Laurent Favre
Décodage. Considéré comme le joueur le plus puissant du circuit, le vainqueur de Roland-Garros n’est pourtant ni le plus grand ni le plus musclé. Sa force vient de ses appuis. Un peu comme un boxeur.
Stanimal, Iron Stan, Stan the Man et désormais le Bison. Les surnoms de Stan Wawrinka s’accumulent au même rythme que son palmarès. Ils dépeignent presque tous le surprenant vainqueur de Roland-Garros en force de la nature, mi-homme, mi-bête.
L’impression se justifie sur les courts des tournois ATP où le Vaudois, lorsqu’il est en pleine confiance (et donc relâché, en contrôle), possède les frappes les plus puissantes et envoie les balles les plus lourdes. Novak Djokovic, comme avant lui Jo-Wilfried Tsonga et même Roger Federer, l’ont constaté à Paris: Wawrinka est le plus fort.
Il n’est pourtant de loin pas le plus impressionnant, et pas qu’à cause de son short à carreaux. Bien sûr, Stan Wawrinka est un beau gabarit, un solide gaillard élevé au grand air dans une ferme du Gros-de-Vaud.
Mais les anonymes qui le croisent occasionnellement au Holmes Place de Lausanne ou au Country Club Geneva de Bellevue sont souvent surpris de ses proportions «raisonnables». Ses 183 centimètres pour 81 kilos passent franchement inaperçus dans les vestiaires de Wimbledon, Melbourne ou Flushing Meadows.
Les meilleurs joueurs du monde présentent tous des mensurations supérieures: Andy Murray (190 cm, 84 kg), Novak Djokovic (188 cm, 80 kg), Rafael Nadal et Roger Federer (tous deux 185 cm, 85 kg), Jo-Wilfried Tsonga (188 cm, 91 kg), Tomas Berdych (196 m, 92 kg), Milos Raonic (196 cm, 98 kg). Il y a quelques années, le Français Gilles Simon s’était décrit comme «le dernier joueur de 70 kilos à avoir été dans le top 10». Wawrinka, lui, est juste dans la moyenne.
Un rapport force-souplesse unique
Comment expliquer alors sa puissance supérieure? D’où lui vient cette force, si ce n’est pas de sa taille ou de son poids? Ce ne sont même pas ses muscles, lui qui se plaît à dire qu’il a «de petits bras»… Alors quoi? La question lui fut posée au lendemain de sa victoire historique à Paris. «Je pense que ma puissance vient d’abord de mes appuis.
En général, je suis toujours bien en appui. Si l’on regarde bien, j’utilise vraiment tout mon corps, tout mon tronc. Je fais un peu de musculation en force pure mais j’ai un gainage énorme, surtout pour les abdos. Après, il y a le timing, forcément, mais le fait de tout déclencher au début fait que toute ma puissance part.»
En clair, sa force ne vient pas du bras. Elle est transmise par tout le corps, abdominaux, cuisses, pieds. S’il n’est pas le plus impressionnant physiquement, Stan Wawrinka est l’un des mieux proportionnés: fort et mobile à la fois. Compact. L’analogie avec le bison n’est pas si mauvaise.
Pour mieux comprendre, nous sommes allés à Bellevue, près de Genève, au Country Club Geneva (CCG). A l’étage, Dona Bertarelli (la propriétaire) et son équipage préparent le Bol d’Or nautique dans une salle de musculation high-tech.
Au rez, le directeur du centre d’entraînement, Sonny Kayombo, nous accorde quelques minutes entre deux entraînements de jeunes espoirs. Comme Tsonga ou Monfils, Wawrinka vient souvent travailler son physique, toujours avec Pierre Paganini.
Comme tous les joueurs, Wawrinka n’aime pas partager ses secrets d’entraînement, mais il n’est nul besoin de l’épier en cachette pour comprendre rapidement de quoi il retourne. «Stan, c’est un roc, résume Sonny Kayombo. Il soulève des poids incroyables. Mais le plus impressionnant, chez lui, ce sont ses appuis.
Les siens sont amples, hypersolides. Pour le déséquilibrer, c’est très difficile. Il est vraiment ancré dans le sol, c’est de là qu’il puise la force qu’il envoie dans la balle.» Comme un boxeur? «Oui, c’est exactement cela! Stan, c’est Tyson.
Il est planté dans le sol, non pas parce que son centre de gravité est bas, mais parce qu’il descend, il va chercher la force au sol et il parvient à la garder. Pour réussir cela, il faut beaucoup de souplesse, notamment au niveau du bassin. Stan, c’est un rapport force-souplesse unique. Evidemment, c’est le résultat de beaucoup de travail.»
Le responsable sportif du CCG ajoute un élément sous-estimé: «Stan a confiance en son corps. Avant même d’entrer dans le top 10, il se considérait aussi fort physiquement que Nadal. C’est très important, parce que cela lui permet de jouer plus détendu.
Il sait que si le match dure, il ne faiblira pas. Quand il perd, ce n’est jamais à cause du physique.» Le Vaudois est désormais convaincu que son jeu de puissance peut être dévastateur pour n’importe quel adversaire. «Déjà en quart de finale contre Roger [Federer], au niveau de la puissance, je lui suis rentré dedans, expliquait-il à Paris.
J’étais un bulldozer. Il était tout le temps un peu en retard, il n’avait jamais vraiment le temps de faire ce qu’il voulait. Là, je me suis rendu compte que ma puissance de frappe était un atout énorme et qu’il fallait l’utiliser.»
L’arme fatale
C’est après ce match que Wawrinka fut surnommé le Bison par Henri Leconte. «Il a une assise, une vitesse de bras, une lourdeur des deux côtés qui font très mal», s’étonnait l’ancien champion français devenu consultant pour Euro-sport. La «lourdeur» d’une frappe est une impression subjective assez difficile à matérialiser.
Ce n’est pas exactement la vitesse ni tout à fait la force, c’est plutôt les deux combinées à l’énergie que transmet la balle dans la raquette de l’adversaire. Ce surcroît d’énergie est produit par la vitesse de rotation de la balle.
En prenant bien appui au sol, en poussant sur ses jambes au moment de la frappe, en allant chercher haut et loin derrière son épaule (ce qui réclame souplesse et force du torse), en libérant enfin son geste comme on lâche un coup de fouet, Stan Wawrinka s’est patiemment construit l’arme fatale, notamment en revers, où sa fameuse prise à une main lui offre quantité d’options.
Jusqu’en 2012, Wawrinka surjouait parfois la force. Avec l’arrivée de son coach Magnus Norman, il a appris à privilégier le timing et à prendre davantage de marge. Le vainqueur de Roland-Garros est un champion d’autant plus conscient de sa puissance qu’il la maîtrise. Wawrinka à Paris, c’est la victoire de la force tranquille.