Girard, représentante locale du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Ingrédients: une capacité éprouvée à résister aux épreuves, l’habitude de se débrouiller sans Etat, une solidarité spontanée vis-à-vis de ces voisins, si peu étrangers, chez qui les Libanais eux-mêmes se sont réfugiés lorsque la guerre était chez eux.

Comment font-ils? Au début de la crise en 2011 et jusqu’au début de cette année, les portes du pays sont simplement restées ouvertes: «On a laissé entrer les Syriens sans se poser de questions. C’est seulement à partir du million qu’on a pris conscience que la stabilité du pays était menacée.» Depuis début 2015, on ne peut plus passer la frontière en tant que réfugié et tout Syrien est à la merci d’un contrôle de permis de séjour. «L’aide humanitaire a chuté de manière dramatique et ceux qui avaient des économies les ont épuisées, poursuit Mireille Girard. La situation est alarmante. Et, malgré cela, personne ne parle d’expulsions.»

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
ANWAR AMRO AFP
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

La présence syrienne au Liban en six rencontres

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:56

Tanjaret Daghet. Musiciens du monde

«Assez de plaintes, assez de pleurs, assez de gémissements et de larmes», chante Khaled Omran, auteur, compositeur, chanteur et bassiste du groupe jazz-rock Tanjaret Daghet, autrement dit «la cocotte-minute». Arrivé de Damas en octobre 2011 et bientôt suivi par ses deux complices Tarik Khuluki et Dani Shukri, le musicien n’était pas en danger de mort, d’ailleurs sa famille est toujours là-bas. Mais ici, le groupe a pu enregistrer un album et élargir son espace d’expression: «Il y a une grande tradition musicale en Syrie, mais au Liban c’est moins rigide, plus déluré. Nos textes se sont étoffés, nous nous sentons encouragés à parler plus fort.»

Décor vintage tendance récup, nous sommes au Café Mezyane, ouvert par un Syrien à Hamsa, la rue de la scène alternative, que Tanjaret Daghet et d’autres artistes ont contribué à rendre un peu plus berlinoise encore: non, la présence des Syriens au Liban ne se résume pas à un «problème de réfugiés». Les Beyrouthins applaudissent leur apport à la scène musicale locale et la bohème chic se presse au restaurant Le Jardin à Ashrafieh, où un autre Damascène, Joseph Awarji, propose la cuisine alépine de sa maman, un poétique mélange de goûts turcs, arméniens et kurdes. Les Libanais sont conservateurs en matière gastronomique: «Le pari était risqué mais nous l’avons gagné», sourit le patron.

L’enrichissement du Liban par les Syriens se mesure aussi en espèces sonnantes et trébuchantes. Le pied-à-terre à Beyrouth était déjà un classique pour les familles aisées, mais la crise a boosté la demande en appartements loués ou achetés: «L’afflux de riches Syriens a contribué à maintenir l’activité du secteur immobilier à un moment où venaient à manquer les touristes arabes de la péninsule», note l’économiste et historien Georges Corm.

Sur le mode coloc entre «gens sympas» venus de partout, Khaled, Tarik et Dani n’ont eu aucune peine à trouver un logement: «Dans ce milieu, le fait que je sois Syrien n’a aucune importance, poursuit Khaled. On est entre gens qui partagent les mêmes valeurs.» Même les petits jobs leur ont été épargnés, car ils ont tout de suite travaillé comme musiciens, sans songer à demander un statut de réfugié. «Nous sommes des privilégiés. Il y a des histoires moins drôles que la nôtre.»

Yasser Réfugié et ouvrier agricole

«Swisscom welcomes you to Israel»: nous sommes dans les collines du Sud-Liban, aux environs de Khyam, si près de la frontière que le téléphone portable s’y trompe. Au milieu des vignes et des champs de pêchers, les tentes du camp de Sarade accueillent quarante familles syriennes. Le terrain est loué par un exploitant qui a toujours employé des ouvriers agricoles syriens. Avec la guerre, la main-d’œuvre saisonnière s’est établie et a fait venir les siens.

Yasser (qui pose avec ses quatre enfants) est le «chechouiche» du camp, son chef informel, et sa trajectoire est typique. Venu d’un village au nord de Damas, il a traversé la moitié du Liban pour s’installer ici: «Je fais l’aller-retour depuis vingt ans, c’est dans cette région que j’ai des contacts et que j’ai trouvé un employeur prêt à nous loger.» C’est-à-dire à créer, de sa propre initiative, ce qu’on appelle un «camp informel», bientôt visité par les anges d’Amel, la pionnière des ONG libanaises, et par le HCR, qui a enregistré tout le monde.

Les Syriens cassent les prix et piquent le travail des Libanais: c’est la principale cause de ressentiment contre eux au pays du cèdre, qui a vu son taux de chômage dépasser les 20%. «Mais d’autres secteurs, comme le bâtiment ou les services, sont plus concernés que l’agriculture, note Abdulaziz Hallaj: les Syriens se sont souvent installés dans des zones dépeuplées par l’exode rural et ont contribué au maintien d’une agriculture vivante au Liban.»

Le Sud-Liban est massivement chiite et, comme la majorité des réfugiés syriens, Yasser est sunnite. Or, la question de l’équilibre démographique des différentes communautés est pour le moins sensible au Liban: «Vous vous rendez compte? s’émerveille le syndicaliste Paul Achkar. On aurait pu s’attendre à des massacres de Syriens dans le Sud. Or, il n’y a rien eu de tout cela. Et malgré le contrôle du Hezbollah, qui soutient Bachar al-Assad, la population n’a pas fait la différence entre les Syriens pro et anti-régime.» De fait, «c’est dans le Sud que les réfugiés ont été accueillis avec le plus d’efficacité», note Heba Hage-Felder, cheffe de la coopération technique suisse au Liban.

Malgré ces observations rassurantes, les nuages s’amoncellent sur Yasser et les siens. L’aide du Programme alimentaire mondial est passée, en juillet, de 27 à 13,5 dollars par mois et par personne alors que, depuis début 2015, les réfugiés n’ont officiellement plus le droit de travailler. Le couvre-feu a été instauré à Sarade comme ailleurs et l’un des résultats de ces restrictions sécuritaires est que les femmes et les enfants sont souvent les seuls à circuler librement.

Population à nu

«La crise bouleverse les structures familiales», note Souha Bsat, de l’Unicef. Pour le meilleur et pour le pire: «Nous observons depuis un an un phénomène nouveau, celui du sexe de survie.» Traduisez: dans certains quartiers de Beyrouth, la passe avec une Syrienne ne coûterait que 5000 livres, 3 francs, le cinquième du prix d’une Libanaise. «Pour une vierge mineure, c’est 20 dollars», précise ce chauffeur de taxi bien renseigné.

