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Initiative UDC pour les familles: pièges et tentations

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Jeudi, 7 Novembre, 2013 - 06:05

Sommaire:
Edito: familles, on se moque de vous
Initiative UDC pour les familles: pièges et tentations
Cadeaux fiscaux pour les familles sans frais de garde
Les idées pour vraiment aider les familles
Les dilemmes des mères entre cup cakes, travail, enfants

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Notre dossier «Initiative pour les familles».

Votation. L’initiative de l’UDC semble honorer la femme au foyer, mais elle sabote l’égalité et affaiblit l’Etat. Malgré les pièges tendus, les citoyens semblent tentés.

Il y a quelque chose de simplement indécent à régaler de la sorte les parents les plus riches sous le label d’une initiative pour LES familles. Parce que oui, calculs faits par exemple pour le canton de Vaud et taux de progression aidant (voir graphique en page 17), l’initiative de l’UDC pourrait permettre à celles dont le revenu imposable atteint 500 000 francs d’économiser 4493 francs si elles ont un enfant et même 12 659 francs si elles en ont trois. Si elles les gardent elles-mêmes. A ces hauteurs-là, la vie de famille prend un parfum d’optimisation fiscale. A l’autre bout de l’échelle sociale en revanche, les petits revenus jusqu’à 40 000 francs ne gagnent rien du tout.


Les pièges de l’initiative

La pochette-surprise Si l’initiative était aussi appliquée aux impôts cantonaux et communaux, les familles de la classe moyenne, surtout si elles ont plusieurs enfants, économiseraient également. Si seule la déduction sur l’impôt fédéral direct était retenue – l’initiative n’est pas claire sur ce point –, elles ne gagneraient en revanche presque rien. Dans tous les cas de figure, les familles risquent de le payer cher par la suite. Parce que l’argent manquera quelque part. La Conférence des directeurs cantonaux des finances estime la perte à 1 milliard de francs. Sans compter les 390 millions en moins pour la Confédération. «Pas de miracle, il faudra soit augmenter les impôts, soit couper dans les budgets», résume Alexandre Schmidt (PLR), directeur des Finances de la ville de Berne.

Des mesures qui, elles, toucheront toutes les familles: fermeture de classes d’école, coupures dans le sport ou la culture, tout est possible. Et puis, à l’heure où quatorze cantons planchent sur des programmes d’économies, «on peut aussi imaginer réduire – en théorie même supprimer – les déductions pour frais de garde», avertit Lucrezia Meier-Schatz, la directrice de Pro Familia.

Lors des débats au Parlement, le président de l’UDC, Toni Brunner, n’a pas masqué ses intentions: «On peut appliquer cette initiative de façon à ce qu’elle soit neutre sur le plan des coûts.» Un piège à retardement pour la grande majorité des parents qui vivent avec deux revenus. L’UDC n’en a cure. Chacun se souvient du dédain affiché par Christoph Blocher envers ceux qui confient leurs enfants à des garderies professionnelles, ces «coucous» qui déposent leurs œufs dans le nid des autres, fuyant leurs responsabilités.

L’inégalité Petit rappel. De longues années durant, les parents qui travaillaient à l’extérieur du ménage et payaient des tiers pour s’occuper de leurs enfants ne pouvaient pas déduire ces frais. Comparés aux familles dites traditionnelles, ils disposaient donc, au bout du compte, de moins d’argent.

Pour corriger cette inégalité, depuis 2011 seulement, les ménages qui ont des enfants de moins de 14 ans peuvent déduire de l’impôt fédéral direct (IFD) des frais de garde jusqu’à 10 100 francs. Et les cantons sont eux aussi tenus d’accorder une déduction, dont ils peuvent fixer librement le montant maximal.

Malgré cela, le fisc ne discrimine toujours pas la femme au foyer. Au contraire, d’un point de vue strictement financier, les couples qui travaillent font souvent peu ou pas de bénéfices. Parce qu’ils paient davantage d’impôts, parce que les déductions couvrent rarement les frais effectifs de la crèche. Une étude de l’institut Infras a montré qu’en ville de Zurich une femme qui travaillait à 60% et dont le mari gagnait 8000 francs par mois coûtait davantage au budget familial qu’elle ne rapportait.

Si l’initiative passe, non seulement la Confédération mais aussi les cantons devraient en principe respecter le nouvel article constitutionnel et permettre aux familles sans frais de garde des déductions au moins égales à celles des parents qui doivent réellement payer les factures de la crèche ou de l’école de jour. Autrement dit, on restaure bel et bien une inégalité entre les familles, même si l’UDC affirme le contraire.

Le retour au foyer L’égalité des sexes subira un véritable revers en cas de oui dans les urnes. Les hommes qui, généralement, gagnent plus, disposeront de nouveaux arguments pour ne pas lâcher leur plein temps et convaincre leur épouse de renoncer à un emploi. Les femmes, elles, en auront moins pour motiver les pères à s’occuper davantage des enfants.

Autre piège à retardement: celles qui renoncent à toute activité professionnelle se retrouvent handicapées le jour où elles souhaitent reprendre un emploi. Le jour où elles divorcent aussi. Mais pour elles, pas de pitié. Dans un postulat demandant au Conseil fédéral un rapport sur l’obligation d’entretien après le divorce, le conseiller national bâlois Sebastian Frehner (UDC) écrit: «Lorsqu’une femme mariée abandonne son activité lucrative, elle s’expose sciemment à un risque dont elle ne peut faire assumer les conséquences à son mari en cas de divorce.» On incite la femme à quitter son emploi pour la punir ensuite du risque qu’elle a pris!

