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Grisons: tous contre l’héritière Magdalena

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Jeudi, 20 Août, 2015 - 06:00

Reportage. Dans le canton des Grisons, on ne voit plus qu’elle dans la campagne électorale: Magdalena Martullo, la fille aînée de Christoph Blocher. Jusqu’à présent, elle n’a pourtant pas gagné le cœur des électeurs.

Le canton des Grisons n’a que sept sièges à repourvoir sous la coupole fédérale, cinq au Conseil national et deux aux Etats. Sur cette base purement mathématique, on pourrait considérer que l’enjeu y est dérisoire.

Qu’on se détrompe! En sollicitant Magdalena Martullo-Blocher, soit la fille aînée de Christoph Blocher, l’UDC attaque le PBD dans le fief même de sa conseillère fédérale, Eveline Widmer-Schlumpf. Il a ainsi conféré à cette campagne cantonale une symbolique nationale.

L’UDC a bien choisi son moment. Le canton a beau afficher l’un des taux de chômage les plus bas de Suisse (moins de 2%), son économie tousse. Son tourisme souffre terriblement du franc fort; son secteur de la construction accuse les effets de l’initiative sur les résidences secondaires; quant à son énergie hydraulique, elle n’est parfois tout simplement plus rentable.

Dans un tel contexte, qui de mieux qu’une figure comme la patronne d’Ems-Chemie – le fleuron de l’économie grisonne – pour sauver la situation? Livio Zanolari, l’ancien porte-parole de son père Christoph lorsqu’il était au Conseil fédéral, avait déjà lancé cette idée en 2011.

«Regardez tout ce qu’elle a accompli pour l’économie de ce canton. C’est elle la plus qualifiée pour parler des conséquences du franc fort. Avec de telles compétences, elle pourrait donner des impulsions au Parlement à Berne», estime-t-il.

Marionnette ou copie conforme?

Sur le plan économique effectivement, Magdalena l’héritière industrielle a fait taire tous ceux qui l’attendaient au virage. Elle a non seulement assumé ses responsabilités à un moment délicat de sa vie privée: après l’élection de son père au Conseil fédéral en décembre 2003, elle reprend en toute hâte les rênes d’Ems-Chemie, alors même qu’elle est enceinte de son deuxième enfant.

Mais encore, elle développe l’entreprise grâce à un flair indéniable pour tabler sur les produits et les marchés d’avenir. Ems-Chemie, spécialisée dans les matériaux polymères dont l’industrie automobile raffole, a enregistré des résultats record en 2014: un bénéfice de 420 millions sur un chiffre d’affaires de 2 milliards. Elle occupe 2900 employés, dont 1000 en Suisse.

Pour ce qui est de l’héritière politique, en revanche, les auspices s’annoncent moins favorables, même si le président de l’UDC Toni Brunner la cite déjà parmi les papables pour le Conseil fédéral. Son mari et les nounous s’occupant de ses trois enfants, elle promet de déléguer davantage au sein de l’entreprise afin de dégager du temps pour Berne.

Elle n’en a certes pas trouvé pour recevoir L’Hebdo – contrairement à tous les autres candidats sollicités –, mais elle tient à relever le défi. Une nouvelle mission l’attend: stopper la hausse des dépenses de la Confédération, baisser les impôts et autres taxes et, surtout, empêcher la sortie du nucléaire.

Si elle n’est pas une marionnette de son père, Magdalena Martullo-Blocher n’en demeure pas moins une copie conforme, allant bien au-delà de la ressemblance physique. Même message populiste, mêmes slogans sans nuances, même détestation de l’establishment et de l’Etat tentaculaire.

Dans une interview au Tages-Anzeiger, elle révèle une culture politique qui ne manque d’inquiéter. Elle y fait notamment l’éloge de la Chine et des compétences économiques de ses dirigeants. Mais lorsqu’on lui demande si c’est vraiment le modèle à suivre en matière de démocratie, elle répond: «A quoi sert la démocratie en Europe, où les politiciens font des promesses qui ne sont pas finançables?»

Bien que respectée voire crainte, Magdalena Martullo-Blocher s’est fait peu d’amis dans le canton. Son style de management rustique, qui fait l’objet sur le Net d’une vidéo déjà visionnée à plus de 200 000 reprises, agace beaucoup de monde.

Sans parler de son côté donneuse de leçons: lorsqu’elle rencontre le gouvernement grison, c’est pour dicter ses vues plutôt que pour engager un dialogue. Quand elle invite le Grand Conseil à visiter son entreprise, c’est pour mieux souligner toutes les lacunes en matière de conditions-cadres pour l’économie.

