Zoom. Nées dans l’imagination d’un entrepreneur ligure, des serres aquatiques produisent depuis trois ans basilic et laitues. Une idée d’avenir pour la culture en milieu hostile.
Anna LIetti
Vous êtes peut-être en vacances dans ce coin d’Italie: Noli, province de Savona, historique bourgade de la riviera ligure au charme balnéaire délicieusement rétro. A cinquante mètres au large de la plage, immergés à six mètres dans leurs bulles-serres, poussent le basilic et les laitues du futur.
La récolte de cette année a été bonne et les drôles de jardiniers qui l’ont obtenue rêvent déjà de cultures florissantes au large des côtes africaines. Pensez: plus besoin d’irriguer, de combattre la chaleur, de chasser les parasites à coups de pesticides. Le potager sous-marin n’est encore qu’un projet, mais il offre déjà un bouquet de promesses.
L’Expo 2015 de Milan ayant pour thème «Nourrir la planète», «L’Orto di Nemo»* (le potager de Nemo) y a trouvé très logiquement sa place (pavillon Italie, section «Puissance des limites») et une visibilité amplifiée. Mais le projet a démarré en 2013 déjà. L’idée est née dans l’esprit d’un entrepreneur ligure, Sergio Gamberini, actif, notamment, dans la fabrication de matériel de plongée. «L’entreprise Ocean Reef est bicéphale, précise Luca Gamberini, fils du président-fondateur: nous avons un siège à Gênes et un autre à San Diego, en Californie. Mais notre pôle recherche et développement est en Italie.» N0n, ce n’est pas le monde à l’envers: «La folie est le sel de la recherche et les Italiens sont un peu fous. De plus, la Ligurie a joué un rôle pionnier dans le développement de matériel sous-marin.»
Préposé à la promotion du projet, Luca Gamberini en explique le fonctionnement. A la base des «petites biosphères» potagères, il y a le principe de la bulle d’air obtenue lorsque vous plongez un verre dans le lavabo. Dans ces bulles-serres, les plantes poussent comme sur votre balcon, dans des vases pleins de terre. Sauf qu’il n’y a pas besoin de les arroser: l’évaporation naturelle de la surface d’eau à la base de la bulle puis sa condensation au contact du plastique produisent tout naturellement une fine pluie d’eau douce. Ajoutez à cela une température constante et un adieu sans regrets aux insectes de tous poils: le potager sous-marin se révèle idéal pour produire des légumes bios avec un minimum d’énergie, y compris dans les coins du globe les plus inhospitaliers.
Côté obstacles, il y a bien sûr le poids de la technicité nécessaire à une activité sous-marine. Mais les futurs jardiniers aquatiques n’auront pas nécessairement besoin d’un équipement de plongeur: «Si les cinq serres actuellement en activité sont amarrées par six mètres de fond, c’est avant tout pour ne pas gêner les baigneurs, explique Luca Gamberini. Rien n’empêche d’envisager des biosphères à fleur d’eau, immergées depuis un bateau et ne nécessitant aucune intervention sous-marine. Nous venons d’en fabriquer deux nouvelles sur ce modèle, de forme cylindrique, que nous allons mettre à l’eau ces prochains jours.»
Le chemin vers une production rentable est encore long, admet l’entrepreneur, mais tous les espoirs sont permis: «Nous ne sommes pas la NASA, mais avec nos ressources limitées nous avons réussi à obtenir des récoltes. Imaginez les développements possibles si de gros moyens sont investis.» Un financement européen? Un investisseur privé? Affaire à suivre.
Les biosphères sous-marines du futur, imagine Luca Gamberini, pourront se passer de terre grâce à l’hydroponie et seront de toutes tailles. Dans leur variante industrielle, elles seront amarrées aux structures d’aquaculture et utiliseront des excréments de poissons comme engrais. La version domestique suffira à votre consommation en primeurs. La mer est loin, dites-vous? Mais dans le lac, le potager de Nemo, ça marche aussi.