Zoom. Derrière son slogan d’impartialité, le nouveau groupe multimédia Sputnik promeut sur le web les prises de position officielles de Moscou.
Aliaume Leroy et François Pilet
Le 4 octobre 1957, l’URSS part à la conquête de l’espace en plaçant en orbite autour de la Terre le premier satellite à atteindre le cosmos, Spoutnik 1. Cinquante-sept ans plus tard, le Kremlin reprend l’appellation pour lancer une offensive médiatique. Le 10 novembre 2014, Moscou annonce le lancement de Sputnik, une nouvelle agence de presse à portée mondiale. Son objectif? Montrer «la voie d’un monde multipolaire qui respecte les intérêts nationaux, la culture, l’histoire est les traditions de chaque pays». De toute évidence, la Russie désire se positionner comme une source d’information neutre et objective. Mais elle choisit un label qui rappelle la guerre froide.
L’agence se place sous le slogan «Sputnik dévoile ce dont les autres ne parlent pas». Toutefois, la réalité est plus nuancée. Dirigée par Dmitry Kiselev, ancien présentateur de la télévision d’Etat et proche de Poutine, l’agence promeut l’image de la Russie à l’étranger. Cela prend parfois un ton provocateur. Ainsi, à la suite de la condamnation par la Maison Blanche du référendum russe en Crimée du 16 mars 2014, le directeur général a annoncé aux nouvelles du soir que la Russie «est le seul pays du monde capable de réduire les Etats-Unis en poussière radioactive».
Outil de propagande
Rattachée à l’organisme de communication gouvernemental Rossia Segodnia, «Russie d’aujourd’hui», Sputnik est diffusée dans 30 langues dont le français. De plus, l’agence dispose de correspondants dans 130 villes dispersées dans 34 pays, notamment recrutés pour leur sympathie envers les prises de position officielles du Kremlin. L’agence est aussi présente sur les ondes avec Radio Sputnik. La Russie a alloué 140 millions de dollars à «Russie d’aujourd’hui» rien que pour l’année 2015. L’argent n’est pas un obstacle.
D’autres pays défendent aussi leurs intérêts au travers d’outils médiatiques. Le gouvernement américain contrôle par exemple le média radio et télévisé Voice of America, qui diffuse les points de vue de Washington dans le monde entier. Là aussi, les moyens ne manquent pas. Le budget de Voice of America s’élevait à plus de 195 millions de dollars en 2013.
Dmitry Kiselev ne cache pas faire de la propagande. Ainsi, Sputnik fait constamment l’éloge des forces armées russes, décrites comme modernes et puissantes. Après la révélation d’un nouveau char russe lors de la parade militaire du 9 mai à Moscou, Sputnik France offre un texte sur les «10 raisons qui prouvent que le T-14 Armata est un superchar». Plus récemment, un article daté du 6 juillet vante les forces antiaériennes russes, capables de «détecter des avions prétendument furtifs américains».
Les états-Unis pour cible
Autre exemple, le traitement de la crise ukrainienne. L’agence continue de nier la présence de soldats russes dans l’est de l’Ukraine malgré les déclarations contraires de l’OTAN, des médias occidentaux et de sources indépendantes telles que le citoyen journaliste Eliot Higgins et son site Bellingcat. Dans un texte du 24 avril, Sputnik indique que «les diplomates américains réalisent régulièrement des déclarations sur la présence de soldats russes en Ukraine, en avançant parfois des «preuves» fantaisistes».
Les Etats-Unis sont souvent la cible principale des attaques médiatiques de Sputnik. Un article du 11 juillet, titré «Exécutions de l’EI: une mise en scène dévoilée, McCain éclaboussé», suggère que les Etats-Unis et le sénateur conservateur ont fabriqué des vidéos de mises à mort de l’Etat islamique.
Pour fixer l’attention, Sputnik use de deux méthodes classiques des réseaux sociaux. La première consiste à largement partager ses articles sur Twitter, augmentant ainsi ses chances d’apparaître sur les pages de ses abonnés. La seconde vise à créer le buzz. Sputnik poste sur les médias sociaux des vidéos de faits anodins comme un chien s’endormant dans les jambes de son maître ou spectaculaires comme celle d’un requin blanc attaquant la cage d’un plongeur. Partagée récemment par Sputnik France sur Twitter, une vidéo montrant une Mexicaine allant agacer un crocodile dans un zoo est sous-titrée: «Elles sont chaudes, les Mexicaines!» Il fallait oser.
Avec Sputnik, la Russie lance une contre-offensive d’envergure pour combattre ce que Dmitry Kiselev définit comme la «propagande agressive en faveur d’un monde unipolaire» de l’Ouest. Dans la sphère médiatique, les deux blocs s’affrontent désormais sur l’internet. La guerre froide est de retour, en version 2.0.