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Obligation de servir: un Suisse sur deux échappe à l’armée

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 06:00

ARMEE. Le service militaire est-il encore obligatoire? Pas vraiment, selon les statistiques que «L’Hebdo»  a pu se procurer. Seulement la moitié des hommes en âge de servir le font désormais. Une armée de volontaires qui ne dit pas son nom.

Quel est le point commun ces jours-ci entre Roger Federer et Christian Lüscher? Le sport? Pourquoi pas puisque, si le Bâlois est l’un des tennismans les plus connus et les mieux payés de la planète, le conseiller national libéral-radical genevois se défend pas mal en ski nautique. Mais ce n’est pas cela. Le côté belle gueule et séducteur? Encore moins. Il fut un temps où l’avocat genevois papillonnait dans les pages people des médias romands, mais aujourd’hui, comme notre Roger national, le PLR est rangé des voitures, marié, avec des enfants. Alors quoi? L’armée. Et pour une raison simple: Federer comme Lüscher n’ont pas eu la chance de fréquenter les rangs de la milice, cette création de la Suisse moderne de 1848.

L’un comme l’autre ont été jugés inaptes au service militaire. Roger à cause de maux de dos qui le relancent aujourd’hui après une carrière bien remplie et Christian en raison… «de problèmes médicaux soignés depuis», nous éclaire-t-il.

Voilà pour leur point commun. Car, au moment où le peuple suisse s’apprête à dire, le 22  septembre prochain, s’il accepte ou non l’abrogation du service militaire obligatoire, les deux «Prominenten» helvétiques ne s’investissent pas de la même manière. Federer s’est contenté de refuser que le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), à l’origine de l’initiative, puisse utiliser son image dans sa campagne.

Quant au conseiller national Lüscher, il s’investit dans le comité contre l’initiative. Et ne croyez pas que le Genevois soit le seul opposant aux antiarmée à n’avoir pas usé ses fonds de culottes sur les terrains d’exercice des places d’armes. Une bonne demi-douzaine d’élus de droite font partie du lot (lire en page 17), notamment les conseillers nationaux romands Jean-Pierre Grin (UDC/VD), Olivier Français (PLR/VD) et Jacques Bourgeois (PLR/FR) ou encore le conseiller aux Etats neuchâtelois Raphaël Comte (PLR).

Notez que ces parlementaires ne sont pas les seuls représentants du peuple à n’avoir pas servi sous les drapeaux. Outre le conseiller national Fathi Derder (PLR/VD), plusieurs illustres socialistes sont passés entre les gouttes de la conscription, à l’image des conseillers nationaux Jean Christophe Schwaab (PS/VD), Mathias Reynard (PS/VS) et Jean-François Steiert (PS/FR). «J’ai accompli deux semaines de service militaire avant d’être réformé pour raisons de santé», témoigne ce dernier qui s’est recyclé dans la protection civile.

Alain Berset inapte. Au final, sur les 177 hommes de l’Assemblée fédérale, seuls 32 d’entre eux, soit un taux de 18%, n’ont pas fait l’armée. Et si les UDC ont servi à plus de 90%, les Verts, eux, sont les moins assidus avec 70% d’inaptes au service militaire; alors que le Conseil fédéral montre l’exemple. Trois des quatre mâles du gouvernement, Ueli Maurer (major), Johann Schneider-Ammann (colonel) et Didier Burkhalter (officier spécialiste), ont servi sous les drapeaux. Seul Alain Berset manque à l’appel. Le socialiste fribourgeois a été recalé pour des raisons médicales, alors qu’il avait été sacré champion romand du 800 mètres en 1989.

Avec un taux d’inaptitude de 18%, les parlementaires sont-ils représentatifs de la population suisse? Pas vraiment. En fait, il y a de moins en moins de jeunes qui servent dans notre armée. Si, en 1985, 91% des 45 000 conscrits appelés au recrutement étaient déclarés aptes au service militaire, ils n’étaient plus que 62% des 40 000 recrutés en 2012. Mieux: si 81% des jeunes Suisses avaient terminé leur école de recrues quatre ans avant la chute du mur de Berlin, aujourd’hui, ce taux a chuté à 48%.

