Martine Brocard
Zoom. Les week-ends, à la belle saison, les cyclistes prennent d’assaut les trains pour explorer la Suisse. Mais les places manquent et l’expérience tourne parfois à l’aigre entre amateurs de vélo, passagers et contrôleurs.
«Vous n’avez rien à faire avec votre valise dans l’espace vélos, allez ailleurs!» s’énerve une cycliste dans l’InterCity (ICN) Zurich-Lausanne. Surpris, le touriste s’exécute. En ce dimanche de mai, les cinq crochets réservés aux deux-roues sont occupés. Deux autres cyclistes arrivés peu avant le départ du train cherchent une solution. «Vous pourriez pousser un peu votre vélo, comme ça, on arriverait à caser les nôtres, suggèrent-ils à leur congénère déjà sur les nerfs. «Je pourrais aussi prendre un train plus tard!» s’agace-t-elle.
De tels accrochages ne sont pas rares pendant les beaux jours, lorsque de nombreux adeptes embarquent leur deux-roues pour découvrir d’autres parties de la Suisse. Ils sont souvent frustrés de devoir payer pour leur vélo et de trouver l’espace occupé par des valises ou des poussettes, qui voyagent gratuitement. Le problème se concentre surtout sur les grandes lignes, où les cyclistes doivent jouer des coudes pour obtenir les quelques places disponibles. Il est particulièrement aigu sur les ICN de la ligne du Pied du Jura, où le nombre de vélos autorisés à bord est strictement limité à six. Les autres doivent attendre le prochain train. Pour éviter que la situation ne dégénère, un système de réservation obligatoire a été instauré il y a quelques années.
La mesure suscite la grogne des usagers qui ne connaissent pas toujours leur horaire à l’avance. Sur la ligne Lausanne-Yverdon un vététiste a eu de la chance: bien qu’il n’ait pas réservé et que toutes les places soient occupées, le contrôleur a décidé de fermer les yeux. «La direction sait qu’il y a un problème, mais pas comment le régler», soupire-t-il.
Entre équilibre et lenteur
L’une des solutions avancées sur le site des CFF consiste à mettre son vélo dans une housse de transport, roue avant démontée. Le cycle devient alors un bagage à main gratuit, mais n’a plus droit à l’espace adapté. «Il y a une hypocrisie, relève Lucas Girardet, président de Pro Vélo Lausanne. Que l’on enlève la roue ou non, cela prend plus de place dans une housse que sur un crochet.» De plus, on imagine mal un vélo non pliable d’adulte tenir sous un siège ou dans le porte-bagage situé au-dessus.
Les CFF se préoccupent-ils assez de promouvoir la mobilité douce, notamment la mobilité combinée? «Nous faisons beaucoup pour les vélos, répond le porte-parole, Jean-Philippe Schmidt. Outre le chargement en libre-service, nous créons des parkings dans les gares, proposons des vélos de location et offrons la possibilité d’envoyer son vélo comme bagage.» Il souligne avoir très peu de réclamations. «Nous devons trouver un équilibre entre cycles et passagers, car nous avons transporté 660 000 vélos durant toute l’année 2014, pour 1,2 million de personnes par jour.»
Président de Pro Vélo Suisse, Jean-François Steiert estime que l’encouragement de la mobilité combinée par les CFF «va dans le bon sens mais beaucoup trop lentement. Je souhaiterais une attitude plus proactive et créative de leur part», dit le conseiller national socialiste. Il salue cependant le fait que les nouveaux ICN comprendront des places supplémentaires.
Quant à Roger Nordmann, vice-président de l’Association transports et environnement, il considère que, à part les ICN «archinuls pour les vélos», les CFF font un «effort très important». «Le problème est dans la durée de vie du matériel roulant qui est de quarante ans, pointe le conseiller national socialiste. On ne peut pas se plaindre que des wagons commandés il y a trente ans ne correspondent pas aux besoins actuels.»
Limites logistiques
Pourquoi ne pas rajouter un fourgon-vélo sur les grandes lignes les jours d’affluence, comme cela se pratique parfois dans les Grisons et au Tessin? «C’est une question logistique. Nous n’avons qu’un nombre limité de ces wagons, explique Jean-Philippe Schmidt. En outre, pour l’ICN Genève-Saint-Gall, il faudrait le fixer à l’arrière des rames à Genève, puis manœuvrer pour le mettre à l’autre bout du convoi au retour. Cela prend du temps et l’horaire ne le permet pas.»
Les cyclistes de beau temps n’ont plus qu’à prendre leur mal en patience et, comme le suggèrent les CFF ainsi que les associations, planifier leur trajet à l’avance, être souples sur les horaires, éviter les grandes lignes. Ou alors opter pour une voiture et un porte-vélo.