Portrait. La plus populaire des youtubeuses francophones va créer l’émeute samedi à Genève lors de la dédicace de son livre «#EnjoyMarie». Vous ne comprenez pas? Décryptage en sa compagnie.
C’est l’histoire d’une gamine de 16 ans harcelée à l’école, victime de la rumeur, isolée, qui faute de vraies amies dans la vraie vie décide un jour de s’en faire sur l’internet et lance une chaîne YouTube. Elle l’intitule EnjoyPhoenix, autant parce que Phoenix est le nom de la ville où habite l’amoureuse du vampire dans Twilight qu’à cause du symbole de l’oiseau qui renaît de ses cendres. Désormais, Marie Lopez a plus de 2 millions d’amis et des fans qui campent devant son domicile.
C’est l’histoire d’une ado de 16 ans obnubilée par ses cheveux dont la première vidéo, postée le 12 mars 2011, intitulée «Boucles avec un lisseur» et inspirée des tutoriels de beauté en vogue dans le monde YouTube anglophone des 10-20 ans, expliquait l’usage du fer à lisser en commençant par un «Salut les filles» et qui, quatre ans plus tard, lance toujours le même «Salut les filles» mais donne désormais son avis autant sur ses trucs d’organisation pour la rentrée que sur le harcèlement à l’école ou les familles recomposées.
Marie Lopez, née à Paris le 18 mars 1995 de parents hôtesse de l’air et steward, divorcés, une sœur et deux demi-frères, Suissesse par sa mère, un bac littéraire en poche, se consacre désormais à ses activités de youtubeuse. Elle a de quoi s’occuper, se partageant entre EnjoyPhoenix, sa chaîne principale, son vlog (journal en vidéo), EnjoyVlogging, dans lequel elle raconte son quotidien ou ses vacances, sa nouvelle chaîne EnjoyCooking, le collectif de youtubeuses Rose Carpet lancé l’an dernier à l’initiative de M6, les conseils beauté qu’elle donne pour la marque Gemey ou la ligne de vêtements qu’elle prépare avec RAD.
Hors internet, elle organise des meet-up qui rassemblent des milliers de fans de Paris à Bruxelles, des vide-dressings lors desquels elle vend les objets reçus au bénéfice de fondations et, depuis la parution de son livre #EnjoyMarie en mai dernier, des dédicaces pour lesquelles son public est prêt à faire des heures de queue pour une signature et un sourire d’elle – elle refuse les selfies pour des questions de temps… Le mois prochain, elle rejoindra le casting de l’émission de TF1 Danse avec les stars. Des activités qui lui rapporteraient désormais quelque 300 000 euros par an. Une somme qu’elle ne commente pas, se contentant d’expliquer qu’elle «travaille beaucoup» et que «ce qui se passe sur le web est éphémère».
La fille idéale
On peut décider de jeter #EnjoyMarie à la poubelle après dix pages parce que c’est le journal d’une ado de 19 ans et qu’il en a toutes les caractéristiques: ce serait idiot. #EnjoyMarie, best-seller en librairie depuis sa sortie, est un livre passionnant et émouvant, un vrai cadeau du ciel: le récit sincère, sans filtre et de première main d’une adolescente des années 2010 témoignant de deux phénomènes majeurs de l’époque, le harcèlement scolaire et l’exposition personnelle via YouTube.
