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Jean-Claude Juncker

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Jeudi, 25 Juin, 2015 - 05:57

Interview. Peu avant d’entrer en négociation avec Alexis Tsipras, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, parle de son amitié pour le premier ministre grec. Afin d’échapper à d’autres crises, il demande que le Parlement européen ait davantage de pouvoir.

Peter Müller, Christoph Schult et Michael Sauga

Monsieur Juncker, d’après le dictionnaire, l’amitié est une relation caractérisée par l’affection mutuelle et la confiance. De ce point de vue, peut-on dire que le premier ministre grec Alexis Tsipras est votre ami?

Il existe deux sortes d’amitié. La première repose sur la sympathie, que m’inspire Monsieur Tsipras. La deuxième, la vraie, est beaucoup plus rare, parce qu’elle exige de dépasser des obstacles et qu’elle doit se développer.

Vous l’avez appelé votre ami peu après son entrée en fonction. Mais plus récemment, vous vous êtes plaint qu’il déformait vos propositions en les transmettant à Athènes. Vous seriez-vous montré un peu hâtif dans votre jugement?

Non, ma relation avec Monsieur Tsipras demeure amicale au sens premier du terme. Nous verrons si une véritable amitié s’installe. Mais je dois reconnaître qu’il ne m’a pas toujours rendu la confiance que je lui ai accordée.

Vous avez fait beaucoup de concessions à Monsieur Tsipras, mais il continue à vous accuser, tout comme les autres créanciers, de vouloir piller la Grèce. Etes-vous déçu?

Il ne faut jamais envisager les relations entre les représentants d’Etats et d’institutions de façon personnelle. Nous sommes au service du peuple. D’un autre côté, il est impossible de faire de la politique sans relations personnelles fiables. Avec tout le respect que j’ai pour le nouveau gouvernement grec, force est de constater que certains de ses représentants sont arrivés en poste sans avoir été suffisamment préparés à leur tâche.

Les négociations avec les Grecs ressemblent parfois à un jeu de poker…

La politique européenne n’est pas un jeu de cartes, avec des gagnants et des perdants. C’est l’inverse: soit tout le monde gagne, soit tout le monde perd.

Beaucoup de vos collègues vous reprochent d’avoir formellement incité le gouvernement grec à jouer. Depuis le début des négociations, vous vous êtes opposé au «Grexit».

Si j’avais évoqué cette solution au début des négociations, il en aurait résulté une vague de spéculations sur les marchés financiers. Je crois que cela a échappé à certains membres du gouvernement grec, qui pensent que quelqu’un en Europe va finir par tout résoudre d’un coup de baguette magique. Mais ce ne sera pas le cas. J’ai prévenu Monsieur Tsipras à plusieurs reprises: il ne doit pas se reposer sur l’idée que je peux empêcher l’échec des discussions si ce n’est pas ce que la partie adverse souhaite. Nous devons tout mettre en œuvre pour éviter le «Grexit», mais les deux parties doivent faire des efforts. Car, même sans baguette magique, j’aimerais vraiment que la Grèce reste dans l’Europe.

Avez-vous l’impression que Tsipras saisit toute la portée de l’enjeu pour son pays?

Je lui ai décrit de façon très détaillée les conséquences d’une sortie de l’euro pour son pays à court, moyen et long termes.

Et quelles sont-elles?

Il y a eu des coupes importantes dans le tissu social grec. Il en résulte une crise humanitaire inacceptable. A Athènes ou à Thessalonique, beaucoup de gens se demandent chaque matin comment ils vont bien pouvoir se nourrir. Mais le problème est le suivant: un «Grexit» ne ferait qu’accentuer la crise. D’un autre côté, il ne faut pas oublier qu’en Grèce, il y a aussi des gens pour qui les choses vont vraiment très bien. J’ai donc prié Monsieur Tsipras d’augmenter l’impôt sur la fortune dans son pays. Etonnamment, il n’a pas accueilli cette proposition avec autant d’enthousiasme que je le prévoyais.

