Dossier. L’école n’arrive plus à inculquer la maîtrise de l’orthographe au plus grand nombre, même si cette dernière reste capitale pour avoir accès au monde du travail. Avec les nouvelles technologies, l’usage de l’écrit correspond de moins en moins aux règles. Politiciens frileux et maîtres d’école réfractaires bloquent des réformes qui permettraient d’adapter une graphie souvent arbitraire, voire absconse.
Il a fauté. Lui, l’irréprochable Bernard Pivot, président de l’Académie Goncourt, auteur des fameuses dictées, acharné défenseur des règles orthographiques… Il a posté ce message sur Twitter le 15 juin dernier, peu après avoir fêté ses 80 ans: «Ennemis naturels, l’eau et le feu, tombant du ciel, ne son unis que pendant les orages.»
Faire des fautes de français, comme d’oublier le «t» à la troisième personne du pluriel du verbe être, c’est un peu comme se curer le nez en public: un manque d’égard par rapport à soi et aux autres. Hélas, l’orthographe et la syntaxe semblent de plus en plus malmenées.
Le français perd en qualité. Les documents officiels ne sont pas épargnés par ce laisser-aller, à l’image du permis de conduire suisse, format carte de crédit, où l’on peut déchiffrer (armé d’une loupe, il est vrai) un «permis de conduiere».
A l’oral, cela ne vaut guère mieux. Les Suisses romands répètent à l’envi les pléonasmes «au jour d’aujourd’hui» ou «monter en haut». Sans parler des anglicismes. Il n’est pas rare de «checker ses mails». «Relever ses courriels» serait plus élégant. What else?, demande la publicité. N’en jetez plus, la coupe est pleine.
Il fut un temps où le français essaimait partout (près de 75% du lexique anglais est issu de la langue de Molière). Les emprunts entre langues ont toujours existé, pas de quoi s’alarmer. Sauf que, dans le cas de «lifestyle», «coach», «booster» ou «briefing», des mots, plus précis, existent déjà en français. Il s’agit donc de snobisme. Pour essayer d’être «cool», si vous préférez.
Le lexicographe français Jean Maillet collectionne graphies erronées, mais aussi pléonasmes, fautes de liaison, pataquès, barbarismes, anglicismes, abréviations, autant de négligences qui «pullulent» aujourd’hui, telles des bactéries pathogènes. Son ouvrage Langue française, arrêtez le massacre! paraîtra en édition augmentée chez l’Opportun, le 10 septembre.
L’auteur pousse le vice jusqu’à corriger Saint-Exupéry, Flaubert ou Edith Piaf dans le texte. A le lire, il faudrait renoncer à la belle expression «l’été indien», qui vient, elle aussi, de l’anglais. Comment, jeter Joe Dassin aux orties? Cette obsession d’une langue «pure» laisse songeur.
Mais pour Jean Maillet – et nous le rejoignons sur ce point – chercher la correction n’est pas une simple question de cosmétique. C’est le cœur de la langue qui est touché, et par conséquent la pensée qu’elle véhicule.
«Si on veut avoir une pensée claire, il faut avoir les mots pour la dire. A l’inverse, si on ne peut plus communiquer ce que l’on pense, alors on peut être porté à la violence verbale, voire physique.»
L’école dépassée
En Suisse, le philosophe Jean Romain partage ce point de vue. «L’écart entre les serial largués (sic) et ceux qui maîtrisent les règles se creuse. Or, la langue structure la pensée, ce qui fait la richesse intérieure d’un être. Je crains qu’on ne donne pas aux jeunes les moyens de verbaliser leur pensée.»
Celui qui se définit comme un «mécontemporain» a cofondé en 2001 l’Association refaire l’école (ARLE) à Genève. «Il nous manque la fierté de parler notre langue. C’est plus important que toutes les règles.» Enseignant genevois, il a «claqué la porte de l’école», en désaccord avec une pédagogie qui, selon lui, préfère supprimer les difficultés plutôt que d’aider l’élève à les surmonter.
La maîtrise de l’orthographe a baissé, quelques études l’ont montré. En 2005, le niveau d’un Français de 12 ans équivalait à celui d’un élève de 10 ans en 1987.
