Portrait. Six hauts responsables de la FIFA ont été arrêtés à Zurich. Découvrez en avant-première le portrait de Sepp Blatter à paraître demain dans L'Hebdo. Laurent Favre dévoile, ici, les sept péchés capitaux du big boss du foot mondial.
«Les sept péchés du président.» En novembre 2010, L’Hebdo, sous la plume de Christophe Passer et de Christophe Schenk, avait déjà tiré l’antiportrait biblique de Sepp Blatter. Quatre ans et demi plus tard, rien n’a changé.
La FIFA n’en finit pas de barboter dans les eaux nauséabondes de la corruption, des pots-de-vin et des scandales éthiques, mais son inaltérable président parvient à se maintenir au-dessus de la mêlée. En chemin, Sepp Blatter a perdu quelques vice-présidents, victimes du scandale de trop, ou de mort naturelle.
Michel Platini a basculé dans le camp des opposants. Après s’être autoproclamé «le seul à pouvoir battre Blatter», le président de l’UEFA a préféré passer un tour et soutenir le jeune prince Ali Ben al-Hussein de Jordanie.
Robert Mitchum disait que «ce ne sont pas vos qualités qui font de vous une star, mais vos défauts». Alors les sept péchés capitaux de Sepp Blatter (bis), c’est aussi une façon de décortiquer et de comprendre le personnage. Très croyant, l’ancien enfant de chœur de Viège saura apprécier l’hommage.
L’orgueil
Il y a un an et une semaine, Sepp Blatter était en smoking sur la Croisette. Tout sourire, le président de la FIFA posait pour les photographes au côté de Gérard Depardieu, avant de monter les marches du palais des festivals de Cannes pour assister à la projection du film United Passions, ajouté on ne sait trop comment à la sélection officielle.
Nanar sidéral à la gloire de la FIFA, ce film de Frédéric Auburtin réunissait, outre Depardieu, les acteurs Sam Neill et Tim Roth, qui joue le rôle de Sepp Blatter. Vous ne voyez pas de ressemblance entre le M. Orange de Reservoir Dogs et le patron du foot mondial? Ce n’est pas grave, il n’y en a pas non plus entre United Passions et la véritable histoire de la FIFA.
Il y a une semaine, Sepp Blatter était en (costume) bleu de chauffe en Israël et en Palestine pour sauver le monde. La mine grave, le président de la FIFA s’était autoenvoyé en «mission de paix» pour proposer un match amical hautement symbolique entre Israéliens et Palestiniens.
Si Benyamin Netanyahou sembla l’écouter poliment, Mahmoud Abbas lui fit bien comprendre qu’il n’en était pas question dans l’état de la situation. Pis, le président de la Fédération palestinienne de football, Jibril Rajoub, lui réaffirma sa volonté de soumettre, ce jeudi, au vote du congrès de la FIFA, la suspension de la fédération israélienne.
Du fiasco de son «match pour la paix» ou du four artistique et économique de son film (160 000 euros de recettes dans le monde pour un budget de 26 millions, dont 23 directement financés par la FIFA), on ne sait quel échec est le plus retentissant pour Sepp Blatter.
Ce qui est sûr, c’est que ces deux initiatives présidentielles ont le même moteur: l’orgueil. D’une manière ou d’une autre, Sepp Blatter a constamment besoin de se donner une importance qu’il n’a pas – son seul pouvoir est, au fond, d’attribuer la Coupe du monde de football à un pays tous les quatre ans –, mais après laquelle il a toujours couru.
Lors de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, il insista lourdement pour avoir Nelson Mandela (âgé et qui venait de perdre sa petite-fille) à côté de lui. En finale, il se débrouilla pour être sur la photo de la remise de la coupe.
Si fier que «la grande famille du football» compte plus de pays membres (209) que l’ONU, il rêvait même, avant que les affaires ne ternissent sa réputation, de recevoir le prix Nobel. De la paix, évidemment.
L’avarice
Sepp Blatter au nid d’aigle du Sonnenberg, c’est un peu l’oncle Picsou sur son tas d’or. Pas touche au magot! La FIFA a mis au point, au fil des ans, un système qui laisse aux pays organisateurs de ses Coupes du monde les frais les plus considérables et lui assure la totalité des recettes les plus importantes, celles issues de la vente des droits marketing et télévisuels.
