Dossier. La réforme en cours du 2e pilier durcit les conditions pour recevoir la retraite. Vaut-il la peine, dans cette situation, de continuer à cotiser au-delà de ce qui est obligatoire? Réponses d’experts et de jeunes retraités.
Lorsque s’annonce le virage de la cinquantaine, une idée fait graduellement son chemin. Insensiblement d’abord. Puis de manière insistante, voire obsessionnelle: de quoi sera faite ma retraite? Comment vivrai-je? Pourrai-je maintenir mon pouvoir d’achat? Garder mon logement? Ma voiture? Pourrai-je toujours partir en vacances? Comment serai-je imposé? «Une retraite se planifie avec dix à quinze ans d’avance», déclare Denis Mazouer, actuaire chez Mercer à Nyon. Une planification bousculée par la réforme de la prévoyance, en plein chantier à Berne.
Avec ses révisions, parfois déchirantes, des modes de calcul des retraites, cette refonte force chacun à s’interroger sur son avenir. Peut-on encore compter sur les promesses de son 2e pilier? Vaut-il toujours la peine de cotiser plus que le strict nécessaire, par exemple en «rachetant des années» pour élever ses rentes futures? Faut-il au contraire placer son argent ailleurs? Evidemment dans l’hypothèse où on en aurait les moyens, ce qui présuppose de disposer d’un bas de laine ou la possibilité d’en constituer un. Et, bien sûr, de conserver son emploi.
Encore faut-il que la réforme soit finalement adoptée aux Chambres. Or, le Conseil national ne s’est pas encore prononcé. Et comme on le sait, il s’est fortement teinté de conservatisme aux dernières élections. De plus, l’ombre du référendum plane au cas où le projet initial se verrait trop édulcoré au terme de son examen parlementaire.
En dépit de l’incertitude générale, les spécialistes se montrent unanimement rassurants. Oui, le système reste solide et stable, c’est d’ailleurs pour le garder ainsi qu’on le réforme. Bernard Romanens, expert en caisses de pension chez Pittet Groupe à Genève: «La prévoyance, c’est le contraire du casino. On n’a pas besoin immédiatement de l’argent que l’on y place, mais on doit avoir une grande confiance dans la solidité du système.»
Pas facile d’y croire. Le 2e pilier est sous pression croissante. Pris dans un immense étau, il voit ses charges exploser alors que ses revenus peinent à suivre.
Côté dépenses, d’abord. Il y a toujours plus de retraités, en raison de l’arrivée des baby-boomers d’après-guerre et de l’élévation de l’espérance de vie, qui s’allonge en moyenne d’un mois par année. En 1947, lors de l’instauration de l’AVS, les hommes avaient peu d’espoir de vivre au-delà de 66 ans et les femmes de 70 ans. En 1985, année de l’introduction du 2e pilier obligatoire pour les salariés, la durée de vie avait progressé de six ans pour les premiers et de dix ans pour les secondes. Aujourd’hui, elle s’est encore allongée à respectivement 81 et 85 ans (voir graphique en page 9). Ces années de vie gagnées sont évidemment réjouissantes. Mais elles induisent que le nombre de retraités augmente, accroissant les besoins en financement.
Simultanément, les revenus des placements fondent. En 1985, le rendement d’une obligation de la Confédération, le placement le plus sûr que l’on puisse trouver en Suisse, rapportait 4,77% par année. Aujourd’hui, en raison des taux d’intérêt négatifs, elle coûte à son détenteur 0,3% de sa valeur (voir graphique ci-contre).
Les institutions de prévoyance sont placées devant un véritable défi, celui d’identifier d’autres sources de rendement des placements. Elles en ont trouvé dans les actions, surtout celles qui sont cotées en Bourse. Mais la hausse des cours depuis 2011 rend celles-ci très chères et relativement peu rémunératrices. De plus, le risque d’un plongeon des cours devient chaque jour plus élevé. Autre placement classique, l’immobilier, notamment les barres d’immeubles d’habitation des périphéries des villes. Mais la pierre, fort demandée elle aussi, suit la même tendance que les titres financiers: chère, risquée et bien moins lucrative qu’il y a quelques années.