Avec les médias, elle veut tout maîtriser, allant un jour jusqu’à vouloir relire toutes ses déclarations faites en conférence de presse, ce que les journalistes ont refusé !

Manque d’ancrage

Sa candidature souffre d’une tare qui pourrait s’avérer rédhibitoire. Bien que son entreprise soit située à Domat/Ems (GR), la CEO réside à Meilen, sur la riviera chic du lac de Zurich, et dirige son entreprise depuis ses bureaux de Herrliberg, situés juste en contrebas de la villa paternelle.

Ce que tout le monde serait prêt à lui pardonner si elle s’intéressait vraiment à la diversité du seul canton trilingue de Suisse. Mais ce n’est pas franchement le cas: «Les Grisons sont un canton alpin avec des besoins spécifiques pour son agriculture de montagne, son tourisme et sa diversité culturelle. De tout cela, elle ne connaît presque rien», déplore la conseillère nationale socialiste Silva Semadeni.

Hormis les socialistes, ses adversaires politiques rechignent pourtant à attaquer Magdalena Martullo-Blocher de front: «Elle n’a jamais été ancrée dans les Grisons, ni dans la politique ni dans la société. Mais ne me citez pas sur ce point», entend-on. «Elle ne m’a encore jamais salué», s’irrite un député pourtant fort connu.

Cela n’étonne pas le rédacteur en chef de la Südostschweiz, David Sieber. «Ses adversaires ont peur d’elle et de son aura d’entrepreneur qu’elle exploite beaucoup. Personne n’ose dire que c’est l’UDC qui nuit le plus à l’économie de ce canton avec son initiative sur l’immigration de masse», relève-t-il.

Les trois partis du centre droit, le PLR, le PBD et le PDC, combattent donc à fleurets mouchetés. Face à l’UDC, ils ont conclu un apparentement de leurs trois listes, une forme de front républicain bourgeois unique en Suisse.

Une question de style avant tout: «C’est l’une de nos grandes qualités: nous les Grisons savons mener des débats dans le respect de l’adversaire politique», souligne le président cantonal du PBD, Andreas Felix. «Quant à l’UDC, elle aime faire reporter la faute des problèmes sur les autres en jouant sur la peur des gens. Mais c’est un signe de faiblesse et non de force», ajoute-t-il.

Ah, la culture du dialogue ! On peut la dénigrer et dire d’elle qu’elle ne traduit qu’un besoin obsessif d’harmonie mais, dans les Grisons, on l’érige en vertu cardinale. C’est elle qui caractérise le mieux les trois leaders des listes du centre droit.

Le PBD compte sur Duri Campell pour assurer sa présence au Conseil national. Cet agriculteur de montagne et professeur de ski – qui compte la famille Casiraghi parmi ses clients – ne cache pas «qu’il préfère les actes aux slogans de l’UDC».

Pour sa part, le PLR table sur un radical atypique, aujourd’hui président du Grand Conseil: Hans Peter Michel. Cet ancien Landamann de Davos avait beaucoup fait parler de lui lorsqu’il a joué avec succès les médiateurs dans le conflit opposant le Forum économique mondial (WEF) à ses opposants. C’est en principe lui qui devrait profiter de l’apparentement du centre droit.

En refusant toute alliance voici quatre ans, le PLR avait perdu son siège au profit du Vert’libéral Josias Gasser. Elu en 2011 grâce à un apparentement de circonstance avec les socialistes, celui-ci pourrait bien perdre son siège. Bien que très engagé dans la stratégie énergétique 2050, ce politicien monothématique a déçu la gauche sans convaincre la droite.

Réserve noire

Mais, au centre, l’homme qui émerge est sans aucun doute Martin Candinas, que certains verraient bien succéder à Christophe Darbellay à la tête du PDC suisse. Pour ce jeune papa (35 ans) de trois enfants en bas âge, cette occasion survient trop tôt, car elle le priverait de toute vie familiale.

Il n’empêche: ce représentant de la Surselva – cette région que la gauche appelle «la réserve noire» tant elle est fidèle au PDC – a déjà montré à Berne qu’il était capable de réaliser la synthèse entre l’aile progressiste et l’aile conservatrice du parti.

Il est pour un deuxième tube routier au Gothard, mais s’engage aussi pour l’introduction d’un congé parental de deux semaines qui a trouvé une majorité en commission. Surtout, il s’est fait l’avocat d’un service public fort à l’occasion de la votation sur le nouveau mode de perception de la redevance de la SSR.