L’affaiblissement de l’État L’initiative dite «pour les familles» vise autre chose encore que le soutien à la famille traditionnelle. Elle veut amaigrir l’Etat. Démonstration.

De fait, à l’UDC, on souhaite aussi privilégier les parents qui travaillent tous les deux, du moment qu’ils n’ont pas recours à des structures d’accueil professionnelles. Comme nous le confirme Silvia Bär, secrétaire générale adjointe du parti: «Pour nous, c’est clair, quand des grands-parents ou des voisins gardent les enfants sans être payés, la famille doit aussi pouvoir bénéficier de réductions.»

Rien n’est moins clair en vérité. Le Département fédéral des finances précise que ce cas devra être réglé dans la loi d’application. En effet, l’article constitutionnel ne parle pas de proches ou de grands-parents, mais stipule: «Les parents qui gardent eux-mêmes leurs enfants doivent bénéficier d’une déduction fiscale au moins égale à celle accordée aux parents qui confient la garde de leurs enfants à des tiers.» Quant aux modèles mixtes et très courants où, par exemple, une famille met les enfants deux ou trois jours à la crèche, s’en occupe partiellement et recourt aussi aux grands-parents, la loi d’application devra aussi définir quels traitements leur réserver. L’initiative ne le précise pas.

Quoi qu’il en soit, la famille que l’UDC favorise est celle qui coûte le moins possible aux contribuables. Surprenant, dès lors, qu’elle lance une initiative onéreuse qui réduira les recettes de l’Etat? La contradiction n’est qu’apparente. Le parti de Christoph Blocher n’adore rien tant que d’affaiblir l’Etat et le contraindre à économiser. Comme l’écrit le comité d’initiative dans le matériel de vote: «Le nombre de places nécessaires dans les crèches diminuera, ce qui réduira les coûts pour la collectivité.» Et permettra d’accorder de nouveaux cadeaux fiscaux. La boucle est bouclée.


Les tentations du oui

Pour exprimer sa colère Malgré tous les pièges tendus, les sympathies des Suisses sembleraient pencher du côté du oui, à en croire les sondages. En Suisse alémanique surtout, où perdure plus qu’ici la conviction que la famille relève strictement de la vie privée. La votation de mars concernant l’article constitutionnel sur les familles l’a montré: tous les cantons romands et le Tessin l’avaient acceptée, avec quelques alémaniques dont Bâle-Ville, Lucerne ou Soleure.

Mais la tentation du oui se nourrit encore d’autres terreaux. D’abord d’une frustration, d’une colère face à une politique timorée qui néglige les familles, elles qui attendent depuis 1984 la fin de l’inégalité fiscale pour les couples mariés, qui voient leur budget saigné par les primes d’assurance maladie, se sentent peu aidées par les allocations, peinent toujours à trouver des places en crèche et voient leurs salaires stagner. Alors pourquoi pas un oui, histoire de dire: occupez-vous de nous, enfin!

Pour laver l’honneur de la femme au foyer Plusieurs parents nous ont confié que, s’ils votaient oui, ce ne serait pas un oui à l’UDC, un parti qui n’a pas leur sympathie, mais bien malgré l’UDC. Pourquoi? Parce qu’ils souhaitent une valorisation de la femme au foyer. Parce qu’ils se souviennent d’une mère, d’une amie si serviable. Parce qu’ils supportent mal qu’on oppose les modèles, qu’on parle de «femme aux fourneaux», de «retour en arrière», autant de propos jugés méprisants pour le travail social et éducatif de mères qui, souvent, souffrent déjà d’un manque d’estime de soi et de reconnaissance. Des femmes qui s’entendent dire, comme le relate Lucrezia Meier-Schatz: «Ah, vous élevez vos enfants? Et que faites-vous à côté?»

Pour l’argent Enfin, les familles de la classe moyenne qui gardent elles-mêmes leurs enfants font leurs comptes. Elles constatent qu’elles ne gagneront quasiment rien au niveau de l’impôt fédéral direct. Mais, si les cantons introduisent aussi une déduction semblable à celle des familles où les deux parents «travaillent», elles pourront réaliser quelques économies aussi, même si ces dernières restent modestes par rapport aux nantis.

Dans le canton de Vaud, une famille avec deux jeunes enfants dont le revenu s’élève à 100 000 francs pourrait payer 4949 francs en moins, si l’on englobe chaque impôt: fédéral, cantonal et communal. Presque 5000 francs, ce n’est pas rien et c’est tentant.

Face aux pièges d’une initiative qui veut affaiblir l’Etat et ses services tout en incitant les femmes à rester – ou à retourner – chez elles, il serait pourtant judicieux de résister à la tentation.
 


Samuel Bendahan, Cesla Amarelle, Pierre Dessemontet, François Cherix: les blogueurs de «L’Hebdo» s’en donnent à cœur joie sur le Net. Retrouvez leurs billets dans notre dossier «Initiative pour les familles».

 

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Christine Bärlocher / Ex-press
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