Sondage.Lucides face à la crise des migrants en Méditerranée, les Suisses affirment la vocation humanitaire de leur pays; pas question de fermer les frontières, mais pas question non plus d’accueillir des réfugiés chez soi. L’asile reste une tâche qui incombe à l’Etat. Tels sont les principaux enseignements de l’enquête d’opinion conduite par M.I.S Trend pour «L’Hebdo».
La barque est pleine. L’expression date de 1942, l’époque où la Suisse se voyait comme une île au milieu de la tempête de la Seconde Guerre mondiale. On la doit au conseiller fédéral Eduard von Steiger qui voulait justifier la fermeture des frontières face à l’afflux de réfugiés juifs.
Trois quarts de siècle plus tard, les barques débordent en Méditerranée. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 150 000 migrants sont arrivés en Europe par la mer depuis le début de l’année, la moitié en Italie, l’autre moitié en Grèce. Le nombre de morts pendant la traversée est estimé à 1900.
L’Italie ne parvient plus à faire face à ce tsunami humain. L’Union européenne peine à organiser la solidarité entre les Etats liés par les accords de Dublin, qui assignent au premier pays d’entrée la responsabilité de statuer sur la demande d’asile. Une règle manifestement dépassée par l’ampleur de l’afflux de personnes qui fuient les guerres et la misère. Les ministres chargés de ce dossier doivent se revoir le 20 juillet pour examiner une meilleure répartition des réfugiés.
Un principe inaliénable
Peut-on compatir au sort des migrants sans s’investir personnellement? Peut-on s’indigner des cadavres repêchés en mer au large de Lampedusa et laisser l’Italie gérer seule le problème? Le sort des réfugiés syriens émeut-il plus que celui des migrants économiques? Qui serait d’accord d’accueillir chez soi une famille? Où en est la tradition de refuge que la Suisse et la Suisse romande en particulier ont incarnée par le passé?
Pour éclairer ces questions, la rédaction de L’Hebdo a chargé l’institut M.I.S Trend de sonder l’opinion. Les résultats montrent une Suisse attachée à sa tradition humanitaire: il faut aider ceux qui fuient les guerres. Mais les migrants économiques, qui ne cherchent à échapper qu’à la misère, ne sont pas les bienvenus. Le distinguo entre faux et vrais requérants d’asile est solidement ancré dans les têtes.
Les citoyens refusent les mesures extrémistes prônées par certains élus de la Lega et de l’UDC: pas question de fermer les frontières. Et pas question non plus de laisser les pays riverains des conflits ou ceux qui voient débarquer les migrants sur leurs côtes se débrouiller seuls. Les règles des accords de Dublin sont jugées caduques. La fermeté le dispute au réalisme.
Pas de Röstigraben
Comme la votation du 9 février sur l’initiative «Contre l’immigration de masse», notre sondage révèle un clivage ville/campagne. Les gens bien formés et aisés se montrent mieux disposés à l’égard des requérants d’asile. Mais l’enquête d’opinion enterre le préjugé que les Romands seraient plus ouverts en matière d’asile que les Alémaniques. Les avis des deux régions linguistiques convergent. Seul le Tessin, en première ligne, se singularise.
Les centres d’accueil débordent et l’annonce d’une potentielle ouverture génère souvent la polémique. Bonne nouvelle pour les autorités chargées de gérer l’asile, une majorité se dit prête à accueillir un centre à proximité de son domicile.
La prise en charge des requérants est toutefois nettement perçue comme une tâche qui incombe prioritairement à l’Etat. Il n’y a qu’un citoyen sur cinq pour imaginer loger sous son propre toit un requérant. En revanche, des soutiens bénévoles ponctuels sont envisagés avec plus de bienveillance par les sondés.
La Suisse se perçoit donc encore et toujours comme une terre d’asile, mais pas un pôle d’immigration. La crainte d’être submergé par une masse de migrants rôde encore dans la tête de quatre Suisses sur dix.
FICHE TECHNIQUE
Sondage réalisé sur l’internet du 2 au 7 juillet 2015 par l’institut M.I.S Trend à Lausanne, auprès de 1220 personnes représentatives âgées de 18 ans et plus, soit 513 en Suisse romande, 505 en Suisse alémanique et 202 au Tessin. Marge d’erreur sur le total: +/–2,9% (marge d’erreur pour les sous-groupes régionaux: +/–4,5% pour la Suisse romande et pour la Suisse alémanique et +/–7% pour le Tessin).