Témoignages. Les adversaires de l’initiative sur les bourses d’études encouragent le recours aux petits boulots pour financer les années de formation. Les jeunes racontent leur expérience.
De Leïla, il émane autant de colère que de désespoir. D’autant qu’elle se demande encore une fois ce qu’elle va manger à la fin de ce mois. Patrick, lui, aura plus de chance, il pourra s’offrir des pâtes. Mais nature.
Ces deux étudiants, comme nombre d’autres universitaires, subissent la précarité dans laquelle les plonge l’absence de bourse ou le montant trop faible alloué par les cantons. Aussi, Leïla et Patrick voteront le 14 juin prochain en faveur de l’initiative lancée par l’Union des étudiants de Suisse.
Une initiative qui, si elle était acceptée, devrait assurer l’harmonisation des critères d’octroi et des montants des bourses, veulent croire les étudiants rencontrés ce vendredi matin sur le campus de l’Université de Lausanne.
Parmi eux, Leïla. Sous le bras de cette Neuchâteloise, trois épais dossiers. Tous marqués au feutre noir: «Refus de bourse 2013», «Refus de bourse 2014» et «Refus de bourse 2015».
Leïla
Après un CFC d’employée de commerce, la jeune femme de 24 ans a souhaité poursuivre ses études en sciences politiques à l’Université de Lausanne, Neuchâtel ne proposant pas une telle formation. Quand elle décide d’effectuer une demande de bourse, les problèmes commencent.
Chacun des refus est motivé par une raison différente: parents propriétaires, formation non reconnue, etc. «Mon père et ma mère sont en effet propriétaires, mais ils sont endettés et ont la charge de mon petit frère, développe Leïla.
Je propose au service des bourses du canton de Neuchâtel de consulter le compte bancaire de mes parents, il aura ainsi une idée plus fidèle de ma situation financière», plaide-t-elle.
Déjà endettée de 9000 francs avant d’entrer à l’université, à cause de son année de préparation, elle commence à chercher un emploi pour rembourser son emprunt et financer ses études. «J’ai envoyé 60 candidatures, je n’ai reçu que des réponses négatives.»
La première offre en tant que réceptionniste arrive en septembre. La jeune femme commence à 10% puis cherche à augmenter son pourcentage pour gagner plus.
«J’ai fini par travailler à 40% mais j’en suis devenue malade.» Surmenage, surcharge émotionnelle, la jeune fille est à bout. «Je ne travaillerai plus jamais autant, j’ai compris que j’allais échouer si je continuais, explique-t-elle. Je me suis raisonnée quand j’ai commencé à stresser au point d’avoir d’importantes chutes de cheveux.»
Rebecca
Des problèmes de santé, Rebecca* en a connu aussi. Arrivée à Lausanne il y a un an, après un premier échec scolaire à Bienne, l’étudiante en droit a décroché deux emplois, dont l’un auprès d’une chaîne de fast-food, afin de payer ses études.
Neuchâtel lui a aussi refusé une bourse sous prétexte qu’une formation en droit est aussi disponible dans son canton d’origine. «On nous incite à la mobilité mais c’est un leurre de croire qu’on nous aidera.»
Après des cours de 8 h à 18 h, Rebecca enchaîne avec son travail jusqu’à 1 h du matin. Et, le week-end, «je distribuais des flyers la journée et, ensuite, je faisais les nocturnes au fast-food, c’est-à-dire que je rentrais chez moi à 3 h du matin», raconte-t-elle.
Gérer études et travail devient alors de plus en plus lourd pour elle. «Je n’allais plus en cours, j’étais surmenée et je voulais voir un médecin. Mais, même avec mes petits boulots, je ne pouvais pas me le payer.»
Sa fatigue commence à impacter sa santé physique. Onze caries sont apparues en six mois. «J’avais très mal mais je ne pouvais me résoudre à dépenser mes économies chez un dentiste. Finalement, je n’avais plus le choix, il m’a expliqué que ces caries étaient causées par le stress.»
A bout, Rebecca échoue une deuxième fois. «J’ai travaillé au lieu d’étudier, et voilà le résultat.» Après s’être battue contre l’administration, elle renonce et revient à Neuchâtel. «Je suis soulagée, en quelque sorte, j’ai pu obtenir une bourse de 2000 francs par année. Cependant, je suis toujours obligée de trouver un emploi pour assurer mon loyer.»
