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Comment les nouveaux populistes nous manipulent

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Jeudi, 13 Août, 2015 - 06:00

Essai. Peu de pays européens y échappent, le populisme, fils de la crise, fleurit telle la mauvaise herbe. Mais pourquoi prend-il une telle ampleur? Décryptage en huit points.

«Nous savons bien que nous pouvons envahir la bastille du néolibéralisme global», disait-il en campagne à Paris pour les élections européennes de 2014. «Le peuple grec a écrit l’histoire, il laisse l’austérité derrière lui», asséna encore Alexis Tsipras au soir de sa victoire aux législatives en janvier dernier. Ce qu’il y a de chic avec les populistes, c’est que leurs phrases claquent toujours bien. Emotion garantie dans la foule qui ne doute pas que les promesses seront tenues. Mais pourquoi au juste ceux qui invoquent le peuple à tout bout de champ ont-ils tant de succès? D’où vient-il, cet irrésistible populisme qui semble avoir pris ses quartiers électoraux pour longtemps?

Avec son idéal de peuple ethnicisé, seul avec lui-même, sans parasite et sans médiation, où toute notion de classe sociale a disparu, le phénomène protestataire épouse divinement les marqueurs de notre époque: l’individualisme triomphant et la ringardisation de la notion de solidarité.

Mais le populisme ne serait que vocifération inaudible, manipulation électoraliste vouée à l’échec si l’Europe n’était pas en crise. Celle qui étreint le Vieux Continent depuis 2008 se révèle particulièrement longue et déstabilisante, elle n’est toujours pas jugulée, même si de faibles signes de reprise clignotent çà et là. D’économique, la crise est devenue morale, identitaire et même institutionnelle.

Le populisme prospère donc telle la mauvaise herbe. A cet égard, 2015 constitue un tournant. Le succès de Syriza en Grèce marque la résurgence d’un populisme de gauche qui, en plus de s’être emparé des commandes d’un gouvernement, est même parvenu à prendre momentanément en otage les institutions européennes. Péripétie grecque ou mouvement de fond? Il faudra attendre les élections générales de cet automne en Espagne pour voir si Podemos, qui a pris pied dans quelques villes, réussit à se propulser au pouvoir (lire l’article en page 14).

La France, elle, attend, mi-affolée, mi-fataliste, l’échéance de 2017 et le possible avènement de Marine Le Pen en présidente de la République. La vague sera-t-elle de droite ou de gauche? On ne saurait le dire avec précision. La caractéristique du populisme au XXIe siècle étant de brouiller les repères traditionnels à coups de slogans simplistes, de reconfigurer en permanence le logiciel de l’indignation outrancière et de ne reculer devant aucune incohérence doctrinale.

Dès sa naissance, au XIXe siècle, le concept est défini comme un attrape-tout. N’était un lourd héritage xénophobe, on oserait dire qu’il est un melting-pot idéologique, agglomérant de nouveaux courants sans toujours renier les vieux concepts, au gré des publics et des besoins.

A la contestation de la démocratie représentative, la détestation des élites et une xénophobie crânement assumée sont venus s’ajouter l’antifiscalisme, l’antieuropéisme, l’anti-islamisme…

Chaque pays produit son cocktail particulier tant il est vrai qu’aucun n’échappe au phénomène éruptif, même pas ceux du Nord comme la Finlande, la Norvège ou le Danemark, que la crise économique a épargnés. Les Suisses le savent bien, qui vivent depuis près d’un quart de siècle au rythme des tonitruantes campagnes de l’UDC. Avec ses référendums et ses initiatives populaires qui magnifient le recours au peuple, la Confédération est d’ailleurs le chouchou de l’internationale souverainiste, envié et cité en exemple. La saga helvétique enregistre d’ailleurs cette année un passage de témoin entre générations plein de suspense, puisque Magdalena Martullo, fille de Christoph Blocher, et Roger Köppel, rédacteur en chef et éditeur de la blochérienne Weltwoche, sont candidats aux élections fédérales.

Pour comprendre pourquoi les populistes séduisent tant les électeurs en mal de lendemains meilleurs, essai de décryptage en huit points.