Les nouveaux calculs
C’est pour éviter que les tensions croissantes du système ne fassent tout exploser que le conseiller fédéral Alain Berset a entrepris en 2012 la réforme «Prévoyance 2020». Son axe central consiste à maintenir le niveau actuel des rentes servies aux retraités malgré un financement plus difficile. Aussi la solution a-t-elle été trouvée dans une hausse des cotisations des actifs, salariés et employeurs. Et par une mesure qui fait mal à la moitié de la population, l’élévation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans au lieu de 64.
Derrière cet emblème, Berne veut adapter plusieurs instruments de calcul des rentes. Ainsi, le taux de conversion, qui sert de base pour transformer les avoirs retraite en prestations, doit être progressivement abaissé de 6,8% à 6%. Un capital accumulé de 500 000 francs servira ainsi une rente annuelle de 30 000 francs au lieu de 34 000 francs aujourd’hui. Et ne croyez pas que l’on arrive au bout de ce durcissement: «Ce taux reste encore trop élevé. Les taux de conversion des avoirs surobligatoires est inférieur», oberve le gérant d’une importante caisse de pension.
Cette mesure va affecter, par ricochet, un autre instrument de calcul. Le taux d’intérêt technique, qui détermine les intérêts versés sur les avoirs retraite des cotisants aux institutions de prévoyance, devrait être diminué. C’est notamment le cas de la caisse de La Poste, qui a annoncé en juin dernier à ses assurés qu’elle allait réduire son taux technique de 3% à 2,25%. Ce qui veut dire que, pour chaque tranche d’épargne de 100 000 francs, l’assuré se voit créditer un intérêt de 2250 francs par an au lieu de 3000 francs.
Même dégradées, ces conditions restent cependant supérieures au taux technique minimal légal. Celui-ci est actuellement de 1,75%. Et il sera abaissé à 1,25% dès janvier 2016. Les intérêts minimaux versés sur les avoirs de prévoyance seront ainsi réduits à 1250 francs par an par tranche de 100 000 francs de capital-retraite au lieu de 1750 francs actuellement.
Les inégalités d’un bon système
Les cotisants doivent-ils abandonner l’espoir de vivre aussi bien que leurs aînés, dont les avoirs retraite ont été portés par de très belles années de croissance économique et des rendements de placements élevés? La réponse d’Olivier Ferrari, patron de Coninco, un expert en prévoyance basé à Vevey, fuse: «Le cotisant doit garder les pieds sur terre.» Les pieds sur terre? Parce que le système de retraite suisse garantit constitutionnellement «le maintien approprié du pouvoir d’achat», ce qui, traduit dans les faits, signifie que le retraité est censé recevoir une rente cumulée entre l’AVS et le 2e pilier équivalant en principe à 60% de son dernier salaire. C’est-à-dire, pour un salarié touchant 6200 francs par mois, se retrouver avec une rente mensuelle de 3720 francs.
La réalité peut être cependant bien plus sombre. Le rentier n’a peut-être pas cotisé toute sa carrière. Ou son salaire assuré, l’un des éléments qui détermine la rente future, est nettement inférieur au salaire réel. Une solution correctrice de ce dernier problème avait été proposée par le Conseil fédéral: elle consistait à réduire la déduction de coordination, qui ampute de 24 675 francs le salaire assuré annuel, ce qui touche tout particulièrement les petits revenus et les empêche parfois de participer au système. Mais une commission du Conseil des Etats a balayé cette proposition, qui a désormais peu de chances d’être repêchée par le National.
Nombre de retraités risquent ainsi de ne pas jouir du 60% de leur ancien revenu. «Pour un couple gagnant le salaire médian, donc 13 000 francs par mois en cumulé, la rente risque de n’être plus que de 7000 francs environ. La chute pourrait être brutale!» remarque Denis Mazouer. Sachant que les dépenses de santé augmentent avec l’âge, le retraité devra ainsi diminuer son train de vie, comme changer de logement et renoncer à sa voiture.
Ce n’est pas pour rien que la Suisse est critiquée par l’OCDE comme l’un des pays où la proportion de pauvres parmi les personnes âgées est la plus élevée: pire qu’aux Etats-Unis, à peine mieux qu’au Mexique.