«C’est une population à nu, à la merci du pire comme du meilleur, note l’anthropologue Marie-Claude Souaid. Dans l’accueil qui lui est réservé, il y a des épisodes lumineux. Les gens, spontanément, se sont mis en quatre pour loger les arrivants, ils ont raclé leurs fonds de tiroir pour leur trouver vêtements et couvertures, ils se sont organisés en une myriade d’associations pour amener le cinéma dans les camps, socialiser les égarés, faire jouer les enfants. Mais ils ont aussi loué des trous à rats à prix d’or et se sont livrés à la plus sordide des exploitations. Les réfugiés sont dans la vraie vie, sans défense.»

Abdulaziz Hallaj. L’observateur des Syriens

«Les femmes syriennes en exil commencent à développer des espaces à elles», observe Abdulaziz Hallaj, qui participe à des recherches sur la population de ses compatriotes au Liban. L’une d’elles a mis au jour une constatation remarquable: «Lorsqu’une famille avec cinq enfants n’a les moyens d’en envoyer qu’un à l’école, c’est souvent une fille qui est choisie, car ce sont les filles qui montrent le plus de dispositions.» La guerre n’a pas fini de bouleverser les mœurs et les hiérarchies.

Professeur d’urbanisme à l’université et consultant pour les ONG, Abdulaziz Hallaj en dirigeait une importante à Damas, avant de choisir l’exil «parce que je ne pouvais plus me maintenir dans une position de neutralité». Depuis leur arrivée à Beyrouth fin 2012, sa femme et lui organisent une fois par mois chez eux une soirée portes ouvertes, où leurs compatriotes échangent informations et contacts. «Depuis la dernière fois, quinze sont déjà partis, via la Turquie, en bateau pour l’Europe.»

«Les préjugés anti-syriens sont vivaces dans les mentalités au Liban, a pu vérifier le chercheur dans ses enquêtes: on se répète qu’ils pondent comme des lapins et qu’ils épousent plusieurs femmes. Mais ce sont surtout les riches Libanais qui ont une perception négative. Les plus modestes sont partagés entre méfiance et empathie.» Une ambivalence qui se nourrit de l’histoire entremêlée des deux peuples, qui n’en faisaient qu’un sous l’Empire ottoman. Les Libanais nés avant 2005 se souviennent de presque trente ans d’occupation de leur pays par les Syriens, mais aussi de leur accueil lorsqu’ils ont passé la frontière pour fuir la guerre civile ou les bombardements israéliens en 2006.

Dans l’ensemble, la topologie de la population des exilés syriens au Liban est plus urbaine et plus éduquée que la moyenne nationale, a pu établir Abdulaziz Hallaj. Que fuit-elle? Les interrogés sont réticents à répondre. Seule indication: dans un sondage de 2013, 25% seulement des personnes consultées mentionnaient explicitement comme condition du retour en Syrie la chute du régime de Bachar al-Assad.

Ce qui est sûr, c’est qu’un quart seulement des réfugiés syriens en âge scolaire ont trouvé place sur des bancs de classe et que tous ces garçons dé-scolarisés risquent d’alimenter le scénario qui hante les Libanais: celui d’un débordement de la guerre au pays du cèdre. «Les groupes armés recrutent bel et bien au Liban et, s’ils parviennent à enrôler ne serait-ce que le centième des 300 000 enfants déscolarisés, c’est déjà une bombe.» Abdulaziz Hallaj partage avec les acteurs de l’humanitaire cette conviction: l’enjeu de la scolarisation est crucial, et pas seulement pour l’avenir du Liban. «Les Européens et les bailleurs de fonds doivent réaliser le désastre qui les attend si une génération entière d’exilés reste sans éducation.» Et d’ajouter: «Il faut une réforme massive du secteur de l’éducation dans ce pays. Car le recrutement par les djihadistes, ça marche aussi très bien parmi les garçons libanais désœuvrés.»

Youssef Abu Tahey. Combattant de la scolarisation

Cet effort est en cours, et Youssef Abu Tahey est l’un de ses acteurs. En ce mardi de fin septembre, dans la cour d’une école du quartier populaire de Bourj Hammoud à Beyrouth-Est, il dit au revoir à une volée de jeunes réfugiés ayant suivi un programme court de mise à niveau, fraîchement inauguré. Certains élèves ont les larmes aux yeux. «Ils sont comme mes enfants et nous sommes comme eux: combien d’entre nous sont arrivés ici pieds nus?» dit, l’œil brillant, le directeur du programme, un chrétien du Sud dont la maison a été détruite pendant la guerre civile.

Lundi 28 septembre, c’était la rentrée scolaire au Liban. Le Ministère de l’éducation a mis à proprement parler les bouchées doubles puisque l’objectif est de doubler le nombre des élèves syriens enclassés: 200 000 au lieu de 100 000 l’an dernier. «Deux cent cinquante-neuf écoles sont prêtes à les accueillir, contre 144 en 2014-2015, et s’il n’y en a pas assez on en ouvrira d’autres, dit Sonia Khoury, directrice au Secrétariat général de l’éducation. Nous sommes prêts à absorber toute la demande!»

La place ne manque pas

A Bourj Hammoud, l’établissement s’est organisé sur le même schéma qu’ailleurs, en tirant profit du fait que les élèves libanais ne vont à l’école que le matin: une partie des Syriens sont accueillis avant midi, mais avec priorité aux Libanais, qui constituent désormais 50% des effectifs. Le reste est scolarisé l’après-midi. «Nous n’avons eu aucune peine à trouver des enseignants d’accord de doubler leurs heures de travail, ne serait-ce que pour étoffer leur revenu, explique Youssef Abu Tahey. Et les contractuels ne manquent pas pour faire l’appoint. Il y a assez de profs au Liban et assez de place dans les écoles: nous pouvons sans problème doubler notre capacité d’accueil.» Et la quadrupler, pour scolariser tout le monde? «En engageant des enseignants syriens, ce serait probablement faisable.»

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la place n’est pas ce qui manque le plus au Liban. Les hôpitaux non plus ne débordent pas. La difficulté est ailleurs. Dans la santé, c’est le remboursement des hospitalisations. Dans l’éducation, c’est de convaincre les parents d’envoyer leurs enfants à l’école. Les obstacles sont le transport, le manque d’information sur l’offre, le fait que nombre de familles mettent les enfants au travail. Il y a aussi le fait que beaucoup d’élèves décrochent et se découragent. Joseph Kalifeh est prof de maths à Bourj Hammoud: «La plus grande difficulté pour les élèves syriens est qu’au Liban les matières scientifiques sont systématiquement enseignées en français ou en anglais. Ce n’est pas le cas chez eux et c’est un handicap.» Dans les classes 100% syriennes de l’après-midi, décision a été prise de dispenser un enseignement entièrement en arabe.