Marcel 2, maître de français du secondaire dans le Nord vaudois, critique le système d’enseignement: «Le problème numéro un, c’est le manque de matériel adéquat. Pendant cinq ans, nous n’avions plus de livre scolaire de référence pour l’orthographe.» Il considère qu’on demande l’impossible aux élèves, dans le temps imparti.
«Si on veut apprendre à écrire correctement, alors il faut y consacrer trois heures par jour. Est-ce que c’est vraiment ce qu’on veut? Moi-même, après quinze ans d’enseignement, j’ai encore des doutes sur 5% des accords du participe passé.» Marcel est révolté de voir des élèves quitter l’école à 15 ans, «nuls» à l’écrit. «Cela les dessert au niveau professionnel. Ils se retrouvent exclus de leur propre langue.»
Qu’en est-il au gymnase, où l’orthographe est censée être acquise? Dans certains cas, il arrive que Sarah Duperrex, enseignante de français au Gymnase du Bugnon, à Lausanne, souligne 50 erreurs dans une seule dissertation. «Même les textes rédigés à l’ordinateur sont parfois truffés de fautes. Les élèves concernés ne se relisent pas!»
L’enseignante essaie de les convaincre, avec un argument qui les touche: «Je leur dis que c’est leur carte de visite. Dans notre société d’apparence, ils accordent beaucoup d’importance à leur habillement, à leur style, pourquoi pas à leur écriture?» Hélas, ils ne sont pas toujours réceptifs.
«Pour eux, c’est du détail, puisqu’ils peuvent se passer de l’orthographe dans leurs messages privés.» Pour sauver les meubles, l’enseignante a adopté l’idée d’une de ses collègues, à savoir instaurer de petites rédactions libres, rédigées à domicile.
Pour avoir la moyenne, il ne faut pas dépasser quatre fautes. «Ce n’est pas sur le programme, mais toujours plus de collègues le font.» Cela nécessite de corriger 480 textes sur l’année, une charge supplémentaire.
Former des citoyens
Les thuriféraires des règles accusent l’école de tous les maux. Faut-il revenir à l’enseignement d’avant-Mai 68? On oublie que les programmes se sont diversifiés et enrichis ces dernières décennies. A des élèves qui répètent par cœur des règles arbitraires, on préfère des citoyens qui réfléchissent par eux-mêmes.
Dominique Bétrix, professeure formatrice à la HEP Vaud, précise: «Nous enseignons à comprendre plusieurs genres de textes et à en rédiger, c’est cela qui importe. Nous voulons des élèves qui savent écrire, dans l’usage concret.» En passant, elle récuse le terme de «faute».
«Il a une connotation morale. Je préfère parler d’«erreur». On a besoin de passer par des erreurs pour progresser.» La démarche réflexive est privilégiée, avec par exemple l’exercice «La phrase dictée du jour». Les élèves en discutent, argumentent, avant que le professeur donne la réponse.
Mais comment réagir lorsque les règles contredisent le bon sens?
Nouvelles technologies
Les anti-modernes accusent aussi les nouvelles technologies d’entraîner le saccage de la langue écrite. Même Bernard Pivot s’est pris les pieds dans le tapis. Il est vrai que, pour les néophytes, ce type de message peut paraître de prime abord saugrenu: «S ke tu pe HT 1 kdo?»
Les nouveaux moyens de communication ont modifié l’usage de l’écrit. Nul besoin de maîtriser l’orthographe pour s’exprimer sur l’internet ou par texto. La linguiste Marie-José Béguelin a étudié à l’Université de Neuchâtel la langue et les façons d’écrire mises en œuvre dans les SMS. Elle y voit au contraire le signe d’une démocratisation libératrice.
Des codes nouveaux émergent, sans que le code standard soit supplanté. «On observe que les jeunes auteurs de SMS adaptent leur style en fonction de leur destinataire: messages en «écriture SMS» quand ils s’adressent à leurs condisciples, messages en graphie standard (à peu de chose près) quand ils écrivent à leurs parents ou à quelqu’un qui n’appartient pas à leur sphère d’amis.»
Et la technologie, vecteur de normes, permet de déléguer. «Connaître impeccablement l’orthographe, c’était une compétence très utile à une époque où l’on rédigeait à la main ou à la machine à écrire, où les outils de correction n’étaient pas automatisés. Aujourd’hui, l’existence de correcteurs intégrés rend la maîtrise parfaite des règles moins nécessaire au niveau individuel.»
