Décodage. Les opposants au DPI martèlent qu’autoriser la pratique serait la porte ouverte à une médecine reproductive sans plus aucune limite. Pourtant, de nombreux garde-fous existent.
Risque d’eugénisme, premier pas vers une pente glissante, fardeau pour les parents… La modification de la Constitution proposée par les Chambres et le Conseil fédéral, demandant l’autorisation du diagnostic préimplantatoire (DPI) pour les couples infertiles ou confrontés au risque de transmettre à leur enfant une maladie héréditaire grave, a engendré une levée de boucliers, tant au sein des partis, qui soutiennent majoritairement l’objet mais sont intrinsèquement divisés sur la question, que de la part des associations de défense des handicapés.
Autant d’arguments massue avancés par les opposants en vue de la votation du 14 juin, mais qui s’érodent lorsqu’on les confronte aux réalités de la pratique médicale et aux garde-fous légaux prévus par la nouvelle loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA). Trois contre-vérités sous la loupe.
1 «Le DPI mène à une médecine reproductive sans limites»
La Suisse est le pays où la législation en matière de procréation médicalement assistée est la plus restrictive d’Europe. Conséquence: la LPMA actuelle, entrée en vigueur en 2001, a rapidement été dépassée par les progrès de la médecine reproductive.
Les couples devant recourir à une fécondation in vitro (FIV) en Suisse ne bénéficient donc plus d’une prise en charge optimale, en comparaison de nos voisins européens chez qui le DPI est pratiqué depuis une vingtaine d’années sans pour autant que des abus aient été observés.
«Nous avons pris un retard incroyable, appuie la conseillère aux Etats Géraldine Savary (PS/VD). La seule question à se poser est: sommes-nous prêts à autoriser les couples à pouvoir faire un DPI ici, ou continuons-nous à être hypocrites en les obligeant à se rendre à l’étranger pour bénéficier de cette technique?»
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Par ailleurs, les modifications de la LPMA telles que proposées par le Parlement reposent sur un cadre légal très contraignant. «Il ne sera possible de recourir au DPI que si l’un ou les deux parents sont porteurs d’une maladie génétique héréditaire grave, ou si le couple est infertile et entend maximiser les chances d’une implantation en détectant les anomalies des chromosomes connues pour entraver le développement de l’embryon, à savoir principalement les différentes formes de trisomie», confirme Valérie Junod, professeur de droit aux Universités de Genève et de Lausanne. Tout médecin qui enfreindrait la loi pourrait encourir une sanction pénale lourde, allant jusqu’à trois ans de prison.
2 «des embryons surnuméraires seront produits massivement»
Actuellement, le nombre d’embryons que l’on peut développer est limité à trois (voir infographie ci-contre). En passant à douze, les opposants craignent que «d’innombrables embryons soient abandonnés à un sort incertain».
Un argument balayé par le corps médical. «Notre but est d’aider les couples à avoir un enfant en bonne santé, pas de produire des embryons surnuméraires afin de les congeler, rétorque Dorothea Wunder, gynécologue au Centre de procréation médicalement assistée (CPMA), à Lausanne.
D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui nous n’avons pas entrepris de stockage illimité des ovocytes imprégnés, bien que cette pratique soit autorisée par la loi.»
La raison? La production d’embryons dans le cadre d’une procréation médicalement assistée sous-entend une stimulation hormonale chez la patiente. Cette pratique peut engendrer des effets secondaires extrêmement délétères (de type thrombose, AVC ou encore insuffisance rénale) en cas de syndrome d’hyperstimulation.
La cryoconservation des embryons restants permettra donc simplement de réaliser de nouveaux transferts en cas d’échec (environ un transfert sur quatre conduit à une grossesse), tout en évitant au couple les désagréments psychiques et physiques liés à une nouvelle stimulation.
3 «le Dpi conduit à la sélection eugénique»
«Le monstre de l’eugénisme est déjà perceptible», clament les opposants au DPI. Difficile toutefois d’imaginer une dérive eugéniste lorsqu’on sait que le DPI ne concerne que 1% des FIV en Europe, où la pratique est autorisée. Sur environ 6000 FIV réalisées en Suisse par an, pas plus d’une soixantaine de couples seraient donc directement concernés.
Le DPI ne sera en outre pas proposé systématiquement, car il nécessite non seulement la présence de suffisamment d’embryons, mais comporte également le risque de perdre l’embryon testé, minimisant ainsi les chances de grossesse.
De plus, selon la loi, le DPI s’attachera uniquement à analyser les atteintes génétiques graves sur l’embryon, qui sont aujourd’hui déjà identifiées lors du diagnostic prénatal, communément proposé lors du premier trimestre de grossesse et aboutissant neuf fois sur dix à un avortement lors de résultats défavorables.
«Les opposants brandissent le droit à la dignité humaine, mais ce droit ne passe-t-il pas par le fait de mettre au monde un enfant en bonne santé?» s’indigne le conseiller national Jacques Neirynck (PLR/VD).
La crainte de stigmatisation des personnes handicapées se révèle également infondée à l’aune d’une simple analyse statistique. On estime que 50 à 90 enfants trisomiques naissent chaque année en Suisse.
Parmi eux, le nombre de parents ayant recouru à la FIV est minuscule, puisque seules 2% des naissances ont lieu par ce moyen. Au final, le DPI éviterait donc la naissance d’un enfant trisomique au maximum par an. De quoi changer le regard de la société sur les personnes handicapées? On peine à le concevoir.