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Vignette: l’impossible «non» des Romands

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Jeudi, 14 Novembre, 2013 - 05:57

Vignette. En combattant la hausse de la vignette à 100 francs, les clubs automobiles se sont mis à dos tous les cantons romands et les milieux de l’économie.

Il n’est pas content, Philippe Receveur: «Je suis membre du TCS, mais je ne sais pas si je vais le rester», confie le ministre jurassien, chef de l’Environnement et de l’Equipement. Celui-ci n’a pas du tout apprécié que le club automobile auquel il appartient prenne le leadership de la campagne contre la hausse de la vignette de 40 à 100 francs. «J’ai l’impression que le TCS fait peu de cas des régions excentrées, alors que ce sont justement elles qui dépendent le plus de la mobilité individuelle.»

Retards. Certes, le TCS n’a rejoint les auteurs du référendum que sur le tard, mais il échaude beaucoup les esprits. Certains de ses plus illustres membres, à commencer par la conseillère fédérale Doris Leuthard, s’étonnent de voir le plus influent lobby des automobilistes partir en guerre contre une loi qui attribue pourtant la totalité d’une hausse de taxe à la route.

«C’est un sacré autogoal», s’exclame la conseillère d’Etat vaudoise Nuria Gorrite, cheffe des Infrastructures et des Ressources humaines. Alors que le canton de Vaud avait fêté telle une «immense victoire» l’intégration du contournement de Morges dans l’arrêté sur le réseau des routes nationales lié à la hausse de la vignette, celle-ci ne comprend vraiment pas que les milieux de la route s’y opposent. «Nous risquons de prendre de trois à cinq ans de retard dans l’avancement de ce projet, regrette la ministre socialiste. Autant de bouchons supplémentaires qui nuiront à l’économie.» Une économie dont les représentants romands sont quasiment unanimes à soutenir la vignette à 100 francs.

Equilibre. Le TCS se prend ces temps-ci une jolie volée de bois vert, en particulier dans les cantons romands. Certes, on peut toujours discuter de la manière dont le politique ficelle un paquet de projets d’infrastructures, parfois au terme de longs marchandages. Une chose est sûre: rarement un dossier aura été aussi équilibré entre la Suisse du plateau et celle des régions dites périphériques. A l’heure où ce fossé ne cesse de se creuser, c’est un fait à souligner.

Ainsi, la plupart des cantons romands sortent gagnants de l’affectation des 300 millions de francs de recettes annuelles supplémentaires que générera la hausse de la vignette. D’abord parce que la Confédération intègre dans son réseau des routes nationales 380 kilomètres de routes cantonales dont le statut sera rehaussé. Il en coûtera 100 millions à Berne qui en assumera désormais l’entretien et l’aménagement, déchargeant ainsi les cantons de ces frais. C’est le Valais (16 millions) qui en profite le plus, mais aussi Neuchâtel (4 millions), le Jura et Fribourg (2 millions) dans une moindre mesure.

Renaissance urbanistique. Quant aux 200 millions restants, ils seront affectés à des aménagements spécifiques, notamment de nombreux contournements de localités.

C’est ici que le canton de Neuchâtel touche le jackpot: un milliard d’investissements pour entreprendre sans tarder l’évitement des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle (H20), paralysées chaque jour par, respectivement,  37 000 et 20 000 véhicules, soit des flux de trafic plus importants qu’au Gothard (17 000). En jeu, une renaissance urbanistique du centre de ces deux villes et un grand gain de qualité de vie pour leurs habitants.

L’arc lémanique, pour sa part, pourrait s’assurer l’avancement des travaux de planification du contournement de Morges. Il ne s’agit bien sûr pas encore du financement de ce projet devisé à près de 3 milliards, mais d’études qui doivent permettre de résoudre des questions environnementales et d’intégration de la future route dans le paysage.

Cela aurait dû satisfaire les clubs automobiles et leur grand allié politique qu’est l’UDC. En réalité, c’est loin d’être le cas. Ceux-ci combattent férocement cette hausse de la vignette. Pour eux, ce projet n’est qu’une vaste supercherie, une «tromperie» qui fait une fois de plus des automobilistes des vaches à lait tout juste bonnes à traire. De manière générale sur le plan suisse, «les automobilistes versent chaque année 9,5 milliards de taxes, surtaxes et autres redevances, mais ils n’en retrouvent que 3,8 milliards affectés aux routes», dénonce Claude-Alain Voiblet, responsable romand de l’UDC.

