Portrait. La Brooklyn Lager est devenue un symbole de ce quartier new-yorkais considéré comme le lieu de la branchitude mondiale. Rencontre avec le patron de cette brasserie atypique qui a conquis les gosiers helvétiques.
La brasserie sent le chocolat et le pain chaud, résultat de la fermentation de plusieurs centaines de kilos de graines de malt. A l’intérieur, Steve Hindy s’affaire, passant d’une pièce à l’autre, parlant à ses employés. L’Américain, qui arbore un ventre à bière de circonstance, un sourire bienveillant, des cheveux grisonnants et de larges lunettes, ressemble à un père Noël hipster.
L’homme de 66 ans est le fondateur de l’une des marques de bière les plus branchées du monde: la Brooklyn Lager, qui est servie dans les bars helvétiques depuis 2014. Le breuvage, vendu dans une bouteille ornée d’un grand «B» qui évoque le logo d’une équipe de baseball, est différent des blondes que l’on a l’habitude de siroter sur les terrasses romandes. Le goût du malt est plus prononcé. Le liquide est presque amer, tout en restant rafraîchissant. «Nous nous sommes inspirés d’une vieille recette de bière développée par une brasserie de Brooklyn en 1898.»
Tout a commencé en Egypte. A l’époque, l’amateur de bière était correspondant de guerre au Moyen-Orient, une région qu’il a couverte pendant douze ans pour l’Associated Press. «Comme l’alcool était interdit dans beaucoup de ces pays musulmans, je rencontrais souvent des diplomates américains qui fabriquaient leur propre bière à la cave, raconte Steve Hindy de sa voix monocorde. Ce sont eux qui m’ont appris à brasser cette boisson.» De retour aux Etats-Unis, il devient éditeur pour le journal Newsday. «Ce job m’ennuyait. J’ai alors commencé à brasser de la bière pour me distraire.»
Avec un partenaire banquier, Tom Potter, il commence à livrer quelques caisses à Brooklyn, puis il quitte son job de journaliste pour fonder en 1988 la Brooklyn Brewery. Au départ, la bière s’écoule lentement mais sûrement. En 2008, la brasserie débitait ainsi 100 000 tonneaux par année. Puis, à partir de ce moment, les ventes explosent. «Nous sommes subitement devenus l’une des bières artisanales les plus populaires des Etats-Unis.» En 2014, Brooklyn Brewery a livré 254 000 tonneaux de bière.
Un marketing judicieux
La raison de ce succès? C’est à ce moment-là que Brooklyn, un quartier autrefois perçu comme dangereux et ringard, s’est transformé en capitale mondiale de la coolitude et de la culture hipster. A cela s’est ajouté le marketing judicieux de Milton Glaser, le mythique designer new-yorkais à l’origine du logo «I♥New York», qui a conçu l’identité visuelle de la bière. Sans oublier le talent du maître brasseur Garrett Oliver, qui a réussi à créer des bières originales comme la Black Chocolate Stout ou encore la Post Road Pumpkin Ale, parfumée à l’arôme de citrouille épicée.
Fort de ce succès, Steve Hindy a décidé d’envoyer sa bière à la conquête de nouveaux horizons: l’Europe. «Brooklyn Lager aurait pu choisir de poursuivre son expansion sur la côte ouest des Etats-Unis, explique Stephan Meier, un économiste suisse de la Columbia Business School, qui s’est penché sur ce cas. Mais la compétition sur le marché américain est plus intense qu’en Europe, où les bars ne servent très souvent qu’une seule sorte de bière.»
Sur le Vieux Continent, la brasserie de Brooklyn a forgé un accord avec Carlsberg pour écouler son breuvage en France et en Suisse. Les résultats sont impressionnants: lors de sa première année de commercialisation en 2014, 500 000 bouteilles de Brooklyn Lager se sont vendues en Suisse. En 2015, Steve Hindy prévoit carrément d’y doubler son chiffre d’affaires.