Depuis cinq ans, les créanciers internationaux tentent d’éloigner la Grèce de la faillite à coups de milliards d’euros d’aide. Mais le taux de chômage demeure aux alentours de 25% et le PIB a reculé d’un quart. N’est-ce pas le moment de reconnaître que la politique européenne de sauvetage a échoué?

Vous oubliez que nous avons quelques succès à notre actif. Certes, le PIB a dramatiquement diminué, mais le gouvernement a présenté un budget où les recettes dépassaient clairement les dépenses. Je m’inscris en faux contre cette impression que les Grecs se contentent de regarder couler le bateau. On a baissé les retraites et les salaires, réduit les dépenses publiques. Ce sont surtout les Allemands qui pensent que les Grecs n’ont rien fait pour sortir de cette situation désastreuse. Mais c’est faux.

Mais les Grecs ne veulent plus de ce plan de sauvetage. Dans le pays, on abhorre la troïka et on ovationne le gouvernement quand il fustige les prescriptions du FMI, les qualifiant de «criminelles». Dans ces conditions, est-il possible de continuer à défendre un plan de sauvetage?

Ce qui me dérange, c’est que le gouvernement Tsipras fait comme si tous les membres de la Commission étaient des fanatiques de l’austérité qui fouleraient aux pieds la dignité du peuple grec. Cela me contrarie beaucoup que le gouvernement grec laisse imaginer que la Commission n’aspirait qu’à imposer une augmentation de la TVA sur le courant électrique, pour ne prendre que cet exemple. J’ai répété plusieurs fois à Monsieur Tsipras que je n’ai rien contre d’autres solutions qui auraient le même résultat en matière de revenu. Au lieu de pester contre la Commission, il pourrait dire aux Grecs que j’ai proposé un plan d’investissement de 35 milliards d’euros pour les années 2015 à 2020 afin de stimuler la croissance dans son pays. Mais je n’en entends pas parler…

Comment l’expliquez-vous?

Je ne pense pas être en mesure de me livrer à une psychanalyse d’un autre gouvernement européen. J’ai parfois du mal à m’analyser moi-même. Blague à part, la réaction du gouvernement grec me paraît insuffisante. Si j’étais premier ministre, je présenterais ce plan comme une victoire et dirais que Bruxelles m’a proposé une jolie somme de 35 milliards. Je ne comprends pas Tsipras. A un moment où les négociations étaient dans une bonne phase, je lui avais dit pendant une pause café que si je m’étais présenté avec son programme électoral, j’aurais décroché 80% des voix. Il n’en a récolté que 36%.

En continuant à rejeter de nouvelles mesures d’économies, il ne fait que ce à quoi il s’était engagé avant les élections. Allez-vous le lui reprocher?

Je pense aussi qu’après une élection, un politicien doit tenir ses engagements. C’est précisément pour cela qu’il doit bien réfléchir avant l’élection et ne faire que des promesses qu’il pourra assumer. Les Etats européens ont une communauté de destins qui ne fonctionne que si une confiance mutuelle règne entre ses membres. Malheureusement, avant d’accéder au gouvernement, Monsieur Tsipras a défendu des positions qui entrent en contradiction avec les règles prévalant dans l’Union. Voilà pourquoi il ne peut pas mettre en œuvre la totalité de ses promesses électorales. Il aurait dû en être conscient.

Le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble craint que le cas de la Grèce ne donne un mauvais message. Si les créanciers se montrent trop indulgents et si le pays réussit son coup de poker, certains de ses voisins dans la zone euro pourraient se dire que l’insolence paie.

Ce risque ne m’a pas échappé. Je sais que beaucoup de gens, surtout en Allemagne, pensent que je fais preuve de naïveté envers la Grèce. Mais il est évident pour moi qu’il n’y aura pas solidarité sans solidité. Je peux comprendre que l’on ne soit momentanément pas en mesure de respecter les règles, mais on ne peut pas récompenser ceux qui en font une habitude. Voilà pourquoi le gouvernement grec doit affirmer clairement qu’il les respectera.

