Eclairage. Dans l’ombre de Didier Burkhalter en 2014, Thomas Greminger a été l’artisan de la mise en place de la mission d’observation en Ukraine. Bilan d’un diplomate cinq étoiles qui rentre à Berne.
C’est une mission très agitée qui s’achève ces jours-ci pour Thomas Greminger. Le chef de la délégation suisse de l’OSCE à Vienne rentre en Suisse, où il devient le numéro deux de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Présidence de l’OSCE, brasier ukrainien: les moments de haute tension n’ont pas manqué. Mais au terme de ces cinq ans, l’ambassadeur l’affirme sans ambages: «L’OSCE est de retour dans la Champions League des organisations mondiales.»
Agé de 54 ans, Thomas Greminger est certes inconnu du grand public. Mais c’est un «diplomate cinq étoiles, intelligent, vif et engagé», assure-t-on au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) à Berne. «Un bosseur, sachant rester zen en toute occasion», ajoute-t-on dans les cercles de l’OSCE à Vienne. Surtout, un homme discret, presque l’antithèse à cet égard du flamboyant Tim Guldimann, qui vient de prendre sa retraite diplomatique pour se lancer en politique sur la liste socialiste. Après des études d’histoire et d’économie politique à Zurich et à Paris, il entre dans la diplomatie, travaillant beaucoup à Berne, où il dirige la division pour la sécurité humaine avant de partir pour Vienne en 2010.
Un poste sans histoire? Idéal pour ce passionné de musique classique appréciant les charmes culturels de la capitale autrichienne? A l’époque, on peut le penser: l’OSCE a presque disparu des radars des grandes puissances de la planète. Un concours de circonstances en décide autrement. Les Etats-Unis et l’UE, peu rassurés par la perspective d’une présidence serbe, sollicitent la Suisse pour assumer ce rôle en 2014. Et c’est justement l’année où l’annexion de la Crimée par la Russie crée un climat de nouvelle guerre froide et fait prendre conscience à l’Europe que sa sécurité n’est pas un acquis pérenne.
Stratège et organisateur
Cette nouvelle donne géopolitique place non seulement Didier Burkhalter mais aussi son bras droit à Vienne sous les feux des projecteurs du monde entier. Une fois par semaine, Thomas Greminger doit présider le Conseil permanent de l’OSCE, où siègent les représentants des 57 pays participants. Une tâche délicate en cette période chahutée. En principe, la presse peut assister à l’exposé du premier rapporteur avant de devoir quitter la salle, le débat des ambassadeurs se déroulant ensuite à huis clos. Or, le 13 mars, l’Américain Daniel Baer accuse la présidence suisse d’avoir fait évacuer les médias trop tôt sous la pression des Russes. L’incident ne passe pas inaperçu, évidemment.
Mais dans l’ensemble, la Suisse fait ses preuves. Lors du Conseil des ministres annuel de l’OSCE en décembre dernier à Bâle, tous les grands de ce monde – l’Américain John Kerry, le Russe Sergueï Lavrov et l’Allemand Frank-Walter Steinmeier – couvrent Didier Burkhalter de louanges, des mérites qui reviennent aussi à Thomas Greminger. Lieutenant-colonel actif au sein de l’état-major général à l’armée, celui-ci déploie son talent de stratège et d’organisateur. Il ranime d’abord une cellule de médiation au secrétariat général de l’organisation. Surtout, il conduit les négociations qui débouchent sur la formation de la plus importante mission d’observation (SMM) de l’histoire de l’OSCE: 500 hommes sur le terrain, non armés, qui rapportent chaque jour des faits concrets de violation des droits de l’homme.
Profil bas
A la lecture des rapports de l’OSCE, une chose frappe. Jamais ou presque, sa mission ne désigne clairement les auteurs des exactions commises. Cette prudence en choque certains dans la mesure où la Russie viole l’intégrité du territoire de son voisin ukrainien en Crimée et dans le Donbass. Dans la cinquantaine d’interviews qu’il accorde à la presse internationale, Thomas Greminger fait toujours profil bas. «En me basant sur les sources de l’OSCE, je n’ai jamais prétendu qu’il y avait des troupes régulières russes sur territoire ukrainien. En revanche, j’ai clairement reconnu qu’il y avait des «volontaires» russes, appuyés par une conduite et une logistique professionnelles bien organisées», explique-t-il. Du choix des mots dépendent la crédibilité et la neutralité de l’organisation. Une seule chose est sûre dans ce conflit: «Il y a eu des violations du cessez-le-feu des deux côtés», ajoute l’ambassadeur helvétique.
Quinze mois après le début de la crise ukrainienne, le bilan de l’OSCE sur place reste mitigé. Certes, la présence de sa mission d’observation sur le terrain a calmé les ardeurs de part et d’autre, mais n’a pas empêché une guerre larvée de se mettre en place. «Notre mission ne peut qu’observer la réalité du terrain, mais ce n’est pas elle qui résoudra la question politique ou qui remplacera un manque de volonté des belligérants d’arrêter les hostilités», précise Thomas Greminger.
Si Moscou et Kiev jouent la carte de l’apaisement, il n’en va pas de même sur le terrain, où l’ambassadeur constate «une frustration similaire dans les deux camps». Côté ukrainien, des bataillons de volontaires considèrent les accords de Minsk comme une «capitulation». Côté séparatiste, on aimerait progresser dans le terrain et contrôler la totalité de la région du Donbass.
Malgré ce bilan en demi-teinte, l’OSCE a gagné en crédibilité et en visibilité sur la scène internationale. «C’est la seule organisation qui ait joué un rôle politique et opérationnel en Ukraine», souligne Thomas Greminger. En décembre dernier, jamais un conseil ministériel n’avait accueilli autant de chefs des Affaires étrangères (53) à Bâle. Et puis le fait que l’Allemagne ait tenu à en reprendre la présidence en 2016 est aussi un bon signe. Reste à savoir si l’OSCE saura conserver ce rang d’organisation jouant dans la cour des grands en sachant se montrer innovante dans sa mission sécuritaire. Le 17 juin dernier à Vienne, Didier Burkhalter a proposé de conférer un statut de neutralité aux pays jouxtant la Russie, à condition bien sûr que ce soient les pays intéressés qui en fassent la demande. C’est bien là la limite de l’exercice. Se sentant menacée par la Russie, l’Ukraine ne lorgne plus que vers Bruxelles. Vers l’UE et l’OTAN.