Le monde du travail
Pourtant, il est toujours nécessaire de maîtriser les règles de l’écrit pour accéder au monde du travail. Edna Didisheim, directrice associée du cabinet de consultants RH Didisheim, à Lausanne, confirme que l’orthographe est cruciale dans les exigences des employeurs.
Elle a l’occasion de rencontrer des profils d’universitaires, parmi les plus formés en Suisse, et «beaucoup ne maîtrisent pas l’orthographe». Elle constate de plus en plus d’abréviations (par exemple «bcp») dans les lettres de candidature.
«Ces personnes ne se rendent pas compte que ceux qui les liront tireront des conclusions sur leur personnalité et leurs capacités.» Par extrapolation, les fautes seront interprétées comme un manque de soin, de motivation, de rigueur, de précision, d’adaptabilité aux normes, voire de sens de l’analyse. En général, après la deuxième faute, un recruteur passe à une autre candidature. «Même de façon irrationnelle, cela entame la confiance.»
Même constat chez Manpower. «Une lettre avec des fautes, cela veut dire que le candidat n’a pas pris le temps de relire ou de faire relire. Avec les correcteurs automatiques, on a encore moins d’excuses de laisser des fautes», explique Romain Hofer, directeur du marketing et de la communication.
Aurelia Cellammare, à Manpower Delémont, a parfois récrit des lettres pour aider ses candidats. La précision, dans l’industrie horlogère qui recrute dans la région, est très importante. Elle remarque un problème plus général de forme. La syntaxe et la ponctuation se perdent. «Certains rédigent leur lettre d’un bloc, comme un e-mail.»
Oser le mot «réforme»
Souvenez-vous du footballeur français Franck Ribéry, capable de déclarer devant un micro: «J’espère que la roue tourne va vite tourner» ou «C’est toujours une ville que j’aime bien venir». Il est de bon ton de se gausser de ceux qui commettent des erreurs.
Mais, après avoir ri à satiété des «losers» de l’orthographe et du langage (pour le plaisir de l’anglicisme), que faire? Il est si valorisant, lorsque l’on sait, de se moquer de ceux qui ne savent pas. Une autre solution s’offre à nous: agir et simplifier l’orthographe.
Lancez l’idée dans la conversation: le débat devient aussitôt affectif. Revenons encore une fois à Bernard Pivot. Pépiant sur Twitter, il parlait d’orage. De l’eau et du feu, ces «ennemis naturels». C’est la même chose entre pro- et anti-réforme.
Alors que le consensus régnait sur le constat de la dégradation de l’orthographe, voici que deux clans s’affrontent. Certains sont prêts à en venir aux mains pour qu’«éléphant» garde son «ph» et «genou» son «x» au pluriel.
Pourtant, beaucoup d’usagers n’ont pas conscience que l’orthographe n’a cessé d’évoluer à travers les siècles. Que les formes que nous connaissons aujourd’hui ont été pour bon nombre instaurées pour que les édiles puissent mieux se démarquer du peuple. Pour faire savant, on a ainsi ajouté un «g» à «doigt» au XVIe siècle. Sous prétexte que «doigt» vient de «digitus» en latin, il était de bon ton de rappeler son étymologie. Sauf que «doigt» vient du latin «dita»…
Le français écrit ne correspond pas au français oral. Tout le problème vient de là. En 1771 déjà, Voltaire prônait: «L’écriture est la peinture de la voix; plus elle est ressemblante, mieux elle est.» Une orthographe simplifiée ne nous préserverait pas des anglicismes et autres pléonasmes, mais elle permettrait aux jeunes francophones de maîtriser leur langue à l’écrit. D’instaurer une lisibilité, une logique qui diminueraient de beaucoup le nombre d’erreurs. L’Allemagne ne l’a-t-elle pas réalisé avec succès en 1996?
En 1989, sous l’impulsion du premier ministre Michel Rocard, le Conseil supérieur de la langue française a rédigé des propositions de réforme (adoptées en 1990) concernant notamment l’accent circonflexe, le trait d’union et le pluriel des noms composés.
Il faudra attendre 1996 pour qu’elles soient appliquées en Suisse. Mais, même adoubées par l’Académie française, elles ont suscité de violentes résistances. C’est en 2012 seulement que Larousse intègre la nouvelle graphie.