Pour cette rentrée 2015, le Ministère de l’éducation veut s’imposer comme capitaine des opérations et demande aux centaines d’ONG actives sur le terrain de coordonner leurs efforts sous sa houlette. Beaucoup saluent cette reprise en main inhabituelle au pays de l’Etat fantôme et pensent que la crise présente peut offrir au pays l’occasion inespérée de réformer en profondeur une école publique discréditée. D’autres s’arrachent les cheveux: «Au secours! Si l’Etat s’en mêle, c’est un gouffre sans fond qui s’ouvre sous nos pieds!»

Mona, Huda et les autres Les mères inquiètes de Chiah

Elles sont une dizaine autour de la table dans ce centre du quartier de Chiah, dans le sud de Beyrouth, où l’ONG libanaise Amel, depuis 2007, forme et socialise des femmes précarisées. Les unes, avec leur famille, logent encore chez les amis ou les proches qui se sont serrés pour leur faire de la place à leur arrivée. D’autres louent des logements sommaires là où c’est le moins cher: dans le camp palestinien devenu quartier pauvre de Sabra et Chatila.

Mais la préoccupation majeure de ces femmes, c’est qu’une partie de leurs enfants viennent de passer un an à la maison à se tourner les pouces. Mona a un garçon de 18 ans qui n’a pas trouvé d’école où poursuivre ses études et qui veut repartir en Syrie pour ne pas perdre une deuxième année. «Je lui dis qu’il est fou, que s’il repart il devra choisir entre Daech et le service militaire. Mais il ne veut rien entendre: il s’est enfui de la maison et prépare son départ», dit-elle, la voix brisée par l’angoisse.

Huda a un ado de 15 ans qui s’est heurté à la barrière du français, s’est senti maltraité et refuse de retourner à l’école au Liban. Lui aussi veut repartir. «Chaque soir, je le supplie: ne pars pas! Je ne le supporterais pas. S’il faut partir, je préfère qu’on le fasse tous ensemble. Comme ça, on vivra ou on mourra ensemble.»

Kamel Mohanna, médecin, coordinateur du réseau des ONG arabes et président d’Amel, se désole: «Nous avions un programme d’éducation informelle pour les enfants déscolarisés, nous avons dû l’interrompre faute de fonds. Daech a beaucoup d’argent, ils prennent des enfants de 14 ans, avec ce qu’ils gagnent ils peuvent faire vivre une famille!»

Hussein Géomètre en colère

«Il faut mettre les Syriens dans des camps fermés aux frontières et les empêcher de travailler! Il faut appliquer la loi qui interdit aux entreprises d’engager plus de 10% de non-Libanais!» Hussein Kassem a 24 ans, il est Libanais et géomètre au chômage. Dans cet autre centre d’Amel au sud de Beyrouth voué à l’insertion professionnelle, il fulmine contre ces Syriens qui cassent les prix et se font engager à sa place. Syriens ou Irakiens, les autres jeunes hommes présents ne bronchent pas.

Abdullatif Abdul Rahman, un Syrien de 20 ans, a trouvé du travail dans la maintenance des téléphones grâce un programme d’Amel. Il l’admet sans détour: il travaille dix heures par jour pour 300 dollars par mois. Un Libanais à sa place en gagnerait 900. Mais a-t-il le choix? Il a dû renoncer à poursuivre ses études, son frère et lui font vivre la famille.

Un modèle pertinent

La concurrence sur le marché du travail est bel et bien le point de friction principal entre les Libanais et leurs hôtes un brin envahissants. Pourtant, Mireille Girard désapprouve la récente décision gouvernementale d’interdire le travail aux réfugiés – une décision qui ne sera, on le prévoit, que tièdement respectée: «Enfermer les gens dans des camps et les empêcher de travailler, c’est débilitant. Leur permettre de s’insérer dans la vraie vie du pays les aide à maintenir leur dignité, leur capacité à s’autogérer et à garder vivante l’énergie de la débrouille.»

La représentante du HCR n’en doute pas: même s’il n’a pas été réfléchi, le «modèle libanais» d’accueil des réfugiés est pertinent. Dans la société civile aussi, il a encouragé l’improvisation, l’ingéniosité, la générosité. Simplement, ce modèle atteint ses limites. «Il faut trouver le moyen de soutenir structurellement ce pays et d’aider les Libanais en même temps qu’ils aident les Syriens», dit Abdulaziz Hallaj. Il faut que les promesses d’une aide internationale accrue se concrétisent. Et il faut que l’Europe accueille davantage de réfugiés. «Bien des pays européens portent la responsabilité politique, directe ou indirecte, du déclenchement de cet exode. Aujourd’hui, ils doivent faire face à leur responsabilité humanitaire.»

Kamel Mohanna, le pionnier de l’humanitaire: «Je milite pour que l’Europe accueille un million de réfugiés.» Un million sur 500 millions d’habitants, ce sera encore cent fois moins que ce qu’a fait, à lui seul, le Liban.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
ANWAR AMRO AFP
DR
DR
ANWAR AMRO AFP
DR
DR
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Huit données démographiques que tout parlementaire devrait avoir à l’esprit

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 06:02

Décodage. A la veille des élections, le géographe Pierre Dessemontet dresse un panorama statistique d’une Suisse plus métropolitaine, mondialisée et multiculturelle qu’on ne le pense. Des chiffres que les futurs représentants à l’Assemblée fédérale parlementaire de la cuvée 2015-2019 devraient avoir à l’esprit. 

Le 18 octobre prochain, le peuple suisse élira ses 246 représentants à l’Assemblée fédérale, celles et ceux qui auront la tâche de mener le pays au seuil des années 20 du XXIe siècle. Mais de quel pays hériteront-ils? Qu’on le veuille ou non, la Suisse a énormément changé lors des six dernières législatures. Profitant en plein de la mondialisation et de l’ouverture généralisée des marchés qui a suivi la débâcle du communisme, la Suisse de 2015 n’a plus grand-chose en commun avec celle de 1990: elle compte presque 2 millions d’habitants de plus, une grande partie de sa population est d’extraction étrangère récente, son économie a fleuri en s’intégrant fortement aux systèmes d’échange internationaux. Et, dans le même temps, les nuages s’amoncellent, qu’il s’agisse de l’impact du franc, qui n’a cessé de se renforcer, ou du vieillissement inéluctable de la population.

