Zoom. Mises à l’encan, les possessions des barons Grand d’Hauteville témoignent pour certaines d’entre elles de la constitution des Etats-Unis.
Un jour, Benjamin Franklin a installé l’une de ses inventions sur le château d’Hauteville, au-dessus de Vevey. Du même coup, la Suisse était équipée de son premier paratonnerre, géniale trouvaille du scientifique et politicien américain. Le fil métallique est toujours en place, reliant le ciel à une terre et une famille nobles de la région. Les Grand d’Hauteville mettent en vente leur propriété de 30 hectares qui surplombe le Léman et à peu près tout le contenu de la demeure néoclassique. L’hoirie qui s’occupe de la propriété n’a plus les moyens de l’entretenir. La bibliothèque de 4000 ouvrages, l’argenterie, l’horlogerie, les bijoux, les meubles, des œuvres d’art, des costumes ou des décors de théâtre seront mis à l’encan au château les 11 et 12 septembre prochains par l’Hôtel des ventes de Genève. Pour sauver un rien la mémoire des lieux, les archives familiales ont été confiées au canton de Vaud, la plupart des tableaux des aïeux rejoindront bientôt le Musée national suisse et une superbe collection de jeux anciens a rejoint le Musée du jeu de La Tour-de-Peilz.
Le fil conducteur de Franklin, qui était un ami de la famille, symbolise les liens entre les Grand d’Hauteville et les Etats-Unis d’Amérique. Philip Grand d’Hauteville, l’un des membres de l’hoirie, parle volontiers de son arrière-grand-père, qui était capitaine dans l’armée de l’Union pendant la guerre de Sécession (1861-1865). Cet ancêtre est revenu plus tard à Hauteville, aujourd’hui sur la commune de Saint-Légier, y laissant ses costumes, ses équipements, ses notes, ses photos, dont un album de 1862 qui conserve des portraits des principaux protagonistes de la guerre civile. Ou encore un grand drapeau pris à l’ennemi confédéré.
Avant lui, un autre membre de la famille s’est illustré aux Etats-Unis. Le général Alexander Macombe est le héros de la bataille de Plattsburg en 1814 contre les Anglais, lors de la seconde guerre d’indépendance. Il a été plus tard chef des armées américaines, ainsi que le récipiendaire d’une médaille en or offerte par le président des Etats-Unis à la demande du Congrès. Cette rare récompense, réalisée à un unique exemplaire, sera mise aux enchères avec d’autres effets personnels du général Macombe, dont la petite-fille épousera le capitaine mentionné plus haut. D’où la présence de la précieuse médaille en or à Saint-Légier, ainsi que des brevets militaires signés par six présidents des Etats-Unis. Parmi eux, George Washington, dont le portrait peint fait partie du lot en vente.
Ouverture au bon peuple
Ces souvenirs, reliques et témoignages sont dans un bon état de conservation, étant restés sur place pendant des décennies, voire davantage: le château a été construit dans les années 1760. Jamais, depuis ces années prérévolutionnaires, il ne s’était ouvert au bon peuple, comme ce sera le cas les 4, 5 et 6 septembre lors de l’exposition publique. Une première en deux siècles et demi. Proposée pour une cinquantaine de millions depuis plus d’une année, la somptueuse propriété ne trouve toujours pas preneur. Elle a été proposée à l’Etat de Vaud, qui n’en a pas voulu, étant lui-même fort occupé à se défaire de son patrimoine immobilier, à l’exemple de ses cures. Pour Philip Grand d’Hauteville, la vente du château sera peut-être l’affaire de plusieurs années. La dispersion de son contenu, qui pourrait rapporter un million de francs, permettra de patienter. Que sont ces poignées de mois au regard de onze générations?