Mais ce n’est pas assez. Au Brésil comme en Afrique du Sud en 2010, la FIFA a obtenu que ses gains, ainsi que ceux de ses sponsors, soient exemptés d’impôts. «La FIFA étant basée en Suisse, elle est sujette à l’impôt sur le revenu en Suisse», argue l’institution.
Mais, en Suisse, elle est considérée comme une «organisation d’utilité publique», donc exemptée de tout impôt fédéral direct. Le Parlement a refusé, en juin 2011, d’abolir ce privilège. Au Brésil, l’an dernier, la FIFA a ainsi dépensé 2,2 milliards (coûts opérationnels) et engrangé 4,8 milliards de francs de recettes.
En Afrique du Sud, elle avait réalisé un bénéfice de 2,2 milliards de francs, en hausse de 50% par rapport à l’édition précédente (Allemagne 2006). Selon un rapport de l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (Oseo), le gouvernement sud-africain a, lui, perdu 2,1 milliards de francs dans l’opération Coupe du monde.
Que fait une association censée redistribuer ses gains à ses membres (les 209 fédérations nationales) d’une telle fortune? Elle provisionne 1,5 milliard de francs de réserve, finance ses autres compétitions (500 millions dépensés tous les quatre ans environ pour une quinzaine d’épreuves), lâche 70 millions aux clubs pour la mise à disposition des joueurs.
Bien sûr, il y a les programmes de développement, dont le très décrié Goal. Comptez 180 millions par an. Mais, mis bout à bout, tout cela reste de l’ordre du pourboire. «Avec plus de 4 milliards de francs de revenus à la suite de la Coupe du monde 2014, il n’est pas normal que le programme Goal ne dispose que d’un budget annuel ridicule de moins de 40 millions de francs», écrit Michel Platini dans un livre d’entretien, Parlons football, publié en octobre 2014.
L’envie
Université d’Oxford, octobre 2013. Devant un parterre d’étudiants, Sepp Blatter raconte sa vie de «président du plus grand Etat de la planète». Il a devant lui une scène, un micro, un public, des caméras, alors ses yeux s’allument et Blatter craque. Il se met à chanter, à danser, mime Cristiano Ronaldo, dont il se moque à bon compte.
On dirait Tom Cruise sur le divan d’Oprah Winfrey. Une scène surréaliste qui ne surprend pas ceux qui le connaissent depuis l’enfance. Le cabotinage n’est pas un péché mortel; l’envie si. Sepp Blatter voulait être comédien. Il n’est pas allé beaucoup plus loin que quelques cours de comédie à Beaulieu mais, d’une certaine manière, il continue de l’être.
Son besoin d’exister est immense, sa soif de reconnaissance jamais étanchée et les critiques le touchent davantage qu’il ne le laisse paraître. Le complexe classique du petit gars parti de rien avec l’ambition de devenir quelqu’un.
A choisir, il vaudrait mieux mettre cette faille originelle sur le compte de ses origines modestes plutôt que sur sa petite taille ou la revanche d’un destin contrarié.
Jeune, il se rêvait grand acteur, mais Hollywood est loin quand on a grandi à Viège, à l’ombre d’un père contremaître chez Lonza qui ne croyait qu’en Dieu et le travail. Joseph (dont Sepp est le diminutif) animait des mariages dans le Haut-Valais en se prenant pour Eddie Constantine, qu’il admirait depuis qu’il l’avait brièvement rencontré au Festival de Locarno, où il enchaînait les petits boulots dans les hôtels en fourbissant ses armes de charmeur polyglotte.
«Il adore les micros, la scène, se prend pour un grand acteur. Il aime être au centre, avoir un public. Il a un immense besoin de reconnaissance. Peu importe qu’on parle de lui en bien ou en mal, pour lui la plus grande punition serait qu’on ne parle plus de lui du tout», balance Guido Tognoni, ancien bras droit passé dans le camp ennemi.