L’Assemblée fédérale élue le 18 octobre prochain aura à se pencher sur les problèmes qui marqueront la prochaine génération: elle devra trouver une solution au conflit entre bilatérales et initiative du 9 février 2014 et adapter l’ensemble de nos assurances sociales aux défis de l’entrée en retraite des baby-boomers. Il serait bon qu’en prenant leurs décisions les parlementaires de la cuvée 2015-2019 aient présents à l’esprit quelques chiffres, quelques données fondamentales sur l’état du pays dont ils auront quatre ans durant la responsabilité: un panorama statistique d’une Suisse décidément plus métropolitaine, mondialisée et multi­culturelle qu’on ne le pense.

Une suisse peuplée et multiculturelle

Huit millions d’habitants: c’est probablement le chiffre qui a marqué la législature qui s’achève, celui qui a fait prendre conscience à la Suisse que «le petit pays de 6 millions d’habitants» appartenait au passé. Pour autant, la barrière franchie en 2012 est déjà loin derrière. Officiellement, nous étions 8,240 millions fin 2014 et très probablement 8,3 millions au moment où vous lisez ces lignes. Comme durant les dix années précédentes et malgré le 9 février, le pays continue à gagner entre 80 000 et 100 000 habitants par an. A ce rythme, lorsque la prochaine législature s’achèvera, nous serons plus proches des 9 millions que des 8. Et encore, c’est compter sans les populations «transientes», soit les personnes en court séjour tels les clandestins ou les touristes et visiteurs. En comptabilisant tout le monde, on arrive à près de 8,5 millions de personnes présentes sur le territoire suisse, et cela même en retirant les 110 000 Suisses qui se trouvent en moyenne en visite à l’étranger. Et ce nombre gonfle encore en semaine, grâce à l’apport de près de 300 000 frontaliers que le pays accueille chaque jour ouvrable. Nous sommes ainsi, par exemple un mardi de novembre, près de 9 millions à nous croiser en Suisse.

Dans les faits, la Suisse est depuis 1945 une terre d’immigration, et cela se voit: malgré les crises et les coups d’arrêt, près d’un quart de la population est étrangère. Les étrangers ont passé cette année le cap des 2 millions, quelques semaines après que les Romands ont atteint le même seuil. Mais l’empreinte du large se déploie bien au-delà de la simple population étrangère du pays: elle se marque de plus en plus parmi les personnes détentrices du passeport. Ainsi, plus de 1 million d’habitants ont acquis la nationalité suisse par naturalisation et 500 000 autres sont doubles nationaux de naissance ou nés à l’étranger: au total, trois personnes sur sept ont un lien direct et récent avec l’étranger – et cela sans compter les couples dont l’un des deux partenaires a une origine étrangère.

Ce mélange progressif de populations d’origines diverses se répercute, en s’amplifiant, sur les générations futures: de 42,5% dans la population générale, la proportion de personnes ayant un lien fort avec l’étranger passe à 50% chez les moins de 15 ans. Là aussi, l’impact de l’immigration, mais également de l’intégration via la naturalisation ou la double nationalité se révèle marquant. L’un dans l’autre, chez les enfants de Suisse, la composante «de souche», pour autant que ce terme recouvre une réalité quelconque, est en passe de devenir minoritaire, ce qui a jusqu’ici totalement échappé aux responsables politiques.

On en veut pour preuve le débat qui s’est allumé cet été autour de la double nationalité. On aura sans doute voulu resserrer le camp des «vrais» Suisses en s’en prenant à une minorité accusée de constituer une cinquième colonne dans le pays – mais on n’aura certainement pas mesuré la taille de la population à laquelle on s’attaquait: plus de 1,5 million de personnes! Un Suisse sur cinq est en effet binational, un million dans le pays même, mais aussi plus d’un demi-million à l’étranger, eux qui constituent nos meilleurs ambassadeurs, nos meilleurs relais dans le vaste monde.

Malgré l’immigration, une population qui vieillit vite

Reste que la population de la Suisse vieillit. Les vingt prochaines années seront d’ailleurs critiques: plus de 2,3 millions de baby-boomers entreront en retraite. Corollaire, entre 2015 et 2035, la population en âge de toucher l’AVS va gagner plus de 900 000 personnes, soit une augmentation de 60%. Le système actuel ne pourra pas tenir. Pour cela, il faudrait une hausse de la population active de même ampleur, soit un gain de population flirtant avec les 4 millions de personnes, ce qui n’arrivera tout simplement pas. D’autant que la tendance est inverse: sans l’immigration, la population d’âge actif perdra 600 000 personnes d’ici à 2035, et le rapport entre populations d’âge actif et retraitées passera de 3,5 actifs pour un retraité aujourd’hui à environ 1,8 en 2035. En d’autres termes, sans immigration, la charge pesant sur les actifs va doubler en vingt ans.

L’immigration constitue l’un des volants évidents permettant d’alléger le système – mais les scénarios ne prévoient une croissance de population «que» d’un peu moins de 2 millions de personnes d’ici à 2035 – de quoi effectuer une petite moitié du chemin. Le Conseil fédéral prévoit par ailleurs de remettre au travail les personnes en âge d’activité qui ne le sont pas. Et le potentiel est théoriquement important: il pourrait nous faire gagner l’équivalent de plus de 1 million de personnes actives, soit grosso modo ce qu’il faudrait pour compenser le vieillissement, en plus d’une immigration contrôlée nous amenant vers les 10 millions d’habitants. Toutefois, de nombreux obstacles resteront à surmonter: parmi le gros million de travailleurs supplémentaires, on compte près de 300 000 chômeurs et bénéficiaires de l’aide sociale qui ne trouvent pas d’emploi aujourd’hui, et près de 350 000 femmes au foyer qui ont de fortes chances d’être déqualifiées, comme d’ailleurs, à un moindre niveau, une partie des personnes travaillant actuellement à temps partiel.

Quand bien même la Suisse parviendrait à «activer» l’ensemble de sa population potentiellement active, elle serait immédiatement confrontée à un problème déjà lancinant à l’heure actuelle: que faire des enfants? A de nombreux égards, notre pays fonctionne encore largement comme si l’essentiel de la population suivait le modèle «traditionnel» où le père travaille et la mère reste à la maison. Or, seul un enfant sur quatre vit encore dans un tel cadre. L’immense majorité des autres vit dans des ménages où les deux parents travaillent, et nécessite donc une solution d’accueil de jour au moins partielle.

Activer cette population potentiellement active nécessiterait alors la création de quelques centaines de milliers de places d’accueil supplémentaires.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Election fédérales: les crises que l’on n’a pas su anticiper

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 06:03

Zoom. Grounding de Swissair, pressions sur la place financière, aggiornamento fiscal, une liste instructive. 

La Suisse est un Sonderfall, un cas particulier. Tant d’experts ont ressassé ce cliché que l’on s’en est intimement convaincus. Est-ce pour cette raison, ce sentiment viscéral d’être différents, que la classe politique ne voit pas arriver les bourrasques et peine à anticiper les crises qui l’obligent soudain à de douloureuses adaptations?

