Analyse. Richissimes, les Etats du golfe Persique ne contribuent pas à gérer la crise. Les médias et les commentateurs arabes les critiquent, demandant que les portes s’ouvrent.
Francesca Sironi
Ensemble, ils dépensent plus de 100 milliards de dollars par an en équipements militaires. Ils construisent des gratte-ciel de plus en plus hauts et se préparent à abriter le Mondial de football 2022. Malgré la chute des prix du pétrole, ils affichent des taux de croissance inouïs et une richesse indécente. Mais ils n’ont aucune intention d’accueillir des réfugiés syriens. Les Etats du Golfe attirent l’attention des médias occidentaux ainsi que de nombreux commentateurs arabes. Ce sont surtout ces derniers qui s’indignent du manque de solidarité affiché par les pays les plus riches du Moyen-Orient face au gigantesque désastre humanitaire que constitue le destin de millions de Syriens.
A ce jour, le Qatar, numéro un mondial pour son PIB par tête (102 000 dollars par habitant, soit plus que la Suisse – 81 200 dollars en 2013), n’a pas accueilli un seul réfugié. Et on ne sait pas grand-chose de ses éventuels dons, probablement proches de zéro. Le Qatar s’est fait houspiller par Amnesty International, sans effet semble-t-il.
Des voisins ont en revanche fait un effort. L’an dernier, le Koweït a versé plus de 100 millions de dollars au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), afin de contribuer à la fourniture d’aliments et de services dans les camps de réfugiés financés par l’ONU au Liban et en Jordanie. Les Emirats arabes unis (EAU) ont dit avoir rassemblé des aides pour 540 millions de dollars depuis le début de la crise et les avoir distribués pour l’aide humanitaire dans une mégapole de tentes en Jordanie et sur un site au nord de l’Irak.
Des lois très strictes
C’est précieux, mais les organisations humanitaires se demandent pourquoi pas un seul réfugié n’a été accueilli. Commentateur de l’International Business Times et fils d’un émigré koweïtien à Abou Dhabi, Sultan Sooud Al-Qassemi vient de lancer un appel aux pays du Golfe pour qu’ils ouvrent enfin leurs portes aux requérants d’asile. Mais le Qatar, les Emirats, l’Arabie saoudite, le Koweït et le Bahreïn connaissent des lois très strictes en matière d’immigration.
Les seuls migrants tolérés sont les indigents, les multiples travailleurs souvent clandestins et faciles à mettre au pas dans un contexte éprouvé d’exploitation et d’absence de droits humains, qui débarquent du Pakistan, du Sri Lanka et d’Afrique pour construire les gratte-ciel et autres mégastructures futuristes. Il n’y a pratiquement pas de réfugiés politiques ni de requérants d’asile. Les ouvriers employés sur les innombrables chantiers ne parlent pas la langue du pays ni n’en connaissent les us et coutumes. Ils sont destinés à rester à jamais des exclus.
Or, selon Sultan Al-Qassemi et d’autres commentateurs, c’est justement là une des causes du retranchement face aux voisins syriens: la crainte que l’afflux de voisins arabes qui, eux, parlent la langue et connaissent la culture ne déstabilise les équilibres dans ces pays dont la richesse, accumulée depuis septante ans, est distribuée à une minorité de citoyens.
La semonce d’Amnesty International ne s’adressait par ailleurs pas qu’aux pays du Golfe. Selon l’ONG, la Russie, le Japon, la Corée du Sud et Singapour n’ont pas non plus proposé la moindre possibilité d’accueillir des réfugiés. Avec son PIB de 62 400 dollars par habitant, Singapour a versé 50 000 dollars au HCR. Oui, vous avez bien lu: 50 000.
© L’Espresso, Traduction et adaptation Gian Pozzy