Le problème de la pauvreté à la retraite touche en particulier les indépendants qui ont négligé les questions de prévoyance, les travailleurs à temps partiel et les tout petits salaires. Les femmes sont évidemment largement surreprésentées dans cette catégorie, tout comme les ménages divorcés et les immigrés. Et même si on n’appartient pas à ces catégories, le seul moyen d’échapper à ce piège est de mettre le plus d’argent possible de côté, que ce soit dans la prévoyance ou ailleurs.
La prévoyance mieux que les assurances
Les experts interrogés par L’Hebdo sont unanimes: «Racheter des années de caisses de pension est la meilleure solution. Ne serait-ce qu’en raison des incidences fiscales.» Moyennant des limitations propres à chaque caisse, les institutions de prévoyance permettent à leurs affiliés de payer des montants supplémentaires aux cotisations obligatoires.
L’intérêt est triple. D’abord, tous les versements sont déductibles de l’impôt sur le revenu. De plus, ils sont placés dans des institutions aux avoirs garantis (au moins pour les prestations obligatoires) et servent des rémunérations élevées en regard de la sûreté qu’elles offrent. La majorité des caisses de droit privé (qui ne couvrent pas d’employés des pouvoirs publics) rémunèrent les avoirs vieillesse entre 1,75% et 3%. Les plus généreuses, les plus riches d’entre elles portent cette rémunération à 5%, selon le rapport de Swisscanto sur les caisses de pension paru en septembre.
On l’a vu, ces taux devraient diminuer sous la pression de la hausse des coûts et la pression sur les rendements des placements. Toutes les caisses s’y résoudront-elles? Financièrement, elles pourraient rester généreuses. Leurs réserves sont rebondies. Les performances de leurs placements sont excellentes. Elles dépassaient 7,3% l’an dernier et 6,2% en 2013. Sur ces dix dernières années, deux exercices seulement ont vu des reculs, les années boursières noires qu’ont été 2008 et 2011. Toutefois, par prudence, elles préfèrent restreindre leurs prestations là où cela se révèle possible. Les taux de conversion des avoirs retraite surobligatoires sont passés pour l’essentiel en dessous de 6%, parfois encore plus bas. Ce qui n’est pas encourageant. Privilégier alors la formule de l’assurance vie ne sera pas forcément plus rémunérateur. «Elles sont même généralement moins intéressantes que le 2e pilier», avance l’expert Bernard Romanens. Elles ont même dû réduire leur taux technique maximal à 0,75% au lieu de 1,25% en juillet dernier, sur instruction de la Finma.
Ces institutions sont du reste à l’avant-garde pour exiger des diminutions des rendements minimaux des avoirs de prévoyance. «En général, leurs représentants à la Commission fédérale de la prévoyance professionnelle demandent d’abaisser le taux minimal d’un demi-point de pourcentage supplémentaire que la moyenne de la commission», poursuit Bernard Romanens.
Les assurances sont même la bête noire de Jacques Grivel, patron de Fundo, un gérant de fonds institutionnels à Lausanne. «Elles coûtent cher. Elles cherchent constamment à tester les limites du système. Sans elles, la prévoyance n’aurait pas besoin de tous les garde-fous qui l’encadrent parce que les caisses de pension ne chercheraient qu’à faire du mieux qu’elles peuvent pour générer de la performance en faveur de leurs membres.»
Restent, comme autre solution de placements défiscalisés en vue de la retraite, les comptes de 3e pilier. Mais ils ne servent pas des rendements plus élevés. Un compte de 3e pilier A, dit prévoyance liée, sert des intérêts entre 0% et 1,25%, selon Comparis, un site internet de comparaisons. Les comptes de 3e pilier B, dits prévoyance libre, réinvestissent l’épargne dans des placements en titres ou des produits d’assurance. Leurs rendements réels se rapprochent donc de ceux des autres prestations de ces dernières.
Le capital ou la rente
Demeure une dernière question: faut-il partir à la retraite avec une rente ou le capital? La première possibilité consiste en un revenu versé par la caisse sur la base du capital accumulé. Il est garanti à vie, même si tout l’avoir-vieillesse est consommé, et s’arrête au décès. Quoique des prestations soient servies aux veufs et aux enfants à charge. Il est taxé comme un revenu normal.