Fonds en déshérence, grounding de Swissair, fin du secret bancaire et mise en conformité de nos règles fiscales avec les standards internationaux ont en commun d’avoir ébranlé profondément la Confédération mais aussi de ne pas avoir été prévus ni discutés lors des campagnes électorales.

En 1989, l’armée suisse prend la peine de célébrer les 50 ans de la mobilisation. Dans la foulée, il aurait été judicieux de se pencher sur la manière dont la Suisse est sortie de la guerre. En 1995, des victimes de la Shoah se voient refuser l’accès à des comptes dormants dans les banques helvétiques et portent plainte à New York. Des documents d’archives déclassifiés ont attiré l’attention sur les soupçons des Alliés à l’égard de notre neutralité. «Au début, les gens ne comprenaient pas ce qui nous arrivait», se souvient Jacqueline Fehr, ex-conseillère nationale désormais conseillère d’Etat (PS/ZH).

Dans un premier temps, cette confrontation avec le passé est mal gérée car estimée «injuste». L’affaire des fonds en déshérence tend au pays un miroir insupportable. Les 11 000 pages de la Commission Bergier comme le 1,25 milliard de dollars payés par les banques n’éteignent pas la controverse. Sur la scène internationale, la Suisse est devenue vulnérable.

En 2001, le grounding de Swissair anéantit un symbole de l’excellence nationale. La compagnie s’est fourvoyée dans sa stratégie de conquête des marchés faute d’avoir pu participer aux mêmes conditions que ses concurrentes européennes à la libéralisation de l’espace aérien. Elle a eu les yeux plus gros que le ventre, mais les Suisses qui ont refusé de justesse en 1992 d’entrer dans l’Espace économique européen ne veulent pas voir qu’ils sont autant coupables de ce traumatisme que les managers arrogants qui ont pratiqué la fuite en avant.

Jouer avec les mêmes règles que les autres, dès le début des années 90, les banquiers les plus lucides savent que le secret bancaire est condamné. En 1984 déjà, les socialistes avaient demandé par voie d’initiative son abolition, rappelle John Clerc, ancien secrétaire du Parlement, et mémoire du Palais. Mais la perspective d’en profiter encore un peu oriente le débat public vers sa sacralisation. Hans-Rudolf Merz, à la suite de Kaspar Villiger, clamera en boucle qu’il n’est «pas négociable». Le 13 mars 2009, le conseiller fédéral radical est pourtant obligé de reconnaître l’inéluctable.

Aucune leçon n’est tirée de cette piteuse reddition. Les pressions de nos voisins et des Américains pour que nous reprenions les standards internationaux en matière de fiscalité vont se faire dantesques. On aurait tort de croire que le boulot est fini, même si la législature qui s’achève a entériné cette évolution. «Le gros contentieux qui monte est celui de la fiscalité des multinationales qui ne paient pas ou ridiculement peu d’impôts», avertit un haut fonctionnaire.

La conséquence de cette impossibilité à comprendre quel impact vont avoir sur nous les changements du monde a fini par nous empêcher de voir la nature de nos liens européens. Nous sommes beaucoup plus intégrés aux logiques de l’Union que nous ne nous l’avouons. Ce déni de réalité sur la portée réelle de notre souveraineté explique le vote du 9 février 2014, la dernière grande crise en date que la classe politique n’a pas su anticiper, faute de capter l’exaspération des Suisses face aux effets, supposés ou réels, de la libre circulation des personnes.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
photos keystone
photos keystone
photos keystone
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Elections fédérales: ce que les partis ne vous disent pas

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 06:05

Dossier. La campagne électorale 2015 se révèle morne. Les partis se contentent de slogans. Maints thèmes cruciaux pour l’avenir de la Suisse ne sont pas abordés, ou alors de manière biaisée, tronquée. Le déni de réalité est une constante de notre histoire politique.

Catherine Bellini, Michel Guillaume et Chantal Tauxe

«La Suisse est le seul pays du monde où on ne débat pas pendant la période électorale des sujets cruciaux, où on ne confronte pas les solutions des différents partis.» Cette perfidie désabusée vient d’un ancien conseiller fédéral. A contempler les rues de nos villes, on ne peut pas lui donner tort. «Liberté, cohésion, innovation», proclament les affiches des uns. «Rester libre», disent celles des concurrents. «Pour tous, sans privilèges», promettent encore d’autres. Que celui qui n’est pas d’accord avec tous ces slogans lève la main. Quel citoyen voudrait voter pour l’asservissement, la désagrégation sociale, la régression économique et les inégalités? Chercher les antonymes aux mots d’ordre des partis permet de mesurer à quel point ceux-ci évitent les débats de fond.

«C’est d’un flou, soupire un fonctionnaire bernois. On ne voit pas de thèmes qui identifieraient les partis sur ces affiches, mais des têtes. Or, j’aimerais connaître des positions. Les citoyens n’ont-ils pas besoin d’orientations précises?»

La campagne électorale 2015 souffre d’une invasion de masse. Comme les vandales, le dossier de l’asile a tout saccagé sur son passage. On ne parle que des réfugiés. Personne n’osera affirmer que la manière de faire face à leur afflux n’est pas de la plus haute importance. Pourtant, les solutions durables à cette crise sont européennes – au minimum. Les Suisses s’entre-déchirent sur le nombre de migrants à accueillir alors qu’il y aurait tant d’autres sujets tout aussi, voire plus essentiels pour leur avenir à empoigner. Les fondamentaux démographiques sont ignorés (voir en page 12).

La politique étrangère étant l’éternel «impensé», les candidats échouent à appréhender le contexte qui leur permettrait de voir plus clair dans le développement des relations Suisse-Union européenne gelées depuis le 9 février 2014. L’innovation technologique est invoquée, mais les effets sur l’emploi de la disruption créée par la numérisation de pans entiers de l’économie ne sont pas anticipés, ni leurs conséquences sur l’édifice de nos assurances sociales. Comme si seuls les chauffeurs de taxi devaient souffrir de la déstabilisation de leur business par l’«uberisation» du monde.

L’actualité a pourtant braqué ses projecteurs sur d’autres défis qui finiront à coup sûr par occuper le Parlement. Le climat, par exemple. On a passé l’été à s’extasier ou à souffrir de la canicule. La problématique ne va pas s’éteindre dopée par la Conférence de Paris, qui se tiendra au moment même où nos élus inaugureront la 50e législature de l’Etat fédéral. Mais non, cet enjeu majeur pour la survie de la planète est à peine effleuré.