Ce qui fait passer l’armée d’aujourd’hui, finalement, pour une troupe de volontaires. En gros, ne fait ou ne termine l’armée que celui qui le veut bien. Une analyse que partage l’historien Hans-Ulrich Jost, professeur émérite de l’Université de Lausanne et ancien pilote de chasse. «Aujourd’hui, c’est un peu à la carte.» Ce que reconnaît aussi du bout des lèvres un officier supérieur: «Nous sommes devenus très sélectifs avec nos recrues.» Un goût de luxe qui s’explique facilement. L’armée de grand-papa avec ses plus de 600 000 hommes était largement plus gourmande et moins regardante. L’époque était à la quantité, pas forcément à la qualité.

Des «réformés» confirment: «Disons que je n’ai pas senti une grosse envie de la part de l’officier recruteur lors de mon recrutement, confie un jeune Romand. J’ai dit que j’avais mal au dos et c’était réglé. Je suis à la protection civile aujourd’hui.» Certains évoquent – avec la complaisance d’un médecin – des problèmes respiratoires, de pied, de cœur ou, mieux, simulent des faiblesses psychologiques – genre peur des armes et des explosions – ou alors font le coup de la folie. D’autres encore se montrent très enthousiastes, voire trop, pour l’armée. «Pour me faire recaler, il m’a suffi de dire que ce que j’allais apprendre sous les drapeaux pourrait me servir, en tant que membre de l’extrême droite, contre les étrangers», sourit cet autre inapte, qui vote à gauche…

Club Med! Benjamin, lui, n’a eu qu’à parler de ses soucis avec ses parents, du peu d’amis qui l’entourent, pour quitter la caserne de Bière après trois jours d’infirmerie et un passage devant le psychologue. «Je n’avais rien préparé, à la différence d’autres recrues. Et tout s’est passé très rapidement.» Bref, celui qui aujourd’hui ne veut vraiment pas servir peut facilement s’en sortir. D’autant qu’il n’a plus besoin de passer par la case «objection de conscience» et «prison» pour échapper à la vie en gris-vert comme ce fut le cas pour le conseiller national Philipp Hadorn (PS/SO).

Il suffit désormais d’évoquer son intention pour le service civil et de remplir un formulaire pour être quasiment automatiquement et instantanément renvoyé à la maison. Ce qui fait pester un officier: «Lorsqu’une recrue ne veut pas faire la garde ou qu’elle trouve un exercice trop fatigant, elle fait une demande de mutation. Cela devient n’importe quoi. Ce n’est tout de même pas le Club Med, notre armée!»

Et la tendance s’accélère encore lorsqu’il est question pour un soldat de devoir grader. Ou de devoir assurer ses cours de répétition dans le timing. «En gros, seuls 20% de nos hommes effectuent leurs obligations militaires selon le programme», reconnaît Dominique Andrey, chef des forces terrestres et numéro deux de l’armée. La faute à la pression des entreprises, qui voient de plus en plus mal leurs employés les quitter trois semaines durant pour des vacances militaires forcées. Ou aux contraintes des études. Du coup, l’armée a promis de diminuer de trois à deux le nombre de semaines de cours de répétition dans le DEVA (développement de l’armée) à venir. L’école de recrues passera, elle, de 21 semaines à 18.

Cela dit, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. «Le niveau d’aptitude actuel est comparable aux plus bas taux de l’histoire du service obligatoire de l’armée, qui remonte à la création de la Suisse moderne en 1848, analyse Hans-Ulrich Jost. En 1921 déjà, il était de 52,8%. Deux ans plus tôt, les autorités avaient même décidé d’annuler l’école de recrues et les cours de répétition. Elles ne savaient pas vraiment quoi faire de la troupe. Et les pressions pour faire baisser le budget étaient importantes. Comme aujourd’hui, en fait.»

Communistes recalés. Pour Hans-Ulrich Jost, ce peu d’assiduité militaire n’a rien à voir avec une génération plus tire-au-flanc qu’une autre. «Quand l’armée a besoin de moins d’hommes, elle augmente ses exigences lors du recrutement. C’est logique. Ou alors elle élimine des éléments indésirables.» Ce fut le cas, notamment, après la grève générale de 1918 quand les officiers recruteurs ont recalé de nombreux jeunes des régions ouvrières du pays. «Ceux qui étaient trop proches de la gauche révolutionnaire ou des communistes étaient refusés. On ne voulait pas leur apprendre à manier des armes ou, pire, les mitrailleuses.»