La seconde est versée en une seule fois, à charge du retraité de gérer ce petit trésor, généralement de plusieurs centaines de milliers de francs. S’il le fait fructifier, tant mieux pour lui. S’il le perd à la suite d’une gestion calamiteuse ou de dépenses excessives, il ne lui restera plus que l’AVS – soit le minimum – pour vivre. En revanche, le retrait en capital est taxé plus doucement que les autres gains.
La meilleure solution? Tout dépend de la situation de chacun, répondent les spécialistes. Si l’on n’est pas très riche mais que l’on s’attend à une longue espérance de vie, mieux vaut choisir la rente. A l’opposé, une personne bien dotée mais avec une espérance de vie plus courte a intérêt à prendre son capital afin d’en léguer une part à ses proches.
Certaines caisses, toutefois, cherchent à forcer la main de leurs assurés et les poussent à prendre leur capital. Aussi ne courent-elles plus le risque de leur assurer une rente, même en cas de très longue vie. «Certaines grandes caisses de pension, comme celle de Novartis, ne proposent plus que le versement en capital pour leurs cadres au bénéfice d’une caisse complémentaire», a précisé Roland Bron, directeur romand de VermögensZentrum, un gérant de fortune, au journal Le Temps.
L’assuré à une institution de prévoyance va donc vers des jours difficiles. Il devra payer davantage, il recevra peut-être moins que ce qui lui a été promis au début de sa carrière. Et pourtant, c’est encore dans le système du 2e pilier qu’il est le mieux soigné. «Placer tout son capital en dehors des institutions de prévoyance dans l’espoir d’améliorer sa retraite n’est pas une bonne idée», soutient Bernard Romanens. Parce que, en dépit de toutes les réformes à venir, le système suisse reste l’un des plus solides, l’un des mieux financés au monde. Et donc l’un des plus sûrs. Tout autre placement sera moins rémunérateur ou plus aventureux. Il ne faut jamais placer tous ses œufs dans le même panier. Donc, le futur retraité doit répartir intelligemment son bas de laine et, surtout, l’alimenter.
Sur www.hebdo.ch
VOS QUESTIONS EN DIRECT Lundi 9 novembre à 11 heures avec Julien Favre (VZ) et yves genier («L’Hebdo»)
Détenteur d’un master en gestion d’entreprise de l’Université de Fribourg, Julien Favre conseille chez VZ les clients pour les questions liées à la retraite et à leur patrimoine. Il dirige une équipe de spécialistes à Lausanne et anime régulièrement des conférences publiques et des séminaires pour les entreprises. Depuis plus de vingt ans, VZ conseille les particuliers et les entreprises pour toutes leurs questions relatives à la planification de la retraite et de la succession, aux placements, hypothèques, impôts et à la prévoyance. Ses concepts globaux permettent d’optimiser le revenu, la fortune et les impôts. En Suisse romande, VZ est présent à Lausanne, Genève, Neuchâtel et Fribourg. Yves Genier est journaliste économique à L’Hebdo. Tous deux répondront à toutes vos questions dans une discussion en direct sur notre site.
Les meilleurs systèmes de retraite du monde
La Suisse se classe cinquième au classement mondial des systèmes les plus solides, généreux et honnêtes, établi par l’Université de Melbourne et l’actuaire Mercer.
1) Danemark
Appuyé sur quatre piliers dont un public, le système danois ne nécessite que quelques aménagements: une meilleure protection en cas de divorce, un relèvement du départ effectif à la retraite, une meilleure protection en cas de fraude.
2) Pays-Bas
Le système s’appuie sur deux piliers: un public ressemblant à l’AVS, et un constitué de fonds alimentés par employés et employeurs sur une base quasi obligatoire, proche de notre 2e pilier. Il peut être amélioré en introduisant des critères plus stricts en matière d’âge minimal permettant un retrait et une participation plus grande des personnes âgées au monde du travail.