Egalement curieusement zappés: les milliers de pendulaires que compte le pays ont subi pannes et accidents sur les lignes CFF qui auraient bien valu un débat sur la sécurité du rail et la nécessité d’investir. Pas un mot. Les problèmes de logement tant soulignés avant le 9 février 2014? Chut!

A Berne depuis 1995, le conseiller aux Etats Didier Berberat (PS/NE) nuance: il y a la campagne nationale, dominée par l’asile, mais dans les cantons, les discussions sont plus diversifiées. A Neuchâtel, les effets du franc fort sur les industries d’exportation ne sont pas oubliés.

Pas loin de 4000 citoyens sont candidats aux Chambres fédérales, il y a donc autant d’engagements et de déclamations à géométrie variable. Le silence des élus et des aspirants à l’être, leurs omissions, leurs dénis de réalité s’expliquent surtout par un facteur: quel parti a triomphé en assénant des vérités désagréables? Le courage ne paie pas. Sans convoquer les grandes figures historiques comme Churchill, bafoué dans les urnes en 1945 alors qu’il venait de gagner la guerre contre le nazisme, une bonne partie de la classe politique helvétique se souvient que la franchise du conseiller fédéral Pascal Couchepin sur la nécessité d’élever l’âge de la retraite à 67 ans a coûté très cher aux radicaux lors des fédérales de 2003.

En période électorale, il faut séduire les électeurs, capter leur attention, endormir leur méfiance et les pousser doucement, gentiment, sans les froisser, à choisir un camp – le plus grand parti de Suisse n’est-il pas celui des abstentionnistes qui refusent de donner la moindre caution au système, et pour lesquels l’exercice électoral ne présente strictement aucun intérêt?

Florilège, certainement pas exhaustif, des thèmes que les partis auraient pu aborder avec plus de vigueur et d’engagement.

Le climat

Les citoyens ont eu chaud, très chaud, trop chaud cet été. Des personnes âgées ne l’ont pas supporté. Notre approvisionnement en eau et en énergie a souffert. «On a dû envoyer des hélicoptères apporter de l’eau pour que les vaches ne meurent pas de soif en montagne, on a dû oxygéner des lacs car des espèces animales y mouraient», rappelle la coprésidente des Verts Adèle Thorens (Verts/VD).

Depuis qu’on mesure les températures, c’est-à-dire depuis 1864, il y a cent cinquante ans, seul l’été 2003 nous avait fait traverser une canicule plus écrasante encore. Un phénomène suisse, global aussi. D’ailleurs, la conférence de l’ONU sur le climat en décembre s’inscrit déjà comme un rendez-vous majeur pour l’avenir de la planète.

Et, pourtant, à l’exception notoire des Verts, qui ont d’ailleurs insisté pour que le Parlement tienne une session spéciale le 23 septembre, tous les autres partis ont ignoré le climat dans la campagne électorale. Le dossier étant réputé favoriser les écologistes, les autres partis répugnent à leur faire cette fleur.

L’agriculture

C’est une manifestation qui est passée complètement inaperçue le 9 septembre dernier à Kirchberg, dans le canton de Berne: 2500 agriculteurs ont protesté contre la baisse du prix des betteraves à 37 francs l’an prochain, soit 8 francs de moins que cette année. Quelque 6000 familles paysannes dépendent de la production de sucre en Suisse.

«A de rares exceptions près, personne ne parle d’agriculture dans cette campagne électorale», regrette le directeur de l’Union suisse des paysans (USP), Jacques Bourgeois (PLR/FR). Pourtant, les signes d’inquiétude se multiplient. Avant le prix du sucre, c’est celui du lait qui irrite le monde de la terre. Le kilo de lait industriel a chuté à 50 centimes, contre 65 centimes l’an passé. Ici, les Suisses sont dans le même bateau que les Européens. Or, l’UE, qui vient de supprimer les quotas laitiers, est confrontée à une mer de lait. Ses agriculteurs souffrent de l’embargo décrété contre la Russie et des perspectives très décevantes d’exportations vers la Chine.

Revenu paysan, sécurité alimentaire, qualité de l’approvisionnement ne seront abordés par la classe politique qu’après les élections, lorsqu’il faudra se prononcer sur le sort de trois initiatives populaires.

L’Europe

Lors du congrès de Martigny qui approuve sa plateforme électorale en février dernier, le Parti socialiste suisse définit dix thèmes prioritaires, allant de l’égalité des salaires à la sortie du nucléaire. Pas trace des relations à l’UE dans tout cela. Lorsque le Grison Jon Pult monte à la tribune pour proposer de parler d’Europe dans le premier point, il se fait sèchement contrer par le président, Christian Levrat.

L’anecdote est révélatrice. Même le parti qui maintient l’objectif de l’adhésion à l’Union européenne dans son programme a délaissé le débat. L’UDC a quant à elle compris qu’elle pouvait capitaliser beaucoup plus sur le «chaos de l’asile» que sur l’Europe. Elle se rend compte que son initiative «Contre l’immigration de masse», qui met en danger la voie bilatérale, risque de lui faire perdre des électeurs qu’elle avait gagnés au centre droit. Quant au PLR, son président, Philipp Müller, s’est dit prêt à renoncer «si nécessaire» à l’introduction de contingents dans l’immigration pour sauver les bilatérales. C’est on ne peut plus vague.

Le Conseil fédéral attend que les élections soient passées pour produire les résultats de la procédure de consultation sur la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse». Le constat franc et assumé de l’impossibilité d’introduire des contingents tout en maintenant les accords bilatéraux est encore une fois reporté, l’esquisse de stratégies de remplacement tout autant.

La parité hommes-femmes

Une majorité de femmes au Conseil fédéral? Ce fut le cas en 2010, l’espace d’un an et trois mois. Dès lors, quand bien même les femmes gagnent toujours nettement moins que les hommes, qu’elles restent bien moins représentées dans les instances politiques et quasiment absentes des conseils d’administration, «l’égalité, c’est un peu comme le nucléaire, les gens ont l’impression que c’est fait», résume la coprésidente des Verts Adèle Thorens. Et les partis restent cois.

Pourtant, la représentation des femmes stagne au Conseil national autour de 31%. Au Conseil des Etats, elle a baissé à 20%. Et le bilan 2015 s’annonce mauvais: plusieurs parlementaires risquent une non-réélection cet automne, telles les femmes socialistes fribourgeoises ou, dans le Jura, la démocrate-chrétienne Anne Seydoux. Et celles qui partent ne seront pas toutes remplacées par des femmes. La Saint-Galloise Lucrezia Meier-Schatz (PDC) quitte le Parlement un peu découragée: «Tout ce qui touche à l’égalité est considéré comme un truc de gauche. Ce n’était pas toujours le cas. Depuis 1971, les femmes de tout bord ont beaucoup œuvré ensemble pour revendiquer l’égalité.»

