Interview. L’activité physique diminuerait notamment les risques de démence et de maladies chroniques, y compris chez les personnes qui s’y mettent sur le tard.
Il n’est jamais trop tard pour commencer à bouger. En Suisse, l’inactivité pourrait, avec le vieillissement programmé de la population, devenir un réel problème de santé publique. En effet, la proportion d’adultes insuffisamment actifs ou complètement inactifs est aujourd’hui de 35%, un taux qui grimpe à près de 60% dans la tranche des 70-75 ans, selon la dernière enquête suisse sur la santé. Ainsi, chaque année, la sédentarité entraîne au moins 2900 décès prématurés, 2,1 millions de cas de maladies et des coûts médicaux s’élevant à plus de 2 milliards de francs.
Pourtant, plusieurs études sérieuses ont démontré les effets bénéfiques de l’activité physique sur la santé, y compris lorsque l’on s’y met à un âge plus avancé. Les séniors, même n’ayant jamais fait d’exercice auparavant, peuvent ainsi notamment diminuer leurs risques de démence et de survenue de maladies chroniques, en intégrant des moments d’activité physique à leur quotidien. Explications avec le professeur Christophe Büla, chef du service de gériatrie du CHUV, à Lausanne.
A quelle fréquence l’activité physique commence-t-elle à agir comme un facteur protecteur sur les fonctions cognitives?
Le but, surtout chez les personnes plus âgées, n’est certainement pas que les gens deviennent ou redeviennent des sportifs. Même à 80 ans, le fait de passer de l’état de sédentaire à la pratique ne serait-ce que de trente minutes d’activité physique trois fois par semaine, même de manière fractionnée, permet déjà de percevoir des bénéfices réels en termes de maintien de l’état fonctionnel, ainsi qu’une amélioration des fonctions exécutives, de planification et d’organisation. Par ailleurs, une méta-analyse qui s’est penchée sur l’effet protecteur du sport sur le déclin cognitif a démontré que la magnitude des effets observés était quasiment identique entre des personnes qui pratiquaient une activité physique à haute intensité et celles avec une intensité modérée ou basse. La réduction du risque étant respectivement de l’ordre de 38 et 35%.
Tout de même, plus on est entraîné, plus les risques en termes de santé, et notamment de démence, semblent diminuer?
Il y a effectivement un facteur dose-dépendant, mais il y a aussi un effet plateau au-delà duquel on ne tire plus de bénéfices pour la santé. Il y a toutefois déjà des évidences de bénéfices en termes de maintien de l’état fonctionnel lorsque l’on passe d’un état sédentaire à celui où l’on pratique une activité, même en dessous des seuils recommandés.
Quels sont ces seuils pour les aînés?
On préconise deux heures et demie de mouvement d’intensité moyenne par semaine, comme la marche, le vélo ou le jardinage, ou une heure et demie d’activité physique d’intensité élevée, comme le nordic walking ou le ski de fond, par exemple. Mais une heure et demie d’activité échelonnée durant la semaine a déjà des effets favorables.
L’idéal est d’avoir une activité physique que l’on peut tenir sur le long terme.
En effet. Le plus important est de rester actif le plus longtemps possible. Que cela passe par le biais d’une activité physique en groupe, ou encore de manière intégrée au quotidien en changeant certaines habitudes, comme le fait de prendre les escaliers et non l’ascenseur. En outre, contrairement à certaines idées reçues, il n’y a pratiquement aucune contre-indication à commencer ou augmenter l’activité physique chez les personnes plus âgées, tant que celle-ci est adaptée à l’état de la personne.
Pour bénéficier des effets bénéfiques de l’activité physique, il vaut mieux commencer à bouger à 50 ans plutôt qu’à 70, non?
Idéalement, oui. Une étude ayant monitoré la survenue de plusieurs pathologies, y compris le cancer, sur des sujets suivis sur une longue durée, a montré que les gens les plus entraînés à 45 ou 50 ans avaient une espérance de vie allongée, que ceux-ci présentaient moins de maladies chroniques et qu’ils restaient plus longtemps indépendants. Donc non seulement ces sujets vivent plus, mais aussi mieux.
Toutefois, le plus important n’est pas de se mettre au sport intensivement sur un coup de tête puis d’arrêter, mais de pratiquer une activité régulièrement et sur le long terme.
Y a-t-il des facteurs préventifs du déclin cognitif autres que l’activité physique?
L’activité physique est clairement le type d’intervention pour lequel on a actuellement le plus d’évidences scientifiques concernant les bénéfices sur la santé, que cela soit pour la prévention des maladies cardiovasculaires, cérébro-vasculaires, la survenue des maladies chroniques, de la maladie d’Alzheimer ou encore en ce qui concerne la prévention de la dépression. Après être passé par une zone grise et des études aux résultats contradictoires, le rôle positif de l’alimentation, et notamment du régime méditerranéen, sur le plan cognitif semble aujourd’hui être démontré, tout comme celui de l’engagement social et intellectuel. Aucune preuve étayée d’efficacité n’a par contre pu confirmer, à ce jour, une éventuelle prévention des démences par la prise de ginko, d’anti-inflammatoires, de médicaments contre le cholestérol ou encore le suivi d’un traitement hormonal de substitution chez les femmes.
Profil
Christophe Büla
Chef depuis 2003 du service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du CHUV, dont la mission principale est de prévenir et de retarder la dépendance des personnes âgées. Christrophe Büla a obtenu un titre de spécialiste en médecine interne, avant de partir à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) pour se spécialiser en gériatrie.