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À Gafsa, dans le sud de la Tunisie en crise

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Jeudi, 14 Novembre, 2013 - 05:55

Terrorisme.Après une série d’assassinats attribués à des djihadistes, l’avenir institutionnel et sécuritaire du pays est en jeu. A 340 km de Tunis, le Tunisie Bondy Blog trace son sillon.

Après-midi du 23 octobre, sur la route reliant Tunis à Gafsa, au sud. Le «louage», minibus de voyageurs, fonçait dans la plaine aride tel Bip Bip épuisant Coyote dans le désert du Nevada quand, tout à coup, un homme assis sur la banquette avant du véhicule, relayant une information qu’on lui transmettait au même moment par téléphone, s’écria: «Salafiya! Salafiya!» La nouvelle était mauvaise. Le chauffeur et les sept autres passagers en furent aussitôt avertis: des «salafistes», ainsi qu’on désigne communément en Tunisie les djihadistes soupçonnés ou convaincus d’attentats, venaient de commettre un lourd forfait à proximité de la «délégation» de Sidi Ali Ben Aoun, une commune portant le nom d’un saint située dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, à une soixantaine de kilomètres au nord de Gafsa.

Six membres d’un détachement de la Garde nationale, la gendarmerie tunisienne, envoyé dans cette localité pour y saisir un stock illégal d’armes à feu, moururent ce jour-là sous les balles d’un commando terroriste mieux équipé et qui semblait attendre de la «visite». Environ une demi-heure après le coup de fil qui avait prévenu les voyageurs du drame, aux circonstances alors encore très floues, le «louage» entra au ralenti dans Sidi Ali Ben Aoun, un gros bourg tranquille et poussiéreux, comme inachevé pour l’éternité. Il y franchit plusieurs barrages des forces de l’ordre et rejoignit enfin Gafsa au terme d’un trajet de 340 kilomètres parcouru en quatre heures et demie. Malgré les événements, le chauffeur avait maintenu une bonne moyenne.

Poussée terroriste. Depuis cette date du 23 octobre, la Tunisie connaît une montée en puissance du déploiement sécuritaire, les contrôles routiers se multipliant partout dans le pays, aux fins, notamment, de rassurer une population inquiète d’une poussée terroriste attribuée aux milieux djihadistes. Le 30, deux attentats ont été déjoués sur la côte est touristique: l’un à Sousse – seul le kamikaze est mort dans l’explosion de la bombe qu’il portait sur lui. Un second à Monastir, où un individu transportant une valise remplie d’explosifs a été appréhendé avant de passer à l’acte, a rapporté la police.

Des suspects ont été arrêtés. Parmi eux, un mineur au moins. Tous manifestement enrôlés dans le djihad armé, à l’enseigne, ont affirmé des cercles étatiques, du groupe salafiste Ansar al-Charia, lequel a démenti être impliqué dans ces tentatives d’attentat. C’est en août dernier seulement, sous la pression populaire et probablement sous celle des Etats-Unis aussi, que le gouvernement tunisien dominé par le parti islamiste Ennahda, vainqueur des premières élections libres de la Tunisie en octobre 2011, a classé Ansar al-Charia «organisation terroriste». Dans une interview au quotidien français Le Monde (8 novembre), le président Moncef Marzouki, membre de la troïka, la coalition qui dirige le pays, a reconnu avoir «sous-estimé le danger salafiste».

L’embuscade meurtrière de Sidi Ali Ben Aoun et les attentats manqués de Sousse et de Monastir se sont produits alors que la Tunisie tentait et tente toujours de se dépêtrer d’une crise politique qui mine ses institutions et renforce l’impression d’insécurité. Les dix premiers mois de 2013 auront été particulièrement sanglants et anxiogènes, avec les assassinats, en février et juillet, de deux leaders de la gauche populaire, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi; avec la mort de huit militaires en juillet au mont Chaambi, une zone montagneuse proche de l’Algérie; et, dernièrement, avec celle de six gardes nationaux à Sidi Ali Ben Aoun.

Dialogue national. Toutes sortes d’hypothèses s’échafaudent actuellement à Tunis. Ce ne sont pas tant les exécutants des crimes que l’identité et les raisons motivant leurs supposés commanditaires qui alimentent les conjectures. Qui arme la main de «jeunes salafistes paumés?», se demandent certains. Des chefs de la mouvance al-Qaida? Les «services» du puissant voisin algérien, qui ne voudrait à aucun prix d’un pouvoir islamiste à ses portes? Les bénalistes, qui prépareraient les conditions d’un retour à l’ordre? Des voix craignent un scénario de guerre civile à l’algérienne. D’autres veulent croire en la maturité démocratique des Tunisiens.

A l’initiative d’un quartette issu de la société civile, un «dialogue national» a été difficilement mis sur pied courant septembre. Cette instance réunit les partis de la troïka et ceux de l’opposition. Une feuille de route existe, ses principes sont reconnus. Un gouvernement de transition, dit «technique», devrait être formé ce mois-ci. Ennahda et l’actuel premier ministre nahdhaoui Ali Larayedh, échaudés par le coup d’Etat militaire égyptien contre les Frères musulmans et contestés par une partie non négligeable de l’électorat, ont fini par accepter de passer la main dans l’attente des prochaines élections législatives, qui devraient se tenir au plus tard en avril 2014, selon Moncef Marzouki. D’ici là, l’Assemblée nationale constituante devra avoir adopté une nouvelle Constitution – tâche qui l’occupe depuis deux ans…

Au berceau du printemps arabe. C’est donc à Gafsa, une «oasis» de 100 000 habitants environ, chef-lieu du gouvernorat du même nom, que s’est tenue, du 24 au 31 octobre, une formation destinée aux blogueurs et blogueuses du Tunisie Bondy Blog (TBB), avec le soutien de Canal France International, le pôle «médias» du Ministère français des affaires étrangères. La ville, située à proximité de mines de phosphates, secteur stratégique pour les finances du pays, est à une heure de voiture de Sidi Bouzid, berceau du printemps arabe. Là où Mohamed Bouazizi, marchand ambulant de fruits et légumes harcelé par la police, s’est immolé par le feu en décembre 2010, l’acte de désespoir qui donna le signal de départ à la révolution tunisienne.

En octobre 2011, Rafika Bendermel et Paolo Kahn ont posé leurs valises à Sidi Bouzid. Ils arrivaient de Lyon où ils coanimaient le Lyon Bondy Blog, l’une des nombreuses émanations du Bondy Blog «historique» créé par L’Hebdo pendant les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises. Dans des conditions épiques, ils y fondèrent le TBB, transféré par la suite à Gafsa à la faveur d’une rencontre avec un travailleur social gafsien, Adel Alimi, qui préside aujourd’hui le Tunisie Bondy Blog.

La formation proprement dite, délivrée par le soussigné à une dizaine de blogueurs et blogueuses âgés de 25 à 30 ans, dont certains deviendront journalistes, portait sur des formes d’écriture exigeant à la fois une capacité d’imagination et une discipline narrative. Ils s’exercèrent à la chronique et à des textes proches de la fiction, le principe étant de rendre compte du réel tunisien au travers de situations vécues ou pouvant l’être. Les inhibitions ne sont jamais mieux levées et sublimées que dans le «roman».

Hatem, originaire de Kasserine, au pied du mont Chaambi, dont il a ramené des images au soir de l’embuscade qui a coûté la vie à huit militaires en juillet dernier, ne voulait d’abord rien écrire. Puis il s’y est mis et les mots ont coulé. «Mais attention, a-t-il prévenu, c’est secret.»

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Antoine Menusier
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