Prospérité et conditions-cadres

Collés aux réalités du terrain, maints conseillers d’Etat le soulignent depuis des mois: quand ils rencontrent chefs d’entreprise et managers, ceux-ci leur parlent des effets du 9 février sur le recrutement de la main-d’œuvre et de la réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). A ces deux incertitudes aux conséquences majeures sur l’emploi et la prospérité générale s’ajoute l’impact du franc fort.

La RIE III est en cours de traitement devant le Conseil des Etats. La part d’indemnisation prise en charge par la Confédération pour compenser les pertes fiscales des cantons n’est pas encore fixée. Cheffe du Département fédéral des finances, Eveline Widmer-Schlumpf propose 50%, alors que les cantons espèrent 60%. De fait, on est en train de jouer à la roulette russe avec les finances cantonales: sur quelles mannes pourront-elles exactement compter? L’effet domino ne s’arrête pas là. Si les cantons contributeurs à la péréquation ne peuvent plus assumer leur générosité envers les autres, c’est tout l’édifice de la solidarité confédérale qui est menacé. De cette réaction en chaîne, personne ne dit mot dans la campagne. Presque toutes les conditions-cadres qui ont généré le succès de la Suisse ces dernières années sombrent dans le brouillard d’une indifférence coupable.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Elections fédérales: les grandes tendances que l’on n’a pas vues venir

$
0
0
Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 07:04

Eclairage. La montée de l’UDC dans les années 1990 a été sous-estimée, tout comme son recul en 2011. De même, on néglige d’interroger les conséquences de son hégémonie électorale sur la gouvernabilité de la maison suisse. 

Chantal Tauxe

Pour bien comprendre le choc que l’hégémonie de l’UDC a créé dans le paysage politique suisse, il faut jeter un bref coup d’œil en arrière. Pendant presque tout le XXe siècle, PLR et PS se sont disputé la position de premier parti du pays, souvent dans un mouchoir de poche. En 1919, lors de l’introduction de la proportionnelle pour le Conseil national, le PLR pèse 28,8%, le PS 23,5%. En 1928, les deux sont à égalité avec 27,4% des suffrages. En 1931, le PS devient le premier parti de Suisse avec 28,7% des voix (26,9% pour le PLR).

Un demi-siècle de domination du PS

Cette domination du PS en termes de suffrages va durer plus d’un demi-siècle, jusqu’en 1983. Cette année-là, le PLR reconquiert son rang historique de premier parti du pays avec 23,3% contre 22,8%. Le PS repasse devant en 1995 avec 21,8% contre 20,2%.

Longtemps, depuis 1943, l’UDC navigue entre 11 et 12% des voix. Personne n’imagine que le partenaire junior de la coalition gouvernementale va doubler les grands partis.

Son essor entre 1995 et 1999 est prodigieux: en quatre ans, le parti gagne 8,6 points, du jamais vu dans le système proportionnel. De plus petit parti gouvernemental, il se hisse du quatrième au premier rang, ex æquo en voix avec le PS (qui obtient toutefois plus de sièges que l’UDC).

En 2003 comme en 2007, les sondages annoncent de nouveaux records pour la formation prise en main par Christoph Blocher, mais le résultat final sera encore supérieur à leur estimation. Du coup, pour 2011, les sondages attribuent à l’UDC 29,3% des intentions de vote, malgré la scission qui s’est opérée avec le PBD en 2008. L’UDC enregistre toutefois la première inversion de tendance depuis 1987, elle ne glane que 26,6% des voix, tout en se maintenant largement au-dessus des autres, qui ne parviennent plus à toucher la barre des 20% de l’électorat.

Si l’affaiblissement du centre puis son émiettement entre PDC, Vert’libéraux et PBD ont été beaucoup décrits, les conséquences sur la gouvernabilité de la Suisse ont été peu discutées. La plupart des analyses continuent à se référer à la polarisation de la politique fédérale entre PS et UDC, alors qu’au Conseil national ce sont les partis du centre et le PLR qui enregistrent le plus grand succès (voir tableau SmartMonitor ci-contre). Le taux de réussite des partis devant les Chambres ou dans les votations populaires semble ne pas constituer un élément digne d’être porté à la connaissance des électeurs.

L’analyse manichéenne stérile explique en partie la difficulté du Conseil fédéral à faire aboutir de grandes réformes comme les retraites ou à mener une politique étrangère conséquente. La vertu du compromis n’est plus valorisée, l’illusion que les solutions extrêmes, proposées par les uns ou par les autres, pourront fonctionner s’est bien installée. Le fossé entre les choix des électeurs et ceux des votants se creuse. L’électorat privilégie l’UDC et le PS, mais vote comme le PDC et le PLR. Le taux de succès lors des votations populaires est de 71% pour ces deux partis, alors que le PS est à 59% et l’UDC à 54%. Un résultat paradoxal pour un mouvement qui se présente comme le plus en phase avec les préoccupations du peuple.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

La Havane, cette ville qui donne envie de chanter et de danser

$
0
0
Jeudi, 8 Octobre, 2015 - 05:49

Récit. Carnet cinématographique d’une Havane en mode accéléré. Bars branchés, théâtres et ballets décatis, le voile se lève sur le paradoxe de la capitale cubaine.

Eileen Hofer

Pour réaliser mon documentaire «Horizontes», j’ai séjourné trois mois à La Havane entre 2012 et 2013. Aujourd’hui, je découvre un brin perplexe les selfies de Paris Hilton au côté de Fidelito, fils du Líder Máximo. Impossible de ne pas sourire devant la papamobile qui, le mois dernier, fendait une foule de fidèles sur la place de la Révolution. Le changement était certes attendu depuis l’effondrement du bloc soviétique mais le processus s’est accéléré avec Raúl au pouvoir.

Durant mes trois séjours, j’ai découvert une Havane culturellement riche et économiquement misérable. On connaît la ville pour ses cigares, son rhum et ses Chevrolet. Pour les daïquiris qu’Ernest Hemingway descendait avant de se descendre lui-même. On connaît Cuba pour ce portrait du Che immortalisé par le photographe suisse René Burri et ces CD piratés du Buena Vista Social Club, glanés 1 dollar dans la rue. Grâce à mon documentaire, j’ai découvert le gène manquant de cette culture caribéenne: le ballet.

Alicia Alonso, aujourd’hui 94 ans, est l’une des prime ballerine assolute les plus respectées du monde. Cofondatrice du Ballet national de Cuba, financé par Castro dans les années 60, elle a servi d’ambassadrice au régime et fait de la danse, réservée jusque-là aux élites, un art populaire. Aujourd’hui, la diva possède ce je ne sais quoi de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard. Elle ressemble aussi à ce Cuba, épuisé, qui vit le crépuscule du castrisme.