1. Un contexte favorable

Si le populisme est fils de la crise, il n’est pas étonnant qu’il ait presque disparu pendant la période des trente glorieuses, restant confiné à quelques cercles de nostalgiques d’extrême droite que le désastre de la Seconde Guerre mondiale n’avait pas vaccinés contre les harangueurs de foules.

A partir des années 80 et 90, l’impuissance des gouvernements à rétablir le plein-emploi et une croissance économique robuste va peu à peu lui permettre de reconquérir les cœurs, à droite d’abord, à gauche désormais. L’appel au peuple se nourrit de l’idée que la démocratie représentative, incarnée par les parlements, faillit à défendre les intérêts du plus grand nombre. Suit l’agitation du spectre des technocrates, naguère des oligarchies, gouvernant à leur profit exclusif.

Le sentiment que les élus sont déconnectés de la population s’installe. S’ils ne trouvent pas de remède à la crise, c’est qu’ils sont insensibles au sort du plus grand nombre ou alors incompétents.

Les partis qui exercent les responsabilités gouvernementales, au rythme de l’alternance ou en participant à de grandes coalitions, deviennent ainsi les têtes de Turc des populistes. Et ceux-ci se posent en option, jouant sur la figure de l’homme providentiel dont l’élection réglerait tous les problèmes d’un coup de baguette magique.

La dénonciation des «incompétents» au pouvoir fonctionne d’autant mieux qu’elle s’inscrit dans un contexte où le déclin de l’Occident ne cesse d’être mis en avant. Naguère, le Vieux Continent était le centre du monde. La mondialisation lui a ravi cette première place historique. Si le leadership américain était celui de l’enfant prodigue, l’émergence de la Chine, de l’Inde ou du Brésil a été perçue par une bonne partie des opinions publiques européennes comme un déclassement. D’autant que, en cassant les barrières douanières, la mondialisation a ébranlé les protections sociales.

Sur le papier, l’Europe reste le plus grand espace de liberté, de richesse et de bien-être du monde, elle seule est dotée de régimes sociaux qui assurent des retraites et des dispositifs d’aide aux chômeurs. Mais elle sait ce cadre menacé par l’endettement des Etats et sa démographie déficiente.

Les populistes capitalisent sur cette inquiétude: ils peuvent ainsi vanter les vertus du nationalisme, jouer sur la nostalgie du protectionnisme et des frontières fermées. Sans que les conséquences économiques réelles d’un tel retour en arrière puissent être chiffrées et sans apporter la preuve qu’une félicité prospère renaîtrait.

Un troisième phénomène aide les populistes à capter l’attention: la montée de l’islamisme sur fond de déchristianisation. Via l’immigration, la religion musulmane s’affirme dans le paysage européen au moment où les églises traditionnelles se vident. La ferveur des uns interpelle des sociétés laïcisées qui se sont volontairement débarrassées de la foi qui cadrait la vie des générations précédentes. Sur ce front également, 2015 marque un tournant: la vague sécuritaire qui a suivi les attentats de Paris en janvier et les sanglantes mises en scène de l’Etat islamique apportent une sorte de validation a posteriori des craintes des islamophobes.

2. On leur laisse le champ libre

On ne le dira jamais assez, si les populistes prospèrent, c’est parce qu’ils occupent des espaces dans le discours public délaissés par les autorités et les autres partis.

Auteur des Nouveaux populismes – un ouvrage de référence dont nous nous sommes largement inspirés –, Dominique Reynié, professeur à Sciences Po Paris, explique notamment les succès protestataires actuels par l’incapacité des élites à aborder sereinement la question du multiculturalisme.

Le débat sur les conséquences de l’immigration a été laissé en déshérence depuis les années 70, rappelle le chercheur. Voile, ramadan, les instructions ont tardé à venir d’en haut: sur le terrain, instituteurs, policiers, juges ont dû bricoler des solutions, nourrissant dans l’opinion un sentiment de recul et de renoncement.

Le populisme joue sur le rejet des migrants, d’autant plus facilement que les gouvernements n’émettent aucun discours justifiant rationnellement et avantageusement le recours à la main-d’œuvre immigrée ou l’accueil des réfugiés. Difficile d’articuler que, pour maintenir le niveau de vie actuel, il faudra le partager avec des travailleurs venus d’ailleurs, et que les réfugiés poussés par la misère ou les guerres à tenter leur chance en Europe doivent être accueillis au nom de la défense de nos valeurs humanistes. La non-gestion de la crise actuelle des migrants en Méditerranée offre de cette lâcheté une démonstration saisissante.