La France est la plus réfractaire aux réformes. Ce n’est pas le cas du Québec ni de la Belgique, encore moins des pays africains. Et en Suisse? A la HEP Vaud, les étudiants sont formés aux rectifications de l’orthographe, mais Dominique Bétrix estime que 50% y sont opposés. Selon une étude en milieu scolaire, seuls un tiers des professeurs les connaissent et les enseignent.
Marinette Matthey, linguiste suisse enseignant à l’Université Stendhal-Grenoble 3, membre de la Délégation à la langue française, rencontre parfois une certaine acrimonie. Ce fut le cas à la HEP, où elle est venue parler réforme aux futurs enseignants des cantons de Berne, du Jura et de Neuchâtel.
«Aborder cette question, pour certains, c’était déjà trop transgressif!» Elle est consciente que l’époque n’est pas propice à une refonte d’envergure. «Si un gouvernement français s’y engageait
aujourd’hui, il serait probablement contraint à la démission.»
Agacée par les fautes que laissent ses élèves universitaires dans leurs travaux, elle sait aussi que «les erreurs d’aujourd’hui sont le signe de la langue à venir». Le français écrit de demain est déjà en train d’émerger.
«Pour apprendre, il faut des règles, mais avec le minimum d’exceptions. On devrait penser l’orthographe pour les jeunes qui l’apprennent. Est-ce que c’est l’intérêt des anciennes générations qui doit primer?»
L’orthographe du futur
Les projets de réforme existent. Ils ont été patiemment, amoureusement élaborés par un groupe d’experts rassemblés dans l’association Erofa (Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française d’aujourd’hui), qui se réunit à Paris sous l’égide de Claude Gruaz. Il y a par exemple le cas des «x» du pluriel. Pourquoi «hiboux» et pas «hibous»?
«Historiquement, précise Claude Gruaz, le «s» était la marque du pluriel, bien avant qu’on introduise le «x». C’est le genre de complication dont on a hérité, mais on nous dit que c’est du patrimoine!» Ou le cas des doubles consonnes qui n’ont pas de répercussion à l’oral.
A ce sujet, des dizaines de milliers d’exemples ont été étudiés. Il en ressort une liste de plus de 7800 mots qui pourraient être aisément simplifiés. On écrira peut-être un jour «abérant», «ghéto», «cone», «éoliène» «colier», «vedète» ou «zigounète». Mais le nerf de la guerre, ce sont les accords du participe passé, dont la révision pourrait faire gagner un temps considérable aux élèves et aux professeurs.
Le linguiste regrette que l’orthographe devienne un musée. «On peut admirer le château de Chambord. Mais qui pourrait y vivre?» Claude Gruaz se verrait bien en architecte haussmannien, traçant de larges avenues dans l’impénétrable réseau de venelles des exceptions de l’orthographe française.
«Dans les petites rues, on se perd et on craint à chaque instant les embuscades.»
Le français n’existe pas
Dans ce débat, le point de vue de Jean-Marc Luscher, maître d’enseignement et de recherche, directeur de la Maison des langues à l’Université de Genève, permet de relativiser les choses. «Tout d’abord, LE français n’existe pas, il y a des français. Le français parlé en Suisse romande n’est pas le même que celui qui est parlé à Paris. La norme n’est pas le reflet des pratiques, dans leur diversité. A l’écrit, c’est la même chose.»
Le respect absolu des règles pour les règles lui paraît critiquable. «La dictée est un exercice vain. Il est relativement facile de fabriquer de petits grammairiens modèles, de faire ingurgiter des règles… Mais cela ne veut pas dire qu’ils vont utiliser intelligemment la langue.
Avec cet exercice, on n’aura rien compris des réelles capacités d’une personne.» Ce qui compte, encore une fois, c’est de savoir utiliser la langue socialement.
Une noble cause
Aurons-nous le courage d’une réforme de plus grande ampleur qu’en 1990? Accepterons-nous de gommer notre privilège d’«élite» instruite, pour rendre l’orthographe française plus limpide? Réformer ne veut pas dire niveler par le bas ni supprimer les règles. L’exigence de qualité et les normes devront continuer à être enseignées.
