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Pierin Vincenz: A cause du franc fort, nous devons envisager la perte de notre autonomie monétaire.

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Jeudi, 4 Juin, 2015 - 05:56

Interview. Le patron de Raiffeisen, l’une des plus grandes banques suisses, rompt un tabou et réclame l’ouverture d’un vaste débat national sur le franc.

Il a annoncé son départ à la retraite pour mars 2016. Mais Pierin Vincenz, directeur général des banques Raiffeisen depuis seize ans, se campe plus que jamais comme précurseur du débat économique en Suisse.

En 2012, il rompait le tabou du secret bancaire en étant le premier patron de banque à plaider pour l’établissement de l’échange automatique d’informations. Trois ans plus tard, les faits lui ont totalement donné raison, la Suisse est sur la bonne voie pour appliquer une solution qu’elle rejetait résolument il y a peu.

Ce printemps, nouveau brûlot, il exige que la Suisse s’interroge fondamentalement sur sa monnaie. Semble-t-elle impuissante face à la trop grande force du franc? La solution réside peut-être ailleurs que dans les habituelles jérémiades contre la décision prise par la Banque nationale suisse le 15 janvier dernier de mettre brutalement fin au cours de change plancher face à l’euro. Pierin Vincenz, le franc-tireur de la place financière suisse et futur président de l’assureur Helvetia, se lance dans un nouveau combat.

Les taux négatifs auraient dû faire encore baisser les coûts des hypothèques. C’est le contraire qui s’est produit. Est-ce donc à l’emprunteur hypothécaire de payer les taux négatifs?

Le client ne paie pas les taux négatifs mais l’élévation des coûts liés à l’organisation et au refinancement de son hypothèque. Ils sont devenus plus chers avec l’introduction des taux négatifs, car ceux-ci obligent les banques à se montrer plus attentives à leurs sources de financement et aux différentes échéances de leurs emprunts.

Pour une hypothèque à dix ans à 1,7%, les coûts s’élèvent désormais à 0,3 ou 0,4%, bien plus qu’avant.

Jusqu’à quand peut-on imposer aux petits déposants les coûts des taux d’intérêt négatifs?

Nous commençons à peine à comprendre les conséquences des taux négatifs sur les choix d’épargne et de placements faits par les individus et les investisseurs institutionnels comme les caisses de pension.

Si cette situation dure trop longtemps, les gens n’accepteront plus de mettre leur argent à la banque! Ils pourront retirer leurs avoirs, ce qui forcera les banques à introduire des commissions de retrait.

Les gros clients comme les caisses de retraite commencent à modifier leur stratégie et privilégient les placements plus risqués que le franc suisse, comme les actions en monnaies étrangères.

Que font les banques, dont la vôtre, pour que l’épargnant normal ne soit pas obligé de choisir entre payer plus et prendre plus de risques?

On ne peut pas améliorer ces conditions. Elles sont la conséquence de la trop grande force du franc, quel que soit le moyen utilisé par la Banque nationale suisse pour tenter de le contenir face à l’euro. L’institution a tenté de fixer un cours plancher, avant de le retirer.

Elle fixe des taux d’intérêt négatifs, qui coûtent cher à toute l’économie et affaiblissent la compétitivité de la Suisse. Nous avons désormais le double désavantage d’une monnaie trop forte et de taux négatifs.

Si cette situation dure, s’il devient impossible d’exporter, nous devrons réfléchir au moyen de stabiliser de nouveau le taux de change du franc avec l’euro ou toute autre devise. Voire même de renoncer à toute autonomie de la politique monétaire et de lier le sort de la Suisse à celui d’autres pays.

Etes-vous prêt à un abandon rapide du franc suisse?

Non. Mesurons d’abord l’impact de la situation actuelle sur les différents secteurs économiques. Mais nous devons désormais réfléchir à un scénario d’abandon de la souveraineté monétaire dans le cadre de la réflexion globale concernant l’avenir de notre économie.

De toute façon, une telle décision ne devrait être prise qu’en dernier recours, si l’économie plongeait dans une situation catastrophique avec une hausse massive du chômage provoquée par un franc trop fort.

Comment pourrait-on accrocher le franc à une autre monnaie? Et à laquelle?

Nous devons ouvrir la discussion sur les avantages et désavantages économiques d’un tel ancrage, et de ses modalités. Pour le moment, une telle discussion sur ces différents scénarios n’a tout simplement pas lieu d’être.