Patrick
Si, selon l’Office fédéral de la statistique, 75% des étudiants travaillent, ce n’est pas pour autant «Zola sur le campus» pour tous. Parmi les étudiants qui parviennent à s’en sortir, Patrick. Le jeune homme de 28 ans a reçu l’année dernière une bourse de 16 000 francs par an du canton de Genève. Pendant son bachelor en lettres, il a travaillé jusqu’à 60%. Sa réussite, malgré la charge importante de travail, il l’explique par la nature de ses études.
«En lettres, j’avais beaucoup de temps pour moi, il m’aurait été impossible d’avoir un tel rythme en fac de médecine, par exemple.» De la RTS au quotidien 20 minutes, l’étudiant en journalisme a su «tirer parti» de ses petits boulots.
Aïna et Ariane
Aïna a aussi saisi les occasions d’effectuer des piges auprès des médias romands. «C’est spécifique à notre formation en journalisme, ce n’est pas toutes les facultés qui permettent de travailler en accord avec notre parcours professionnel.» Des propos que confirme Ariane, une étudiante en ethnologie: «En bachelor, je pouvais travailler pour compléter ma bourse sans lourdes conséquences.»
Quand les opposants à l’initiative pour la bourse d’études ont affirmé que le projet affaiblirait les expériences professionnelles basées sur la pratique, ils ont indigné maints étudiants qui vivent au quotidien cette «fameuse pratique», s’énerve Rebecca.
«Servir des frites au McDo n’a aucun lien avec mes études en droit, je n’ai acquis aucune compétence professionnelle qui me servira dans la suite de ma formation.»
«Au début de nos études, nous ne sommes pas assez qualifiés pour prétendre à un emploi en rapport avec nos formations, comme veulent nous le faire croire les opposants», argumente encore Leïla. «Travailler dans un domaine qui n’a rien à voir avec le mien était une perte de temps», conclut Rebecca.
Et du temps, ces étudiants n’en ont pas beaucoup. Vacances, restaurants ou loisirs se révèlent alors être du domaine du luxe. «Je n’ai pas eu de vacances depuis 2009, car j’ai toujours privilégié le travail pour m’éviter d’être trop «juste» pendant l’année», explique Patrick.
«J’adore le cinéma; heureusement, je me fais inviter par mon copain, sinon je ne pourrais jamais y aller», regrette Leïla. «Je ne pouvais pas me payer de médecin, alors ne parlons pas de vacances ou de loisirs, c’était totalement hors budget», se souvient Rebecca.
Sa différence avec les autres étudiants gêne Aïna. La jeune étudiante a en effet obtenu le maximum de la bourse cantonal, soit 30 000 francs, pour suivre son master. «Le fait de bénéficier d’une telle aide me met mal à l’aise par rapport à mes amies qui doivent beaucoup travailler, dans des restaurants ou dans des boulangeries.» Boursière, Aïna ne l’a pas toujours été.
«Pendant mon bachelor, je n’allais pas en cours, pour bosser. J’étudiais alors avec les polycopiés et je demandais quelques jours de vacances à mon employeur pour réviser.»
Avant de prendre son congé maternité, Ariane bénéficiait elle aussi d’une bourse. Mais de 12 000 francs par an. «Je suis pour une homogénéisation des bourses, car je n’acceptais pas que certaines de mes amies aient trois fois plus que moi pour la simple raison qu’elles sont d’un autre canton.»
Armelle
Même en bénéficiant d’un soutien annuel de 13 000 francs du canton de Neuchâtel, Armelle, étudiante en master de biogéosciences à l’Université de Lausanne, a tout de même choisi de travailler ponctuellement pour pouvoir s’offrir des petits plaisirs, comme d’aller quelquefois au restaurant ou de se payer son permis.
«Mais j’achète tout de même des habits de deuxième main!» A 22 ans, l’étudiante se dit reconnaissante envers l’administration neuchâteloise: «Je suis totalement fan de mon canton, avec 35 heures de cours, dont dix de physique, il m’aurait été impossible de réussir la première année s’il avait fallu que je travaille davantage.»
Celle qui se destine ensuite à un doctorat vit avec 1800 francs par mois. «Tous les étudiants devraient avoir ma chance; si nous avons autant d’échecs, il y a une raison.»
Armelle touche un point peu évoqué dans la campagne: le coût de l’harmonisation des bourses d’études a été estimé à un demi-milliard de francs supplémentaire, mais personne n’a chiffré le coût des échecs aux examens et de la prolongation des années de formation qui en résulte.