Sur fond de taux de chômage élevé, les étrangers sont désignés comme des concurrents sur le marché du travail, mais ils sont aussi perçus comme des vecteurs de bouleversement culturel. La rhétorique de la préférence nationale constitue un des plus puissants leitmotivs des défendeurs autoproclamés des intérêts populaires.

3. De si séduisantes nouvelles strates idéologiques

On l’aura compris, c’est surtout grâce à de séduisants discours, adaptés au goût du jour, que les populistes parviennent à manipuler les opinions publiques.

A part le Hongrois Viktor Orbán, qui a développé une variante autoritaire et xénophobe de populisme à l’est de l’Europe, somme toute assez classique, les nouveaux démagogues, qui sévissent plus à l’ouest ou au sud du continent, évitent le plus souvent le recours à la xénophobie crasse et les références à la supériorité raciale, ils préfèrent dénoncer l’«incompatibilité des valeurs» entre les «nationaux» et les nouveaux arrivants. Un élément de langage plus soft, plus politiquement correct, qui procède par exemple de la stratégie de dédiabolisation du Front national par Marine Le Pen.

C’est ainsi que les populistes, naguère pourfendeurs de la démocratie libérale, en sont devenus les plus ardents défenseurs: dans leur lutte contre l’islamisation du continent, ils invoquent l’Etat de droit, la défense de la laïcité, l’égalité hommes-femmes… Un brouillage référentiel qui fait mouche dans l’électorat et désamorce les réflexes antiextrémistes.

Dominique Reynié met également en avant le développement en Europe d’un populisme patrimonial nourri d’antifiscalisme et de chauvinisme social: on veut défendre son niveau de vie, donc ne pas le partager avec les immigrés et ne pas trop payer d’impôts. La posture permet d’attaquer ceux qui abusent des systèmes sociaux (tout en masquant que leur financement à long terme, donc leur maintien, dépend plus de la démographie et de la croissance économique que de la chasse aux prestations indues).

Bien que défendant un Etat social à l’avantage exclusif de la population nationale, ce discours combat les mécanismes de redistribution entre régions ou pays. Il s’adresse à ceux qui ont acquis des privilèges (et veulent les défendre) comme à ceux qui aspirent à en bénéficier.

Faisant les yeux doux aux contribuables, le populisme patrimonial est conservateur, donc à l’aise avec l’économie de marché à l’ancienne, sans les grandes organisations internationales qui dépouillent la souveraineté et l’identité nationales. Le capitalisme n’est fustigé que comme pouvoir transnational occulte.

Cette variante patrimoniale du phénomène, à laquelle l’UDC doit son formidable essor, est d’autant plus ravageuse, électoralement parlant, qu’elle se rapproche de celle des conservateurs de droite, dont elle rogne ainsi mécaniquement l’électorat.

Bingo! Dans le viseur des populistes, les partis traditionnels étaient déjà incompétents, impuissants, les voici fustigés comme «illégitimes» puisque exerçant leurs responsabilités gouvernementales assis sur une base électorale toujours plus modeste.

La différence devient ténue entre la réprobation parfois légitime du système, l’indignation face à des scandales avérés et le dénigrement du régime dans son ensemble. L’attaque contre les élites corrompues est un classique des populistes, mais le motif a été remastérisé en critique du système et en revendication ouverte – à la limite de l’absurde – de pratiquer une «antipolitique». C’est notamment le cas de Beppe Grillo en Italie, qui refuse obstinément la participation aux institutions, malgré un score électoral dépassant les 20% et entraînant quelques devoirs.

Dans un récent ouvrage retraçant son aventure de présidente de la Chambre des députés italienne*, Laura Boldrini note à quel point ce refus de l’expertise en politique est troublant, alors que partout ailleurs la compétence et l’engagement sont souhaités: quand on va à l’hôpital, ce n’est pas pour se faire opérer par un chirurgien incapable, pourquoi la politique devrait-elle se satisfaire de dilettantes aigris et sans volonté de trouver des solutions aux problèmes soulevés?