Martin Candinas se montre aussi très modéré dans la question des relations entre la Suisse et l’UE. «Les accords bilatéraux sont sacrés pour moi», dit-il. Mais il ajoute dans la foulée qu’il souhaite davantage de contrôles pour juguler les abus en relation avec la libre circulation des personnes et combattre le dumping social. «Je trouve dommage que certaines entreprises aient peur de ces contrôles qui sont dans l’intérêt de l’économie suisse.»

Poids des subventions

C’est le grand paradoxe de cette campagne grisonne. Electrisés par la candidature de l’héritière de la dynastie Blocher, les médias négligent d’autres personnalités, dont certaines paraissent bien plus prometteuses.

A gauche, l’homme qui monte est Jon Pult: 30 ans seulement, mais déjà président du PS grison et de l’Association de l’initiative des Alpes. Parfait trilingue – romanche, italien et allemand –, ce politicien professionnel a connu son heure de gloire lorsqu’il s’est opposé à la candidature grisonne pour les Jeux olympiques de 2022. Il a pris beaucoup de coups, est passé pour un «traître au canton», mais a triomphé dans les urnes en 2013.

Déjà invité par l’émission satirique de Viktor Giacobbo à la TV alémanique, une forme de reconnaissance pour un politicien outre-Sarine, Jon Pult ira loin, de l’avis unanime des observateurs. Certains le voient déjà au Conseil d’Etat grison, d’autres comme Peter Bodenmann à la présidence du PS national à moyen terme.

S’il n’accédera probablement pas encore cette année au Conseil national – sa colistière Silva Semadeni devrait conserver son siège –, il acquerra une envergure nationale en livrant son prochain combat contre le deuxième tube routier au Gothard au printemps 2016.

Dans l’immédiat, il se réjouit de croiser le fer avec Magdalena Martullo-Blocher. «Lorsque celle-ci veut réduire drastiquement les dépenses de la Confédération, elle oublie que cela se fera inévitablement au détriment de notre canton, dont le budget dépend à 50% des subventions fédérales et de la péréquation financière. Ce serait une catastrophe pour les Grisons.»

Règlement de comptes

C’est encore aux Grisons qu’on trouve la personne qui pourrait endosser le rôle de Winkelried de l’UDC pour détrôner Eveline Widmer-Schlumpf de son siège au Conseil fédéral: Heinz Brand. Cet ancien chef de l’Office cantonal des migrations fait partie du cercle étroit de ceux qui dictent la politique de l’UDC sur l’asile lorsqu’elle prône un moratoire ou la construction de centres fermés pour requérants récalcitrants. Des positions très dures qu’il sait enrober de diplomatie, contrairement au chef du groupe, Adrian Amstutz.

Agé de 60 ans, Heinz Brand ne s’emballe pas. «Attendons les élections du 18 octobre», dit-il à propos d’une éventuelle candidature au Conseil fédéral. Il est bien placé pour savoir que la politique réserve des surprises.

Vu sa notoriété, tout le monde s’attendait à ce qu’il accède au Conseil d’Etat grison l’an dernier. Mais sa candidature s’est soldée par un échec plutôt cinglant. A Berne, il a perdu son étiquette de politicien monothématique en reprenant la présidence de la faîtière des caisses maladie santésuisse.

Mais c’est toujours sur l’immigration qu’il se profile le plus. Comment entrevoit-il la mise en œuvre de l’initiative UDC approuvée en 2014? «Il faut tabler sur une immigration qualitative et ne comptabiliser que les permis de plus de cinq mois», déclare-t-il.

Heinz Brand contre Eveline Widmer-Schlumpf: l’affrontement aurait des allures de règlement de comptes entre Grisons: d’un côté, le gardien de la doctrine blochérienne; de l’autre, la «traîtresse» qui a bouté le tribun de l’UDC hors du Conseil fédéral en 2007.

On n’en est pas là. Pour l’instant, l’UDC grisonne a surtout incité les autres partis à regrouper leurs forces et s’est retrouvée politiquement isolée. Et l’atout Magdalena Martullo-Blocher est loin de susciter l’enthousiasme général. 

Malgré son aura d’entrepreneur à succès, l’héritière désignée n’a pas encore son billet pour Berne. Dénuée du charisme de son père, elle n’a pas, jusqu’ici, gagné le cœur des électeurs grisons, pour qui elle reste d’abord «la dame de Meilen et de Herrliberg».

 

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