La colère
Avant, ce sont les autres qui se mettaient en colère contre Sepp Blatter: les féministes, lorsqu’il tint des propos peu flatteurs sur le football féminin; le Real Madrid, lorsqu’il se moqua de Cristiano Ronaldo; les associations humanitaires, à propos des conditions de travail et de vie sur les sites de la Coupe du monde; le peuple brésilien, lorsqu’il déclara en juin 2013 que «le football était plus fort que l’insatisfaction des gens».
Lui, onctueux, souriant, restait parfaitement maître de lui-même. Son intelligence lui offrait de surcroît toujours un ou deux coups d’avance sur son adversaire, dont il esquivait ou renvoyait les attaques.
Les siennes de colère n’étaient que froides et calculées, comme en 2004 lorsque, devant un parterre de journalistes africains ravis, il somma «les clubs européens de sportivement libérer les joueurs africains pour la Coupe d’Afrique des nations». L’Afrique applaudit, l’Europe haussa les épaules et tout le monde fut content.
Ces dernières années, Sepp Blatter a succombé plus d’une fois à la colère, un sentiment qui lui a longtemps été inconnu, du moins en public. Mais voilà, les critiques se font de plus en plus pressantes, les journalistes insistent toujours davantage sur les questions qui fâchent, alors le petit père des peuples footballistiques, drapé dans sa dignité bafouée, monte vite les tours.
«Vos questions sont irrespectueuses», s’emporte-t-il dans une conférence de presse en 2012 sur les conditions de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. «Nous ne sommes pas dans un bazar», rappelle-t-il à un journaliste anglais qui lui crie une question, faute d’avoir eu le micro.
«La gouvernance de la FIFA ne gênait personne lorsque nous étions une organisation modeste. Maintenant que nous sommes «confortables», tous les petits diables viennent avec leurs piques», se plaint-il en 2013.
«L’UEFA veut se débarrasser de moi! Eh bien, qu’ils viennent, qu’ils m’affrontent», s’énerve-t-il, façon boxeur à la pesée, l’an dernier dans une interview à CNN.
La luxure
Longtemps, on a cru que Sepp Blatter aimait le pouvoir plus que les agréments du pouvoir. Qu’il était «marié à la FIFA» (l’une de ses expressions favorites) et que l’argent lui servait surtout à asseoir son pouvoir. C’est faux.
Il aime aussi l’argent pour lui-même, les femmes, comme tout grand séducteur, et le luxe parce que c’est tout de même bien agréable. Interrogé récemment par le magazine So Foot, Guido Tognoni estime son salaire à l’égal de celui d’un Zlatan Ibrahimovic. «Il a honte de le dire mais, selon moi, il gagne 15 millions de francs par an.
Soit plus d’argent que la plupart des grands patrons en Suisse.»
A Zurich, la FIFA mène (très) grand train. La Fédération internationale de football se plaît à communiquer sur l’argent investi dans le développement du jeu; elle aime moins dire qu’elle dépense bien davantage pour ses charges de fonctionnement.
En 2014, le Sunday Times s’est penché sur la question et a découvert que le comité exécutif de la FIFA s’était autorisé une très généreuse augmentation de 100% (de 100 000 à 200 000 francs par mois). Une augmentation votée… par le comité exécutif pour contrer la volonté du comité d’éthique de supprimer les bonus offerts jusque-là.
A cela s’ajoutent des petits avantages en nature: hôtel cinq étoiles, restaurant de luxe, avion privé. En 2006, Sepp Blatter sillonna l’Allemagne en hélicoptère pour assister, même partiellement, à tous les matchs de la Coupe du monde.
En Afrique du Sud, quatre ans plus tard, il se déplaçait dans un avion privé immatriculé à ses initiales et surnommé FIFA One. Toujours en Afrique du Sud, le président aurait fait acheminer ses maîtresses, en faisant passer la consigne qu’elles ne devaient jamais risquer de se croiser.
Marié trois fois, il reste vert pour ses 79 ans. Fin 2013, lors du tirage au sort des groupes du premier tour de la Coupe du monde, il fut surpris plus d’une fois louchant dans le décolleté de la présentatrice brésilienne Fernanda Lima.
La gloutonnerie
Sous le règne de Sepp Blatter, la FIFA a grossi comme la grenouille de la fable. La fédération accueille à bras ouverts tout nouveau membre, juste pour pouvoir se rengorger car elle compte «plus de pays que l’ONU». Elle n’a cessé d’embaucher (plus de 300 employés), d’agrandir ses locaux.