3) Australie
Comme en Suisse, le système s’appuie sur trois piliers: un fonds public alimenté essentiellement par le budget de l’Etat; des fonds de prévoyance alimentés paritairement par les patrons et les employés; des contributions libres ressemblant au 3e pilier suisse. Il peut être amélioré en introduisant des contraintes d’âge minimal pour permettre les retraits, et en empêchant de retirer son avoir uniquement en capital.
4) Suède
La Suède a abandonné en 1999 son système par répartition pour adopter une approche par capitalisation, avec un plancher minimal garanti. Il peut être amélioré en relevant l’âge de départ à la retraite, en permettant l’épargne-retraite privée (comme le 3e pilier suisse) et en améliorant le régime de retraite des personnes divorcées.
5) Suisse
Le système suisse peut être amélioré, selon Mercer, en empêchant les retraits de la totalité des avoirs retraite sous forme de capital, en introduisant des incitations fiscales dans ce sens, en relevant l’âge de la retraite, en accroissant la proportion de propriétaires immobiliers et en réduisant l’accès aux fonds de retraite avant la fin de la vie active.
Petit lexique de la prévoyance
Capital-retraite Fortune que l’assuré constitue au cours de sa vie professionnelle auprès de sa caisse de pension. Cette fortune est constituée de ses cotisations, de celles de son employeur et du rendement de la fortune. Elle servira de base de financement de ses prestations de prévoyance professionnelle.
Les trois piliers Le 1er pilier est l’AVS, financée par répartition. Le 2e pilier est la prévoyance professionnelle, financée par capitalisation. Le 3e pilier est une épargne volontaire défiscalisée mais bloquée.
Obligatoire/surobligatoire Le domaine obligatoire est l’ensemble des prestations que les caisses doivent à leurs affiliés en vertu des cotisations obligatoires de ces derniers. Le domaine surobligatoire concerne les montants excédentaires. Plusieurs règles (taux de conversion par exemple) auxquelles il est soumis sont moins contraignantes.
Taux de conversion Base de calcul d’établissement de la rente que le retraité percevra sa vie durant. Le taux actuel, 6,8%, signifie qu’un capital-retraite de 100 000 francs se transforme en rente annuelle de 6800 francs.
Taux minimal Taux auquel toutes les institutions de prévoyance doivent rémunérer les capitaux-retraite. Actuellement à 1,75%, il sera abaissé en janvier à 1,25%. Les caisses peuvent servir un taux plus élevé si elles en ont les moyens.
« Je ne veux pas m’arrêter. »
retraite reportée A 69 ans, il gagne toujours sa vie, par choix.
Un jour, à 59 ans, Jean* a dit stop. Stop aux contraintes du salarié. Et il s’est lancé en indépendant, à un âge où l’employé tend plutôt à s’accrocher à son poste. «C’était le tout dernier moment. Et les débuts n’ont pas été faciles», témoigne-t-il. Pendant dix-huit mois, il se bat pour obtenir des mandats dans la communication, qui ne viennent pas. Et un jour, tout a changé. Depuis lors, Jean croule sous les commandes. «A 69 ans, je me sens en pleine forme et je n’ai pas l’intention de m’arrêter!»
Grâce à son revenu d’indépendant, Jean n’a pas besoin de rente. Il renonce à toucher l’AVS, une possibilité offerte jusqu’à l’âge de 70 ans et qui permet de toucher après coup une rente accrue de 32%. Il a placé les 570 000 francs de son avoir de libre passage, retiré sous forme de capital lors de son installation en tant qu’indépendant, auprès d’une banque. Celle-ci lui sert un rendement supérieur au minimum des caisses de retraite tout en offrant un niveau de sécurité similaire. L’argent qu’il consacrait aux cotisations de la prévoyance professionnelle alimente aujourd’hui un compte de 3e pilier. Locataire, il n’a pas besoin de consacrer cet argent à un amortissement de la dette hypothécaire et dispose ainsi de 120 000 francs. Enfin, il dispose d’un confortable bas de laine, partiellement hérité, qui lui assure, en tout, une fortune supérieure au million.
Jean a pris un risque certain en quittant le confort du salarié. Mais son pari est gagnant de tous côtés.
« J’ai choisi la liberté. »
retraite reportée A 63 ans, il se prépare de vieux jours dorés.