Le goût du langage précis, élégant, efficace. Avec un français dont les règles auront été rendues plus transparentes, les erreurs de graphie et de langage se verront d’autant plus facilement et pourront être corrigées.
Pour arrêter de «massacrer» l’orthographe, il faut ajuster son cadre. Puisque la société a besoin de règles, redonnons-lui des règles: plus cohérentes, plus fortes et plus démocratiques.
Extraits. En plus de ceux qui se seront peut-être glissés dans cet article, florilège de quelques «crimes linguistiques» édifiants et amusants, dénichés dans la publicité, les discours politiques ou la chanson.
Jeu de massacre
Fautes d’orthographe
«Je me réjouie de ne pas être la seule jalouse.» Extrait de «Merci pour ce moment», de Valérie Trierweiler, Editions des Arènes.
«Permis de conduiere», c’est ce qui figure sur les permis de conduire suisses, format carte de crédit, au verso, sur une ligne verticale (microscopique il est vrai).
«Nous avons l’œil pour les details», se vantait la compagnie Swiss sur ses publicités. En omettant l’accent aigu.
«Je con pran pa pk lé fot dortograf c mal.» Trouvé sur le Net, un clin d’œil cité par la linguiste Marinette Matthey dans ses cours.
«Ont à tous un prof qui nous à rien apprit...» Déniché sur la page Facebook Les pires fautes d’orthographe.
«La senseur remarche vous pouver le prandre o rés de chausé mercie.» Exemple recensé sur le site www.bescherelletamere.fr
Fautes de grammaire
«Un jour je courirai moins / Jusqu’au jour où je ne courirai plus.» Le chanteur Alain Bashung, sur son titre «Résidents de la République», en 2008. Une maladresse revendiquée qui amène quelque chose de fragile et d’humain, dans un titre d’une grande mélancolie. Bashung nous fait pour la première fois aimer les fautes.
«Il a fallu qu’avec Madame Merkel nous rattraprions tout ce qui n’avait pas été fait.» Nicolas Sarkozy, lors d’une interview télévisée en 2011.
Confusions de lexique
«Les fruits sont de moyenne à grande, rouge foncé avec une saveur de baise sauvage.» Migros vendait des fraisiers en 2013, accompagnés d’une étiquette comportant deux fautes, l’une cocasse.
Pléonasmes
«En tout cas, si je compare aux deux législatures précédentes, il n’y a pas de point de comparaison.» Christophe Darbellay, président du PDC suisse, sur les ondes de RTS La Première, le 25 avril 2013. La revue satirique «La Distinction» l’avait retenu pour concourir à son Grand Prix du Maire de Champignac.
«S’avérer exact», «Cohabiter ensemble», «constellé d’étoiles», «A partir de dorénavant», «S’entraider mutuellement», «Exterminer jusqu’au dernier», «Surprendre à l’improviste», «Panacée universelle», «Prévoir à l’avance», «Renouveler ultérieurement», «Répéter la même chose», «Reporter à plus tard», «Tri sélectif»... Des tautologies comme s’il en pleuvait!
«Veuillez laisser votre message après le bip sonore.»
Un bip est déjà un signal sonore.
Lieux communs
«Je constate qu’on cède toujours avec le couteau sous la gorge et le poignard dans le dos, et ça, ça me fait mal au ventre.»
Micheline Calmy-Rey, ancienne conseillère fédérale, interviewée sur RTS La Première, le 4 juin 2013. La phrase n’avait pas échappé non plus à la revue critique «La Distinction».
Tout comme cette perle de Céline Amaudruz, présidente de l’UDC genevoise, un an auparavant: «Monsieur Maudet vomit sur l’UDC depuis beaucoup de temps: ça, c’était dur à faire avaler.»
Redondances
«Salué unanimement par tout le monde» Nicolas Sarkozy à Cannes, en 2011.
Anglicismes
«Nous préparons l’alternative.» Marion Maréchal Le Pen, sur France 2, en 2013. Employé dans le sens de «solution de remplacement», le mot «alternative» est un anglicisme, nous apprend le grammairien Jean Maillet. En français, une alternative offre toujours le choix entre deux options. Il faudrait donc parler de «solution de remplacement». Ou, dans le cas présent, d’«alternance».