Surtout, elle a multiplié les compétitions accessoires et parfois inutiles. Elle qui n’organisait que la Coupe du monde jusqu’en 1977 en totalise désormais 15, avec une forte hausse à partir des années 2000: Coupe du monde des clubs en 2000, Coupes du monde féminines des moins de 20 ans et des moins de 17 ans en 2002 et 2008, des jeux vidéo en 2004, de beach soccer en 2008. Elle a racheté le prestigieux prix du Ballon d’or au magazine France Football parce qu’il faisait de l’ombre à son prix du Joueur de l’année.
Pour se donner de l’importance, Sepp le bourgeois gentilhomme s’est inventé une particule: «de la FIFA». Ce n’est plus la Coupe du monde, c’est «la Coupe du monde de la FIFA». «La FIFA défend son produit, c’est normal», justifie un spécialiste du marketing sportif.
Elle le privatise, surtout. La Coupe du monde appartenait à tout le monde; la-Coupe-du-monde-de-la-FIFA appartient à la FIFA. Et la FIFA appartient à Sepp Blatter, qui colle son logo partout, sur le maillot de l’équipe championne du monde en titre (l’Allemagne) comme sur celui du Real Madrid, vainqueur de la Coupe du monde des clubs.
En bonne logique, Sepp Blatter cumule également les mandats. «Je n’ai besoin que de deux mandats, pas plus», promettait-il en 1998. Huit ans plus tard, en lice pour la troisième fois, il corrigeait le tir. «C’est vrai, j’avais dit deux.
Mais j’avais précisé «pour autant qu’on me laisse travailler». Ce qui n’a pas été le cas. En 2002, on a même voulu me mettre en prison. Ce temps perdu, je le rattraperai pendant mon troisième mandat.» Le quatrième, pour lequel il concourait en 2011 dans la position du favori, c’était «parce que je n’ai pas terminé ma mission».
Le cinquième, qui devrait lui être accordé vendredi 29 mai, c’est «pour préparer l’avenir de la FIFA».
La paresse
A chaque fois que ça va mal, il refait l’acteur. Plissant le front, joignant ses mains manucurées devant sa bouche, il lance sa phrase fétiche: «Nous allons ouvrir une enquête.» Généralement, cela suffit. Sepp Blatter n’a jamais vraiment pris au sérieux les critiques, par ruse politique autant que par paresse intellectuelle. Le racisme?
En 2011, interrogé par CNN, il déclare que «le racisme n’existe pas dans le football, ou alors parfois un mot ou un geste inappropriés. La victime devrait se dire que ce n’est qu’un jeu et serrer la main de son adversaire.»
Deux ans plus tard, lorsque le joueur ghanéen de l’AC Milan Kevin-Prince Boateng, visé par des moqueries de singe de supporters adverses, décide de quitter le terrain, suivi par toute son équipe, il reçoit les félicitations de Michel Platini et une réprimande de Sepp Blatter. «Quitter le terrain n’est pas la solution.»
De la même manière, pour lui, il n’y a pas de gays dans le football et pas de dopage non plus, pour la bonne raison que «ça n’a aucune utilité dans notre sport», ose-t-il. Le dernier joueur contrôlé positif lors d’une Coupe du monde reste Diego Maradona en 1994.
Il faut qu’un scandale éclate pour qu’il admette un problème d’éthique au sein de la FIFA ou sur les chantiers du Qatar. Alors, il joue l’étonné, crée une commission «indépendante» et retombe brillamment sur ses pattes.
Au Qatar, la FIFA «se félicite» que l’échéance de 2022 «serve de catalyseur à un changement significatif» de la situation des travailleurs immigrés. Et tant pis si le dernier rapport d’Amnesty International, publié le 21 mai, constate que «dans la pratique, il n’y a pas eu de progrès significatifs» et soupçonne «une simple opération de relations publiques».
Cette année, Sepp Blatter a même eu la flemme de faire campagne. «Mon programme, ce sont mes quarante ans à la FIFA», a-t-il lancé. Une manière de dire: «La FIFA, c’est moi.»