Essai. Pourquoi des femmes en arrivent-elles à supprimer leur bébé alors que l’avortement est légal? Parce que le droit à l’avortement pose, pour certaines, plus de questions qu’il n’en résout, suggère notre chroniqueuse Marcela Iacub.
Marcela Iacub
Le père de Dominique Cottrez– cette femme qui a tué huit de ses bébés entre 1989 et 2000 – ne l’avait pas violée. Elle a menti. Les enfants qu’elle a supprimés n’étaient pas de lui, a-t-elle avoué pendant son récent procès devant la Cour d’assises du Nord.
Ce coup de théâtre a rempli de stupeur les juges, les experts et aussi la famille de l’accusée. Ce viol permettait d’expliquer la série de crimes restés secrets pendant tant d’années. Mais si Dominique Cottrez n’a pas tenté de se débarrasser des affreux produits d’un inceste, pourquoi a-t-elle agi ainsi? Si son psychisme n’a pas été atteint par cette violence ultime, qu’est-ce qui l’a transformée en une tueuse compulsive?
Ces questions seraient sans doute moins lancinantes si Dominique Cottrez avait été la seule femme à avoir commis ces meurtres étranges. Or, depuis 1990, on a recensé en France une dizaine d’infanticides multiples ayant des points en commun avec celui-ci. Et les experts estiment que leur nombre total doit être beaucoup plus important, les tueuses ayant réussi à dissimuler à jamais les preuves de leurs crimes.
Le rôle du droit à l’avortement
De nombreuses théories psychologiques ont été avancées pour expliquer ces actes, mais aucune d’entre elles ne tient compte de leur dimension institutionnelle. Pourtant, ce qui provoque tant de fascination n’est pas l’infanticide en lui-même – qui a toujours existé – mais le fait que ce crime soit commis dans une société qui a légalisé la contraception et l’avortement. La thèse de l’acte fou (déni de grossesse, par exemple) naît de cette contradiction, tandis que jadis, lorsque l’avortement était interdit, l’infanticide était compréhensible et donc rationnel.
Or, ce que les psychologues ne veulent pas voir, c’est que l’avortement n’est pas un droit pourvu de la même signification pour toutes les femmes. Certes, on sait qu’il y a celles qui refusent d’y recourir, considérant qu’il s’agit d’un meurtre. Alors que d’autres, à l’opposé des premières, l’utilisent comme technique de contraception ou bien pour vérifier qu’elles sont capables d’enfanter. Il est possible que les mères infanticides en série, loin d’ignorer l’avortement comme on le pense, cherchent elles aussi à prendre position à son endroit, même si elles n’en sont pas conscientes. Et l’on peut imaginer ce qu’elles veulent exprimer en agissant ainsi. Elles dénoncent ce qu’il y a d’artificiel dans la notion d’avortement, notamment la frontière qu’il trace à la naissance: tant qu’une femme n’a pas accouché, le bébé est son corps à elle, alors qu’à peine sorti de son ventre il est une personne au regard de laquelle toute atteinte est sévèrement punie.
Elles peuvent aussi ne pas vouloir devenir mères de cet enfant-ci, tout en contestant que cet acte, qu’elles considèrent comme immoral, soit un droit. Il arrive encore qu’elles refusent que quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes se mêle de la suppression de leurs fœtus.
Dans certaines de ces affaires, ces femmes cachent les petits cadavres des années durant, congelés voire momifiés. Conserver ces restes est un acte que le droit à l’avortement actuel leur refuse, les fœtus non viables étant considérés comme des déchets opératoires et aussitôt brûlés.
C’est sans doute parce que les juges ressentent les problèmes que posent ces lois – qui portent sur des questions si intimes et si personnelles – qu’ils condamnent ces mères indignes à des peines douces. Ceux qui viennent de condamner Dominique Cottrez à 9 ans de prison au lieu des 18 requis sont peut-être arrivés à la même conclusion: ce n’est pas le viol de son père qui l’a rendue folle, mais le droit à l’avortement.