Le peuple soutient largement Tsipras, et, en même temps, une grande majorité des Grecs souhaite conserver l’euro. Ne serait-il pas opportun de demander au peuple s’il est prêt à continuer sur la voie d’une politique d’austérité?

Il est faux de croire qu’un référendum ou de nouvelles élections dans un pays peuvent changer la réalité de l’Europe entière. Je l’ai expliqué à plusieurs reprises à Monsieur Tsipras. Peu importe ce qui se passe à Athènes, la composition des parlements des autres pays membres ainsi que celle du Bundestag ne bougeront pas.

Imaginons que les créanciers internationaux s’entendent sur un compromis avec Athènes à la dernière minute. La chancelière réussira-t-elle à obtenir son approbation par le Parlement allemand?

Si nous parvenons à un accord acceptable et si cela se fait en coopération avec le gouvernement allemand, il sera du devoir d’Angela Merkel de convaincre son Parlement. Je ne doute pas une seconde qu’elle y arrivera.

La Grèce n’est pas la seule à vous donner du fil à retordre pour défendre l’alliance européenne. Le gouvernement britannique va bientôt demander au peuple de se prononcer sur l’appartenance à l’Union. Y a-t-il un risque de voir la Grande-Bretagne sortir de l’Europe?

Il nous faut obtenir un accord équitable. Les Britanniques savent qu’il y a des limites à ne pas dépasser, pour eux comme pour tous les autres pays membres. Ici, à Bruxelles, nous ne sommes pas des pro-Européens fanatiques et les Britanniques sont un peuple intelligent. Nous allons trouver un accord qui donnera à nos amis du Royaume-Uni l’envie de demeurer dans l’Union européenne pour longtemps.

Mais le premier ministre britannique souhaite toucher aux fondamentaux. Il demande que le principe d’une «union sans cesse plus étroite» soit retiré du préambule du traité de Lisbonne. Que lui répondez-vous?

Pourquoi certains pays n’avanceraient-ils pas plus vite que d’autres en Europe? Si la Grande-Bretagne ne veut pas prendre ce train-là, nous pouvons l’admettre, pour autant qu’elle n’empêche pas ceux qui le désirent d’aller de l’avant. L’union monétaire fonctionne ainsi depuis longtemps. Les Etats qui aimeraient se rapprocher davantage doivent pouvoir le faire.

Les présidents des principales institutions européennes se sont aussi interrogés quant à la façon dont l’UE devait se développer. Quelles sont vos propositions?

Sur la base des traités existants, l’union économique et monétaire n’est encore pas terminée. Le monde entier souhaite savoir ce que nous allons changer. Je pense par exemple que davantage de suivi parlementaire pourrait être bénéfique à la zone euro, à l’échelle européenne comme à l’échelle nationale. Je travaille en toute confiance avec Martin Schulz. Nos avis divergent sur des détails de politique partisane, mais nous sommes d’accord sur les questions importantes. Nous proposons d’avancer par étapes. Pour le moment, nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons obtenir avec les règles en vigueur actuellement en matière de stabilité et comment nous pouvons progresser. Ensuite, nous devrons voir ce qu’il est possible de réaliser à moyen et long terme si nous changeons les traités européens. Mais ce n’est pas une question urgente.

Etant donné la crise grecque, ne serait-il pas temps de faire un pas dans ce sens?

Oui. La crise grecque, justement, nous force à clarifier notre objectif pour le monde comme pour nous-mêmes. Les citoyennes et citoyens européens sont de plus en plus sceptiques et le fossé qui les sépare de l’élite européenne ne cesse de s’élargir. Il faudrait être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. Voilà pourquoi Bruxelles ne peut continuer à se perdre dans des détails, à incommoder les gens avec des directives que l’on élaborerait beaucoup mieux au niveau local. L’Europe doit montrer qu’elle est capable de répondre aux questions urgentes: politique étrangère, afflux de réfugiés, défis économiques de la numérisation. Les pommeaux de douche et les bidons d’huile d’olive ne doivent plus monopoliser les débats.

© Der Spiegel
Traduction et adaptation La Page Bleue

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Olivier Hoslet EPA
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