L’antipolitique conduit à une impasse démocratique totale: incapables de se résigner au moindre compromis avec leurs adversaires politiques, les élus protestataires ne servent à rien. A Rome, depuis le début de la législature en 2013, on ne compte plus les députés et sénateurs du Mouvement 5 étoiles exclus ou s’étant affiliés à un autre groupe parlementaire. Ce feuilleton illustre caricaturalement toute l’imposture populiste: un grand talent pour soulever les problèmes mais une incapacité chronique à participer loyalement à leur résolution.

4. L’antieuropéisme, un nouvel étendard

Paradoxe des nouveaux populistes au discours naturellement souverainiste, ce sont souvent les votes ou les élections européennes qui leur ont permis de mesurer leur force (référendums sur Maastricht en 1992 ou le traité constitutionnel en 2005) et de décrocher un mandat. Même s’ils ne sont guère assidus à siéger dans les travées du Parlement de Strasbourg et qu’ils peinent à s’organiser en groupe, ils ne se privent pas de critiquer les institutions européennes et de demander le retour aux monnaies nationales. Malgré la brèche britannique, la sortie pure et simple de l’UE est plus rarement évoquée. Alexis Tsipras ou Jean-Luc Mélenchon préfèrent par exemple évoquer la «renégociation des traités», une manœuvre titanesque, quasi irréaliste.

Là encore, la classe politique traditionnelle a facilité le travail de ses contempteurs en naviguant à courte vue. Devenue schizophrénique, elle approuve, dans les instances européennes à Bruxelles, des décisions dont elle n’assume pas la responsabilité devant l’opinion publique nationale. Du pain bénit pour les populistes qui peuvent entonner leur refrain préféré: des élites vendues aux pouvoirs cosmopolites. La Suisse connaît bien cette antienne, où le refus des juges étrangers appartient à la mythologie nationale.

Ce discrédit jeté sur les instances supranationales alimente donc un fort mouvement antieuropéen. Plutôt que d’apparaître comme une solution aux impuissances nationales, l’UE passe au final pour un oppresseur. Yanis Varoufakis, éphémère ministre des Finances grec, vient d’en asséner une sensationnelle démonstration en traitant les instances européennes de «terroristes», ce qui, à l’ère de l’Etat islamique, est spectaculairement outrageant, mais n’a guère suscité de réprobation.

5. D’habiles retournements de l’histoire

Les leaders populistes de notre début de siècle prennent leurs aises avec les références historiques. Ils sont même habilement parvenus à les retourner. Dominique Reynié cite notamment le cas d’Oskar Freysinger commentant sa victoire contre les minarets en 2009 en convoquant les figures historiques de la lâcheté des démocraties que sont Daladier et Chamberlain à Munich en 1938 (ils avaient accepté de transiger avec Hitler): «Alors il faudrait se coucher pour vivre en paix?»

En 2010, avant même de reprendre la présidence du Front national, Marine Le Pen traite un adversaire politique de nazi. Elle fait d’une pierre deux coups, souligne Reynié: elle abandonne la figure du collabo qui collait au FN de son père et endosse celle du «résistant».

Dans sa dénonciation de l’«islamo-fascisme», le Néerlandais Geert Wilders leur avait préparé le terrain dès 2006 en assimilant le Coran à Mein Kampf. L’édifiante série des contresens historiques pratiquée par les populistes comprend la comparaison de l’UE avec l’Union soviétique ou le IIIe Reich.

Autre mutation par rapport aux fascismes d’antan, les populistes se montrent volontiers philosémites pour mieux rejeter les musulmans. A chaque époque son bouc émissaire. Mais les dérapages antijuifs ne sont jamais très loin. Et les liens avec les néonazis redeviennent patents lorsqu’il s’agit de défendre les racines de la civilisation occidentale attaquées par le multiculturalisme mais aussi le féminisme.

6. L’erreur à ne pas commettre

La posture antisystème, courante à gauche, se marque jusque dans l’habillement, signalant ostensiblement la défiance par rapport au commun institutionnel. Absence de cravate chez Alexis Tsipras, chemise par-dessus le pantalon chez Yanis Varoufakis. Tout le contraire pour Jean-Luc Mélenchon, costumé de sombre et cravaté de rouge en hommage aux luttes et conquêtes ouvrières.

