Maire de New York.Professeur de droit à l’Université de Syracuse, métis afro-américain et indien de la nation Séminole, Kevin Noble Maillard est notamment spécialiste du droit de la famille aux Etats-Unis. Il se penche sur la signification de la famille «si ordinaire» de Bill de Blasio dans sa victoire à la ville de New York.
Kevin Noble Maillard
«Je suis Bill de Blasio et je ne suis pas un Blanc ennuyeux.» C’est ainsi que se présentait le maire élu de New York. En août, lors d’une soirée de levée de fonds des Jeunes progressistes en faveur de son père, Chiara de Blasio lançait un appel pour une nouvelle politique municipale incluante. Flanquée de toute sa famille, elle insistait: «Si nous apportons de nouvelles idées pour créer un monde, une société où chacun a sa chance, nous devons commencer par écouter les idées de tout un chacun.»
Quelles sont ces idées audacieuses, innovantes du nouveau maire? Certaines obéissent au schéma démocrate des poupées gigognes: bonne gouvernance = plus d’emplois = logements plus abordables = meilleures écoles. Ajoutez-y de la raison, de la compassion, de l’équité et vous aurez un programme progressiste. Mais de Blasio a couronné le tout d’une idée toute à lui: la famille racialement intégrée.
Brooklyn Family. De Blasio est Blanc, Chirlane McCray est Noire. Leurs enfants, Dante et Chiara, sont café au lait. Leurs discours de campagne n’ont cessé de souligner la rafraîchissante multiracialité naturelle de la bohème brooklynienne, ce monde merveilleux fait de senteurs d’eucalyptus, de maisons de grès brun, de tisanes aromatiques et de petits-déjeuners aux céréales complètes. Le site de Bill de Blasio détaille sa famille plus que son programme. Lors de ses meetings, femme et enfants sont le sujet central, pas le décor. Ses courriels aux électeurs suggèrent de «rencontrer la Brooklyn Family qui se bat pour changer New York». Ils montrent une famille souriante buvant du jus d’orange et jouant au Trivial Pursuit.
«Les de Blasio: curieusement banals.» Le spot n’est justement pas banal, il est bourré de signification. Au centre, Chirlane McCray, resplendissante en turquoise et dreadlocks. On ne la confond pas avec Laura Bush ou Cindy McCain. A gauche, Chiara, parfaitement positionnée pour qu’on voie ses strand twists, ses lobes stretchés et son piercing au sourcil: elle est «alternative». A droite, Dante, un grand gaillard à la toison afro. Bill est assis au milieu, tautologiquement blanc et largement éclipsé par cette affirmation colorée de la diversité.
Observez le spectacle électoralo-capillaire offert par Dante: six pouces de négritude triomphante draguant votre vote. Bill l’a mis en scène, Obama en a fait l’éloge et même le distingué New York Times a participé à la frénésie en faisant une place au look afro dans son supplément Style. Indéniablement, la tignasse de Dante a donné un coup de fouet à la campagne. Et aidé Bill de Blasio à remporter dans un premier temps les primaires démocrates devant la favorite Christine Quinn et son rival afro-américain Bill Thompson. Si les électeurs ne le savaient pas déjà, la pub semblait leur dire que, question communauté black, le Blanc de Blasio était sacrément dans le coup et que son engagement à l’égard de ses problèmes était réel.
C’est un peu comme dans ce vieux dessin animé des Harlem Globetrotters, où Gizmo porte une énorme crinière afro magique. Quand il rencontre un problème, il lui suffit de passer la main dans ses cheveux pour trouver une solution et rien ne lui résiste. Il se noie? Voici un gilet de sauvetage. Il tombe? Voici un parachute. On trouve Bill suspect? Hop, il affiche sa femme noire et ses enfants métissés.
Aux yeux de certains, il se peut que la tignasse de Dante, les piercings de Chiara et le soutien sans faille de Chirlane soient hors de propos; que des détails tels que l’apparence physique n’ont pas d’importance face aux promesses de campagne. Les politiques du logement et de l’éducation influent sur les résultats électoraux davantage que la texture capillaire et le teint de la peau, n’est-ce pas? La réponse est oui, bien sûr, et toute autre hypothèse serait raciste et abusive, selon le maire sortant Michael Bloomberg.
«Biracial, c’est cool.» De Blasio fait ce qu’ont fait tant d’autres politiciens: humaniser son image en affichant une famille stable. L’appareil dentaire et les boucles de Chelsea apparaissaient sans cesse dans le décor du couple Clinton. Les portraits de famille bien arrangés sont de rigueur pour les candidats aux postes de pouvoir et ceux qui visent le Congrès doivent renoncer aussi bien au célibat qu’au divorce. Depuis Richard Nixon en 1968, les politiciens ont toujours recouru à un gadget pour paraître dans le coup: saxophone, ballon de basket ou Macarena. Mais peut-être ces efforts concertés pour paraître cool sont-ils trop manifestes à notre époque portée sur l’ironie: exceller est très difficile, il y a un côté désespéré. En plus, cela n’assure pas des votes.
Pénétrez en revanche dans la famille multiraciale branchée, une sorte de test de Rorschach appliqué à une campagne politique. Vous intéressez divers groupes démographiques. Vous prouvez que la race n’a pas d’importance ou que, justement, elle a de l’importance. Le nouveau slogan électoral s’énonce «biracial, c’est cool».
Exploiter le mariage pour cimenter des allégeances politiques est un des plus vieux trucs de relations publiques. Autrefois, les mariages dynastiques servaient à forger des alliances entre les nations. Une des stratégies privilégiées par Alexandre le Grand et la reine Victoria était de mélanger politique et relations intimes: les enfants nés de telles unions représentaient un avenir uni et porteur d’espoir.
Dans la «normalité». Reste que la victoire de Bill de Blasio ne signifie pas que le mariage interracial est accepté. Il n’est légal dans tout le pays que depuis 1967 et les préjugés demeurent. Il reste tabou en bien des contrées. La relation entre Thomas Jefferson et son esclave Sally Hemings indispose toujours autant qu’en 1802. Même de nos jours le mariage et le partenariat interracial sont rarissimes dans la vie publique. La liberté dans l’intimité est loin d’être admise dans la politique et la société américaine, et cela comprend bien plus que la race: la discrimination perdure à l’endroit des célibataires et des couples de même sexe et elle se concrétise dans les urnes. Pour un politicien, la norme reste d’être marié (avec enfants) avec une personne de même race et de sexe différent.
Le fait qu’un politicien pourvu d’une famille non traditionnelle emporte le scrutin de New York légitime la place revendiquée par de Blasio dans l’identité collective des «familles normales». Les familles comme la sienne ont trop longtemps été reléguées au second rang.
© The Atlantic
Traduction et adaptation Gian Pozzy