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Au Mexique, avec des migrants sur le chemin périlleux du rêve américain

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Jeudi, 13 Août, 2015 - 05:51

Reportage. A Ixtepec, dans l’Etat d’Oaxaca, quelques bénévoles, à l’initiative d’un prêtre catholique, accueillent dans une auberge des migrants épuisés qui peuvent rester là trois jours avant de continuer leur route vers le Nord américain, Etats-Unis ou Canada. L’écrivain Daniel de Roulet a recueilli leurs témoignages.

Daniel de Roulet, Ixtepec

Certains d’entre nous viennent du Salvador. Par exemple ces deux frangins, 15 et 16 ans. Leurs parents ont déménagé d’un quartier pauvre de San Salvador vers un autre. Dans le premier, le territoire est contrôlé par les MS (Mara Salvatrucha), une bande qui s’est formée dans les pénitenciers des Etats-Unis. Dans le second, le contrôle, c’est-à-dire le racket, appartient au M18. Les deux bandes se font la guerre. Comme les deux frères étaient soupçonnés d’être des MS, ils ne pouvaient habiter sans danger dans le nouveau quartier. Deux fois, ils ont échappé au M18 qui, ne les trouvant pas, a fini par assassiner leur petite sœur.

Ils ont dû partir, se sont mis en route vers le nord, sans un sou ni un papier, avec juste la photo de leur petite sœur. Le voyage jusqu’à l’Auberge a duré trois mois. Ici, dans ce refuge aménagé à Ixtepec, au sud-ouest du Mexique, au point de jonction des trains de marchandises qui arrivent du Pacifique et des montagnes du Chiapas pour partir vers le nord, les frangins se sont précipités sur la nourriture. Comme ils n’avaient plus l’habitude de manger à leur faim, un des deux a tout vomi. Pour le moment ils ont échappé à tous les contrôles de la Police des migrations.

Certains d’entre nous viennent du Honduras. Par exemple cette petite de 3 ans. La couleur blonde de ses cheveux est rare par ici. Sa mère, 19 ans, a des cheveux noirs et un teint métis foncé. Elles sont parties de Tegucigalpa, la capitale du Honduras, ont atteint la première frontière sur le pont arrière d’un marchand de légumes, ensuite avec des colectivos (petits bus locaux) et à pied en quatre semaines jusqu’à la frontière suivante, celle entre le Salvador et le Guatemala. Grâce à la couleur de cheveux de la petite, elles ont pu garder une partie de leur argent, le reste est passé dans la poche des douaniers. A l’entrée d’une grande ville où un camionneur les a déposées après avoir tenté de violer la mère, elles ont fait l’erreur de s’approcher d’un poste de contrôle de l’armée. C’est là que, pour passer, elles ont laissé leur dernier argent.

La suite de leur voyage depuis la frontière mexicaine, la mère préfère ne pas la raconter. La petite blonde s’est finalement enfuie et les passeurs ont laissé partir la mère, ne s’intéressant qu’à la petite. Depuis deux jours à l’Auberge, la mère essaie d’appeler un numéro de téléphone au Texas. C’est tout ce que lui avait laissé le père de la petite, gardien à l’ambassade des Etats-Unis. La mère y faisait les nettoyages. Au Texas, ça sonne dans le vide.

D’une tentative à l’autre

Certains d’entre nous viennent du Nicaragua. Par exemple Gustavo, qui louait des barques sur les bords du lac, à Grenada, et mettait de côté les dollars que lui payaient les touristes. Jusqu’au jour où un entrepreneur de batellerie a ruiné le commerce. Comme il ne boit pas, il possédait une assez belle somme, avec laquelle il aurait pu construire une baraque pour sa femme, lui et leurs trois enfants. Gustavo a préféré utiliser cet argent pour aller chercher du travail aux Etats-Unis, dans l’idée d’y faire venir ensuite sa famille. Ça, c’était à sa première tentative. Il a payé tous les passeurs qu’il fallait, en tout 7000 dollars. Il a même pu traverser la muraille électronique et se retrouver dans le désert du Nouveau-Mexique. C’est là qu’il était en train de mourir de soif quand les douaniers l’ont trouvé sans connaissance sous un agave géant. Comme il avait détruit ses papiers, il leur a dit être Mexicain. Ils l’ont donc extradé dès sa sortie de l’hôpital.

Au Mexique pendant six mois, il a réussi à gagner assez d’argent pour se payer une nouvelle tentative avec des contrebandiers de cocaïne. Cette fois, quand les douaniers l’ont pris, ils ont mené l’enquête de sorte que, pour faux témoignage, il a passé un an dans un pénitencier de Californie avant d’être extradé au Nicaragua. Entre-temps, sa femme et les trois enfants, restés sans nouvelles, étaient partis et, qui sait comment, habitaient maintenant une banlieue de Washington D. C. Pour les rejoindre, Gustavo s’est remis en route et se trouve maintenant à l’Auberge, qu’il connaît pour y être déjà passé il y a quatre ans, lors de sa première tentative. A l’époque, on pouvait encore s’accrocher sur le toit des convois ferroviaires, à condition de bien s’aplatir au passage des tunnels.