Aux yeux des opposants à la vignette à 100 francs, il suffirait donc de détourner un peu moins l’argent des automobilistes et l’on pourrait réaliser tous les projets routiers sans la hausse prévue. L’argument paraît imparable, mais il ne l’est pas. «C’est oublier que le peuple suisse a par trois fois – en 1958, 1983 et 1998 – modifié la Constitution pour favoriser notamment la complémentarité de la route et du rail», rappelle Patrick Eperon, responsable de la campagne du «oui» au Centre patronal vaudois. La dernière fois, soit lors de la votation sur le financement des nouvelles transversales alpines du Gothard et du Lötschberg, le TCS avait d’ailleurs subi l’une de ses plus douloureuses défaites, désavoué qu’il a été par 63% des votants. Apparemment, il ne s’en souvient plus.

En fait, les adversaires de la hausse de la vignette n’ont qu’un argument qui tienne la route. «En cédant des tronçons de routes nationales à la Confédération, les cantons épargnent 100 millions et transfèrent de fait ces charges sur les automobilistes», déplore Moreno Volpi, porte-parole du TCS.

Déficits cantonaux. C’est vrai, sauf qu’à l’heure où une bonne quinzaine de cantons ont vu leurs finances plonger dans un déficit, ceux-ci risquent de rogner sur l’entretien de leurs routes.

Pour le reste, Moreno Volpi dénonce la «liste à la Prévert» des contournements de localités et autres projets cantonaux financés par la vignette «alors qu’ils ne seront pas soumis à celle-ci»: «il faudrait plutôt mettre l’accent sur des projets purement autoroutiers, car c’est là que les gens perdent 20 000 heures par an dans les bouchons. La vignette autoroutière doit servir en priorité à cela», ajoute-t-il. La remarque n’est que partiellement recevable. La loi révisée sur la vignette touche toutes les «routes nationales», et les autoroutes n’en sont qu’un des six types.

L’attitude «très dogmatique» des clubs automobiles surprend le conseiller d’Etat valaisan Jacques Melly. «Lorsque le TCS et l’ACS se retrouvent dans le même camp que l’association écologique des transports ATE, ils se tirent une balle dans le pied. Au soir du 24 novembre, c’est l’automobiliste, que ces clubs défendent pourtant, qui pourrait être le grand perdant du vote, car nous aurons dans tous les cas perdu cinq ans dans ces investissements routiers.»

En Valais comme dans le Jura et à Neuchâtel, les conseillers d’Etat responsables des infrastructures regrettent tous que le TCS fasse bien peu de cas des régions excentrées. Lorsqu’il affirme qu’il suffirait de découpler la hausse de la vignette de l’adaptation du réseau des routes nationales pour que rien ne soit retardé, le TCS fait semblant d’ignorer les réalités politiques du pays.

De même, il sait très bien qu’un «non» à la hausse de la vignette obligerait le canton de Neuchâtel à financer lui-même l’essentiel du projet de la H20, soit quelque 600 millions de francs, ce qui n’est manifestement pas dans ses moyens. C’est la raison pour laquelle la section neuchâteloise du TCS s’est désolidarisée de la position de sa centrale. Laquelle est politiquement irresponsable.

Par son attitude jusqu’au-boutiste, le TCS prend aussi le risque de rallumer la guerre entre le rail et la route, un risque par ailleurs déjà dangereusement assumé par les écologistes qui ne jurent que par les transports publics et refusent donc la hausse de la vignette.

Dynamique négative pour le 9 février. Beaucoup de lobbyistes romands redoutent un scénario désastreux, alors que la région a un urgent besoin de rattrapage pour ses infrastructures: un «non» à la vignette pourrait engendrer une dynamique négative pour la votation du 9 février prochain sur le paquet de 6,4 milliards de projets ferroviaires (FAIF), dont l’arc lémanique serait le premier perdant (900 millions pour la gare de Genève et 300 millions sur la ligne Lausanne-Berne). On peut craindre que les mêmes détracteurs de la vignette à 100 francs s’opposent aussi à la hausse de la TVA destinée à financer ce paquet ferroviaire. Cette bataille non plus n’est pas gagnée d’avance.


«le TCS fait peu de cas des régions excentrées, celles qui dépendent le plus de la mobilité individuelle.»
Philippe Receveur, ministre jurassien

«En étant dans le même camp que les écologistes de l’ATE, le TCS et l’ACS se tirent une balle dans le pied.»
Jacques Melly, conseiller d’Etat valaisan

«Nous risquons de prendre de trois à cinq ans de retard dans le contournement de Morges, ce qui nuira à l’économie.»
Nuria Gorrite, conseillère d’Etat vaudoise

«Cette hausse est une tromperie. Les cantons épargnent 100 millions aux dépens des automobilistes.»
Moreno Volpi, porte-parole du TCS

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