Dans ce contexte, il faut saluer que plusieurs sujets au programme de la session d’été au Parlement concernent la banque nationale. A l’issue des débats, il serait bon de pouvoir définir clairement le rôle, les structures et l’établissement des comptes de la BNS. Ensuite, il s’agirait de discuter sérieusement à l’échelon politique et de décider de la réorganisation de cette institution.

La BNS doit-elle être prête à renoncer à son autonomie monétaire?

Elle n’a même pas les procédures adéquates pour prendre une décision aussi importante que l’abandon du cours plancher le 15 janvier dernier. Elle doit être plus transparente. Ainsi, elle pourrait publier, avec un délai de quelques semaines, les minutes de ses réunions comme le font la Fed et la Banque centrale européenne.

Il serait ainsi plus facile de comprendre les raisons de ses décisions, les arguments employés, etc. Le directoire, actuellement composé de trois personnes (le président, le vice-président et un membre), pourrait être élargi, par exemple à cinq personnes. Cependant, la BNS ne doit pas perdre son indépendance actuelle.

Qui peut prendre ce genre de décision?

Une telle décision s’inscrit dans un contexte plus large, celui de nos relations avec l’Union européenne. Nous discutons de l’immigration de masse, des relations institutionnelles, de l’accès au marché. Nous devons donc inclure dans ce large débat la question de la politique monétaire.

Combien de temps l’économie suisse peut-elle résister aux contraintes actuelles?

Deux ou trois ans.

Vous ne prenez pas trop de risques: la BNS anticipe un certain retour à la normale dès l’an prochain!

Je serais très heureux que la situation évolue dans ce sens-là. Mais ce n’est qu’un scénario parmi d’autres. Même si la BNS anticipe la fin de la déflation à 2016, ce qui permettrait un retour à la normale, on imagine difficilement que les choses se passent comme cela.

Les taux d’intérêt ne sont toujours pas remontés aux Etats-Unis alors que la Fed en parle depuis longtemps. En Europe, la BCE est en plein assouplissement quantitatif, qui ne devrait pas prendre fin avant l’an prochain. L’euro s’en trouve affaibli, élevant la pression sur le franc.

La Suisse doit-elle adhérer à la zone euro?

Non. Ce n’est pas le sujet, même s’il faut préciser qu’adopter l’euro ne signifie pas adhérer à l’Union européenne.

Vous avez, le premier, demandé que l’on ouvre le débat sur l’échange automatique d’informations. C’était en février 2012. Etes-vous satisfait aujourd’hui du résultat?

Il était nécessaire d’ouvrir ce débat sur le secret bancaire. Malheureusement, au moment où nous l’avons fait, il était déjà trop tard. Nous n’avons rien reçu en contrepartie de notre adoption du standard international en matière d’échange automatique. Ni l’accès au marché, ni un règlement global du passé.

Est-il encore temps d’ouvrir le débat sur notre indépendance monétaire?

La situation économique de la Suisse est encore très favorable. Il n’est donc pas trop tard pour nous poser certaines questions au cas où notre environnement viendrait à changer.

Faut-il créer un fonds souverain sur la base des réserves de change de la BNS?

Oui. Il serait bien d’avoir une plateforme chargée d’investir en actions une partie des euros que la BNS doit acquérir pour éviter une trop forte hausse du franc. Mais un tel fonds doit poursuivre en premier lieu des objectifs financiers et non pas politiques.

Où va la place financière suisse après la fin du secret bancaire? Où est l’innovation dans son domaine?

Beaucoup de banques en sont encore à s’interroger sur leur modèle d’affaires. Mais dans l’ensemble, la place financière garde ses avantages traditionnels de stabilité et de sécurité. Nous sommes freinés par l’essor de la réglementation, mais cette tendance est inévitable.

Cela dit, de nombreuses entreprises sont très innovantes, notamment dans le domaine des technologies numériques. Leonteq, qui conçoit et écoule des produits structurés, en est un bel exemple. Ces technologies ouvrent de nouvelles possibilités à la gestion d’actifs, la principale activité financière suisse.

En matière d’innovation, n’est-il pas bien tard? Les nouveaux concurrents, spécialistes des technologies de l’information, se bousculent!

La banque est atteinte à son tour par l’évolution qui a transformé d’autres domaines traditionnels comme la photographie, la presse, etc. Le trafic des paiements est le premier affecté, avec l’essor de PayPal. Mais le secteur des crédits est aussi en train de se transformer, avec, notamment, le crowdfunding. Toutefois, les formules à succès ne sont pas encore très clairement établies. 

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Gian Ehrenzeller KEYSTONE
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