Union européenne.Dans un flamboyant plaidoyer en faveur de l’UE, l’écrivain autrichien Robert Menasse fait le procès du Conseil des ministres, «une institution soumise aux intérêts nationalistes qu’il faudrait abolir».
Au-dessus du chœur des lamentations europhobes, une voix s’élève. Elle tranche par rapport à tous ceux qui prédisent des lendemains d’apocalypse à l’Union européenne (UE). C’est celle de l’écrivain autrichien Robert Menasse, récent auteur d’un essai sur l’UE déjà couronné par trois prix. En tournée en Suisse alémanique cette semaine, il prend la défense du projet européen, démolit un à un tous les clichés en vogue dans les milieux souverainistes et en appelle à une autre Europe, celle d’un «continent sans nations, une association libre de régions affranchies d’un fort pouvoir centralisateur».
Au cœur du monstre. A vrai dire, Robert Menasse n’avait pas du tout cette idée-là en tête en louant un appartement dans le quartier européen de Bruxelles en pleine crise de l’eurozone en 2011. Il imaginait plutôt écrire un roman brocardant les eurocrates de service hantés par l’obsession de tout réguler. Mais en pleine immersion au cœur du «monstre», Robert Menasse avoue humblement avoir dû réviser son jugement.
Ces fonctionnaires qu’on lui décrivait arrogants, pointilleux voire paresseux, il les a découverts «compétents, ouverts et très qualifiés», œuvrant au sein d’une administration «svelte et efficace».
Là n’était donc pas le problème. L’essayiste l’a déniché du côté du Conseil des ministres, cette institution où chaque chef de gouvernement s’arc-boute sur ses intérêts nationalistes. «Il faudrait abolir ce Conseil des ministres», confie Robert Menasse à L’Hebdo. Dans le dossier des réfugiés qui meurent au large de la Sicile, ce Conseil se montre aussi «cynique que criminel» en refusant de mettre sur pied une politique de l’asile cohérente et solidaire. «Je rêve de voir tous les ministres de l’Intérieur de l’UE traduits devant un tribunal international», lâche-t-il.
En attendant cette Europe «post-nationale» qu’il appelle de ses vœux, Robert Menasse souhaite renforcer le pouvoir de la Commission et celui du Parlement. Au terme de son séjour bruxellois, il ne partage pas du tout le pessimisme ambiant des eurosceptiques. «J’ai pu constater que l’influence de trois institutions croît au sein de l’UE: le Parlement, la Cour européenne de justice et la Cour des comptes, à savoir la démocratie, la sécurité du droit et le contrôle du budget.» Plutôt rassurant, non?
Et la Suisse dans tout cela? L’écrivain autrichien s’abstient de tout conseil. «Qu’elle s’informe, sans préjugés», déclare-t-il. A certains égards, notre pays est en avance sur l’Europe: «La Suisse applique le principe de la subsidiarité de manière remarquable avec de larges compétences accordées aux cantons, ce qui relativise le pouvoir fédéral. De plus, elle respecte ses minorités en les considérant de surcroît comme une richesse», note-t-il.
L’accès à la cuisine. Mais à d’autres égards, la Suisse retarde par rapport à l’UE: «En suivant la voie bilatérale, elle croit à tort qu’elle peut choisir ce qu’elle veut dans le menu européen. Cette voie n’a pas d’avenir, car elle ne donne pas accès à la cuisine, elle ne permet pas de participer aux décisions communautaires.» Autre erreur de raisonnement commise par la Suisse: «Après avoir conclu tant d’accords avec l’UE, ses liens avec Bruxelles sont si ténus que si l’Europe traverse une crise, la Suisse en souffrira aussi, même en n’étant pas membre de l’Union», ajoute-t-il.
Cela dit, Robert Menasse ne parle pas de la Suisse dans son livre. Son propos, c’est l’Europe, ce continent qui a su jusqu’à présent tirer les leçons de son histoire sanglante. Une Europe aussi dont il refuse de dramatiser les problèmes: «Le déficit de la Grèce reste dérisoire par rapport à celui d’un Etat américain comme la Californie.»
* Robert Menasse: «Der Europäische Landbote». Editions Zsolnay (en allemand).