Des décennies durant, Onésime*, cadre dans les ressources humaines, arrivait au bureau à 7 heures et ne rentrait pas chez lui avant 19 h 45. «J’ai beaucoup travaillé dans ma vie», se remémore-t-il. Jusqu’au jour où, âgé de 60 ans, il a «décidé de prendre [s]a liberté». Fin de partie? Non. Il s’est lancé pour son compte propre, une affaire qui roule et lui assure un revenu supérieur à 100 000 francs par an.
Pas de retraite, alors? Plutôt que de la toucher sous la forme de rente, il a préféré placer son avoir de libre passage auprès d’une banque qui lui assure un rendement de plus de 2%. La banque capitalise les bénéfices, qui alimentent la fortune globale. Un choix qui n’est pas exempt d’arrière-pensées fiscales: «Je suis déjà taxé aux alentours de 40% du revenu. Tant que mon capital reste inemployé, il n’est pas imposé», précise-t-il. Cette possibilité est ouverte jusqu’à l’âge de 70 ans. Passé cette limite, le retraité a l’obligation de toucher son avoir. Avec un avantage: la rente sera sensiblement plus élevée que s’il l’avait perçue dès l’âge normal de la retraite à 65 ans, et bien plus que s’il l’avait demandée dès son départ effectif.
« Je me sens privilégié. »
Retraite anticipée A 62 ans, il a profité d’une rente-pont.
«A 62 ans, j’étais content de partir. Mon employeur m’aurait volontiers gardé, mais les dernières années avant la retraite étaient vraiment dures», se rappelle Alphonse*. Cinq ans plus tard, le retraité ne regrette à aucun moment sa décision de quitter le monde du travail avant l’âge officiel. Jusqu’à 65 ans, l’employeur a versé l’équivalent de la rente AVS. Mais pendant le même temps, le jeune retraité a dû cotiser sa part et celle du patron à cette même AVS, soit près de 10% de son revenu. Une charge qui a disparu lorsqu’il a atteint l’âge légal du départ à la retraite.
Au terme d’une vie passée en tant qu’employé qualifié dans la micromécanique et la mictrotechnique, Alphonse dispose, en plus du 1er pilier, d’un avoir retraite légèrement supérieur à 400 000 francs. Une rente qui n’est pourtant pas si élevée. «L’employeur prenait en charge les deux tiers de la cotisation. Mais cela a impliqué que la part surobligatoire de la caisse était importante, avec un taux de conversion inférieur à 6,8%.» Le ménage qu’il constitue avec sa compagne vit néanmoins avec un revenu total de 8000 francs par mois. «Je me sens privilégié. Je n’ai pas faim, je ne suis pas à l’aide sociale», se réjouit-il. Et même plus: il a pu s’offrir un voyage en Amérique du Sud.
« Je voulais rester. »
Retraite anticipée A 62 ans, il part avec une coquette fortune.
Une carrière de cadre dans la banque a rendu Christophe* heureux. «J’aurais pu quitter à 58 ans, mon capital retraite était assez élevé pour me l’offrir. Mais je voulais rester.» A 62 ans toutefois, il a dû partir, en vertu d’une règle de son entreprise. Depuis lors, il coule les jours tranquilles du jeune retraité qui n’a plus à répondre de son activité auprès d’un patron. A une nuance près: «En quittant le monde du travail, c’est tout un pan de la vie sociale qui disparaît. Pour rester actif, je me suis engagé dans de nouvelles causes.»
C’est ainsi que Christophe assume la présidence de plusieurs associations à but non lucratif mais disposant de patrimoines très confortables, et qu’il siège dans un conseil de fondation. Des fonctions qui lui rapportent 20 000 francs par an. «J’assume toutes ces activités en nom propre. Mais si je recevais un mandat important, je devrais créer une structure, voire suspendre la perception de mes rentes.»
C’est un vœu, pas une nécessité. L’avoir retraite de Christophe est juste inférieur à 2 millions de francs, ce qui lui assure une retraite plus que confortable… et des impôts en conséquence. «J’ai hésité à m’installer au Portugal, où les retraités étrangers ne sont pas taxés pendant dix ans sur le revenu. Mais cela aurait signifié ma mort sociale en Suisse.» Ce qu’il ne veut à aucun prix.