Jean-Noël Kapferer, professeur émérite à HEC France, spécialiste mondialement reconnu des marques et des stratégies de persuasion, minimise le rôle de ces détails. «Ce serait à mon sens une erreur d’approcher la montée des partis populistes en termes de rhétorique, de mécanismes de persuasion, bref de recettes. Ce sont les partis du désespoir», juge-t-il.

Et de pointer du doigt la responsabilité des formations dites traditionnelles. «Les partis populistes ont un boulevard devant eux. Il leur suffit de décrire la réalité des pays dans lesquels ils sont. Pour la France: 10% de chômeurs, une dette égale à 93,5% du PIB, des diffi-cultés d’intégration, un déficit de la balance commerciale… Ces chiffres se sont construits progressivement, gouvernement après gouvernement, de gauche modérée et de droite modérée. C’est pourquoi on parle – et pas seulement au Front national – de l’UMPS. Cela signifie que les partis modérés sont des leurres. Ils font en réalité la même politique une fois au pouvoir, ou plutôt à l’impouvoir.»

7. Le poids des réseaux sociaux

Il y avait déjà la plaie des sondages mesurant à tout bout de champ les humeurs des uns et des autres, et la popularité de ceux qui aspirent à les gouverner.

Les réseaux sociaux donnent désormais une visibilité inédite aux théories complotistes et à la démagogie de comptoir. Ils ont créé une sorte de droit de vote permanent, de référendum en continu: on aime, on n’aime pas, on pétitionne, on se découvre nombreux à protester.

Nombreux sont les politiques tétanisés par ces résultats instantanés. Leur capacité d’action s’en ressent. Le courage d’aller contre le vent, de prendre une mesure impopulaire devient rarissime, reculant d’autant les réformes nécessaires. Les populistes, eux, se frottent les mains. Ils disposent d’une sorte de nouvel espace public, affranchi des règles et sans réel contre-pouvoir.
Une discrépance s’installe entre l’ampleur de la protestation et les moyens à disposition des gouvernements pour y répondre, observe avec inquiétude Sergio Romano dans un essai sur la fin de la démocratie**.

L’usage intensif du web permet également de contourner la presse traditionnelle, comme le montre le succès du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui s’est payé le luxe de ne pas répondre aux questions des journalistes italiens, les jugeant incompétents ou vendus à leurs patrons. C’est un trait des populistes que de fuir la contradiction en se dérobant tant aux médias qu’aux débats avec les adversaires. Cela leur permet aussi d’accroître auprès de leurs électeurs le soupçon d’ostracisme dont ils seraient victimes.

8. Une presse complaisante

Avec leurs provocations, leurs coups de théâtre, leurs petites phrases scandaleuses, les imprécateurs sont ce que la presse appelle de «bons clients» qui assurent l’information spectacle et éloignent les journalistes de leur mission de décryptage de la complexité du monde. D’où une couverture médiatique souvent inversement proportionnelle à la pertinence ou à la faisabilité concrète de leurs propositions.

Jouant sur les affects (colère, peur, ressentiment, envie, nostalgie), les populistes, note très justement Dominique Reynié, échappent au charivari médiatique qui tourne l’actualité ou l’action raisonnable en dérision. Et puis, comme eux, les journalistes prétendent poser «les bonnes questions», soulever les sujets tabous, d’où une certaine difficulté à trouver la bonne distance critique et le bon ton pour décrypter leurs stratégies et leurs comportements.

Bien qu’ils se plaignent d’être mal traités par elle, les populistes peuvent compter sur une presse complaisante et parfois même complice, tout comme ils mettent mal à l’aise le pouvoir judiciaire, attaché à la liberté d’expression, joyau de nos démocraties libérales.

De fait, jusqu’ici, la presse, quatrième pouvoir censé défendre la vitalité des démocraties, a failli comme les politiques à juguler la vague populiste.

Collaboration Antoine Menusier

* «Lo sguardo lontano». De Laura Boldrini. Einaudi, 2015.
** «Morire di democrazia - Tra derive autoritarie e populismo». De Sergio Romano. Longanesi, 2013.

En savoir plus:
«Les nouveaux populismes» De Dominique Reynié, Nouvelle édition augmentée, Pluriel, 2013.

 


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LOUISA GOULIAMAKI AFP
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