«Les Français (...) ne sont que 32% à penser que le Premier ministre est en mesure de mener à bien la réforme fiscale qu’il a lui-même initiée.»
Lu dans le journal «Libération». Initier, en français, a un tout autre sens que le «to initiate» anglais (commencer, débuter). Il signifie «admettre à la connaissance
de cultes secrets», et plus généralement «apprendre, enseigner».
« Il n’y a aucune raison de dispatcher les budgets entre diverses enseignes.»
Pourquoi continuer à utiliser «dispatcher», mot anglais signifiant «expédier», pour dire «répartir», «distribuer» ou «ventiler»?
Confusions des genres
«Un espèce de chalet» Le genre du mot «espèce» est toujours
féminin. On doit dire «Une espèce de...».
Syntaxe
«Pour pallier à la pénurie» On devrait dire «pour pallier la pénurie». «Pallier» est un verbe exclusivement transitif direct, rappelle Jean Maillet.
Confusions de lexique
«Les particuliers ont fait des économies conséquentes.» Elise Lucet, dans le journal de 13 heures, sur France 2. «Conséquent» n’est pas synonyme de «considérable». Il signifie «qui agit ou raisonne avec esprit de suite».
«Il faut que votre doigt se dilate sur la gâchette et que le coup parte sans que vous le décidiez vraiment.» Frédéric Dard, alias San Antonio, «J’ai peur des mouches», Fleuve Noir, 2010. Même un bon auteur de polar confond «détente» et «gâchette».
Accords du participe passé
«La réforme que nous avons faite voter avec Monsieur Fillon.» Nicolas Sarkozy, encore lui, lors d’une interview télévisée en 2011. Cette fois, avouons-le, aurions-nous fait mieux? La forme correcte est: «Que nous avons fait voter.» Le participe passé du verbe «faire» est toujours invariable lorsqu’il est suivi d’un infinitif, même pronominal.
Liaisons
« Des sanctions économiques (…) doiv’être envisagées, doiv’être en tout cas préparées.» Le président Hollande respecte le français normé. Mais il omet des liaisons, et aurait dû prononcer «doivent [t]être».
«La faute est un acte manqué»
Pour la psychanalyste parisienne Sylvie Pouilloux, notre orthographe est révélatrice de notre inconscient.
Vous écrivez que des luttes de pouvoir se jouent dans l’orthographe. A quoi faites-vous référence?
Notre orthographe dit quelque chose de notre rapport à l’autre et à la culture, porte l’empreinte des rapports sociaux dans lesquels nous nous inscrivons (la famille, la société). Dans ce contexte symbolique et relationnel, la faute n’est pas seulement arbitraire, elle est un symptôme.
Elle peut être l’expression d’une rébellion contre un parent trop normatif ou une société discriminante. Elle conteste des valeurs, véhiculées par l’orthographe. Par exemple, dans la règle, c’est le masculin qui l’emporte. Cela sous-entend une hiérarchie entre les êtres: il y aurait un genre plus noble que l’autre.
Il faut rendre cette lutte de pouvoir consciente, en expliquer le fonctionnement, pour permettre aux gens de s’approprier leur culture. Tant qu’on ne le fait pas, elle continuera de se traduire par des fautes.
Faire des fautes, n’est-ce pas humain?
Psychiquement, je dirai qu’il est sain de faire quelques fautes d’orthographe. Les enfants qui n’en font aucune sont en danger! Ils sont tellement dans le désir de plaire qu’ils n’ont plus de place pour la distanciation.
L’idéal de perfection scolaire, exigée par certains parents, et la santé psychique ne marchent hélas pas ensemble. La création est forcément un peu dans la marge: penser, c’est avoir sa singularité, être en rébellion.
Etes-vous favorable aux réformes?
S’il faut en passer par là pour que l’orthographe continue d’être pratique, vivante, qu’elle soit encore un signe d’élégance, alors oui. Mais pas pour le seul plaisir de réformer. Je constate une crispation, de la part de certains, à accueillir le présent, le changement.
Personnellement, je ne crois pas du tout que ce soit la fin du monde. Si l’anglais domine, à terme, pourquoi pas? Nous deviendrons bilingues. L’anglais est une très belle langue. De toute façon, la société est plus forte que nous, et elle avance. Il faut savoir accepter une défaite momentanée, pour gagner plus tard.