Coupe.Les ados romandes ont les cheveux uniformément longs. Mais où sont les rebelles de la mèche? A Ryad.
C’est une jeune sirène brune de mes amies. Il y a cinq ans, elle a coupé ses cheveux, tout court. «Suite à une rupture», un grand classique. «Mes copines m’ont dit: c’est joli, mais je n’oserais jamais.» Elle, elle s’est sentie à la fois «libérée et dépouillée de quelque chose», éjectée hors d’un cocon protecteur, condamnée à se forger une «prestance». «Regarde dans la rue: les filles aux cheveux courts ont une attitude, ce sont les plus intéressantes…»
(Re)naissance d’une norme. Je regarde, je ne vois rien: dans les rues de Suisse romande, les filles ont toutes les cheveux longs. Chez les ados, c’est du 95% (estimation à l’arrache, en l’absence de statistiques officielles). Mon coiffeur dépité confirme: «Elles ne viennent plus, même la teinture, elles la font entre elles.» La coupe courte n’apparaît qu’avec l’âge et se généralise chez les retraitées comme le choix de la raison. Elle-même, la sirène lausannoise qui avait osé, a laissé repousser sa crinière de jais: «Les cheveux longs, c’est tellement associé à la féminité…»
Et la nuque de lys de Jean Seberg, la mutine frangette de Mia Farrow, c’était quoi, masculin? Et le triangle aguicheur sur l’oreille de Cristina Cordula, relookeuse sur M6, c’est disgracieux, peut-être? Sa carrière de mannequin a décollé, raconte-t-elle, quand elle a coupé ses cheveux. Celles qui misent sur le court séducteur sont l’excitante exception.
Il faut avoir quelques kilomètres au compteur pour percevoir cette évolution du sens commun esthétique: à la fin du siècle dernier, les filles de 18 ans arboraient une grande variété de longueurs de cheveux. Aujourd’hui, la variété est l’apanage des garçons: le cheveu long féminin est devenu la norme, voire l’uniforme.
Il faut avoir un brin voyagé pour se dire: c’est un peu comme à Beyrouth ou à Delhi. Des villes pleines de nanas actives et puissantes. Mais où «pour une femme, quand même», le cheveu long reste une règle quasi inviolée.
Pendant ce temps, à Ryad. Et maintenant, devinette. Dans le livre Jeunesses arabes*, la chercheuse française Amélie Le Renard nous présente des violeuses de règle: ce sont les buyas, cheveux courts, chemise d’homme et piercing à l’oreille. Où sont-elles? A Koweit City, Abou Dabi, Ryad. Sur le campus de l’Université Roi Saud de la capitale saoudienne, l’entrée est interdite aux hommes, ce qui permet aux étudiantes de circuler tête nue, raconte la chercheuse. Le style buya y est «très répandu et visible». Davantage, en somme, que le cheveu court sur un campus romand.
Buya vient de boy. Chez les Saoudiennes, le cheveu court peut aller de pair avec des choix amoureux lesbiens, ou pas. Les indociles capillaires arabes expriment d’abord leur révolte contre un «modèle dominant de féminité» particulièrement étouffant. Des «garçonnes», en somme, comme l’Europe en a connu dans les années 1920: à la fois membres de la troupe d’élite de l’émancipation féminine, affoleuses de masculinité et prescriptrices de style. Longue vie aux buyas et à leurs mèches rebelles.
Mais chez nous? Coiffeuse et conseillère en look à Lausanne, Rose Freymond prédit une longue vie au cheveu long. Toutes les Miss Suisse et les Miley Cyrus du monde n’y pourront rien, dit-elle, la longueur, «plus flatteuse et facile d’entretien» est en train de s’imposer même chez les quadras.
Mais pourquoi cette uniformisation capillaire? Parce que les femmes ont gagné leur combat pour l’égalité, dit la coiffeuse, plus besoin de se déguiser en petit soldat aux cheveux courts: elles veulent être à la fois «fortes et féminines».
C’est bien ce qu’on vous disait: dans l’après-guerre des sexes, le long et le féminin sont redevenus implicitement synonymes. Mais, minute: la nuque de Sylvia Kristel-Emmanuelle, courbée devant son seigneur et maître, c’était peut-être une nuque de combat?
Notez, c’est beau, les cheveux longs. Ce qui est un peu inquiétant, c’est la perte de diversité. Merci à Cristina Cordula, Miley Cyrus et Miss Suisse d’incarner cette idée forte: la féminité, c’est merveilleusement complexe.
* «Jeunesses arabes». Sous la direction de Laurent Bonnefoy et Myriam Catusse. La Découverte, 374 p.