Marie est autant la bonne copine qu’on aurait rêvé d’avoir à 16 ans – drôle et à l’écoute –, la fille qu’on aurait aimé être – jolie, tchatcheuse – que la copine dont les parents rêvent pour leur fille – ne fumant pas, encourageant les ados à parler à leurs parents et à gagner leur argent de poche. Marie est surtout la fille qu’on a tous à la maison, qui a 15, 16 ou 17 ans et dont la vie tourne autour d’une équation comportant les mots clés «acné», «cheveux», «copines» et «garçons». Il faut lire son extraordinaire chapitre sur le shopping, décrivant une virée du samedi en ville avec ses amies. Virée qui commence le lundi précédent, avec des discussions étalées sur la semaine visant à déterminer qui sera de la partie, avec quel budget, le lieu et l’heure du rendez-vous, l’itinéraire des boutiques, l’arrêt gaufres ou fast-food. Ce morceau d’anthologie, régal absolu pour sociologues des temps présent et futur, démontre à quel point ce rituel apparemment superficiel incarne le lien à la communauté, les signes extérieurs d’appartenance ou la validation des amitiés. Il n’est d’ailleurs pas anodin que Marie passe d’un chapitre consacré à sa «guerre» contre l’acné ou les cheveux indociles à une dénonciation de la rumeur ou à son témoignage d’enfant du divorce: à 16 ans, l’acné pousse au désespoir – «c’est un sujet sérieux, parce que beaucoup de dépressions, d’anorexies, de boulimies (…) peuvent provenir d’un manque d’amour de soi, tout ça pour quelques satanés boutons. L’apparence conditionne toute notre vie d’ado. On se construit autour de ce que les autres nous renvoient d’elle.»
Son livre, elle l’a voulu pour montrer ce qu’elle est «à travers un autre langage que la vidéo». Elle a «adoré» écrire et révéler Marie Lopez derrière EnjoyPhoenix. «EnjoyPhoenix et Marie, c’est pareil. Je ne joue jamais de rôle. Mais ce livre me permet de faire un pied de nez à la communication ultrarapide dont nous sommes les esclaves. Et de me raconter vraiment aux filles et aux garçons qui me suivent.»
Des filles de 12 à 20 ans, quelques garçons séduits ou égarés qui ne souhaitent que cela: que Marie se raconte. «Je suis une fille normale qui ressemble à ses fans. Je ne suis pas une experte. J’ai des défauts, je fais des bêtises, je me pose mille questions, j’aime rire. Mes fans attendent des conseils de vie. Comme une amie à distance. Je suis crédible parce que je suis sincère.»
Dans son appartement lyonnais, où elle habite depuis un an avec son petit ami, Anil Brancaleoni alias WaRTeK, un Italo-Indien genevois, youtubeur spécialiste en jeux vidéo, elle s’est aménagé une chambre où elle tourne avec son appareil Canon Rebel les vidéos d’EnjoyPhoenix. Jamais de texte préparé: «Je suis timide mais, seule devant une caméra, je suis à l’aise!» Elle fait le montage elle-même sur son Mac. Se filme tous les jours, n’essayant même pas de s’imposer un jour «sans». «On a essayé un jour de partir en vacances chez ma grand-mère, on avait préparé des vidéos à l’avance, mais il y avait tellement de choses à filmer! Ce qui nous arrive est si incroyable que ce serait idiot de ne pas en profiter.»
Face à son audience croissante, elle se sent «responsable»: «Je sais que j’ai de l’influence. Je fais attention à ce que je dis. Je ne me censure jamais mais je réfléchis à la manière dont je présente les choses.» Inutile de l’attendre sur des conseils sentimentaux ou sexuels: «Je ne me sens pas assez à l’aise. C’est délicat.» Elle estime qu’être une adolescente aujourd’hui, c’est «compliqué»: «Les réseaux sociaux ont tout changé. Ils sont difficiles à gérer, les agressions peuvent être brutales et pourrir toute une vie. J’aimerais aller dans les collèges pour en parler…»
Il y a quelques mois, un voisin a divulgué son adresse, provoquant une nouvelle forme de harcèlement. «Je suis heureuse de ce que j’ai réussi. Mais, parfois, j’aimerais que ça se calme. Je n’aime pas me voir dans les journaux people qui colportent des ragots. Mais je reçois plus d’amour que d’insultes. Même si mes fans attendent de moi bien plus que ce que je peux réellement leur donner! C’est à moi de poser mes limites. Je ne montre pas mon appartement en détail, je ne filme pas après 22 heures, je ne filme pas mes parents ou mes frères et sœurs.»
A 10 ans, passionnée de guitare, elle rêvait d’être ingénieur du son. Dans dix ans? «On verra bien. Qui peut dire comment évoluera internet? Nous, les youtubeurs, sommes des cobayes. On teste pour tout le monde.»
Marie Lopez sera à Payot Genève le samedi 26 septembre dès 12 heures.