Certains d’entre nous habitant le Guatemala n’ont qu’une frontière à passer avant d’affronter la dernière qui bloque la porte des Etats-Unis. Parmi les Guatémaltèques de l’Auberge, un petit noiraud de 22 ans a déjà passé quatre mois dans un centre de rétention des migrants en attente de jugement. Il demandait l’asile, chez lui il est menacé de mort. Le juge n’a pas contesté cette menace, mais a fait valoir que sa femme avait déposé plainte contre lui pour mauvais traitements. Après quatre mois, il s’est retrouvé au Guatemala, mais comme sa tête est mise à prix par les narcos de sa région, il repart vers le nord.

C’est un malin, il se fait passer pour l’ami de tous, fournit plusieurs versions de son histoire et, comme il a passé du temps chez les flics mexicains, on se demande, à l’Auberge, s’il ne serait pas leur indicateur. Ce qui est sûr, c’est qu’il connaît aussi les agents du Groupe Beta. Ceux-là qui portent toujours une chemise orange et des pantalons bruns proposent un programme de retour volontaire gratuit. Tu t’annonces chez eux et ils te paient un billet d’avion pour rentrer chez toi, c’est le côté humanitaire du Mexique. Ceux qui signent pour ce programme ont trop souffert et, au vu de ce qui les attend encore, jettent l’éponge, la mort dans l’âme.

Ici, à l’Auberge, les fonctionnaires du Groupe Beta, ceux du plan B, ne sont pas admis, ni les flics tout court d’ailleurs, ni les narcos, ni les passeurs, ni les violeurs. Ça ne les empêche pas de rôder tout autour d’Ixtepec.

Il y a encore un an, on arrivait tous agrippés aux wagons, de côté, dessus, derrière ou crochés aux essieux. Mais, depuis le nouveau programme de contrôle mis en place sur ordre du gouvernement des Etats-Unis, la police patrouille au départ de chaque train et les employés des chemins de fer ne peuvent plus percevoir leur taxe qu’ils appelaient «contribution volontaire». Désormais, on arrive par les routes sous un soleil de plomb fondu, 40 °C, la plupart à pied. Quelques-uns qui ont encore de l’argent sont pris en charge par des camionnettes. Mais gare aux transports publics, trop souvent fouillés par la Police des migrations.

Vendus comme esclaves ou coupés en morceaux

A l’Auberge, fondée par un ecclésiastique bienveillant, ça existe, tu peux, pendant trois jours, te laver, téléphoner et manger gratuitement, te faire soigner, dormir tranquille et repartir. Ceux qui restent après les trois nuits attendent de l’argent ou des papiers, ça arrive aussi. Ici, tu apprends ce qui est arrivé aux autres, ceux qu’on ne reverra plus parce qu’ils faisaient partie d’un convoi dont ne subsistent pas de traces. Ils avaient été pris en charge par une bande dont on dit qu’elle vend les jeunes femmes et les jeunes hommes aux réseaux de prostitution et aux trafiquants d’organes. Tout un convoi disparu, une cinquantaine de migrants, vendus comme esclaves ou coupés en morceaux. Certains d’entre nous ont vu des scènes qu’ils ne raconteront pas pour ne pas augmenter la peur qu’on a tous et qui ne va pas nous quitter de sitôt. Parce que, même si tu passes aux Etats-Unis, tu vas rester sans papiers, peut-être pour toute ta vie.

Certains d’entre nous qui n’en sont pas à leur première tentative ont fait la liste des auberges où tu peux t’arrêter, la liste des points de passage avec les heures à éviter, les ennuis prévisibles. D’autres aident les volontaires de l’Auberge à faire des statistiques. A la frontière guatémaltèque, on en est à 4000 arrivants par jour. Par année, ça fait autour d’un million et demi de candidats à l’immigration aux Etats-Unis.

Tous les moyens sont bons pour te décourager. La télévision mexicaine montre ce qui nous attend dans le nord du pays, avant même le passage de la muraille électronique réputée étanche. On te dit que les narcos vont t’exécuter pour un simple regard de travers, que tu vas mourir de soif et qu’à la fin ta famille recevra tes restes dans un sachet de plastique transparent. Mais si on est parti, ce n’est pas de plein gré et le cœur léger. On est parti parce que, au Honduras, au Salvador, au Guatemala et même au Nicaragua, la vie qu’on voulait, on n’a plus aucune chance de pouvoir la mener. Tandis qu’en se mettant en route, on a beaucoup de risques de mourir mais une petite chance quand même d’arriver à s’en sortir.

La nuit à l’Auberge, quand tout le monde essaie de dormir dans la chaleur moite, on sent cette urgence. On est plusieurs à se donner du courage, on forme un petit groupe. On partage une dernière cigarette et on décide qu’il ne faut plus tarder. Avant l’aube, encore sous les étoiles, on se remet en route, chacun avec son petit sac, et on laisse un mot sur la table du déjeuner: «Merci l’Auberge.»

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Juan de Dios Garcia Davish / EPA
Alberto Giuliani
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