Beaux-arts. La directrice du musée de La Chaux-de-Fonds a découvert les artistes romands à l’Université de Moscou. Son enthousiasme a dopé la fréquentation de son institution.
«Je veux montrer aux Suisses qu’ils ont une culture magnifique que les étrangers viennent admirer.» La profession de foi vive tranche avec les traits doux de Lada Umstätter, son expression ouverte et son regard avenant. Dans le même souffle, la conservatrice du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds jette cette remarque qui tue: «Il faut arrêter avec l’autodénigrement qui veut que l’on ne s’intéresse pas à l’art de chez soi. Peuple de montagnards, les Suisses cherchent à savoir ce qu’il y a au-delà sans s’intéresser à ce qui se passe dans leur vallée.» De la part de cette Russe des Montagnes neuchâteloises, tout est dit.
A la tête de l’institution culturelle de la métropole horlogère depuis 2007, elle s’investit totalement pour faire découvrir une collection d’œuvres d’artistes nationaux patiemment rassemblée depuis la création du musée en 1864. A commencer par les enfants du pays, Le Corbusier et Charles L’Eplattenier, et pour monter des expositions comme celle consacrée à l’écrivain Blaise Cendrars et ses rapports avec les arts. Avec succès: en huit ans, la fréquentation du Musée des beaux-arts a plus que doublé.
Comment une jeune fille éduquée derrière le rideau de fer s’est-elle prise de passion pour les artistes suisses? Issue d’une famille d’intellectuels de la capitale russe – mère musicologue et grand-mère scientifique –, Lada s’est tout naturellement lancée dans les études. «Je voulais faire chimie. Ma sœur jumelle préférait le théâtre. L’histoire de l’art a été le compromis trouvé entre nous pour étudier ensemble», se remémore-t-elle avec un sourire.
Elle se plonge, à l’Université Lomonossov de Moscou, dans l’univers de la culture francophone, un moyen, pour une jeune Soviétique, de voyager. Elle aurait donc pu se consacrer aux œuvres de Corneille ou de Rodin, comme des milliers d’autres étudiants, mais non. «Je n’aime pas marcher dans les traces des autres gens. J’aime ouvrir ma voie. Or, dans le monde culturel francophone, il y avait cette petite région, la Suisse romande, qui restait plutôt mal connue en URSS. Je m’y suis immergée avec d’autant plus d’énergie que j’étais la seule à le faire», raconte-t-elle dans un français parfait – tout juste si elle ne concède pas un petit doute concernant l’usage du «le» ou du «la», ces articles qui piègent facilement les allophones.
Spécialiste de Cingria
Après la chute du mur, elle se rend à Genève en 1992 – «mon tout premier voyage à l’étranger!» – pour quelques semaines à l’invitation du Département d’histoire de l’art. Elle y donne des conférences. «Imaginez ma situation: non francophone, présenter une personnalité locale à un public du lieu!» se souvient-elle. Elle se lie d’amitié avec des artistes genevois, liens qui ne se démentiront pas les années suivantes lorsqu’elle prolongera ses recherches en Israël puis dans le nord-est des Etats-Unis.
Elle revient à Genève en 1999 où elle obtient un poste d’enseignement à l’université, ce qui lui permet de mener un travail de recherche sur Alexandre Cingria, artiste genevois de la première moitié du XXe siècle. Elle se marie avec un philosophe du bout du lac, puis est nommée à La Chaux-de-Fonds. A 35 ans. Elle s’est complètement intégrée. Et si elle se rendait régulièrement à Moscou jusqu’à ces dernières années, elle espace ses voyages, avant tout pour des raisons familiales.
«Je suis toujours autant fascinée par la Suisse, poursuit la conservatrice. Je reste frappée par l’attachement des gens à leur pays, leur importante participation à sa vie, qui se lit dans le système de votations. Mais je suis restée Russe dans un aspect au moins: ma manière de m’exprimer laisse une large place à l’exagération. Je ne dis pas: c’est pas mal. Je dis: c’est très bien.»
Musée des beaux-arts, rue des Musées 33, La Chaux-de-Fonds
Née à Moscou
Prénom: Lada
Nom: Umstätter
Profession: conservatrice
En Suisse depuis: 1999
Nationalités: russe et suisse
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