En fait, poursuit l’historien vaudois, seule la période de la guerre froide a vu l’armée appliquer la règle de la conscription quasi obligatoire avec des taux à plus de 80% d’aptitude. Et c’est effectivement ce que nous apprend notre tableau de la page 14. Les taux se sont effondrés dès la chute du mur de Berlin en 1989. Un effondrement qui s’est accéléré avec les grandes réformes de 1995 et de l’armée XXI, qui ont vu le nombre de militaires incorporés passer respectivement de plus de 625 000 hommes à 200 000. Et avec le prochain développement de l’armée, une nouvelle réforme qui ne porte pas son nom, les rangs se clairsèmeront encore un peu plus. L’armée ne devrait compter dès 2016 plus que 100 000 hommes. Conséquence: il y aura encore moins besoin de recrues.

Pour beaucoup d’observateurs de la sécurité en Suisse, l’initiative du GSsA tape à côté en voulant proposer une armée de volontaires. Pour la simple et bonne raison que l’armée est et sera encore plus à l’avenir une troupe de volontaires.

Le peuple semble avoir déjà tranché. Selon le dernier sondage de l’institut gfs.bern, réalisé pour la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR), rendu public le vendredi 16 août, les citoyens s’apprêtent à rejeter sèchement la proposition d’abolir le service militaire obligatoire, avec 57% de «non» contre 35% de «oui» et 8% d’indécis.

En revanche, et c’est plus inquiétant pour l’avenir de l’armée, les hommes en âge de servir acceptent l’initiative du GSsA: 42% des 18-39 ans l’approuvent contre 40% de «non» et 8% d’indécis. C’est exactement ce que disent les membres du «comité de soldats contre l’obligation de servir» en soulignant que le service militaire est devenu inutile. «En tant que soldat engagé en service long, le service militaire s’est résumé à un seul combat: celui contre l’ennui», a expliqué Michael Christen, soldat comptable de troupe, lors d’une conférence de presse, avant d’ajouter que ses tâches ne l’occupaient que deux heures par semaine et qu’il meublait ses heures vides en lisant, en regardant des films et en dormant – beaucoup.

Un autre soldat témoignait également de son désagrément dans Saint-Georges et le dragon, un livre paru en 2011 aux Editions Faim de siècle. Il y racontait son cours lors de la Foire du Valais, entre beuveries, sauteries, défiances et… ennui.

Service universel? Finalement, la question aurait plutôt dû être posée en d’autres termes: milice contre troupe professionnelle, regrette Hans-Ulrich Jost, qui va voter non à l’initiative. Comme de nombreux socialistes. «J’ai fait partie d’un groupe de réflexion du Parti socialiste au début des années 70, avec notamment la future conseillère fédérale Ruth Dreifuss. La question était la même et, au final, nous avions préféré la milice à l’armée professionnelle. Elle évite une trop grande militarisation de la société. C’est un véritable contrôle démocratique sur l’armée.»

L’échec programmé de l’initiative du GSsA s’explique aussi par les refus de 1989 et de 2001 lors de ses précédentes initiatives antiarmée. Comme si le peuple attendait en fait que le débat se déplace vers une autre question bien plus intéressante à vrai dire: celle de l’obligation universelle de servir la nation. Une sorte de service à la patrie qui obligerait filles et garçons de l’âge de 20 ans – soit 100 000 personnes en gros chaque année – à donner quelques mois de leur vie à l’Etat.

Hans-Ulrich Jost et même de nombreux militaires interrogés abondent en se disant que ces services à la nation, en Suisse ou à l’étranger, dans les corps de pompiers, des hôpitaux, des homes pour personnes âgées ou même pour apprendre une autre langue nationale, seraient très formateurs. «Tant que l’armée continue à prélever les effectifs nécessaires, nous pouvons vivre avec cette idée», souligne un officier.

Une idée qui aurait pu séduire Benjamin. «Je suis universitaire et quand je vois ce que certains de mes camarades ont réalisé comme projets durant leur service civil, je me dis que cela m’aurait été bien utile professionnellement ou intellectuellement.» L’un a appris l’espagnol à l’occasion d’un projet humanitaire en Amérique du Sud. Un autre a travaillé dans un musée. Bref, dès qu’une mission retrouve son sens, les jeunes y adhèrent. Et c’est bien là que le bât blesse avec l’armée d’aujourd’hui. A quoi sert-elle vraiment dans une Europe en paix?

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Peter Klaunzer, Keystone
Peter Klaunzer, Keystone
Bob Strong, Reuters
Source: Armée suisse | Infographie: Kevin Gertsch et David Corradini
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