Analyse. Michael Lauber vire quatre magistrats pour incompétence. Lui-même n’ose pas ouvrir d’enquête contre HSBC.
Drôle de collision. Dans une intervention remarquée au Forum des 100, le 7 mai dernier, l’ancien procureur du Tessin, Dick Marty, lançait une violente charge contre le Ministère public de la Confédération (MPC). «L’arme la plus sournoise des organisations criminelles est la corruption, rappelait-il à la suite du discours du journaliste anti-Mafia Roberto Saviano. C’est un phénomène discret et dévastateur, qui peut prendre des formes raffinées. Penser que notre pays soit à l’abri de telles menaces, c’est faire preuve de naïveté. A ce titre, l’absence de réaction du Ministère public à la suite de l’affaire SwissLeaks est inquiétante. Cela ne peut être interprété que comme un manque de courage.»
Les oreilles du procureur fédéral, Michael Lauber, ont dû siffler ce jeudi-là. Dans l’assistance, la ministre de la Justice, Simonetta Sommaruga, n’a pas cillé. Elle a refusé de répondre à cette critique lors du débat qui a suivi l’intervention de Dick Marty, invoquant la séparation des pouvoirs. Mais elle n’a pas eu un mot de soutien pour Michael Lauber.
Trois jours plus tard, Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung révélaient que le chef du MPC avait lancé une purge dans ses troupes, se séparant de quatre procureurs jugés inaptes. La mesure est totalement inédite. Tout comme le fait de reconnaître publiquement qu’au lieu d’attirer les meilleurs, le parquet fédéral avait trop longtemps servi de placard doré pour caser les procureurs cantonaux les plus incompétents.
Pour marquer le coup, un porte-parole du MPC se vantait même de l’ampleur du nettoyage, qui touche près de 10% des juges élus. «Une nouvelle ère a démarré au MPC», applaudissaient les dominicaux. Ils omettaient de rappeler un détail: Michael Lauber joue lui-même sa réélection en juin prochain. Et le «grand nettoyage» qu’il opère avec courage dans son écurie tombe à pic pour détourner l’attention des critiques qui le visent.
Quelques jours après les révélations des médias partenaires de SwissLeaks, Michael Lauber avait longuement expliqué à L’Hebdo toutes les excellentes raisons qu’il avait trouvées pour ne pas ouvrir d’enquête contre la filiale genevoise de la banque HSBC. Des articles de presse révèlent la présence très récente de trafiquants de drogue au sein de la clientèle? Pour Michael Lauber, peu importe. Si ces informations proviennent d’une liste volée, elles sont donc inutilisables en justice. Punkt schluss.
Le lendemain, les procureurs genevois Olivier Jornot et Yves Bertossa lançaient la cavalerie en perquisitionnant les locaux de la banque. Les magistrats faisaient une interprétation tout à fait différente – et beaucoup plus courageuse – de celle du parquet fédéral. L’interview de Michael Lauber, quelques heures avant la perquisition genevoise, visait à contrer par avance l’image d’un Ministère public fédéral faible, laissant les cantons gérer les affaires auxquelles il n’ose faire face.
«Quand on avait conçu le nouveau Ministère public fédéral, se rappelle Dick Marty, on pensait que les meilleurs magistrats et les meilleurs policiers des cantons joindraient la nouvelle structure. Cela ne s’est pas passé.» Mais le problème, souligne-t-il, n’est pas seulement une question de compétence des juges. C’est aussi une affaire de direction. «Il aurait aussi fallu un chef charismatique, capable de créer une dynamique, un climat stimulant et attractif. On aurait coiffé les résultats! Dommage!»
Reste à savoir si le Parlement fédéral se laissera convaincre, en juin prochain, par ce procureur plus friand de beaux articles que de grandes enquêtes.