Durant trois mois, j’ai vécu au cœur du Vedado, au rythme des pas chassés des danseurs. Dans ce quartier colonial, où logeaient les familles aisées avant la révolution, la plupart des institutions culturelles, à l’instar de la compagnie de danse, y siègent.

«Dos Gardenias para ti…»

Mon immeuble surplombe la mer et la Tribune anti-impérialiste José Martí qui nargue l’ambassade des Etats-Unis. A l’étage supérieur, une dame âgée chantonne Dos gardenias para ti… J’imagine Omara Portuondo arrosant ses plantes, un foulard coincé sur ses cheveux. La chanteuse du Buena Vista Social Club est la voisine d’Emilio Bonne, le propriétaire de ma maison d’hôtes. Alors, quand la chanteuse n’est pas en tournée, je partage l’ascenseur avec elle. En apnée, car elle m’impressionne. A deux numéros de là: Miguel Capote. Ce physiothérapeute frôle les 200 ans mais sa dextérité notoire fait que les étoiles européennes, comme Tamara Rojo et Carlos Acosta du Royal Ballet de Londres, s’entraînent encore chez lui durant leur pause estivale.
A cinq minutes à pied, sur l’avenue G, une bâtisse coloniale abrite le Musée de la danse. Un vieux cerbère lit Granma, le journal officiel du PCC (le Parti communiste cubain) tandis qu’un chat joue avec une balle en papier. Les deux étages rendent hommage à la carrière d’Alicia Alonso. Ici avec Noureev, là avec Balanchine, un peu plus loin avec Castro. Peintures, sculptures et dessins à l’effigie de l’étoile ponctuent la visite. En sortant, on se demande si Youri Gagarine, autre héros communiste, possède, lui aussi, un mausolée poussiéreux en Russie.

Du Vedado à la Havana Vieja

Pour fuir l’ardeur estivale, direction la cinémathèque de la Calle 23. Elle se trouve à côté de l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC) qui fut le premier acte culturel de la révolution. Désuète, la cathédrale du septième art honore cette semaine Romy Schneider. L’entrée coûte 2 centimes. Une ancienne VHS projette César et Rosalie de Claude Sautet sur un écran fatigué.

Je remonte la Calle 23 pour rendre hommage au cinéma et à la danse autour d’une glace. Fresa y chocolate de Tomás Gutiérrez s’est tourné au Coppelia, un glacier connu pour son interminable queue. Je me faufile parmi les locaux. Aujourd’hui, ni fraise ni chocolat. Voilà qu’une noix de coco côtoie une boule vanille. «A Cuba, tu manges ce que l’on te donne», me lance, amusé, mon voisin de table. Je finis ma glace et extrais de mon sac La Havane année zéro de Karla Suárez. Le livre met en scène, en 1993, une société épuisée, à court de vivres et de rêves.
Déambuler dans le Vedado, c’est saluer une grand-mère qui brode tout en faisant grincer sa chaise à bascule sur une terrasse ombragée. C’est deviner l’écho d’un acteur en répétition au Théâtre Mella ou au Centre culturel Bertolt Brecht. C’est aussi se rafraîchir l’esprit autour d’un mojito dans les jardins du mythique Hotel Nacional.

Ce quartier se trouve à moins de 5 km du tumulte touristique de la Havana Vieja. Pour découvrir la vieille ville, je longe la jetée, le Malecón, dans la carcasse d’une américaine des années 50. La radiocassette de ce taxi collectif crache un reggaeton, sorte de ragga chanté en espagnol avec des influences hip-hop, tandis qu’une métisse aux formes généreuses glousse dans les bras de son petit ami.

En vieille ville, je découvre les sites historiques comme le Capitolio – une réplique de celui de Washington – ou la cathédrale. Je me perds dans les ruelles délabrées avant de retrouver, soulagée, la rue piétonne Obispo. Je sirote une limonade fraîche et déguste une langouste grillée à l’Hotel Inglaterra, sur le Paseo de Marti. Ce bâtiment à la façade néoclassique se trouve à quelques encablures de l’Ecole nationale de ballet. L’occasion de voir à la sortie des classes une horde de fillettes qui, le cheveu coincé dans un chignon, se pressent vers les «oua oua», ces bus publics.

Sur le même Paseo, les habitants, du boucher au chirurgien, se hâtent. Ce soir, le ballet Giselle est dansé au Gran Teatro. Ce théâtre représente l’âge d’or des Caraïbes, où les célébrités transitaient par l’île avant de rejoindre les Etats-Unis. Derrière le rideau, on sent les présences fantomatiques d’une Sarah Bernhardt, d’un Caruso. Mais la voilà! Stupeur et tremblements, le public se lève pour applaudir Alicia Alonso. L’immortelle a fait de ce haut lieu de la culture son siège et de sa venue un protocole digne d’une reine.
Un dernier verre au Floridita

A l’issue du spectacle, je rejoins la statue d’Ernest Hemingway pour un dernier verre au Floridita ou je tente le Sloppy Joe’s Bar, une autre adresse de l’auteur américain. Cet établissement accueillait les stars hollywoodiennes comme Nat King Cole, Clark Gable ou encore Frank Sinatra; mais voilà, le champagne a cessé de couler avec l’arrivée de Castro. Situé en plein centre historique de la ville, le bar a rouvert ses portes en 2013 après un fidèle lifting.

Avinée, je titube jusqu’à la rue Neptuno où, grâce à Mariela Castro, la fille de Raúl, les travestis se pavanent librement, perchés sur des chaussures à plateforme, et proposent des cabarets cocasses. Je m’assieds enfin sur le muret du Malecón comme de nombreux couples et observe l’infini d’une mer agitée. J’imagine ces amoureux rêvant de cet ailleurs lointain qu’un jour, peut-être, ils auront la chance de découvrir.


4 coups de cœur

Danse (photo) Le Festival international du ballet accueille les créations des compagnies cubaines et monde entier. Prochaine édition: octobrenovembre 2016.
Cinéma La cinémathèque de Cuba, Calle 23, juste à côté de l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC).
Bar Le Sloppy Joe’s Bar, à l’angle des rues Zuleta et Animas, où aimait aller boire Ernest Hemingway.
Logement Casa particular de Emilio Bonne, 50 francs pour deux, déjeuner inclus. emilio.bonne@nauta.cu


L’auteure
Eileen Hofer

Eileen Hofer est née en 1976. Installée à Genève, elle travaille comme journaliste, blogueuse (eileenexpresso.com) et cinéaste. Elle signe Horizontes, actuellement sur les écrans.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Getty Images
Keystone
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no
Viewing all 2205 articles
Browse latest View live




Latest Images